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L'iNA entre missions de service public et contexte marchand

1999
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    L'INA entre missions de service public et contexte marchand

    Par Danielle Chantereau, Déléguée à l'action éducativeet culturelle

    Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs,

    Le thème qui nous réunit aujourd'hui, l'accès à la culture dans la société de l'information et les relations entre politique de service public et économie marchande, n'est pas propre à l'INA. Le poids des questions économiques, les équilibres entre missions de service public et choix commerciaux sont aujourd'hui à l'ordre du jour des réflexions de la plupart des établissements culturels et, au-delà, pèsent sans doute également sur les orientations des organismes scientifiques et de recherche. C'est donc un sujet de réflexion transversal, au coeur des préoccupations de tous ceux qui contribuent à la diffusion de la culture, du savoir et de la connaissance. Je ne m'étonne pas qu'il soit aujourd'hui à l'ordre du jour dans les bibliothèques.

    Il est également au coeur des préoccupations de l'INA. L'Institut national de l'audiovisuel n'est ni une bibliothèque audiovisuelle, ni un service traditionnel d'archives publiques. Il n'est donc soumis ni aux mêmes obligations ni aux mêmes contraintes, il n'a pas à répondre des mêmes missions, il ne vise pas les mêmes publics.

    De par son statut néanmoins, de par son histoire, de par sa fonction patrimoniale, de par certaines de ses activités non directement liées au marché, il intègre des missions de service public. De par sa construction budgétaire, de par l'enjeu économique que représente l'exploitation de collections aussi importantes que les archives sonores et audiovisuelles publiques, il s'inscrit délibérément dans le cadre du marché. Cette problématique n'est pas nouvelle pour nous, elle est indissociable du statut même de l'INA, confronté depuis sa création, il y a bientôt vingt-cinq ans, à des dilemmes stratégiques pour trouver sa juste place dans le secteur de la communication audiovisuelle. Cette question se pose aujourd'hui avec un peu plus d'acuité, en raison du vote d'une loi qui aura une incidence certaine sur la place de l'INA dans le système audiovisuel.

    L'INA au sein du paysage audiovisuel

    Qu'est-ce que l'INA?

    L'INA est un établissement public industriel et commercial (EPIC) créé par la loi du 7 août 1974. La loi du 30 septembre 1986 lui a confié la mission de conservation et d'exploitation des archives audiovisuelles des sociétés nationales de programmes, ainsi que la propriété de ces archives à l'issue d'un délai de trois ans après la première diffusion (à l'exception des oeuvres de fiction). L'INA est ainsi détenteur du premier patrimoine audiovisuel français, qui représente un ensemble de 400 000 heures d'images animées et de plus de 500 000 heures de documents sonores, dont il assure la conservation dans le cadre de relations contractuelles avec les diffuseurs publics, la sauvegarde, la restauration et la communication.

    Parallèlement, la loi du 20 juin 1992 relative au dépôt légal, entrée en vigueur le 1er janvier 1995, confie à l'INA, à l'instar des autres organismes en charge du dépôt légal, la Bibliothèque nationale de France et le Centre national de la cinématographie, la mission d'assurer la conservation et la communication à des fins de recherche des programmes diffusés par les chaînes hertziennes nationales publiques et privées et par Radio France. Cette mission est exercée par l'Inathèque de France, département de l'INA qui propose aux chercheurs soixante-trois stations de lecture audiovisuelle (SLAV) situées dans les emprises de la Bibliothèque nationale de France.

    La mission patrimoniale repose donc sur une mission d'intérêt général relevant d'un lien contractuel, exercée pour le compte de l'État et indissociable de la gestion d'archives professionnelles, et sur la mission obligatoire de gestion du dépôt légal.

    L'INA développe également des activités de recherche sur l'audiovisuel, études sur les enjeux technologiques, sociaux et culturels des médias, mise en oeuvre de prototypes issus de recherches technologiques de pointe, production de recherche. Ces travaux visent notamment à améliorer les techniques de restauration des supports par des systèmes de repérage automatique des défauts ainsi que les processus documentaires d'accès aux fonds, et à expérimenter de nouveaux modes de production et de distribution numériques appelés à générer de nouveaux types de programmes et de nouveaux usages. À partir d'un fonds de différentes ressources numérisées, tournages, photos, sons, textes, interviews, un auteur peut par exemple concevoir différents produits déclinables sur différents supports : documentaire pour l'antenne, site Web, cédé-rom...

    Enfin, l'INA poursuit également des actions de formation aux métiers de l'audiovisuel et de la communication destinées à l'ensemble des acteurs de la communication.

    C'est donc l'imbrication autour et à partir d'un coeur de métier - la conservation du patrimoine audiovisuel - de différentes missions et activités, dont certaines relèvent de la recherche-développement stricto sensu et d'autres d'une logique commerciale, dans un contexte concurrentiel, qui fait de l'INA un acteur singulier du dispositif audiovisuel français.

    Les missions de service public

    Le service public recouvre au moins trois significations essentielles : c'est tout d'abord un ensemble d'activités et de structures placées sous la dépendance des collectivités publiques ; c'est aussi un concept juridique qui confère à ceux qu'il régit un certain nombre d'obligations et de privilèges ; c'est enfin une représentation idéologique, la norme censée commander la gestion publique, l'intérêt général, dont l'État est juge. À ce titre, une mission de service public vise à assurer la satisfaction de besoins non ou insuffisamment satisfaits par le secteur concurrentiel.

    Organisme placé sous l'autorité des pouvoirs publics, doté de la personnalité morale, de l'autonomie financière, d'un conseil d'administration et d'un patrimoine propre, l'INA est investi de missions patrimoniales d'intérêt général.

    Comme la plupart des établissements publics, il est parallèlement amené à se poser la question de l'amélioration de ses performances et de la qualité des services rendus, de l'optimisation de ses moyens, de la recherche de gains de productivité, conditions nécessaires au développement d'une activité commerciale.

    Les enjeux

    Au sein de la société de l'information, l'INA est confronté tout à la fois à un enjeu démocratique et à un enjeu industriel.

    Un enjeu démocratique, car l'accès à la culture, à l'information et à la mémoire collective constitue un droit pour tout citoyen. Or l'audiovisuel est, après une longue ignorance, reconnu comme un instrument de transmission de la pensée, de la connaissance et de la culture. À ce titre, il est du ressort de la puissance publique de garantir l'accès le plus large à ce patrimoine national.

    Un enjeu industriel, car les mutations technologiques et le développement des réseaux entraînent un besoin croissant d'images de la part des diffuseurs et une demande accrue de ressources éditoriales de la part des opérateurs.

    Du fait de la multiplication des vecteurs de diffusion et de la diversification des moyens de transmission des contenus (câble, satellite, édition multimédia, Inter-net), les archives deviennent donc des ressources éditoriales stratégiques.

    Aux médias classiques télévisions hertziennes généralistes, s'ajoutent aujourd'hui de nouveaux acteurs, issus notamment des secteurs de l'informatique et des télécommunications, et des opérateurs institutionnels porteurs de projets à vocation éducative, comme la Banque de programmes et de services initiée par la Cinquième. L'usage de plus en plus répandu des nouvelles technologies dans l'enseignement, dans la logique des préconisations gouvernementales, et la demande de produits multimédias adaptés aux pratiques pédagogiques font aussi de ce secteur un nouveau consommateur d'images.

    En bref, des contenus diversifiés pour des usages et des services diversifiés dans le cadre de logiques économiques diversifiées : telle est l'équation que doit résoudre l'INA.

    Équilibres et tendances

    La construction budgétaire

    La construction budgétaire de l'INA reflète la convergence des différentes missions. Le budget de l'INA, 629 MF en 1998, relève d'un financement mixte, et repose majoritairement sur la redevance. Les recettes publiques représentent plus de 60 % du budget de l'INA depuis l'intégration du dépôt légal.

    Le financement de l'Inathèque, en charge du dépôt légal, seule mission relevant sans ambiguïté du service public et ne générant par définition aucune recette commerciale, est entièrement assuré par la redevance.

    Avec un effectif de 150 personnes, l'Inathèque procède à la collecte d'environ 40 000 heures de programmes par an, dont 15 000 heures de télévision. Plus de 2 000 usagers ont été accrédités pour la consultation.

    Par ailleurs, la redevance est considérée comme une subvention d'équilibre attribuée à des missions identifiées et validées par la tutelle, mais elle n'est pas affectée activité par activité. Le taux de couverture par la redevance diffère donc suivant les secteurs et s'établit autour de 60 %, aucune activité ne s'autofinançant à 100 %. Chacune opère donc une ponction sur les recettes publiques, plafonnées à leur niveau actuel.

    Le financement des chantiers nouveaux

    Certains chantiers nouveaux s'imposent par nature comme missions de service public. Ils font l'objet de financements spécifiques et diversifiés par l'INA.

    Ainsi, le plan de sauvegarde des fonds d'archives, fixé à 6 000 heures du fonds radio et 12 000 heures du fonds images par an, correspond à un effort de près de 20 MF financé par transferts internes.

    Le développement du processus de numérisation est financé par une dotation de redevance en crédits d'investissement.

    Les chantiers de recherche innovants dans le domaine du numérique, outils de documentation et de navigation nécessaires aux environnements audiovisuels numériques, création audiovisuelle hypermédia, sont financés par redéploiements internes.

    Les partenariats

    L'innovation méthodologique, technologique ou conceptuelle s'inscrit aujourd'hui dans le cadre de partenariats. L'INA assure une activité de recherche interne qui lui permet de développer une expertise sur son domaine de compétence. Cette expertise doit être injectée dans les activités opérationnelles pour en assurer l'optimisation.

    La recherche peut également donner lieu à des prototypes expérimentaux qui seront placés sur le marché dès lors qu'ils atteindront le stade de l'industrialisation.

    Il est clair que l'INA n'a pas vocation à assurer le passage d'un prototype en produit industriel, et les essais de commercialisation par des filiales n'ont jusqu'à présent pas été concluants. L'articulation avec les programmes européens et une meilleure insertion dans la sphère de recherche européenne ouvrent sur des possibilités de diversification des financements permettant la consolidation des activités de recherche-développement.

    L'activité éducative et culturelle relève d'une démarche similaire. Dans le secteur commercial, les cessions de droits et les prestations d'archives représentent les postes les plus porteurs du chiffre d'affaires global.

    Les clients privés sont essentiellement consommateurs d'extraits. Le développement des chaînes câblées et satellitaires, les nouveaux réseaux de diffusion des images devraient amener une augmentation du chiffre d'affaires de cette activité.

    Des actions de valorisation du patrimoine sont menées en parallèle sur des secteurs peu ou moins rémunérateurs, avec la volonté de proposer aux organismes éducatifs et culturels une offre éditoriale adaptée à leurs usages, et d'oeuvrer notamment pour une éducation aux médias.

    Ces actions, qui se situent à mi-chemin entre une politique commerciale et patrimoniale, s'inscrivent dans une double contrainte.

    Si la « demande sociale d'accès au patrimoine artistique en général (monumental, pictural, photographique...) s'est considérablement développée ces dix dernières années, et notamment la demande d'images pour des activités culturelles (festivals, expositions), il est bien évidemment impossible, pour des raisons de coût, de donner accès à l'ensemble des archives audiovisuelles. L'objectif est donc de proposer une offre organisée, structurée en collections et adaptée à la demande.

    L'INA est un organisme professionnel qui n'a pas vocation à communiquer directement les archives à un large public. Cette communication passe donc par des relais, structures de distribution comme le CNDP, équipements culturels généralistes comme les bibliothèques publiques ou médiathèques spécialisées.

    Mais cette activité est fragile, car l'amortissement des coûts n'est pas assuré du fait de la taille du marché. La « gestion des priorités en interne peut donc amener à remettre en question son dimensionnement.

    Certaines activités ne peuvent ainsi prendre toute l'ampleur souhaitée que dans le cadre de partenariats apportant la garantie d'un financement minimum. L'INA est alors amené à faire appel à des ressources complémentaires de la redevance, notamment de la part des ministères concernés.

    Pour reprendre les conclusions du rapport remis à Mme le Ministre de la Culture par le chef du SJTIC (Service juridique et technique de l'information et de la communication), s'il est un organisme chargé de missions de service public et d'intérêt général, c'est bien l'INA... Il n'en reste pas moins que l'INA - établissement public à vocation industrielle et commerciale - doit également se percevoir et être traité, assumer ses objectifs de restructuration et de développement comme une entreprise, certes du secteur public, mais pour partie ouverte à la concurrence et située dans un système de rapports contractuels avec les médias et les producteurs et prestataires de services de communication... ,.

    Ces propos résument tout à la fois l'originalité de l'INA et le défi qui lui est lancé pour les prochaines années.