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Pour une politique documentaire audacieuse et solidaire

1999
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    Pour une politique documentaire audacieuse et solidaire

    Par Jean-Claude Annezer, Directeur du Service communde la documentation universitéToulouse 2-le-Mirail

    Trois certitudes partageables

    La qualité de l'enseignement et de la recherche est aujourd'hui plus étroitement liée aux ressources documentaires disponibles et à la qualité de leur gestion. Et ce n'est pas qu'une affaire de moyens, mais aussi et surtout de volonté politique et de prise de conscience des différents acteurs.

    La politique documentaire doit s'élaborer, se penser, se mettre en oeuvre et s'évaluer par, pour et dans l'université. Elle requiert un consensus fort sur les objectifs et les priorités, et sur les méthodes et les moyens nécessaires à leur réalisation. Ainsi pourra-t-elle devenir un facteur de cohésion de l'université.

    Pour que l'université puisse offrir de bonnes conditions d'accès à la documentation multisupports pour tous, il convient de donner aux lieux une qualité d'accueil et de séjour, une réelle convivialité, de proposer des services qui répondent aux attentes des utilisateurs (conseil, assistance, auto-formation), d'élargir et de moduler les horaires d'ouverture et surtout de développer les collections en libre accès.

    Garder le meilleur et changer le pire

    Pour produire une énonciation politiquement claire et motivante, tournée vers l'avenir de la documentation et des bibliothèques, il convient que l'ensemble de la communauté universitaire se mobilise et fasse montre d'un discernement exigeant et responsable.

    C'est au jour le jour, dans le quotidien de ses tâches d'enseignement, de documentation, d'administration et de recherche qu'elle doit fabriquer une unité de sens, consolider son fonctionnement coopératif et fonder un agir raisonnable dans un environnement en profonde mutation.

    C'est seulement par un travail imaginatif, généreux et nourri d'une solidarité plus vive qu'elle peut élaborer les orientations de son avenir et leur donner une cohérence.

    Dès lors, la fonction documentaire ne peut être pensée et vécue qu'en interactions fructueuses avec la pédagogie et la recherche, la culture et l'environnement socioprofessionnel.

    C'est donc bien la stratégie d'établissement et le souci de la cohésion globale qui s'imposent pour rendre opérationnels les choix stratégiques et engager l'avenir avec confiance et lucidité.

    Mais cette politique a besoin d'un professionnalisme accru et d'un sens aigu du service public. Elle a besoin de faire crédit à la capacité des individus et des équipes à oeuvrer pour le bien commun, tout en prenant lucidement en compte les enjeux de pouvoir et les stratégies personnelles.

    Autour des héritages et des perspectives

    C'est de l'intérieur de l'université que doit venir la volonté de promouvoir et de développer une réelle politique documentaire.

    Une clarification des complémentarités et des remaniements structurels s'avèrent souvent nécessaires pour agir en réseau, même s'il est toujours difficile de se mettre à l'épreuve d'une nouvelle cohérence et d'une autre logique de fonctionnement. Ce qui s'avère prometteur, ce sont les interactions sur le terrain. Il ne s'agit pas tant d'une nouvelle « défense et illustration " de la documentation dans l'université que d'une réflexion commune sur les enjeux.

    Car la documentation se perdrait si elle se repliait sur ses habitudes, ses traditions ou se drapait dans son « honneur bafoué ». Certes, il y a des contraintes organisationnelles et des dysfonctionnements forts à prendre en compte ; les « recettes », si bonnes soient-elles en soi, ne peuvent qu'échouer si on les applique sans discernement. Aller vers davantage de synergie entre les différentes composantes d'un SCD dépend autant de l'évolution des représentations entretenues par l'ensemble des acteurs que du comportement de la direction et de l'encadrement : construire de nouveaux repères ne va pas sans bousculer certaines légitimités, certaines règles tacites de répartition des pouvoirs et, partant, sans difficultés psychologiques.

    Une pensée à l'oeuvre

    Définir des objectifs prioritaires et les moyens nécessaires pour les atteindre, c'est avant tout regarder la réalité en face, prendre une juste mesure des chances et des obstacles, nourrir sa pensée des confrontations et des convictions mûries sur le terrain. Qui dit « politique volontariste dit aussi actions fermes et soutenues. Elle ne peut pas se contenter de mesures ponctuelles, émiettées. Que voudraient dire alors :

    • améliorer le parcours de l'étudiant
    • réorganiser les filières
    • consolider le réseau des bibliothèques
    • maîtriser les nouvelles technologies
    • améliorer la gestion budgétaire et comptable
    • rénover les bâtiments
    • développer une politique concertée d'action sociale et culturelle ?

    Il ne peut y avoir d'efficacité dans l'enseignement et la recherche sans un système documentaire fort, affermi par une politique concertée, seule capable de favoriser son développement. Cela implique que les attitudes et les pratiques des professionnels s'inscrivent dans une logique de coopération et de partenariat au service de la communauté universitaire. Car au-delà et en deçà du système d'organisation administrative, il y a des exigences qu'il faut tenir avec fermeté. Le chemin est aujourd'hui mieux balisé. Mais l'avancée, pour être déjà significative et cohérente, n'en est pas moins soumise à des vacillements, des lenteurs, des doutes et des malentendus.

    La documentation ne peut se développer sans liens profonds avec l'ensemble des activités d'enseignement et de recherche ; elle leur est nouée et il lui faut tisser sans relâche des liens plus nécessaires. Elle n'a donc de réalité, de fiabilité et d'utilité que dans l'incessante interaction et le partage entre toutes les composantes de l'université. Consciencieusement assumée, cette intégration a besoin d'un état d'esprit qui suscite l'initiative et la responsabilité, qui encourage le travail en équipe et la transversalité. Il s'agit bien d'une aventure collective : il faut mobiliser les énergies, les talents, les intelligences, il faut une respiration nouvelle, un rythme nouveau, développer l'aptitude au dialogue (sans complaisance) et l'enthousiasme, clarifier pour tous les orientations. Mais pour que les idées et les convictions professionnelles que l'on défend deviennent un programme d'action, il faut théoriser, argumenter en même temps qu'on expérimente (et réciproquement), garantir la cohérence et le climat coopératif entre les différentes composantes.

    Une dynamique encore et toujours à construire

    Pour fonder l'action commune sur le partage de valeurs et d'obligations liées aux missions de service public, il est nécessaire que chacun, à son niveau de compétence et de responsabilité, joue sa partition de façon satisfaisante et harmonieuse. La dynamique une fois engagée a toujours besoin d'être confortée sous peine d'être travestie, réduite à des compromis ou à des faux-semblants. Il faut autant lui éviter la rigidité de l'esprit de système que la confusion des surenchères et des querelles intestines. Il y va de l'image et de la place du réseau des bibliothèques dans l'université, malgré l'expression claire de son identité et de ses statuts. Les déclarations de principe ou d'intention ne suffisent pas à faire une politique au service des usagers. Si les bibliothèques veulent se donner comme des espaces de développement intellectuel, professionnel, culturel, motivants et adaptés, elles n'ont de réalité concrète pour les étudiants que dans leurs capacités de répondre au mieux à leurs attentes et à leurs besoins.

    Si les bibliothèques se veulent aussi lieux d'accueil et de vie sur le campus, permettant à chacun non seulement d'élaborer ses projets d'étude et de recherche, mais aussi de préparer son insertion socioprofessionnelle, lieux d'ouverture et de générosité intellectuelles, elles ne peuvent l'être durablement qu'en agissant ensemble avec persévérance.

    Il y va de la cohérence et de la pertinence des services rendus. Il faut en effet éviter la dispersion et encourager la mutualisation des moyens. C'est autant une question de sens (de bon sens) que de responsabilité et de comportement. La « performance collective des bibliothèques sur un campus dépend de la complexité des interactions qui influencent la nature même des relations de service (répartition des compétences et des responsabilités) : apprendre à maîtriser les pratiques de coopératives au quotidien, c'est déjà améliorer le développement et l'efficacité des services et permettre une approche plus fine et plus nuancée des publics à servir.

    Cette réalité communautaire de la documentation ne peut exister durablement que si l'équipe de direction l'anime avec rigueur et souplesse : le réalisme gestionnaire n'y suffit pas. Ce qui est en jeu pour que les sensibilités, légitimement diverses, en viennent à s'accorder sur les enjeux et les moyens, n'est-ce pas d'abord la définition d'une philosophie pratique, d'une ligne de conduite, d'une conviction et même d'une éthique professionnelle ?

    Car les synergies ne vont pas de soi. Elles dépendent de la capacité de tous les acteurs de participer à la construction de la dynamique commune : rude apprentissage collectif qu'il faut inscrire dans la durée ! L'esprit de coopération et la confiance qui en découle sont ici des éléments essentiels.

    Apporter des idées neuves

    Si l'amélioration et le confort de fonctionnement des bibliothèques au bénéfice de tous leurs utilisateurs sont aujourd'hui devenus des éléments forts de valeur ajoutée de l'université, les ressources documentaires méritent de constituer un réel matériau stratégique de sa politique d'établissement.

    Il est vrai que vouloir consolider l'organisation documentaire de l'université, c'est d'abord réussir à dépasser le stade des principes et des bonnes intentions autant que des exercices incantatoires de déploration. Il y faut une bonne connaissance des jeux politiques de l'université, jeux d'influences et de pouvoirs.

    Plaider pour un service commun intégrateur, englobant la totalité des activités et des ressources documentaires d'un campus ne va pas de soi, même si cette option a l'avantage de la transparence et de la cohésion.

    Il faut réussir à mettre le débat sur les bons rails pour qu'une telle proposition puisse bénéficier, sinon d'une immédiate prise en compte, du moins d'une certaine considération mêlée de bienveillance.

    Pour la faire partager et l'inscrire dans une ligne d'action, il convient de parler la même langue, tant il est vrai que les professionnels de la documentation et des bibliothèques ont (souvent ? parfois ?) tendance à parler une autre langue que celle de la politique globale de l'université. S'ils veulent être des interlocuteurs compris et des acteurs soutenus, ils doivent penser et parler projet d'établissement. Sous peine d'être renvoyés à la fragilité de leurs initiatives et même de leur crédibilité, ils doivent apprendre à inscrire leurs propositions dans l'action collective de l'université, ses mécanismes institutionnels comme son imaginaire, même si cela ne va pas sans heurts ni conflits d'intérêts.

    La cohésion du projet d'établissement, son ampleur et sa solidarité ne se reconnaissent-elles pas justement aux échanges entre toutes les composantes ?

    Organiser dans chaque université un système documentaire unifié, adapté aux modes de travail des étudiants, des enseignants et des chercheurs, n'est-ce pas aussi participer efficacement au renforcement de l'identité universitaire ?

    Une forte mutualisation des ressources documentaires ne permet-elle pas de mieux maîtriser les coûts et d'en alléger la gestion ?

    Avec l'émergence et l'accroissement rapide de la documentation électronique qui entraînent de nouveaux comportements et de nouvelles pratiques, tant chez les utilisateurs que chez les professionnels, n'est-il pas nécessaire de mettre en place sur les campus, de façon plus concertée, une organisation des modes d'accès et d'accompagnement aux ressources électroniques multimédias ?

    Le déploiement prochain du Système universitaire de documentation (SU), piloté par l'ABES, permettra, sans doute, de renforcer les réseaux inter-campus et les diverses initiatives de mutualisation.

    Il s'agit bien aujourd'hui de penser et d'organiser les bibliothèques et la documentation des universités dans une perspective novatrice : même si nous ne sommes pas encore au niveau des capacités de nos collègues anglo-saxons pour réaliser des plans ambitieux d'accroissement des collections multisupports, nous pouvons raisonnablement compter sur une consolidation significative des politiques documentaires des universités et espérer que cette avancée ait des effets durables.

    Ces politiques doivent s'inscrire dans le processus de contractualisation engagé en 1989 par Lionel Jospin : il laisse plus d'autonomie aux universités mais exige d'elles de plus vives capacités d'organisation et de négociation.

    «Les contrats d'établissement incitent les universités à faire l'effort et l'apprentissage de décisions plus collectives, à se fixer des priorités, à analyser ce qu'elles font... bref, à élaborer au niveau de l'établissement un projet collectif personnalisé ».

    (Christine Musselin,

    État, Université: la fin du modèle centralisé? in Esprit, juillet 1997, p 26)

    « Par cette politique, je fais le choix de l'autonomie contre le carcan, de la responsabilité contre le laisser-aller, de l'initiative contre la norme, de la liberté de créer contre l'uniformité, de la volonté contre l'abandon.

    C'est à mon sens la meilleure façon de conforter le service public -.

    (Claude Allègre,

    22 mai 1998 in BO n° 23,

    4 juin 1998, p. III)

    Regarder plus haut, plus loin, plus large

    Autour de quels axes se joue aujourd'hui notre avenir professionnel dans l'université ?

    Nos métiers évoluent et cette évolution s'accélère : l'utilisation généralisée de l'informatique transforme nos tâches et va jusqu'à bouleverser leur hiérarchisation.

    N'est-ce pas que nous participons, fût-ce à notre insu, à une réelle modification des représentations des savoirs et des cultures ?

    Ces évolutions n'ont-elles pas aussi de fortes répercussions sur l'ensemble du champ de nos convictions et de nos enracinements professionnels ?

    Elles sont exigeantes, certes, mais aussi prometteuses, même si elles nous font d'abord passer par des sortes de ruptures instauratrices : n'avons-nous pas alors l'impression de rester le parent pauvre de l'université ?

    Et pourtant il faut avancer et ce qui dépend de nous, ce n'est pas seulement d'éviter le pire !

    Si l'on convient que les bibliothèques sont le résultat d'un travail collectif, concerté, coordonné, évalué... il s'agit toujours d'abord de gérer l'interdépendance des agents et des services pour en améliorer l'efficacité, de développer l'esprit d'équipe, de faire confiance, de faire évoluer et progresser l'ensemble des services dans le respect et la dignité de chacun.

    Préparer l'avenir, c'est aussi en finir avec les divisions, la gestion hasardeuse, l'absence de transparence. Il ne suffit plus de se contenter de faire de son mieux dans les limites de son statut, de ses compétences. Préparer l'avenir, c'est s'engager dans un processus d'effort continu et nourrir un discours offensif, constructif qui repose sur un professionnalisme renouvelé et des convictions partagées.

    Nous sommes tous concernés pour autant que nous ne nous contentions pas de rester des spectateurs indignés ou impuissants, mais des acteurs et des partenaires éclairés, capables de donner du sens à l'action commune..