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    En quête des "mondes possibles"

    Quelques récents développements des programmes de signalisation, les répertoires thématiques

    Par Sylvie Le Ray, Conservateur à la Direction du livre et de la lecture

    (1) La constitution de catalogues et d'inventaires des fonds relatifs aux lettres, aux sciences et aux beaux-arts est une des plus anciennes missions prises en compte par les pouvoirs publics, comme en témoignent les « instructions pour la conservation et le catalogage des fonds saisis » dans les bibliothèques ecclésiastiques du 15 mai 1791 (2) .Ces strates bibliographiques gagnent à être considérées sur la longue durée, à l'instar des couches géologiques : nous ne tenterons de les décrire, sans toutefois détailler leur contenu, qu'afin de mettre au jour les récentes inflexions de leur mode de constitution. Le rapport de Louis Desgraves et de Jean-Luc Gautier-Gentès sur Le Patrimoine des bibliothèques dressait en 1982 un tableau alarmant de l'état du signalement des fonds (3) et préconisait des solutions pragmatiques : « mise en place de catalogues informatisés aussi complets que possible, de tous les types de documents anciens et spéciaux ; poursuite des catalogues collectifs locaux ; « sauvegarde des fonds oubliés grâce à des inventaires photographiques ; adoption de formats descriptifs courts et simples.

    Plus de quinze ans après le rapport Desgraves, la nécessité d'une approche qui n'écarte pas a priori les collections ou pièces apparemment les plus modestes semble s'être imposée, comme en témoignent les inventaires régionaux entrepris par nombre d'agences de coopération. Cette approche se trouve encore confortée par l'apport des sciences humaines à une histoire sérielle du livre et de la littérature, ne laissant de côté ni les « chefs-d'oeuvre (4) ni les séries dont ils sont issus, à l'image des archéologues à la recherche de fossiles directeurs. Sur les grands catalogues historiques et les inventaires locaux se sont greffés depuis peu, à l'initiative du ministère de la Culture et de la Communication, des programmes (5) d'inventaires thématiques et de reproduction. Ces plans ont pour dénominateur commun de faire appel aux technologies modernes de constitution et de diffusion de l'information à l'usage d'un public potentiel qui dépasse le cercle étroit de la recherche savante (6) -

    Un nouvelle formule de partenariat à la fin des années 1 999 les répertoires thématiques

    Le Répertoire des manuscrits littéraires français contemporains lancé en 1995 vise à recenser les manuscrits littéraires français contemporains pièce par pièce ou, lorsque l'inventaire complet ne peut être effectué, à signaler les gisements principaux. Les instigateurs du Répertoire des arts du spectacle : sources et ressources se sont fixé pour tâche, quant à eux, de localiser des sources, c'est-à-dire des lieux, des institutions, voire des personnes, détenant des documents originaux relatifs aux arts du spectacle, ainsi que des instruments de recherche bibliographiques. Les deux répertoires ne sont pas sans posséder plusieurs points communs significatifs, tant dans leur conception que dans leur mode opératoire. Pilotés collégialement sur la base d'un partenariat large et coordonnés par la Direction du livre et de la lecture, ils sont mis en oeuvre par la BnF. Faisant appel de manière essentielle et non subsidiaire à tous les relais de la concentration, ils ne tiennent pas ou tiennent peu compte des clivages administratifs entre institutions, non plus que du statut public ou privé des collections. Leur champ est relativement ouvert et largement déterminé par les collections rencontrées, envers lesquelles les impératifs culturels et patrimoniaux de meilleures constitution, conservation, communication et diffusion des fonds ne le cèdent en rien à l'objet premier de ces répertoires, qui est de favoriser la recherche par une localisation et une description harmonisées.

    Le Répertoire des arts du spectacle, le plus récent des deux, a été défini en 1997 à l'initiative de nombreuses directions sectorielles du ministère de la Culture et de la Communication : Direction du livre et de lecture, Direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles, Direction des archives de France, Direction des musées de France, Direction de l'architecture et du patrimoine, ainsi que la Direction des affaires générales au titre de la mission recherche et technologie notamment. Les sources et ressources des arts du spectacle peuvent désigner des documents de toute nature et sur tout support relevant de champs chronologique, géographique et linguistique ajustés a posteriori à la configuration actuelle des collections. Les lieux prospectés sont de trois ordres : en premier lieu, les institutions et administrations dépendant de l'État et des collectivités territoriales ; en deuxième lieu, les collections privées, associatives ou de toute autre nature, détenues sur le sol français ; enfin, les structures théâtrales françaises, qu'elles soient privées ou qu'elles relèvent des structures publiques qui ressortissent principalement aux quatre catégories suivantes : théâtres nationaux (Comédie-Française, Théâtre national de Stras-bourg, Théâtre de l'Odéon) ; centres dramatiques (centres dramatiques nationaux, centres dramatiques régionaux, centres dramatiques nationaux pour l'enfance et la jeunesse) ; scènes nationales ; théâtres chargés de missions de service public.

    Au cours de la prospection en région, des problèmes récurrents ont pu être mis en lumière au sein même des établissements publics de spectacle. Les archives, parfois maladroitement constituées par les établissements eux-mêmes (délais de versement et missions des institutions d'archivage, règles de composition et de communication, modalités de communication...), n'obéissent souvent à aucune des règles régissant la propriété publique des fonds ; l'inaliénabilité, l'imprescriptibilité, l'inexportabilité sont des notions floues pour la plupart des responsables des établissements publics notamment en ce qui concerne les archives artistiques, fruit d'un investissement créatif personnel. Une circulaire de la direction des Archives de France doit être diffusée en 1999, précisant l'organisation et la destination ultime de ces archives. Cette circulaire pondère le principe d'affectation systématique des éléments « littéraires qui, une fois extraits des archives de gestion, pourront être déposés dans des bibliothèques (7) en vertu du principe de complémentarité des fonds déjà éventuellement constitués.

    Le Répertoire des manuscrits littéraires français contemporains - nouvel outil de recherche et de valorisation des fonds d'écrivain (8) du xxe siècle conservés en France dans les bibliothèques, musées, archives et maisons d'écrivain - s'appuie sur une convention signée entre cinq partenaires publics et privés : la Bibliothèque nationale de France, la Chancellerie des universités de Paris pour la bibliothèque littéraire Jacques Doucet, l'Institut Mémoires de l'édition contemporaine (IMEC), le Centre national de la recherche scientifique pour l'Institut des textes et manuscrits modernes (ITEM), ainsi que les ministères chargés de l'Éducation et de la Culture. Le répertoire a permis d'alimenter une base informatique Palme qui, fin 1998, comptait quelque 26 000 notices correspondant aux fonds des bibliothèques de province jusqu'ici demeurés peu connus et par conséquent vulnérables. Priorité a donc été accordée au recensement à distance à partir des sources disponibles des fonds provinciaux, suivi de missions en Région, voire de vacations de recensement in situ. Une quantité équivalente de notices, saisies par la BnF sur traitement de texte et rétroconverties par Jouve en 1998, sera versée en 1999 dans la base Palme, bientôt accessible sur BN-Opaline, et reliée aux autorités correspondantes (9) ,

    La constitution de ce répertoire engendre, comme tout inventaire, deux réflexions concomitantes portant sur la délimitation du champ d'une part et sur la normalisation du schéma descriptif d'autre part. Des recherches ont ainsi dû être entreprises sur des auteurs à l'oeuvre inclassifiable, afin de déterminer lesquels d'entre eux entraient dans le champ du répertoire. Les auteurs non retenus, bien que demeurés aux marges du répertoire, ont également bénéficié de cette collecte d'information : à rebours du répertoire britannique qui lui a servi de modèle, le répertoire Palme déroule un corpus ouvert d'auteurs. En outre, prélude prometteur à l'élaboration d'une norme de description des manuscrits et d'un format spécifique, le format INTERMARC B (format adopté la BnF pour le signalement de ses collections spécialisées) a été mis en adéquation avec les supports polymorphes des manuscrits contemporains. À l'instar du Location register of 20th century English manuscripts and letters, le répertoire Palme pourrait être étendu aux manuscrits des siècles antérieurs. Son intégration au programme européen Malvine (10) - dont l'objet est de pourvoir les différents catalogues nationaux européens de manuscrits et autographes modernes d'une interface commune - rendrait enfin possibles la navigation d'un continent littéraire à l'autre, l'échange de données, voire la participation des usagers à l'enrichissement des répertoires nationaux.

    La démultiplication des moyens techniques rend exploitables et accessibles des sources jusqu'ici dormantes qui, pour être modestes en taille ou en notoriété, n'en constituent pas moins des pièces décisives dans la constitution d'une cartographie des fonds littéraires et, plus généralement, des « archives de la création Nonobstant leur fin heuristique ultime, l'ensemble de ces outils et particulièrement les catalogues d'images numérisées sont susceptibles de sensibiliser un très vaste public, des chercheurs aux amateurs en passant par les enseignants, les professionnels de la valorisation du patrimoine, du tourisme, de l'édition, et les artistes. Ils contribuent à assurer la sauvegarde de documents fragiles par essence et à moderniser le service public en érigeant le partage des ressources documentaires en une mission structurante de l'État, comme en témoigne le foisonnement de projets aussi ambitieux que l'installation d'une pléiade d'établissements de recherche et de conservation au sein du futur Institut national d'histoire de l'art de la rue de Richelieu.

    Une étude diligentée en 1999 par le ministère de la Culture et de la Communication sur les publics et les utilisations du patrimoine écrit des bibliothèques municipales devrait apporter l'éclairage critique indispensable à une évaluation plus fine des conditions d'accès au patrimoine littéraire détenu par ces bibliothèques, sinon du profit intellectuel et spirituel inquanti-fiable qu'en tirent les lecteurs. Postulons que les demandes de consultation ou de participation à distance constitueront un trait dominant des évolutions à venir, de même que les relations établies par les bibliothèques avec d'autres institutions, associations culturelles et centres de ressources. Les tentatives de diffusion déjà accomplies (11) , ainsi que les politiques de valorisation des fonds menées par l'État et les collectivités locales, pourront dès lors prendre acte de la convergence ou de la pluralité des attentes des différents publics à l'égard des instruments récemment constitués.

    1. Ce titre est inspiré de l'article de Patrick Kéchichian paru dans Le Monde des livres du 18 septembre 1998, « La critique génétique en quête des mondes possibles ». retour au texte

    2. Cf. « Le catalogage des fonds », Louis Desgraves, in : Histoire des bibliothèques de France. Les bibliothèques de la Révolution et du XIX* siècle. Paris, Promodis-Cercle de la librairie, 1991, p. 165-182. retour au texte

    3. Cf. le bilan dressé par Gilles Eboli, « Le signalement des collections patrimoniales », in : Le Patrimoine, Jean-Paul Oddos dir. Paris, Cercle de la librairie, 1997. retour au texte

    4. « Histoire sérielle du livre (XVe-XXe siècle) », Emmanuel le Roy Ladurie in : Histoire, économie et société. 1995, n°1,p. 1-34. retour au texte

    5. La plupart de ces projets sont présentés sur le site Internet du ministère de la Culture et de la Communication sous la rubrique Documentation, au côté d'autres bases de données intéressant l'histoire des arts tel que Joconde (oeuvres des musées) ou Mérimée (monuments historiques). retour au texte

    6. A. Vitale-Brovarone rappelle dans la Gazette du livre médiéval [n° 33, automne 1998, p. 21-28) que « pour accéder aux manuscrits, [...] le latin [ ] reste le "logiciel" de base ». Les études de bibliographie matérielle les plus sophistiquées ne peuvent que rester superficielles si les compétences d'analyse linguistique et textuelle font défaut. retour au texte

    7. Enrichissant la circulaire du 2 septembre 1994 sur le partage des attributions entre les archives et les bibliothèques. retour au texte

    8. Sur les enjeux scientifiques du répertoire, voir « Vers un nouvel outil de recherches et de valorisation des fonds littéraires contemporains en France », Laurence Bobis, in : Actes des Rencontres nationales des maisons d'écrivain, Bourges, 4-6 décembre 1997. Bourges, centre régional de documentation pédagogique de la Région Centre, 1998, p. 101-104. retour au texte

    9. Les fichiers d'autorité de la BnF ont également servi de référence pour la correction des notices rédigées lors de ces missions. retour au texte

    10. Voir le site de présentation http://www.malvine.org/ retour au texte

    11. À l'exemple des sites Internet des bibliothèques municipales de Besançon, Grenoble, Lisieux, Lyon, Metz, Trésors des bibliothèques de Lorraine, de la bibliothèque interuniversitaire de Montpellier... retour au texte