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    Intervention de Véronique Chatenay-Dolto

    Par Véronique Chatenay-Dolto, Adjointe au Directeur du livreet de la lecture

    Vous avez choisi le thème du changement pour le congrès annuel de votre Association. Cette question peut se décliner sur bien des registres. Elle concerne tout à la fois les pouvoirs publics, l'État comme les collectivités territoriales, qui ont transformé en profondeur leurs champs respectifs de compétences et ont établi des rapports nouveaux dans le domaine des bibliothèques, de la lecture publique et des politiques documentaires. Elle concerne aussi les établissements qui, confrontés aux mutations technologiques et aux besoins de publics sans cesse élargis et diversifiés, ont dû répondre à l'exigence politique de la démocratisation de l'accès à la culture. Elle concerne enfin les professionnels que vous êtes. Vos activités, vos domaines d'intervention et vos savoir-faire ont dû intégrer des missions nouvelles. Cela a suscité naturellement des exigences en matière de formation en même temps qu'un questionnement sur votre identité professionnelle.

    Si les bibliothécaires sont acteurs du changement, les bibliothèques territoriales sont, elles, tributaires des changements qui se produisent dans leur environnement, qu'il soit social, politique, institutionnel ou technique. En cette matière, la situation a considérablement évolué depuis une dizaine d'années.

    J'aborderai donc dans mon propos la question du changement du point de vue institutionnel et politique, puis du point de vue des évolutions techniques. Je tenterai ensuite de cerner quelques-unes des données permanentes et des évolutions des missions dévolues aux bibliothèques. J'aborderai enfin la réflexion engagée par le ministère de la Culture dans la perspective d'une loi sur les bibliothèques.

    Les changements dans l'environnement politique et institutionnel

    Trois changements majeurs peuvent être identifiés dans l'environnement politique et institutionnel des bibliothèques : une nouvelle répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales, un nouveau défi en matière d'aménagement du territoire, une nouvelle visibilité des bibliothèques comme enjeu politique.

    La répartition des compétences

    Depuis 1986, la décentralisation en matière culturelle a apporté un changement majeur (le transfert des BCP aux départements) et, pour les bibliothèques municipales, une modification sensible des relations entre l'État et les communes. Par les textes de décentralisation, les collectivités territoriales ont été reconnues comme les opérateurs de la lecture publique. Le développement sans précédent des bibliothèques publiques depuis lors a montré et montre tous les jours qu'elles assument dignement cette responsabilité. De ce point de vue, la décentralisation est une pleine réussite qui peut être illustrée par quelques données :

    • de 1986 à 1997, la surface de bibliothèques municipales ouverte au public est passée de 1 million de m2à plus de 1,7 million de m2:
    • le nombre des emplois est passé de 11 600 à plus de 17 000 ;
    • 22 nouvelles BDP ont été construites et la couverture des départements est aujourd'hui quasiment achevée.

    Pour encourageants qu'ils soient, ces observations et ces chiffres ne doivent pas masquer des disparités sur lesquelles je reviendrai.

    La nouvelle répartition des rôles entre l'État et les collectivités territoriales s'est faite progressivement et n'est sans doute pas terminée. L'État, en effet, ne peut se désengager de son rôle de garant de l'égalité d'accès au service public de la lecture : mais il n'est pas toujours facile d'articuler la logique d'égalité d'accès (qui répond à un objectif d'aménagement du territoire autant que de cohésion sociale) avec la logique de décentralisation, qui est fondée avant tout sur la libre administration des collectivités.

    La décentralisation s'est accompagnée d'une large déconcentration du fonctionnement des services de l'État. Les Conseillers pour le livre et la lecture auprès des DRAC jouent désormais un rôle majeur dans la recherche de cette harmonie entre deux logiques. Ils sont aidés dans leur tâche par le transfert d'une part importante des crédits auparavant gérés par la DLL.

    Les services de la DLL, quant à eux, doivent jouer aujourd'hui de plus en plus un rôle d'expertise, de conseil, d'évaluation, de recherche. Nous chercherons à rendre plus visible, plus lisible, cette nouvelle répartition des compétences.

    L'aménagement du territoire

    Les bibliothèques publiques forment, toutes ensemble, le service public de la lecture et de la documentation. L'égalité d'accès à ce service public est, à l'évidence, un enjeu majeur dont l'État se préoccupe : ce souci prend la forme d'une politique d'aménagement du territoire, pour laquelle, vous le savez, il y a encore beaucoup à faire - à réfléchir, à impulser, à mettre en place. Deux axes de travail sont suivis conjointement : proposer et créer des services et des outils propres à améliorer la coordination du réseau des bibliothèques ; encourager les structures de partenariat ou de travail en commun. Dans le premier cas, lorsqu'il s'agit de ses propres services et bibliothèques, l'État est maître d'oeuvre, il est lui-même aménageur ; dans l'autre, il ne peut être que pédagogue et « tuteur », sans avoir le pouvoir de décision. Ces deux modes d'action doivent, bien sûr, être suivis parallèlement.

    L'État aménageur, cela veut dire des outils et des services : au premier chef, les pôles associés de la BNF, qui représentent la première tentative globale d'aménagement documentaire à laquelle participe le ministère de la Culture et de la Communication; mais aussi le Répertoire national des bibliothèques et centres de documentation, qui marque la première étape du futur CCF ; mais encore le rôle pilote confié à la BPI en matière de relations internationales, de recherche (le service Études et recherche) ou de services au public (les publics handicapés). Cela veut dire aussi un rôle spécifique confié à des bibliothèques municipales d'envergure régionale, avec des missions contractuelles d'accès aux collections et de conservation, mais aussi d'innovation technique, d'expertise, ou de formation - j'y reviendrai.

    L'État pédagogue et tuteur, cela signifie une attention constante et un encouragement à tout ce qui peut améliorer la coordination, le partenariat et la coopération entre bibliothèques pour offrir un meilleur service au public. Pour les bibliothèques, la multiplicité des collectivités de tutelle est, on le sait bien, à la fois une richesse et un risque de faiblesse. Une richesse parce que le service public est mieux pris en compte, plus proche de la population, plus vivant. Un risque de faiblesse, aussi, parce que le grand nombre des opérateurs peut engendrer la dispersion, l'inégalité dans les services rendus, les redondances ici, les lacunes là. La décentralisation, qui a sans doute atteint son point d'équilibre, doit trouver une articulation avec l'organisation raisonnée du territoire. C'est pourquoi la Direction du livre et de la lecture est attentive au développement de toutes les formes d'actions intercommunales, parmi lesqueslles on peut citer en exemple le programme des relais livres en campagne. C'est pourquoi aussi elle est sensible aux efforts de coopération et soutient l'activité de la Fédération française de coopération entre bibliothèques. L'action des BDP, en matière d'aménagement culturel, est bien souvent exemplaire et mérite d'être soulignée. Devenues les têtes de réseau de la lecture publique à l'échelon départemental, les BDP jouent un rôle déterminant en faveur du développement des bibliothèques municipales en milieu rural et périurbain et de leur coopération. De plus en plus de départements s'engagent résolument dans cette voie, en privilégiant l'aide aux projets de médiathèques intercommunales et de relais-livre en campagne.

    Néanmoins, en dépit de ces avancées et de ces points forts, des zones d'ombre demeurent, notamment pour ce qui concerne la desserte des agglomérations. De gros efforts restent à faire pour que le service public de la lecture puisse trouver toute sa place et remplir son rôle, y compris au-delà des frontières administratives de ses différentes collectivités de tutelle. La résolution de cette contradiction entre l'échelon fonctionnel et l'échelon administratif pourra progresser grâce à l'émergence de nouveaux acteurs, dont les districts sont, sans doute, parmi les plus porteurs d'avenir.

    Un nouvel enjeu politique

    Si le souci de permettre l'accès au service public de la lecture et de la documentation est aujourd'hui largement partagé, c'est que la lecture est de plus en plus, de mieux en mieux, reconnue comme décisive en matière culturelle, éducative et sociale. Elle est décisive dans la formation des individus, mais aussi dans la formation des citoyens. Elle est décisive dans un parcours scolaire réussi et dans l'accès au monde du travail. Elle est décisive dans la maîtrise des autres codes d'accès à l'information que sont l'image et l'informatique. C'est dire qu'un État démocratique ne peut se désintéresser de l'accès à la lecture, de l'accès au livre, de l'accès à l'information. Madame Trautman déclarait récemment que l'accès de tous à la culture est une des conditions du pacte républicain. Il n'est donc pas sans intérêt de noter que c'est au livre et à la lecture que la ministre avait, le 6 octobre 97, consacré sa première communication au Conseil des ministres.

    Dans les villes et les départements, les bibliothèques et médiathèques occupent de plus en plus fréquemment une place centrale dans les dispositifs de politique culturelle et les élus locaux attachent légitimement une attention nouvelle au fonctionnement et à la qualité des services rendus par les établissements.

    Néanmoins, des faits récents ont suscité de graves inquiétudes, je le sais, parmi les bibliothécaires. Vous pensez que des menaces peuvent peser sur l'accès à l'information, qu'elle soient politiques ou économiques. Bien entendu, vous trouverez toujours à vos côtés le ministère de la Culture et la Direction du livre et de la lecture pour faire en sorte que ces menaces ne soient pas suivies d'effet. L'accès à la lecture, l'accès à la culture ne doivent être soumis ni à des diktats politiques ni à des pressions économiques, à je ne sais quel seuil censitaire. La collaboration la plus large et la confiance la plus étroite doivent marquer notre travail commun. Les inspections effectuées à Orange et à Marignane à la demande du ministre ont souligné les limites de ce qui peut être accepté en matière d'intervention politique.

    En ce qui concerne les questions en débat du droit de prêt et de la tarification des services, la mission de médiation confiée à Jean-Marie Borzeix sur le droit de prêt a permis d'entendre les points de vue de l'ABF et de nombreux interlocuteurs : sa tâche, vous le savez, est de rechercher les solutions qui permettent de concilier le développement de la lecture publique et la reconnaissance du travail des auteurs, c'est-à-dire leur droit à rémunération. Nous n'accepterons pas de solution qui aille contre l'une ou contre l'autre. En ce qui concerne la directive sur le copyright, nous devons chercher à peser sur les discussions en cours. Là aussi, il s'agit de reconnaître le droit des auteurs sans nuire à la liberté d'accès à l'information. Les trois quarts des bibliothèques publiques, vous le savez, font aujourd'hui payer tout ou partie de leurs services. La gratuité ne doit pas être un mot derrière lequel on se cache en refusant de voir la réalité qui nous entoure. Les bibliothèques constituent à part entière un maillon de la chaîne du livre. Aujourd'hui, l'ABF elle-même ne réclame plus la gratuité pour le prêt de disques ou de films. Le défi auquel nous sommes confrontés est de trouver une articulation équitable entre les différents facteurs qui fondent les politiques tarifaires, qu'ils soient économiques, juridiques, psychologiques ou politiques. Le développement de la lecture publique, la démocratisation de l'accès au livre et au patrimoine culturel ne peuvent être freinés par des obstacles financiers. L'accès à l'information est un enjeu capital : il ne doit pas, cependant, nier tous les autres enjeux et, surtout, il ne doit pas être confondu idéologiquement avec la gratuité totale des services. Nous devons donc poursuivre la recherche de solutions équilibrées et satisfaisantes à ces problèmes.

    Tous ces changements, que j'ai qualifiés d'institutionnels ou de politiques, sont amplifiés, on le voit bien, par l'importance des changements (je devrais dire des bouleversements) techniques intervenus depuis quelques années.

    Les mutations techniques et les nouvelles technologies de l'information

    Le plan gouvernemental pour l'entrée de la France dans la société de l'information promeut l'accès de tous les citoyens, quel que soit leur lieu de résidence, à l'information diffusée par les réseaux. Cette politique est fondée sur de nombreux rapports parlementaires, dont ceux de Patrice Martin-Lalande et de René Trégouët. Elle est aussi préconisée par Pierre Lévy dans son rapport pour le Conseil de l'Europe intitulé Cyberculture qui demande aux pouvoirs publics de permettre à tous un accès ouvert et gratuit à des médiathèques, à des points d'entrée dans le cyberespace, sans négliger l'indispensable médiation humaine de l'accès à la connaissance.

    De fait, il apparaît bien que le réseau de l'ensemble des bibliothèques a un rôle déterminant à jouer pour démocratiser l'accès de tous les citoyens aux ressources électroniques. Le mouvement est déjà largement engagé sur trois domaines : la consultation des cédéroms, la numérisation des collections et l'accès à Internet. La BPI, La BNF et la médiathèque de la cité des sciences de la Villette sont pionnières en la matière, mais le CSB note que, en 1996, 260 bibliothèques municipales proposaient 18 000 cédéroms en consultation. Notons aussi que tous les projets BMVR prévoient des services multimédias développés.

    Parmi les changements qui affectent aujourd'hui la profession de bibliothécaire, il me semble que l'avènement de supports optiques et le développement des bases de données et autres sources d'information en réseau sont ceux qui suscitent le plus de réflexion au sein de la profession. C'est sans doute, à mon sens, que les considérations techniques ne doivent pas occulter ce qui constitue le coeur de l'identité du bibliothécaire : la responsabilité intellectuelle sur le contenu des collections.

    Depuis quelques années déjà, les bibliothèques incluent de plus en plus dans leur politique d'acquisition des titres multimédias et aussi des abonnements à des services en ligne. L'acquisition de ces supports se fait dans le respect des droits de consultation et de prêt, qui sont négociés la plupart du temps en amont par des entreprises ou institutions spécialisées.

    Il faut sans doute encourager les bibliothécaires à pratiquer une politique d'acquisition raisonnée sur les réseaux en s'abonnant à des services d'information comparables à celui, très répandu dans les bibliothèques américaines, de l'Electric Library. Lors des journées de la liste de diffusion Biblio-fr. à Caen, en avril dernier, ont été évoquées les négociations sur les licences d'utilisation des services en ligne. Il est certain que c'est une solution à envisager pour les bibliothèques françaises.

    Outre ces tâches d'acquisition, les bibliothécaires se doivent de former les utilisateurs à l'usage des supports optiques et des services en ligne. Il me semble que ceci est une gageure importante pour votre profession. Il est important que les citoyens de notre pays soient formés, non seulement à l'école mais aussi dans des lieux culturels ouverts à tous les publics.

    Au-delà de cet aspect de lieu d'accès, la bibliothèque doit être conçue comme un vecteur de diffusion du patrimoine et de l'information utile au citoyen. La Commission européenne, à travers une étude sur les bibliothèques publiques dans la société de l'information qui sera bientôt disponible en français, et surtout à travers l'élaboration du 5eprogramme cadre de recherche et développement pour la numérisation du patrimoine conservé par les archives, les bibliothèques et les musées, met l'accent sur le rôle central des institutions patrimoniales.

    L'État accompagnera cette évolution. Le ministère de la Culture et de la Communication a dégagé des moyens pour le financement d'opérations de numérisation menées par les Services de l'inventaire ou de l'archéologie ou encore par des bibliothèques conservant des fonds d'État.

    En ce qui concerne plus particulièrement la Direction du livre et de la lecture, la modification de la deuxième part du concours particulier permettra désormais de prendre en compte des marchés de numérisation. Un groupe de travail rassemblant les acteurs ayant acquis une compétence dans ce domaine (ministère, BNF, IRHT ainsi que des directeurs de bibliothèques municipales) va élaborer des textes de référence sur les principes techniques et scientifiques qui s'appliqueront aux projets.

    Cette modification devrait également permettre le subvention-nement, à un taux particulièrement incitatif pouvant aller jusqu'à 40 %, des équipements relatifs aux nouvelles technologies.

    Enfin, vous connaissez l'appel à projet lancé conjointement par les ministères chargés de la culture et de l'aménagement du territoire en faveur de l'équipement multimédia et de la connexion au réseau Internet des bibliothèques de proximité en milieu rural.

    Pour finir, le programme des espaces culturels multimédias qui vient d'être lancé permettra d'attribuer une aide au fonctionnement des bibliothèques publiques engagées dans cette mutation.

    La redéfinition des missions des bibliothèques

    Les changements techniques, administratifs, politiques que j'ai évoqués ne doivent pas nous éloigner du coeur des missions des bibliothèques : être un service public culturel au bénéfice de l'ensemble de la population. La démocratisation culturelle reste plus que jamais une ambition pour aujourd'hui, même si des esprits chagrins la trouvent démodée. Un des changements majeurs auxquels sont confrontées les bibliothèques est celui de la demande sociale. On a vu, en effet, un phénomène complexe se dérouler depuis une dizaine d'années : d'une part, la fréquentation des bibliothèques a augmenté dans des proportions importantes ; d'autre part, les classes populaires et culturellement défavorisées semblent toujours difficiles à y attirer. On pourrait résumer ces résultats contradictoires par deux constats : d'après la nouvelle édition de l'enquête Pratiques culturelles des Français », dont les résultats seront rendus publics dans quelques semaines, les bibliothèques-médiathèques sont le seul établissement culturel dont la fréquentation ait significativement augmenté ; parallèlement, le taux d'inscription dans les bibliothèques municipales stagne autour de 18 % de la population desservie depuis le début des années 1990.

    Donc, d'une part un succès public indéniable : le public non seulement augmente, mais se diversifie, est plus curieux, plus exigeant. Les bibliothécaires sont donc amenés à évoluer, eux aussi, pour répondre au mieux à ces nouvelles attentes. D'autre part, les usagers des bibliothèques publiques n'ont pas fondamentalement changé : ce sont toujours les classes moyennes, diplômées, urbaines qui fréquentent les bibliothèques. Il y a donc, là, un défi toujours à relever pour que les bibliothèques soient vraiment des services publics, c'est-à-dire touchent une plus large part possible de la population. L'accès au patrimoine, à la culture, au savoir, à la citoyenneté ne peut être réservé à une minorité de privilégiés. C'est le sens des programmes contractuels en faveur du développement de la lecture engagés par le ministère, et je pense en particulier aux contrats « villes-lectures » dans lesquels les bibliothécaires ont une place centrale.

    Les bibliothécaires, je le sais, sont nombreux à relever ce défi. Avec enthousiasme et difficultés. Il s'agit, en effet, de mettre en oeuvre de nouvelles politiques, c'est-à-dire de nouveaux moyens, de nouveaux partenariats, de nouvelles compétences. Il s'agit, d'une certaine façon, de redéfinir le métier de bibliothécaire et les questions ne manquent pas : quelles formations pour aider les bibliothécaires à accueillir des publics peu familiers du livre et de l'écrit ? Quels documents proposer pour ne pas décourager les faibles lecteurs ? Quelle place faire aux emplois jeunes et, spécialement, aux médiateurs du livre ? Comment élargir les missions des bibliothèques sans renoncer au coeur de leur activité : la constitution et la diffusion de collections de qualité ? Comment travailler dans des quartiers difficiles, avec des animateurs ou des travailleurs sociaux, sans renier la vocation culturelle de la bibliothèque ? Vous le voyez, les questions et les problèmes ne manquent pas. Ceux relatifs à la formation ne sont pas les moindres.

    La formation

    La qualification, et donc la formation, des personnels doit être réaffirmée comme la clef de voûte du système français des bibliothèques.

    Pour atteindre cet objectif, il me paraît important que la cohérence administrative et pédagogique de la carte des formations soit renforcée avec le ministère de l'Enseignement supérieur. Nous étudions les moyens de faire en sorte que, dès 1999, l'École nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques (ENSSIB) et l'Institut de formation des bibliothécaires (IFB) ne forment plus qu'une seule école, chargée de la formation initiale des deux corps de catégorie A des bibliothèques : les bibliothécaires et les conservateurs. En outre, l'ENSSIB sera ainsi mieux à même de renforcer encore son offre de formation continue et de la diversifier.

    Plus de six ans après la réforme statutaire des corps d'État et des cadres d'emplois territoriaux des bibliothèques, l'homologie entre la fonction publique de l'État et la fonction publique territoriale reste, notamment dans le domaine de la formation, imparfaite.

    C'est avec intérêt que j'ai noté que les Centres régionaux de formation aux carrières des bibliothèques de Marseille et de Bordeaux ont signé récemment une convention avec le Centre national de la fonction publique territoriale pour la formation initiale des assistants et des assistants qualifiés de conservation. L'ENSSIB avait ouvert la voie en passant une convention analogue avec le CNFPT pour la formation initiale des conservateurs territoriaux. J'ai le plaisir de vous indiquer que le projet de convention entre le CNFPT et la Direction du livre et de la lecture pour la formation initiale de spécialité des bibliothécaires territoriaux sera présenté au prochain Conseil national d'orientation du CNFPT le 10 juin. 1998. J'ai tout lieu de penser que la signature de cette convention pourra avoir lieu avant l'été.

    La nécessité de la loi sur les bibliothèques s'impose de plus en plus fortement

    La loi sur les bibliothèques

    En annonçant le 6 octobre dernier son souhait de voir mis en chantier un projet de loi sur les bibliothèques, C. Trautman prenait acte des mutations profondes que je viens d'évoquer et du nouveau paysage des bibliothèques françaises dans le contexte de la décentralisation. Il s'agit aussi d'une demande très forte, et ancienne, des bibliothécaires et de leurs associations, réactivée par les problèmes liés à la censure. Mais, pour importants qu'ils soient, ces problèmes ne constituent qu'un des éléments qui militent en faveur de l'élaboration d'un projet de loi sur les bibliothèques. Cette loi, qui idéalement devrait concerner l'ensemble des bibliothèques relevant de la puissance publique, a vocation à préciser les missions des bibliothèques et à préciser leur nature de service public. Elle doit donner une légitimité juridique à l'intervention de l'État en faveur de la mise en réseau et de la coopération et permettre d'adapter le dispositif d'aide au fonctionnement et à l'équipement des bibliothèques territoriales. Elle doit aussi préciser le statut juridique des collections patrimoniales des bibliothèques et conforter la vocation des professionnels à diriger les établissements. Elle doit enfin répondre aux questions déjà évoquées du droit de prêt. Au stade actuel du travail préliminaire mené par la DLL, et sans préjuger des consultations à conduire avec l'ensemble des partenaires concernés, tant au niveau de l'État que des collectivités locales ainsi que des organismes professionnels les plus divers, on peut ouvrir les pistes de réflexion suivantes sur le contenu d'un projet à soumettre au gouvernement.

    1. La loi pourrait préciser l'identité et les missions des bibliothèques publiques

    en introduisant la notion de réseau et en énonçant les principes qui président à la constitution des collections tels qu'ils ont été maintes fois revendiqués et sont largement admis.

    Les bibliothèques forment un service public de la lecture et de la documentation. Elles acquièrent, cataloguent, communiquent et conservent des documents de toute nature à des fins d'éducation, de culture, d'information et de recherche.

    Les principes constitutifs de ces collections sont :

    • une vocation générale et encyclopédique ;
    • la neutralité, l'objectivité et la tolérance ;
    • l'interdiction de privilégier un courant philosophique ou idéologique au détriment des autres.

    La loi ou ses textes d'accompagnement (exposé des motifs) pourraient explicitement faire référence aux valeurs de la démocratie et à la nécessité de garder la bibliothèque à l'abri des pressions politiques ou commerciales.

    Elle devrait souligner la vocation des bibliothèques à coopérer, l'État étant le garant du droit d'accès des citoyens à l'ensemble des documents conservés dans les bibliothèques. Le principe de coopération justifie l'allocation par l'État de moyens spécifiques à certaines bibliothèques, dès lors que ces dernières exercent des missions dépassant le service public municipal. Les domaines principaux de la coopération sont :

    • le partage des acquisitions,
    • le signalement et la communication à distance des documents,
    • la conservation des documents patrimoniaux,
    • la formation des professionnels des bibliothèques,
    • le développement de la lecture.

    2. La loi devrait indiquer que les bibliothèques ont vocation à être dirigées par des professionnels.

    Leurs niveau requis de compétence serait alors à préciser en fonction de la nature et de l'importance du service ainsi que de la population à desservir.

    3. La loi pourrait prévoir que les bibliothèques publiques sont soumises au contrôle scientifique et technique de l'État.

    Cela supposerait alors que soit précisé et élargi le rôle de l'Inspection générale des bibliothèques, instrument interministériel de ce contrôle, dont la mise en oeuvre relèverait de chacun des ministères de tutelle.

    4. Améliorer les aides de l'État aux bibliothèques territoriales et adapter le concours particulier

    Nous l'avons vu, un constat s'impose après dix ans de Dotation globale de décentralisation : l'aide de l'État est devenue insuffisante pour le fonctionnement. Efficace pour l'aide à la construction et l'équipement des BM et des BDP, elle doit s'ouvrir à des besoins nouveaux. La réforme envisagée pourrait donc s'organiser autour des mesures suivantes.

    • Rehausser le taux de subvention de la première part du concours particulier (fonctionnement) en introduisant des critères d'éligibilité qualitatifs tels que la part du personnel qualifié ou le montant des crédits d'acquisition dans les budgets de fonctionnement.
    • Ouvrir les subventions d'équipement (2epart) aux NTI (numérisation, équipement pour l'accès à Internet, mise en place de réseaux de cédéroms, etc).
    • Envisager la création d'un concours particulier départemental de fonctionnement.

    5. Définition d'un statut pour les bibliothèques jouant un rôle particulier au plan de la coopération ou du point de vue patrimonial

    La loi de juillet 1931, qui instituait le classement des bibliothèques en 3 catégories et prévoyait, sur le critère de la présence de fonds d'État patrimoniaux, la mise à disposition d'un conservateur d'État, ne correspond plus aujourd'hui ni à la réalité, ni aux besoins.

    On peut imaginer de définir 2 nouveaux types d'établissements :

    • des BMVR (nouvelle formule) remplissant des missions permanentes de coopération entre bibliothèques (pôles associés de la BNF ou bibliothèques dépositaires du dépôt légal imprimeur, actuelles BMVR, grandes bibliothèques antérieures au programme BMVR) ;
    • des bibliothèques patrimoniales conservant des fonds patrimoniaux importants.
    • Ces statuts particuliers pourraient donner lieu à la mise à disposition de personnels scientifiques d'État.

    6. Clarification de la protection du patrimoine écrit

    Nous avons évoqué le caractère inadapté de l'appartenance des collections au domaine public. La loi pourrait restreindre cette appartenance aux seuls documents anciens, rares ou précieux.

    En ce qui concerne les fonds d'ouvrages anciens propriété de l'État, ils pourraient faire l'objet d'une dévolution de propriété aux collectivités gestionnaires qui, dans le cadre d'une convention, pourraient se voir attribuer une aide de l'État.

    Conclusion

    On l'aura compris, les pistes à explorer pour la préparation d'un texte de loi sont nombreuses et diverses.

    Nous achevons de recueillir les matériaux techniques et juridiques qui vont permettre d'engager officiellement un certain nombre de concertations, et parallèlement, l'approfondissement du travail interministériel.

    Dans les semaines et les mois à venir, la concertation sera menée, et bien évidemment avec l'ABF au premier rang. On le voit, sur la question du changement, les chantiers et les problèmes sont nombreux, le projet de loi sur les bibliothèques est un des sujets mais ce n'est pas le seul, tant il est vrai que le livre et la lecture sont au coeur de la problématique du changement dans une société démocratique.