Dans la tradition catalographique française, les collections de monographies sont classées habituellement parmi les publications en série ; en conséquence leur traitement est régi par la norme Z 44-063 au même titre que les publications périodiques : journaux, revues, annuaires, etc. Cet état des choses découle de la définition bien connue d'ISDS, International sériais data system :
« Une publication, imprimée ou non, paraissant en fascicules ou volumes successifs [...] pendant une durée non limitée à l'avance. Les publications en série comprennent les périodiques, les journaux, les publications annuelles [...] et les collections de monographies. »
Les collections répondent, bien évidemment, à ces conditions minimales. Leur durée de vie surtout n'est pas déterminée. Une différence les distingue pourtant des autres publications périodiques : il s'agit du fait qu'elles ne sont pas, à proprement parler, des publications... Plus précisément, à la différence des journaux et revues, elles ne constituent pas des documents primaires. Le titre d'une collection ne désigne aucun document concret : une collection n'existe pas en tant que telle mais seulement à travers les documents qui la composent. En bref, elle offre un accès au document tout n'en étant pas un. Alors, une publication ? un accès ?
La conséquence de cette nature imprécise influence le traitement qui leur est réservé : tantôt bibliographique (cas de la France), tantôt dans les fichiers d'autorité (cas des États-Unis, de l'Espagne, de la Pologne) par exemple dans les fichiers des titres uniformes. Parmi ces solutions, chacune a ses avantages et ses inconvénients. Mais ce qui est important ce sont les problèmes posés par la double nature des collections dans l'élaboration d'un catalogue ou d'une bibliographie nationale.
LeManueldel'ISDS(éd. 1986) s'efforce d'éclaircir la question. Dans le glossaire dudit « Manuel », la collection de monographies est définie comme : « groupe de publications distinctes reliées les unes aux autres par le fait que chacune porte, en plus de son titre particulier, un titre collectif commun au groupe, qui est le titre de la collection [...] La définition semble un brin tautologique. Autrement dit, une collection en est une à cause de son titre. Et le titre en question est le titre de collection parce qu'une collection porte un titre. Mais cette définition découle du fait que le « Manuel » se limite seulement à la description de la manière dont une collection se manifeste ; il s'agit ici d'une définition de forme, pas de fond.
Mais au fond, justement, qu'est-ce qu'une collection ? La lecture de la presse professionnelle (Livres-Hebdo, Le Monde des livres, etc.) suggère qu'elle soit avant tout un projet documentaire d'éditeur et, plus précisément, un projet d'exploration documentaire. Le titre en constitue le point d'accès mais à ce titre correspond un contenu. Un exemple : la collection « Droit » chez Descartes et Cie. Un titre l'on ne peut plus banal correspond pourtant à un projet précis : « Le droit est au coeur des problèmes sociaux et humains. Pourtant!...] la compréhension de ses usages est considérée comme une spécialité et non comme un objet de débats entre les citoyens. La collection « Droit » de Descartes et Cie conteste cette situation on publiant des ouvrages de réflexion sur le droit [...] accessibles à l'amateur éclairé. Il s'agit de réfléchir sur l'organisation sociale au moyen des instruments indispensables que fournit le droit. Il s'agit de contribuer à une nouvelle conception de la justice par l'insertion du droit lui-même dans le débat civique. Il s'agit en définitive de porter le droit sur la place publique »
Pour l'éditeur, il s'agit d'explorer le lien entre le droit, la société et la politique. Le public visé est clairement défini. On remarque à cette occasion que la collection répond à une brûlante actualité française.
À ce stade de la réflexion, on remarque le fait que le regroupement opéré par une collection est d'origine éditoriale et qu'il est fait en toute liberté. Le choix de critères varie à l'infini : exploration d'un sujet, d'un domaine, d'une problématique ; présentation de travaux d'une institution ou direction de la collection par une personnalité ; volonté d'une certaine présentation graphique (« Carré d'art » chez Séguier) ou intellectuelle (« l'Esprit frappeur » chez l'éditeur du même nom), voire plusieurs de ces critères à la fois. Mais dans tous les cas de figure son existence traduit une volonté indépendante de l'éditeur d'inscrire les ouvrages dans un ensemble d'un niveau supérieur, dans une cohérence qui les dépasse, bref dans un projet documentaire. La collection devient l'apport original de l'acte de l'édition. Car que signifie le fait d'être éditeur ? Sans doute avoir une ligne, un projet, une politique.
Pour cette raison, la collection éditoriale ne se réduit jamais à son titre. Signe formel de la chose : il est frappant de constater combien de fois son lancement et diverses péripéties de sa vie (nouvelles séries) s'accompagnent de textes éditoriaux denses qui cherchent à expliquer un titre trop bref, trop banal ou simplement incompréhensible à lui seul. Car la collection obéit aux exigences contradictoires : celle d'une identification facile et celle d'une originalité et d'une personnalité propres. C'est par ces textes que se traduisent des projets d'exploration documentaire, des plus simples aux très élaborés. La collection « Droit » chez Descartes et Cie en est un exemple. Mais en regardant de près Les petites histoires de chasse du temps passé on découvre : « une nouvelle collection, destinée aux plus de six ans, qui présente [...] la vie quotidienne en France [...] du Moyen Âge à la Révolution, où la chasse, moyen de subsistance pour les uns, loisir pour les autres, était pratiquée dans tous les milieux [..]. Préparé par les historiens, chaque texte s'inspire de faits et d'anecdotes authentiques recueillis dans les manuscrits de l'époque ». Et l'on ne peut que regretter que cette ambition éditoriale de fournir des documents de valeur destinés à la jeunesse disparaisse complètement de la description bibliographique.
Derrière un titre simple, accrocheur même, se manifeste la démarche d'édition et par « l'acte de collection », l'éditeur s'affirme comme l'acteur culturel à part entière. C'est là que son activité dépasse une logique commerciale et commerçante. La richesse et le foisonnement de ces projets témoignent d'un fait simple et insuffisamment souligné : les livres ne sont pas publiés par hasard. Ils s'inscrivent dans les nécessités de la vie culturelle et intellectuelle du moment, dans un contexte et un environnement précis. Dans le cas des documents réédités, c'est la collection qui se charge de l'actualisation des textes. Par exemple « Jalons des savoirs» aux éditions Envol cherche à rééditer « des textes qui, dans leurs disciplines respectives, [...] tiennent lieu de repères, voire d'apports fondamentaux [...] pour situer l'oeuvre en son temps comme en regard du nôtre JJ. Dans le cas des textes originaux, c'est la collection qui les met en contexte des préoccupations intellectuelles du moment. Elle participe de la sorte à rendre plus lisible l'offre documentaire et culturelle.
On peut donc définir la collection comme une volonté d'exploration documentaire d'un projet éditorial ou la volonté d'inscrire le document dans un contexte documentaire. Ce principe est, d'ailleurs, applicable à toute publication, indépendamment de son support, imprimé, électronique, etc. Au catalogue ou dans la bibliographie nationale, la collection est, in fine, la seule trace de cette activité éditoriale.
La cellule Collections au sein du service de la Bibliographie nationale française est peut-être, par sa situation particulière, une des seules en France à pouvoir suivre et évaluer cette activité. Dans la chaîne de traitement bibliographique, elle occupe une position stratégique en suivant de près les documents déposés par les éditeurs dans le cadre du Dépôt légal (environ 50 000 livres par an). En première approche, l'identification est avant tout visuelle : il s'agit de repérer, dans la masse de documents déposés, les choses qui se ressemblent, ayant le même aspect, voire la même couleur. Les collections annoncées dans la presse professionnelle sont attendues. Mais celles des petites maisons d'édition, des associations, des organismes non spécialisés dans l'édition sont plus difficiles à débusquer. Elles sont souvent moins mises en valeur car moins soumises aux règles du marketing commercial.
Le principe de respect des projets documentaires est nécessaire pour une gestion correcte du fichier des collections. Il s'agit de suivre constamment ces projets en évaluant leur réalité et leur précision.
L'identification des collections s'effectue à deux niveaux : en examinant les arrivées du Dépôt légal et en contactant directement les éditeurs. Il s'agit d'écarter ce qui semble être une collection mais dont le projet est trop général ou trop peu significatif. Autre écueil : les mentions « Poésie », « Sciences », « Romans », etc. s'avèrent souvent correspondre non pas à une collection mais à un département ou secteur de la maison d'édition. Ces « non-collections » feront l'objet des notices de renvoi général.
Pour évaluer la réalité du projet, les critères de l'ISDS trouvent toute leur utilité pour bien lever l'ambiguïté. La collection suspectée d'être complète en un nombre déterminé des volumes ou de ne pas être un projet ouvert fera objet d'une notice sans ISSN ni titre-clé et sans annonce dans BNF(Bibliographie nationale française) imprimée. C'est le cas notamment de nombreux ouvrages pour enfants où ces mentions de collection n'ont souvent pas d'autre but que de vendre plusieurs titres. Seule une bonne connaissance des pratiques propres à chaque éditeur permet de trancher rapidement. L'évaluation de la précision permet d'éviter la création des notices de collection pour des projets trop flous et les mentions trop imprécises dont on ne peut pas déterminer l'objet. Souvent c'est une solution d'attente : il s'agit ici de ne pas perdre des points d'accès éventuels, qui ne peuvent pas être traités comme tels faute de l'information suffisante. Cette partie du fichier correspond à « series-like phrases » dans le format américain.
Même traitement est réservé aux « collections a posteriori », c'est-à-dire aux plans de publications incluant des ouvrages publiés isolément mais ayant certains traits en commun (par exemple le même début de titre). La raison en simple : le manque de projet initial. Ces notices sont susceptibles d'évoluer et d'accéder au statut de collection à part entière si une intention claire se manifeste.
La collection dont la réalité est attestée et la précision suffisante (« monographie séries » de US MARC) se voit attribuer un ISSN, un titre-clé ainsi qu'une indexation matière PIRANAS basée sur la CDU. La plus grande difficulté de travail sur cette partie du fichier consiste à déterminer avec précision sur quoi porte le projet et d'éviter ainsi les créations inutiles pour des variantes de titre, ses compléments, etc. La collection « Phénix de Gallimard fournit un bon exemple de ce type de difficultés : il a fallu décider s'il s'agissait d'une seule collection ou d'une demi-douzaine, d'un seul projet ou de plusieurs. La première solution correspondait à la création d'une seule notice. La seconde impliquait la création d'une demi-douzaine de notices pour une collection à sections et autant de point d'accès dispersant les ouvrages. L'autre facette du même problème est de ne pas perdre de vue l'émergence des nouvelles séries qui se manifestent, elles aussi, par les compléments du titre. Ici encore l'évaluation de précision de projet est d'une grande utilité. Souvent, les séries correspondent aux spécialisations internes d'une exploration documentaire prenant de l'ampleur. Ici encore, la connaissance des pratiques éditoriales et les contacts directs avec les responsables sont d'un précieux recours.
L'indexation matière de notices de collections ne doit pas être confondue avec l'indexation du contenu de tous les ouvrages, déjà publiés ou à venir. Il s'agit simplement de rendre compte du contexte documentaire et de l'intention éditoriale. Il semble que, face à l'intensité et à la précision variable des projets, tous les outils doivent être pris en considération : l'indexation PIRANAS mais aussi la classification Dewey et l'indexation analytique RAMEAU (Répertoire d'autorité-matière encyclopédique alphabétique unifiée). Cette dernière est particulièrement adaptée aux projets les plus précis. Un exemple de ce type de collection est « Éthique en mouvement » aux éditions L'Harmattan, consacrée à la problématique de l'éthique médicale ou, dans un registre plus léger, la collection « Le guide du téléfan » aux éditions. Car rien n'a d'importance, qui se voue aux séries télévisées diffusées en France. Le principe est également valable pour les collections de fiction. Les oeuvres littéraires n'ont pas, à ce jour, d'autres accès que « auteur-titre i). Or la collection en offre un supplémentaire... à condition d'exploiter l'information qu'elle contient. Exemples parmi d'autres : « L'autre scène », aux éditions Grand Océan, publie en fait les textes théâtraux anciens et modernes des îles de l'Océan indien. « Du côté de chez Freud » chez Actes Sud, propose des romans destinés à la jeunesse ayant pour sujet la psychanalyse. Et caetera...
La nature de ce travail exige une spécialisation bibliothéconomique accrue pour gérer le fichier. La difficulté de la tâche consiste à comparer sans cesse les projets et les pratiques éditoriales en interprétant les informations souvent insuffisantes et fragmentaires. Elle exige une bonne connaissance des collections existantes pour évaluer leur évolution et pour repérer l'apparition des nouvelles. Elle demande également un suivi attentif de l'activité éditoriale française : non seulement un suivi des projets documentaires mais aussi celui de l'évolution du paysage éditorial, des naissances, des fusions, etc. des maisons d'édition, tout simplement pour savoir qui fait quoi et sous quel nom. Cette spécialisation est la seule garantie d'une gestion de qualité d'un fichier hautement spécifique mais qui contribue à la mission de la Bibliographie nationale française.