La première mention d'une bibliothèque de l'École de droit remonte à l'année 1475. Un procès-verbal du mois de décembre de cette même année demande que soient réunis chez le doyen tous les livres qui se trouvaient dispersés entre les mains de plusieurs professeurs ou docteurs, et dresse l'inventaire de ces ouvrages : 17 manuscrits au total. Héritière de cette longue tradition, la bibliothèque Cujas reste aujourd'hui l'une des plus grandes bibliothèques juridiques françaises quant à la richesse de ses collections. Ainsi, on dénombre environ 600 000 titres d'ouvrages et plus de 3 800 périodiques vivants, dans les domaines du droit mais aussi de l'économie et de la science politique. La bibliothèque Cujas est également CADIST en droit depuis 1986 et, aujourd'hui, pôle associé à la Bibliothèque nationale de France, confortant ainsi sa spécialisation juridique.
La bibliothèque a été l'un des cinq établissements pilotes sélectionnés en 1978 pour expérimenter l'interrogation des banques de données, avec la Bibliothèque nationale, les bibliothèques de Poitiers, Dauphine et de l'IEP Paris. L'interrogation des banques de données a tout de suite bien fonctionné dans le domaine du droit et, devant l'ampleur de la demande, il a été créé un service à part entière : le SEDAC, Service de documentation automatisée de la bibliothèque Cujas, qui, à la suite de l'évolution des technologies, deviendra le CERDOC, Centre de recherches documentaires.
À partir de là, sous l'impulsion des directions successives et du responsable du service, une dynamique s'est instaurée. C'est ainsi que, dès la formation du SEDAC, la bibliothèque Cujas a initié les premières réunions présentant des produits électroniques. De même, afin de suivre au plus près l'actualité du domaine, la bibliothèque a choisi d'adhérer à des associations spécialisées, et participe aux conseils d'administration de l'ADIJ (Association pour le développement de l'informatique juridique) et de JURICONNEXION (Association des utilisateurs d'informatique juridique).
Conjointement, il fut décidé que l'interrogation des banques de données serait payante. Cela n'alla pas sans débat ni tiraillement entre les tenants de la gratuité du service public et les partisans de la vérité des coûts. Il fut conclu que, s'il était difficile de percevoir le prix coûtant, ne serait-ce que par l'impossibilité de le déterminer avec précision en tenant compte de tous les facteurs, une redevance permettrait de faire comprendre que l'information a un coût et d'éviter le gaspillage. À aucun moment bien sûr, il n'y eut l'intention d'en retirer un véritable bénéfice en espèces sonnantes et trébuchantes (ce qui aurait de toute façon été pure illusion).
L'arrivée des cédéroms, en provoquant une chute brutale des interrogations des banques de données, a du même coup forcé une réflexion sur l'évolution du service, pour aboutir en 1993 à la transformation du SEDAC en CERDOC. En effet, il est apparu que la richesse des collections de la bibliothèque n'était pas suffisamment connue, mise en valeur et exploitée. Une partie du public, essentiellement composée de professionnels du droit mais aussi d'universitaires, paraissait ignorer qu'elle pouvait accéder à la bibliothèque et consulter son fonds documentaire. Surtout, quand bien même les utilisateurs potentiels l'auraient su, ils n'avaient pas pour autant le temps nécessaire pour apprivoiser l'usage et les règles du lieu, et obtenir de façon pertinente, dans des délais raisonnables, les informations recherchées. D'où l'idée de créer un service qui se chargerait de réaliser les recherches documentaires à leur place et à leur demande, moyennant une contrepartie financière. Par ailleurs, la pression des collègues extérieurs au milieu universitaire encourageait à proposer d'autres services tant aux étudiants et professeurs qu'aux particuliers, sociétés, cabinets d'avocats, banques ou encore ministères et autres administrations.
La mise en place d'un service de fourniture de documentation juridique aux cabinets d'avocats et aux entreprises a nécessité une réflexion sur la notion de service public avant d'aboutir à une offre de prestation tarifée.
Il s'agissait de concilier les notions de service public et de service marchand d'une part, les notions de service public et de concurrence d'autre part.
La question était de savoir si le rôle de service public n'allait pas être mis à mal par un système de facturation de services rendus. Allait-on trouver une clientèle pour un type de prestations facturées ?
Cette réflexion a amené à scinder les activités du département de recherche documentaire en deux : - le prêt entre bibliothèques, qui fournit des documents sous forme d'originaux ou de copies aux bibliothèques universitaires et municipales françaises et étrangères, le tarif appliqué étant celui pratiqué par l'ensemble des PEB ; - le CERDOC, qui traite toutes les autres demandes : celles-ci proviennent des cabinets d'avocats, des services juridiques d'entreprises, des ministères, des particuliers mais aussi d'universitaires pressés ou éloignés ou encore de centres de documentation des facultés, auxquels nous conseillons cependant fortement de s'adresser à leur bibliothèque universitaire pour bénéficier des tarifs du PEB.
Ainsi, la notion de service public est respectée. Toute personne désireuse d'obtenir de l'information peut venir à la bibliothèque la rechercher. Elle accède au fonds documentaire et bénéficie de l'aide spécialisée des agents de la bibliothèque, y compris de ceux du CERDOC, lequel offre en plus un service personnalisé tarifé de fourniture et de recherche documentaires. L'expérience de quelques années de fonctionnement montre qu'il existait une demande réelle pour le type de prestation auquel nous pensions.
Par ailleurs, et c'est là le deuxième point de la réflexion, il était évident que la bibliothèque ne tenait pas à être concurrente de services déjà existants.
En fait, dans le domaine de la fourniture d'information juridique, seule la bibliothèque de l'Ordre des avocats, que ce soit à Paris ou en province, joue un rôle similaire. Les avocats payent une redevance lors de leur cotisation à l'Ordre et une partie de celle-ci est reversée à la bibliothèque du Palais. Ils ont donc l'habitude de s'adresser à cette instance pour effectuer leurs recherches, qui leur sont facturées en sus de leur cotisation. Cependant, les bibliothèques de palais n'ont pas toujours la documentation juridique souhaitée et sont souvent débordées par le nombre de demandes. Enfin elles constituent des dossiers, ce que la bibliothèque Cujas ne saurait faire. Consultée sur le projet de création d'un service quelque peu similaire, la responsable de la bibliothèque du Palais à Paris a encouragé cette initiative.
En fait, il n'y a aucun organisme public ou privé qui puisse rivaliser avec la richesse documentaire tant du Palais que de Cujas, si ce n'est quelques centres de documentation de grands cabinets d'avocats. Toutefois, aucun de leurs fonds ne peut être comparé à celui d'une institution dont l'une des missions est la conservation du patrimoine. Il en est de même pour les courtiers en information, qui ne pourraient fonctionner sans s'inscrire à la bibliothèque Cujas ou à la Bibliothèque nationale de France.
Ces premières réserves étant levées, il fallait savoir quels services seraient rendus et à quel type de clientèle.
Quels services offrir aux personnes qui allaient s'adresser au CERDOC ? Quelles limites fallait-il s'imposer ? Quatre types d'activités se dessinaient :
Le premier réflexe a été de satisfaire la demande d'information en exploitant les collections de la bibliothèque. Le fonds du XKe et du début du XXesiècle est apprécié. Le CERDOC fournit les documents référencés dans le fonds de la bibliothèque Cujas.
Le statut de CADIST (centre d'acquisition pour l'information scientifique et technique) a enrichi les collections de la bibliothèque, ce qui permet d'effectuer des recherches jurisprudentielles et doctrinales portant sur des époques récentes : 1975 pour la jurisprudence et 1993 pour la doctrine, en utilisant les outils informatiques disponibles (cédéroms, bases de données, Internet).
Pour les périodes antérieures, le service ne fait pas et ne peut pas faire de recherches rétrospectives faute de disponibilité. L'effectif du CERDOC est constitué de deux conservateurs à plein temps assistés de vacataires étudiants qui représentent deux temps pleins et demi. Les tâches du département ne consistent pas uniquement en prestations de service, il participe aux différentes activités de la bibliothèque et à la constitution d'une base de données : le Doctrinal.
Pour pallier les lacunes éventuelles de la bibliothèque, il a été décidé d'orienter les demandes vers des centres plus spécialisés pouvant posséder le document recherché. Pour cela Myriade, le Pancatalogue et la connaissance des fonds documentaires des autres établissements sont fort utiles.
Par contre, le CERDOC n'a aucune activité de conseil juridique et n'en aura pas. Il n'est pas dans ses fonctions d'apporter une solution au problème soulevé par une requête. Le personnel n'a pas la qualification nécessaire pour le faire et ne peut pas engager la responsabilité de l'établissement. Il s'agit d'un autre métier réglementé. Le CERDOC fournit uniquement des éléments de réponse à une question posée, et c'est au demandeur d'en faire la synthèse et d'en tirer les conclusions qui s'imposent.
Une fois définis les services qui allaient être offerts, la question de savoir comment faire une typologie de notre clientèle potentielle s'est posée.
Il est évident que ce service devait s'adresser à des juristes, quelle que soit leur origine, mais aussi à de simples particuliers. L'objectif est de renseigner toute personne, organisme public ou privé qui en exprime le besoin. Fallait-il cependant appliquer un tarif unique ou tenir compte de cette diversité ?
L'élaboration d'une grille de tarification a été le point le plus délicat à résoudre. Certes les interrogations de banques de données étaient déjà payantes, mais il n'en était pas de même pour les services. Une étude de la pratique du marché, en interrogeant les grands centres comme la chambre de commerce et d'industrie de Paris, le CNRS, l'UTC de Compiègne, a été réalisée. Ainsi, pour établir une tarification, il a fallu tenir compte des quatre éléments suivants :
Elles sont au nombre de trois, comme cela a déjà été précédemment évoqué :
Pour mémoire, les universitaires qui se rendent à la bibliothèque bénéficient de la « gratuité » des services ou se voient appliquer les tarifs en cours. Les prestations du CERDOC ne sont facturées que lorsque le personnel se substitue à eux pour effectuer les recherches.
Là aussi, l'élément à partir duquel la recherche est effectuée est pris en compte : les cédéroms, les banques de données, Internet ou encore le fonds documentaire de la bibliothèque.
Le troisième élément considéré est l'acheminement des informations :
Le temps passé à effectuer la recherche est le dernier élément comptabilisé dans la facturation. C'est ce qui a été le plus difficile à chiffrer. La base de départ a été le coût horaire d'une documentaliste juridique du secteur privé, soit 600 F. Cependant cela ne semblait pas réaliste. En effet, pour une recherche même rapide, il faut compter entre quinze et trente minutes du fait de la configuration des lieux. Aussi, le barème adopté semble plus équitable : il s'agit d'un forfait de base, modulé en fonction de la complexité ou de la longueur de la recherche. En effet, il n'est pas rare que les références soient erronées et que l'on soit obligé de les corriger. De même, on demande souvent des recherches longues et fastidieuses dans le Journal officiel, par exemple retrouver les travaux préparatoires relatifs à un article de loi. Enfin, les demandes que l'on n'a pas pu satisfaire ne sont pas facturées même si des recherches ont été effectuées.
Une fois ces principes mis en place, l'aval d'un comité d'experts composé de professeurs d'université et de documentalistes du secteur privé a été sollicité avant que cette tarification soit soumise à l'approbation du conseil de la bibliothèque.
Le tableau suivant donne les tarifs pratiqués :
Le CERDOC fonctionne ainsi depuis près de six ans sans avoir fait de publicité.
Ce deuxième tableau reprend les résultats des quatre dernières années :
On constate qu'entre 1995 et 1998 le nombre des demandes a pratiquement triplé, passant de 1 069 à 3 080. L'accroissement de 1998 par rapport à 1997 a été de 62 %. Actuellement, nous traitons à peu près 300 demandes par mois.
L'accroissement du chiffre d'affaire a été de 85 % entre 1997 et 1998. De même le taux de satisfaction des demandes, qui était de 75 % en 1997, est passé à 82 % en 1998 (81,44 % exactement).
Il est intéressant de noter, dans ce tableau, la relative stabilité du nombre d'interrogations de banques de données. Avant l'arrivée des cédéroms, le SEDAC traitait environ un millier de questions par an. Ce nombre a considérablement diminué, pour finir par se stabiliser autour des 500. Ceci est surtout dû à l'interrogation de Jurisdata, dont les références sont citées dans les ouvrages des éditions du furisclasseur. Le seul moyen de les obtenir est d'interroger la base de données.
Ce service de fourniture de prestations payantes s'adressant à un public élargi a été une nouveauté et n'a pas manqué d'avoir un impact sur la bibliothèque Cujas, par ailleurs digne représentante des traditions et des pratiques du monde juridique comme du monde des bibliothèques.
Les répercussions ont eu des effets diversifiés :
Des effets en négatif, car il a bien fallu dégager des moyens pour le fonctionnement du service ; c'est donc d'abord un service qui a un coût :
Des effets en positif qui, s'ils ne contrebalancent pas directement les moyens absorbés par le service, n'en sont pas moins évidents.
En conclusion, on peut dire que ce développement a été et reste une expérience enrichissante qui place la bibliothèque Cujas dans une perspective dynamique et qui a largement contribué à son rayonnement : nous bénéficions d'une véritable reconnaissance du milieu juridique et nous sommes régulièrement sollicités en tant qu'experts.