Fondée en 1970 sous le titre d'Amicale des directeurs de bibliothèques universitaires, l'association regroupant les directeurs et les chefs de section des BU françaises l'a été dans un contexte politique et administratif qui s'est considérablement transformé depuis cette date. En 1970, les bibliothèques étaient à bien des égards des structures à part dans les universités : directement rattachées aux recteurs, elles n'étaient pas placées sous l'autorité du président d'université et recevaient du ministère non seulement la très grande majorité de leurs moyens, mais aussi toutes les directives et les orientations de leur fonctionnement. La loi d'orientation de 1968, qui marque le début du processus d'autonomie des universités, et le décret de décembre 1970 sur les services de documentation n'ont que peu modifié cette situation. Durant ces années, l'ADBU a représenté un lieu privilégié de rencontre et d'échanges, de débats internes pour les directeurs de bibliothèques, et l'organe d'un dialogue singulier avec l'administration centrale.
Le changement est venu bien plus tard, et a eu d'autres leviers. L'autonomie des universités encore accentuée par la loi de 1984, le décret de 1985 sur les services communs de documentation, mais aussi l'amélioration importante des moyens des BU suite au rapport Miquel, et les débuts de l'arrivée d'une nouvelle génération de directeurs : entre 1984 et 1988, les éléments moteurs d'une évolution forte se mettent en place. Pendant les dix ans qui ont suivi, les BU et l'ADBU elle-même se sont trouvées d'une certaine façon au milieu du gué, tiraillées entre la relation privilégiée avec le ministère et le sentiment d'une nécessaire ouverture vers l'université et ses instances. Deux exemples illustrent cette ambivalence : le succès du colloque de Nice en 1992, première et éclatante manifestation d'une action conjointe ADBU-CPU (Conférence des présidents d'université) où présidents et directeurs ont débattu en ateliers, un jour et demi durant, sur les thèmes de la politique documentaire à l'université ; mais aussi l'absence invariable du premier vice-président de la CPU, pourtant systématiquement invité, au congrès annuel de l'Association, tandis que la Direction des bibliothèques considérait ouvertement ce même congrès comme l'un de ses deux rendez-vous annuels avec les directeurs de BU.
Les nouvelles orientations données à l'ADBU par le conseil d'administration élu en novembre 1994 reposaient sur une analyse simple : les BU ne gagneraient rien à un isolement des universités qui n'avait rien de splendide. Pour certains d'entre nous, au parcours professionnel plus divers, on pouvait faire une analogie avec la lecture publique. En effet, la décentralisation de 1976 a finalement abouti à une progression spectaculaire dans l'ensemble, des BM et des BDP à partir du moment où les collectivités territoriales les ont considérées comme leurs. Il y a certes un risque à ce processus, c'est l'hétérogénéité plus grande des situations et la possibilité de disparités fortes entre les bibliothèques, alors que la tutelle de l'État garantit une relative égalité dans la médiocrité des moyens répartis. Il nous a semblé pourtant qu'il n'y avait stratégiquement pas d'autre choix que celui du rapprochement avec l'université. Un directeur de BU peut faire facilement l'expérience qu'un projet de la bibliothèque aboutit mieux et plus vite quand il est soutenu aussi par d'autres composantes de l'université, ou encore qu'une négociation de moyens avec le ministère donne de bien meilleurs résultats quand on y va accompagné de son président d'université et que c'est ce dernier qui parle... De la même façon, il a semblé au conseil de l'ADBU que les BU ne seraient jamais si bien défendues que lorsque les présidents d'université eux-mêmes s'en feraient les avocats.
Un autre avantage était attendu du rapprochement avec les présidents, en termes de transformation des mentalités et des pratiques dans les universités elles-mêmes. Selon l'ADBU, l'analyse de la situation des bibliothèques universitaires ne pouvait pas se faire seulement sur le plan quantitatif (mètres carrés, taille des collections, amplitude des horaires d'ouverture des services) conduisant ainsi à des discussions sur le seul thème du rattrapage et de l'attribution de moyens. Il nous apparaissait qu'il y avait aussi des raisons plus spécifiques au retard de développement des BU françaises et que ces raisons relevaient pour une part de l'université elle-même : une pédagogie faisant peu la place, dans les premiers cycles, à la recherche personnelle d'informations, la documentation pour la recherche atomisée dans une multitude de centres, une méconnaissance des facteurs récents dans la transformation des services rendus par les bibliothèques tels que l'informatique documentaire ou les réseaux nationaux, enfin un cloisonnement laissant peu d'espace pour la réflexion, la définition et la mise en oeuvre d'une véritable politique documentaire au niveau d'une université. Engager le débat sur ces thèmes avec la CPU était, nous l'espérions, faire en sorte que la prise en compte de toutes les exigences d'un véritable développement documentaire des universités se fasse progressivement chez les présidents et les équipes de direction.
Telles étaient les prémices de notre action. Les personnalités, les circonstances, la chance aussi ont fait le reste. Une première audience auprès de Bernard Dizambourg, alors premier viceprésident de la CPU, a très rapidement permis de situer les thèmes qui feraient l'objet d'un travail en partenariat : une étude sur le taux d'encadrement des BU et les critères d'attribution des moyens en emplois ; une réflexion sur la définition des exigences minimales pour une bibliothèque en termes de collections, de moyens et de service rendu, notamment dans le cas de création d'unités documentaires nouvelles ; un travail spécifique sur la documentation de niveau recherche et l'organisation de bibliothèques de recherche. Enfin, le principe de rencontres CPU-ADBU sur le modèle du colloque de Nice était relancé.
La nomination de Bernard Dizambourg comme directeur de la DISTNB (Direction de l'information scientifique des technologies nouvelles et des bibliothèques) en janvier 1996, loin de freiner le processus, l'a au contraire amplifié. Désormais, de manière systématique, des groupes de travail tripartites CPU-ADBUDISTNB sont constitués sur des thèmes majeurs de l'organisation documentaire de l'université : fonctions et taux d'encadrement, nouvelles technologies de l'information dans l'enseignement supérieur, évolution du mode de répartition des moyens financiers des services de documentation, nouveaux indicateurs pour l'évaluation des BU.
Le lancement des états généraux de l'enseignement supérieur, au début de l'année 1996, a ouvert une période de grande effervescence, un moment privilégié de réflexions et de débats au cours desquels les membres de l'ADBU ont d'abord pu se poser, puis aborder avec les présidents d'université et l'administration centrale, des questions essentielles sur la place, le rôle et l'organisation de la documentation dans les universités. Les débats parfois vifs, la confrontation des visions et des points de vue des universitaires et des conservateurs de bibliothèques ont bien montré où se situaient les principaux points d'achoppement : pour les professionnels de la documentation, l'affirmation d'une priorité au niveau de l'université faisait courir des risques aux actions coopératives nationales et aux projets collectifs, essentiels dans notre métier ; la crainte existait aussi que des arbitrages locaux soient faits en méconnaissant certaines spécificités du fonctionnement des bibliothèques ou des projets professionnels qui exigent de travailler dans la durée. Pour les enseignants-chercheurs, le pilotage national aboutissait à un modèle de fonctionnement désincarné par rapport à leurs besoins et leurs attentes spécifiques. La question était donc de savoir si l'État devait continuer à mener une politique documentaire indifférenciée, en favorisant un modèle de fonctionnement et des axes de développement identiques pour toutes les bibliothèques et en maintenant un système de protection forte (direction ou sous-direction spécifiques, crédits fléchés, créations de postes différenciées), ou bien s'il devrait adapter son action et son soutien en fonction des situations particulières, des politiques et des priorités établies par chaque université dans le cadre de son autonomie. Pour naviguer entre les écueils des solutions extrêmes, deux propositions ont été avancées et reprises avec force lors du colloque CPU-ADBU de mai 1996 : la définition non pas d'un modèle unique, mais d'un petit nombre de modèles d'organisation et de fonctionnement des services documentaires, ce qui devait garantir à la fois l'adaptation aux caractéristiques et aux priorités de l'université, mais aussi le respect des exigences professionnelles ; en second lieu, l'affirmation du rôle du directeur de la BU comme acteur, force de proposition et maître d'oeuvre de la politique documentaire de son université et, pour cela, intégré au sein de l'équipe présidentielle.
Quelque part sur le gué, nous y sommes sans doute encore tant était grande dans certains cas la distance à franchir, tant certaines disparités que l'on pouvait craindre se sont révélées réelles, et tant il est vrai que les changements de mentalités sont les plus longs et les plus difficiles à réaliser. Les temps forts de la vie de l'ADBU que sont les congrès ont manifesté vivement, en 1995 et 1996, des résistances et des désarrois face à des changements pourtant inéluctables, mais générateurs pendant un temps d'inconfort et peut-être de malaise. Dans la nouvelle donne issue de l'autonomie affirmée des universités et du retrait et de l'affaiblissement du rôle de l'administration centrale, chacun peine un peu à trouver ses marques. On peut prendre comme exemple les réflexions et les travaux récents sur la question de l'accès aux ressources électroniques, pour lequel le regroupement des bibliothèques pour négocier des accords est impératif. Dans les autres pays européens, la négociation est conduite par une université recevant délégation des autres, par une coalition de bibliothèques, par une association professionnelle. En France, la tendance naturelle est encore de se tourner vers le Ministère, au moment même où l'évolution de ses missions et de ses moyens ne lui permet plus de mener ce rôle à bien.
Cependant, les progrès dans la prise en compte des besoins des bibliothèques et dans l'intégration de la fonction documentaire à la politique des universités ont été, ces dernières années, importants et rapides. Au plan national tout d'abord, le rapprochement entre l'ADBU et la CPU s'est poursuivi et consolidé, à travers un travail régulier en commissions, à travers aussi des actes plus symboliques tels la présence régulière du premier viceprésident Bernard Saint-Girons aux trois derniers congrès de l'association, ou l'hébergement du siège de l'ADBU à la Maison des universités, boulevard Saint-Michel à Paris.
Dans les universités ellesmêmes, les témoignages d'une évolution positive se multiplient : des projets (et des réalisations) de regroupement et d'intégration des bibliothèques de composantes, de structuration de la documentation recherche, de mise en cohérence des politiques d'acquisition, fortement soutenus par les présidents ; la multiplication des formations à la méthodologie documentaire et l'affirmation d'une nécessaire évolution de la pédagogie faisant plus de place à la recherche personnelle d'information et à l'autoformation des étudiants.
Confrontée au double défi de la mutation rapide de l'environnement politique et institutionnel des BU et des transformations techniques accélérées, la position de l'ADBU a été à la fois stratégique et pragmatique : engager un dialogue institutionnel avec ceux qui étaient désormais nos partenaires essentiels pour favoriser le développement des bibliothèques universitaires. Proposer et mettre en oeuvre un partenariat avec la CPU, c'était s'efforcer de conduire le changement par le haut, en faisant le pari d'une convergence avec la politique que mène, sur le terrain, une majorité de directeurs. Des signes sont encourageants, qui montrent que ce pari a de bonnes chances d'être gagné..