Redéfinir une organisation pour aller vers de nouvelles missions
Une opération "d'accompagnement du changement" à la Bibliothèque départementale de l'Essonne
Par Dominique Meier, Consultant
Par Jacqueline Bénichou-Lévy, Directrice BDE
J'ai eu l'opportunité dès mon arrivée à la BDE de mettre en place, avec l'aide du service formation, un accompagnement aux changements.
Cette expérience fut à la fois exaltante et douloureuse ; elle m'a permis de faire l'apprentissage de mon rôle de directeur, de réduire le temps nécessaire à la restructuration des services, de mettre en place les nouvelles missions des bibliothèques départementales.
Cet accompagnement « sur mesure » m'a appris des méthodes d'organisation et de fonctionnement que je continue à utiliser et la réussite de cette démarche a tenu dans la relation établie avec le consultant.
Préambule
Le changement est inévitable... pour ne pas dire vital, c'est-à-dire comme composante de la vie même. Une organisation humaine est un système vivant intégré dans un environnement dont la transformation a pour seule constante sa propre accélération. C'est pourquoi les dirigeants, les responsables sont contraints, d'une façon ou d'une autre, de devoir se poser la question de l'évolution de leurs organisations. Les services publics, et les bibliothèques en particulier, se trouvent confrontés, avec plus de prégnance peut-être, à ce problème. Chaque organisation a sa propre « personnalité » ; il serait donc illusoire de vouloir calquer a priori tel processus ou telle méthode de changement.
La démarche évoquée ici a pour seul aspect d'exemplarité le fait qu'elle a eu lieu et qu'elle a produit des perspectives, des projets, des outils d'aide à l'organisation, mais surtout de l'échange entre les acteurs et peut-être ce qui est le plus important : le plaisir de travailler ensemble...
De la formulation de la demande à la détermination du problème à traiter
La première entrevue avec la Direction de la BDE et le service formation du conseil général de l'Essonne avait pour objet la mise en oeuvre d'une formation spécifique. Il en est ressorti la nécessité en amont d'une prestation d'une autre nature : l'élaboration d'un plan de formation en cohérence avec les enjeux et les changements en cours.
Les difficultés passées de la BDE, l'arrivée d'un nouveau directeur, ajoutées à un particulier et nouvel intérêt porté à cette structure par le conseil général, conduisent finalement à envisager une approche plus globale du problème sous la forme d'un « accompagnement du changement
La situation initiale
Madame Bénichou est nommée Directeur de la BDE et prend ses fonctions le 15/07/96. Le poste est resté vacant durant une longue période pendant laquelle l'actuel Directeur adjoint a assuré le dernier intérim.
Les missions de la nouvelle Direction sont :
- * adapter la BDE aux nouvelles attentes des usagers (le public, les dépositaires),
- établir un nouveau cadre réglementaire conforme à celui du conseil général,
- * développer les activités,
- * rénover l'image de la BDE.
Malgré les nombreux atouts dont dispose cette équipe (dynamisme et bonne image), quelques autres aspects font l'objet de difficultés à venir :
- * un fort désir de changement et son accélération souhaitée amènent la direction à être en décalage vis-à-vis de l'organisation actuelle (phénomènes routiniers) et vis-à-vis d'une certaine culture propre à la fonction publique (héritage de l'administration centralisée ?) ;
- la multiplicité (éparpillement ?) de ses efforts rend éventuellement peu lisible le projet global et laisse craindre un essoufflement à terme ;
- * victime de sa notoriété, le nouveau directeur se sent <, attendu », à la fois très sollicité et guetté au moindre faux pas.
Le directeur, après s'être entretenu avec l'ensemble du personnel, exprime avec force sa volonté de changement qui doit se traduire par...
- 1. Une re-définition ou réaffirmation des missions de la BDE :
- la qualité du service rendu aux dépositaires,
- le conseil et la formation des dépositaires,
- le développement de nouveaux produits ou services,
- le développement des activités.
- 2. Un changement d'image et de nature des relations entretenues avec les dépositaires, devant tendre à une relation de type client-fournisseur.
- 3. Une organisation interne permettant une meilleure collaboration entre les personnes et les structures (siège et annexes).
La BDE se compose d'un siège basé à Evry et d'une médiathèque ouverte au public à La Ferté-Alais. Moins de trente salariés y travaillent (certains à temps partiel) : agents du patrimoine, agents administratifs, chauffeurs, assistants de conservation, un sous-directeur, un directeur.
Le personnel se caractérise par une forte proportion féminine et une ancienneté considérable dans la structure.
Les cadres de la BDE, à l'occasion d'une première séance de travail, manifestent une certaine démotivation consécutive à une situation difficile passée et un réel scepticisme vis-à-vis d'une nouvelle démarche de consultance. Ils acceptent néanmoins de " jouer le jeu ».
Les signes de dysfonctionnement
- 1. Pour le conseil général :
- structure peu maîtrisée, insuffisamment exploitée,
- règles internes peu conformes au règlement général,
- image dévalorisée.
- 2. Pour la direction :
- organisation technique insuffisamment opérationnelle,
- compétences collectives en partie inadaptées aux attentes,
- motivation et implication du personnel réduites,
- trop faible collaboration entre les personnes et entre les structures,
- qualité globale insatisfaisante.
- 3. Pour les cadres:
- peu d'écoute et de soutien de la part de l'institution,
- moyens alloués insuffisants,
- politique floue,
- efforts peu encouragés.
Les objectifs de l'intervention
Notre intervention vise à appuyer et amplifier le changement en cours ayant pour objectifs généraux :
- * l'augmentation de la qualité de service,
- * l'optimisation de l'organisation,
- * l'amélioration de l'image globale,
- l'amplification du développement.
Dans cette perspective nos objectifs opérationnels sont :
- * d'aider la direction à élaborer un projet d'établissement,
- * de définir les profils de postes,
- * de permettre d'évaluer les compétences, et de les faire évoluer,
- * d'élaborer un plan de formation,
- d'ancrer durablement le changement.
Ces objectifs, dont l'atteinte déterminera la réussite du processus, feront l'objet d'une évaluation finale.
La méthode
Quelques principes :
- * L'approche est systémique », c'est-à-dire que l'on s'intéressera autant à la relation qu'entretiennent les différents éléments d'un système qu'à ces éléments eux-mêmes. Toute action portée sur un élément a donc des conséquences sur l'ensemble du système. Dans le cas du système organisationnel » de la BDE, le changement devra être conçu dans sa globalité.
- * Le « projet d'établissement », comme angle d'attaque privilégié, doit offrir l'ouverture suffisante permettant de décliner collectivement les objectifs, les moyens et les actions à mener.
- Un changement ne peut durablement s'opérer si les personnes concernées n'en sont pas les acteurs. Les conditions d'une participation maximale doivent être privilégiées. Un diagnostic collectif préalable doit permettre une réelle implication.
- * Tous les domaines sont susceptibles d'être abordés, aussi ne doit-il apparaître aucune zone d'ombre susceptible d'entacher un climat de confiance nécessaire. Clarté de la démarche et transparence de l'information sont requises.
- * La démarche d'accompagnement n'est pas, par essence, une parenthèse ou une rupture dans la vie organisationnelle ; elle doit, au contraire, se fondre dans celle-ci. Cela suppose que le processus s'articule dans la durée avec les rythmes de vie du groupe et les impératifs d'activité de la structure.
- * Neuf séances de travail d'une demi-journée sont envisagées, elles jalonneront le processus qui se déroulera durant les cinq premiers mois de 1997.
- * Deux groupes pilotes sont définis :
- 1. Groupe pilote 1 il s'agit du groupe institutionnel, constitué de représentants du conseil général et de la direction de la BDE. Son rôle est de contrôler le bon déroulement du processus.
- 2. Groupe pilote 2 il s'agit du groupe opérationnel, constitué des cadres de la BDE. Son rôle est d'élaborer et de mettre en oeuvre des réponses adaptées aux problèmes soulevés.
Le plan d'action
- * séance 1 : Groupe de pilotage 1 (15 et 21/11/96)
- définition de la mission d'Émergences
- premier diagnostic
- * séance 2 : Groupes de pilotage 1 et 2 (16/12/96)
- information et implication du groupe pilote
- * séance 3 : Groupe de pilotage 2 (16/12/96)
- diagnostic collectif
- premières orientations du changement
- * séance 4 : Groupe de pilotage 2 (17/01/97)
- définition de la mission de la BDE
- axes stratégiques de changement
- * séance 5 : Direction (30/01/97)
- point sur le processus en cours
- * séance 6 : Groupe de pilotage 2 (11/02/97)
- adoption des profils de postes
- définition des modalités d'évaluation des besoins de formation
- * séance 7 : Groupe de pilotage 2 (17/03/97)
- premières orientations du plan de formation
- définition des modalités de création des groupes de concertation
- * séance 5 bis : Direction BDE (07/04/97)
- points sur les profils de poste, le plan de formation, les groupes de concertation
- * séance 8 : Ensemble du personnel (21/04/97)
- information et implication de l'ensemble du personnel
- mise en route des groupes de concertation
- * séance 9 : Groupes de pilotage 1 et 2 (16/05/97)
- élaboration du plan de formation
- bilan et évaluation de la mission d'accompagnement du changement
Les difficultés rencontrées
Un climat social peu favorable
De nouvelles règles relatives aux congés, horaires, primes sont définies ou en voie de l'être par la nouvelle direction et le conseil général. Ces dispositions sont globalement ressenties négativement et critiquées par le personnel de la BDE.
Une certaine méfiance vis-à-vis de l'institution
L'absence de direction formelle de la BDE durant plusieurs années a généré un réel sentiment d'isolement des cadres face aux difficultés rencontrées. Cette rupture de communication entre le terrain et le politique amplifie ce déficit de confiance mutuelle entre l'administration du département et la BDE.
Un certain scepticisme vis-à-vis de toute démarche de consultant
Il semble que diverses expériences antérieures d'opérations de natures diverses aient entamé le crédit porté à ce type de démarche. La raison principale est l'absence de retour d'informations et de résultat tangible.
Un engagement mesuré
De fait, la faible disponibilité de l'équipe des cadres a eu pour conséquences, outre celle de repousser les délais d'achèvement de nos travaux, de ne permettre qu'une atteinte partielle de certains objectifs (l'évaluation des compétences et des besoins de formation par exemple).
e Malgré la souplesse souhaitée sur la durée et le nombre de séances nécessaires selon l'évolution du processus, il est apparu, compte tenu de la faible disponibilité et de l'ensemble des difficultés évoquées précédemment qu'il était préférable de respecter strictement le calendrier prévu.
Les résultats obtenus
Les objectifs généraux
- * Concernant la qualité du service rendu aux usagers (lecteurs ou dépositaires), plusieurs opérations convergentes ont été menées :
- une concertation collective sur les missions de la BDE, - une prise de conscience collective des enjeux,
- une meilleure définition des rôles et fonctions de chacun,
- une adaptation des compétences aux attentes des usagers (formation),
- des groupes de participation susceptibles d'analyser et d'améliorer l'activité... (trois groupes réunis mensuellement).
- * Concernant l'organisation, les éléments suivants permettent de considérer qu'elle devrait tendre à s'améliorer :
- des profils de poste élaborés collectivement définissant les tâches à accomplir,
- des instances de concertations et de communication permettant une adaptation constante,
- une meilleure coordination entre le siège et l'annexe,
- un rôle affirmé des cadres dans une relation d'encadrement,
- une meilleure communication entre la direction et le personnel.
- Concernant l'image de la BDE, une amélioration est globalement constatée mais une politique de communication plus efficace, en liaison avec le conseil général, semble être indispensable.
- * Concernant le développement, il était utile de convenir collectivement de sa nature. Le développement visé s'avère donc être celui de la lecture publique plutôt que celui du nombre de dépositaires. Cela se traduit par un souci plus grand de la qualité et du suivi des dépositaires.
Cinq objectifs concrets
- * Un projet d'établissement n'est utile que s'il est élaboré collectivement. Les grands principes et orientations ont été donnés. Une enquête départementale en cours sur la lecture devrait prochainement en permettre l'écriture définitive et enrichir les fondements autour desquels un accord consensuel a pu être trouvé.
- L'ensemble des profils de poste correspondant à sept emplois types a été collectivement réalisé, définissant les tâches, responsabilités, compétences et capacités requises.
- Une grille d'évaluation des compétences et des besoins de formation a été proposée et adoptée. Les cadres ont pu amorcer une procédure d'évaluation personnelle avec la direction. Par la suite, l'ensemble des salariés, en liaison avec leurs cadres référents, devra bénéficier du même type d'évaluation.
- * Les orientations générales d'un plan de formation ont été données, enrichies d'une approche individuelle des demandes et des attentes. Des éléments méthodologiques ont été donnés, permettant d'élaborer en lien avec le service Formation du conseil général les axes du plan 98.
- La mise en place de groupes de participation (groupe bibliothéconomie, groupe développement, groupe ressources humaines), dont les principes de fonctionnement sont clairement énoncés, a pour objectifs de prolonger la réflexion collective, de favoriser la communication et la collaboration, de responsabiliser les participants. Leur existence conditionne l'ancrage du changement dans l'organisation.
Les effets secondaires positifs
- * renforcement de la solidarité entre les cadres,
- * mise en évidence d'un déficit de communication interne,
- 0modification des comportements interpersonnels (pour certains).
L'effet secondaire négatif
- modification des rapports interpersonnels avec le directeur (certains propos tenus ont provoqué une prise de distance relationnelle).
L'évaluation de la mission
Une séance d'évaluation proposée aux groupes de pilotage a permis d'exprimer les critiques et de faire les constats suivants...
- L'approche du problème a semblé parfois trop théorique et déconnectée du contexte propre à une structure particulière qu'est la BDE (discours trop « entreprise »).
- La méthode est apparue auprès d'une personne, dans sa dimension didactique, trop plaquée ».
- * Les comptes rendus d'étape remis au début des séances ne permettaient pas, par une lecture trop brève, de vérifier la fidélité de la retranscription.
- * Globalement la démarche a été jugée « intéressante », elle a permis au minimum de débloquer la communication entre les cadres et la direction. Elle devrait permettre de dynamiser l'équipe.
- * La direction exprime sa satisfaction et évoque l'hypothèse d'une seconde évaluation après quelques mois de fonctionnement.
- * Un questionnaire remis aux cadres laisse apparaître que :
- les objectifs généraux sont globalement en voie d'être atteints (18 « oui ", 12 "indécis », 4 « non »)
- les degrés d'atteinte des objectifs concrets sont en moyenne (5 étant le maximum) :
- projet d'établissement : 2/5
- profils de poste : 4/5
- évaluation des compétences : 3/5
- élaboration du plan de formation : 3,5/5
- ancrage du changement : 3,5/5
- globalement la démarche a été pertinente (4 « oui, 4 » plus ou moins », 0 « non )
Conclusion
Si le processus a donné globalement satisfaction aux commanditaires, il apparaît nettement que tous les agents ne se sont pas impliqués dans cette démarche. Nous retiendrons comme cause principale, au regard du climat social peu favorable, un nombre trop réduit de séances d'intervention susceptibles de favoriser la participation. Ceci a eu, peut-être, pour effet positif d'augmenter la densité et l'efficacité de ces mêmes séances.
Il nous est apparu :
- que ce type de démarche colle plutôt bien à la réalité actuelle d'un service public culturel en pleine mutation ;
- * que les questions des métiers, des statuts et des formations sont centrales dans les préoccupations des personnels de bibliothèque ;
- * que les personnes sont plutôt dans l'attente de réponses globales à des problèmes qui touchent à la fois les structures, les institutions et les individus ;
- qu'ils attendent non pas des réponses toutes faites mais plutôt des réponses aux problèmes qui les concernent quotidiennement.