Index des revues

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    Les acteurs professionnels du développement social urbain

    Par Elisabeth Dugué
    Par Philippe Mouton

    L'étude que nous avons récemment menée (1) portait sur les postes nouveaux, couramment nommés « professionnels du développement social », postes qui se situent aux frontières des métiers traditionnels du travail social. L'objectif de l'étude était d'éclairer la politique de formation qui devait être proposée pour cette population. Nous avons choisi d'adopter une démarche se référant à la notion de qualification et non à celle de compétence, pourtant souvent privilégiée lorsqu'on construit des dispositifs de formation.

    Une approche par les compétences ou par les métiers ?

    Ce choix a des implications qui renvoient aux significations et aux usages différents de ces deux termes.

    a La notion de compétence met en relation un individu particulier et un poste particulier, puisque la compétence est souvent définie comme des savoirs en action En fait, on constate que les démarches s'appuyant sur les compétences cherchent généralement les compétences « transférables », c'est-à-dire qu'elles privilégient ce qui est commun à des situations de travail parfois très différentes. Elle sont le plus souvent utilisées pour guider les salariés transversalement aux métiers établis. Un système de formation se référant aux compétences fait généralement abstraction de la question de la reconnaissance des savoirs, c'est-à-dire du statut.

    a La qualification, au contraire, peut être considérée comme un système permettant de relier

    • un ensemble de postes,
    • un corps constitué de savoirs professionnels.

    La notion de qualification s'appuie sur les conventions collectives d'une part, les diplômes d'autre part, tous deux négociés collectivement et paritairement. Dans le système de la qualification à un diplôme donné correspondent des savoirs professionnels nécessaires pour tenir un ensemble de postes considérés par les partenaires sociaux comme identiques. Ce diplôme permet par ailleurs de tenir une place définie (statut et salaire) dans la division du travail.

    Pour résumer, on peut dire que la première notion renvoie à une individualisation des pratiques, à un moindre intérêt pour l'élucidation des savoirs professionnels et pour la mise en place d'un système de reconnaissance statutaire. La seconde au contraire s'appuie sur des pratiques et des négociations collectives, elle accorde davantage d'intérêt aux contenus concrets des savoirs et elle inclut, dans une démarche de formation, la question de sa reconnaissance.

    e Se référer à la qualification pour analyser le travail en vue de monter un dispositif de formation se fonde sur une démarche en trois temps.

    On tente tout d'abord de repérer un ensemble de postes identiques. On s'intéresse aux frontières de cet ensemble et à son organisation interne.

    On va se demander : quelles sont les organisations du travail ? Quels sont les types de division du travail dans ces organisations ? De manière à pouvoir dire voici un groupe de postes qui nécessitent des connaissances et des savoir-faire suffisamment proches pour qu'on considère qu'ils appartiennent au même ensemble ».

    Dans un second temps, on s'intéresse aux trajectoires des individus qui occupent ces postes.

    On tente de repérer des ensembles de cheminements professionnels identiques de manière à pouvoir dire « les personnes qui occupent ces postes actuellement proviennent de tel ou tel type de formation, il est donc nécessaire de leur fournir tel type de formation complémentaire pour qu'ils occupent convenablement leur poste ».

    Enfin, on ne se désintéresse pas des problèmes de statut.

    On se demande à quel type de place dans la division du travail et dans le système de statut donnent droit le poste occupé et la formation dispensée.

    » Dans l'idéal de cette démarche l'analyse devrait permettre :

    • d'élaborer des contenus de formation qui servent à guider des trajectoires dans des postes considérés comme proches ;
    • de relier compétence mise en oeuvre dans le travail, formation et statut.

    Une déclinaison des missions des professionnels du DSU dans trois domaines

    Schématiquement, l'objectif poursuivi par les politiques de la ville pourrait se résumer ainsi : il s'agit de décloisonner les différents domaines d'action des services publics en organisant de nouvelles formes d'interventions à partir de projets ponctuels. Les professionnels ont donc pour mission de réarticuler le niveau local, c'est-à-dire les demandes et besoins des habitants des quartiers, avec le niveau municipal, d'agglomération ou national, c'est-à-dire l'offre des services publics.

    Dans ce contexte nous avons repéré trois déclinaisons de leur rôle.

    a L'animation sociale :

    le professionnel du DSU doit impulser et dynamiser un réseau local comprenant les principaux acteurs intervenant dans un quartier (ou un territoire) et ainsi favoriser le dépassement des clivages institutionnels. Dans ce cadre sont principalement concernés et mobilisés : les professionnels de l'intervention sociale, les services municipaux, les services déconcentrés de l'État, les membres d'associations actives localement, toute "personne ressource" issue de la société civile...

    e L'animation institutionnelle :

    le professionnel du DSU doit faire remonter vers les services les besoins des populations de manière à permettre les adaptations en continu des réponses apportées et ainsi éviter que l'écart ne se creuse entre les institutions et les populations.

    e L'innovation :

    le professionnel du DSU doit aider à mettre en oeuvre les évolutions nécessaires au sein même des structures en étant porteur d'une logique d'action autour de projets. Par exemple, lorsque les services publics ne peuvent pas prendre en charge immédiatement la nouvelle forme d'activité, la démarche adoptée peut être de passer momentanément par une structure associative ad hoc et favoriser ensuite la reprise de l'activité par une collectivité publique.

    On constate, selon les contextes locaux et les modalités spécifiques d'inscription des équipes de DSU dans les organisations municipales, des variations notables dans la mise en oeuvre de ce cadre d'action théorique.

    La double tension traversant le fonctionnement du DSU

    Les professionnels du développement social urbain sont souvent écartelés entre des exigences contradictoires. C'est autour d'une double tension que s'organise la division des tâches.

    e La tension entre pratiques de terrain et pratiques institutionnelles

    Le travail de terrain répond à une double fonction de diagnostic et de mise en oeuvre. Il s'agit de repérer les besoins non ou mal couverts, d'anticiper les besoins à long terme dans une logique de prévention, de mettre en oeuvre les projets et interventions nécessaires en utilisant au maximum les structures et mesures existantes. Pour ce faire, les professionnels doivent assurer la mise en synergie des acteurs du quartier. Ils prennent appui essentiellement sur les services municipaux ou sur ceux de l'État, sur les différents intervenants du travail social et sur le secteur associatif.

    Par leurs pratiques institutionnelles, ils doivent aussi, en dehors de toute action spécifique, favoriser la concertation interservices et la transversalité nécessaire à l'approche globale des quartiers. Il s'agit alors d'intégrer le développement social à la vie des services, évitant ainsi le risque d'une animation de terrain sans reconnaissance officielle et déconnectée de la vie des services.

    e La tension entre approche généraliste et approche spécialisée

    Selon l'approche généraliste, le professionnel du DSU est un coordonnateur, garant de l'articulation entre les logiques sectorielles et les logiques territoriales. Seul le généraliste peut, en prenant appui le cas échéant sur les techniciens des services, mettre en cohérence les différents projets nécessaires au développement du quartier et maintenir la spécificité de chacun de ces projets face aux logiques laminantes portées par les services. Par ailleurs, le professionnel, souvent présenté comme un « perturbateur », peut plus facilement porter cette fonction s'il est généraliste.

    La mise en place des contrats de ville, avec la détermination d'axes prioritaires (des publics, des thèmes autres que le quartier), marque le retour de la thématique par domaine d'intervention au détriment de l'intervention autour du territoire. La complexité croissante des dispositifs de financement et le nombre des partenaires intervenant dans la politique de la ville entraînent les professionnels vers la spécialisation aussi bien en raison des connaissances nécessaires que du volume d'activité. Le souci de spécialisation découle également en partie de la nécessité de détenir des connaissances techniques pour dialoguer efficacement avec les différents partenaires du développement social. La spécialisation permet d'avoir une vision plus globale et plus prospective, de peser plus efficacement sur les opérateurs de manière à infléchir leurs pratiques.

    On assiste donc à la multiplication et à la diversification des postes spécialisés sur une thématique, même si la revendication d'une approche généraliste et les efforts pour la maintenir restent bien présents.

    Deux types d'inscription du DSU dans les appareils municipaux

    La première configuration rencontrée sur le terrain correspond à ce que nous avons qualifié, en 1995 au colloque de Lille, de stratégie de municipalisation du DSU.

    Alors qu'à l'origine de la politique de la ville, le commissionnement des équipes de maîtrise d'oeuvre urbaine et sociale supposait leur positionnement à la périphérie des appareils de l'État et des collectivités, dans bon nombre de sites on a observé une très nette évolution visant à intégrer ces équipes dans l'organisation municipale. Qu'elles soient positionnées au sein des services du secteur social, de l'animation-jeunesse ou d'une mission directement rattachée au secrétariat général, les équipes de DSU ont vu leur domaine d'intervention se centrer essentiellement sur l'action sociale.

    Dans cette configuration, le rôle du professionnel est décliné dans les deux premières fonctions décrites : l'animation sociale et institutionnelle. C'est un technicien-coordonnateur chargé d'appuyer à la fois les démarches d'animation locale et celles de la concertation entre les services.

    Dans la seconde configuration qualifiée de semi-externe, caractéristique des sites de grande taille où les populations souffrent de difficultés très importantes, l'enjeu consiste en une réduction des écarts existants entre les réponses des services publics et les demandes des populations. Du fait de l'importance des cofinancements et de la multiplicité des partenaires, les équipes de DSU restent positionnées en périphérie des appareils politico-administratifs locaux : sous statut associatif, au sein d'une SEM, d'une agence d'urbanisme...

    Les trois rôles assignés aux professionnels sont répartis entre une multiplicité d'acteurs. L'innovation, peu présente dans la configuration municipalisée, est ici au coeur de leur activité. Il s'agit pour eux d'inventer des modalités permettant de rapprocher les services publics et la population, par exemple en passant momentanément par une structure associative ad hoc.

    À la spécialisation thématique des tâches portée par des experts des domaines concernés, correspond une nécessaire fonction de coordination et d'articulation entre les différentes thématiques car les dossiers et les projets deviennent souvent très complexes.

    Les principales figures professionnelles rencontrées sur le terrain

    Selon les configurations locales (organisation du DSU municipalisée ou organisation de DSU semiexterne) les postes occupés par les professionnels du DSU peuvent se révéler très divers et le contenu des activités très hétérogène.

    Le responsable du DSU

    Il assume la responsabilité de la politique de développement social urbain et en rend compte au secrétaire général et aux élus. Il assure également l'articulation entre les projets impulsés dans les quartiers et la vie des services, il est donc garant de l'inscription du DSU dans la politique générale de la municipalité. Il coordonne les différentes actions menées dans le cadre du contrat de ville et anime l'équipe des professionnels oeuvrant dans les quartiers ou missionnés selon un découpage thématique. En cas de conflit, c'est généralement lui qui sollicite l'interpellation ou l'arbitrage politique.

    Le chef de projet thématique

    Il est chargé de l'animation d'une thématique au niveau municipal. Il est spécialisé à la fois dans les montages administratifs et financiers et dans les exigences techniques relevant de son domaine d'action. En général positionné au sein du service DSU, il suit et défend les dossiers relevant de sa spécialité. Les projets les plus complexes liés aux thématiques de l'aménagement urbain, puis de l'insertion par l'économique, ont été les premiers à bénéficier d'un chef de projet thématique. Les différents domaines du social (la prévention de la délinquance, le sport, la culture, etc.) semblent actuellement suivre la même voie.

    Le chef de projet territorial

    Il a pour mission d'élaborer et de de mettre en oeuvre des projets participant au développement du quartier. Il est responsable de la cohérence des projets entre eux et de leur articulation au niveau local. Positionné sur les « interstices entre les besoins locaux et les réponses des services publics, il mène un travail de concertation avec les institutions d'une part, et les divers lieux où s'exprime la voix des habitants d'autre part (associations, services de proximité, travailleurs sociaux).

    L'agent de développement

    Il assure, sous la responsabilité du chef de projet territorial, l'animation du quartier. Nous avons rencontré deux types de poste d'agent de développement. Parfois, il joue le rôle d'adjoint généraliste du responsable territorial sur les projets les moins complexes, il prend alors en charge essentiellement l'animation locale.

    Dans d'autres configurations, il se considère comme spécialiste d'une thématique. Il mène alors un travail d'animation institutionnelle dans son domaine, laissant au chef de projet le rôle d'articuler localement les projets thématiques entre eux.

    Deux familles de professionnels du DSU

    L'enquête a fait apparaître deux familles de professionnels oeuvrant dans le développement social urbain. Ces deux familles se distinguent aussi bien par leur formation initiale que par leur itinéraire professionnel antérieur. Les professionnels du premier groupe, plutôt présents dans les organisations municipalisées, de taille réduite, proviennent des métiers constitués du travail social (éducateurs, éducateurs spécialisés, animateurs). Ils ont progressivement pris en charge les fonctions d'animation sociale dans les quartiers difficiles.

    Le second groupe, plus présent dans les organisations semi-externes, caractéristiques des agglomérations de grande taille, est composé de professionnels des politiques de la ville. Titulaires de diplômes universitaires de troisième cycle, ils mènent une carrière de spécialistes de la conduite de projet de développement urbain.

    Ce clivage entre les professionnels ne fait que reproduire la césure introduite dès la formation initiale par l'existence de deux mondes fondamentalement hétérogènes. Les premiers font carrière dans un métier du travail social ou l'une des thématiques classiques de l'action sociale. Leur évolution professionnelle est, en général, inscrite à l'intérieur de l'offre d'emploi locale. Ils progressent dans la gamme des postes offerts dans le secteur associatif (ou paramunici-pal) et dans les services municipaux. Le DSU représente, pour eux, un élargissement des choix professionnels car il concrétise l'accès à la spécialité quartiers en difficulté », qui vient s'ajouter à la compétence d'origine.

    Les seconds, au contraire, construisent leur évolution professionnelle à partir des différentes facettes de la fonction de « professionnel du DSU » et des différents postes offerts au sein du DSU. Ils sont davantage prêts à profiter des opportunités d'embauche au niveau national. Leur carrière prend donc appui sur le double principe de la mobilité géographique et d'une progression fonctionnelle au sein du DSU.

    Toutefois, dans le DSU, c'est autour du militantisme que se rassemblent les professionnels. Tous affichent les mêmes valeurs (république, citoyenneté, démocratie...) qui reviennent dans leurs discours. Ces valeurs orientent leur action et leur permettent de faire des choix. Ils ont également conscience, même si c'est à un niveau modeste, de participer à la construction de choix politiques.

    1. Elisabeth Dugué et Philippe Mouton, Les professionnels du Développement Social Urbain : des qualifications en émergence.- Ed. du CNFPT. collection Urbanités. 1997, 166 p. retour au texte