Index des revues

  • Index des revues
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓

    Les bibliothèques universitaires françaises et les NTIC

    Aperçus organisationnels

    Par Anne-Marie Motais de Narbonne, Conservateur général,Directeur du Service commun de la documentation UniversitéParis-XI

    Les NTICont des caractéristiques fortes qui exigent des traitements spécifiques et imposent de nouvelles organisations. L'objectif de rendre un service global exclut la simple juxtaposition d'organisations distinctes selon les types de documents et pousse au contraire à rechercher l'intégration des chaînes documentaires, de documents traditionnels et de documents numériques. Se pose donc la question de l'adaptation des organisations actuelles à ces exigences nouvelles. Nous l'aborderons en trois parties : dans la première, sont exposées les caractéristiques des nouvelles technologies les plus porteuses de changements pour les bibliothèques puis, dans un deuxième temps, la problématique du changement sera examinée dans le contexte français, d'abord au sein des universités puis sur la coopération.

    1. Les caractéristiques des NTIC

    Toutes les fonctions documentaires sont concernées par les NTIC mais on peut noter des effets particuliers sur quatre d'entre elles : les achats et la communication des documents numériques existants, la numérisation ou production de nouveaux documents numériques et enfin la conservation.

    1. Les achats

    Dès l'achat des documents, il faut définir avec précision toute la chaîne de communication. Le prix en dépend. En outre, il ne s'agit pas d'un prix catalogue mais d'un prix négocié. Cette relation forte entre usage et prix ainsi que le caractère contractuel de l'achat constituent le cadre imposé de nos nouvelles pratiques. On retiendra quatre conséquences organisationnelles majeures.

    • 1. L'obligation de définir l'usage des documents dans la procédure d'achat pousse à une implication accrue des usagers dans le choix des acquisitions, la définition des besoins à satisfaire et la quantification de ces besoins.
    • 2. Elle implique aussi une forte participation des informaticiens, dès cette phase et sur toute la chaîne...
    • 3. La possibilité de négocier les prix conduit à des achats groupés entre les unités documentaires d'une université donnée et entre les différentes universités ; elle pousse à un renforcement des politiques documentaires.
    • 4. La pression financière exercée sur les budgets par ces achats supplémentaires nous impose de trouver de nouveaux financements. Ce besoin de ressources, la correspondance qui existe entre utilisation et prix et, enfin, la connaissance détaillée de l'utilisation de chaque document vont favoriser la mise en place de cofinancements et de transfert de charges sur l'utilisateur final.

    1.2 La communication

    Les modalités particulières de communication des documents numériques assignent de nouveaux objectifs à cette fonction.

    En effet, communiquer les documents numériques, c'est leur donner accès mais aussi veiller à leur lisibilité, garantir le respect des clauses contractuelles d'achats, organiser la circulation (navigation) entre les documents et entre les sources.

    Ce n'est pas le propos ici de définir les dispositifs techniques de cette fonction ni d'insister sur l'évidente nécessité d'une forte implication des informaticiens.

    Mais deux points sont à mentionner, chacun dans un registre bien différent.

    Quels que soient les moyens utilisés, le coût de la communication des documents numériques est considérable et il y a probablement des économies d'échelle à réaliser sur cette fonction autant et même davantage que sur les achats. L'autre point est l'importance des normes et formats, avec le rôle indispensable des bibliothécaires dans ce domaine. Dans la mesure où nous devons prendre en compte la diversité et la complexité des documents existants pour en organiser et l'accès et la lisibilité, nous sommes particulièrement bien placés et avons l'obligation d'agir en amont pour réduire ces difficultés. Si nous gardons à l'esprit l'importance des contributions passées des bibliothèques, de leurs organisations coopératives nationales et internationales des travaux de normalisation sur les documents traditionnels, nous devons rester actifs sur l'édition électronique.

    1.3 La publication de documents numériques

    L'édition par les universités elles-mêmes de travaux scientifiques et de documents pédagogiques va aller croissant et les bibliothèques vont développer aussi des programmes de numérisation sur des documents patrimoniaux et des sources documentaires rares dont il faut faciliter l'accès.

    Il s'agit là de nouvelles activités, et plus encore de nouvelles fonctions : choix des documents ou corpus, opérations techniques de numérisation, organisation des bases et logiciels de recherche dans les bases, organisation technique des accès, contrat de licences, dispositions financières.

    Ainsi, cette fonction comprend toutes les activités de la chaîne documentaire classique (achats, traitement et communication) sur les documents publiés par les maisons d'édition, auxquelles s'ajoutent ou plutôt doivent s'intégrer toutes les fonctions réalisées par des maisons d'édition.

    La cohérence des décisions relatives à ces opérations de numérisation est à la fois indispensable et difficile à réaliser. Elle passe par une organisation spécifique à mettre en place au sein des universités et nécessitera aussi des programmes nationaux et internationaux.

    1.4 La conservation

    La mission traditionnelle des bibliothèques chargées d'assurer la conservation et l'accessibilité des fonds sur la durée doit aussi être assurée sur les documents numériques. Les éditeurs ne prennent pas en charge ce service au-delà de la période de rentabilité commerciale des fonds. Par ailleurs, comment les bibliothèques peu-vent-elles s'organiser pour conserver des fonds dont elles n'achètent en fin de compte qu'un droit d'usage ? La complexité des questions, le coût des solutions, la permanence de cette activité : autant de raisons et bien d'autres pour qu'elle soit très organisée. Mais en outre, il est clair que les moyens à mettre en place ne sont pas à la portée d'une seule université et qu'à la tendance des achats groupés doit correspondre des accords pour une conservation partagée. Ces accords sont à construire entre les universités mais probablement aussi entre les pays.

    On voit ainsi que généralisation des NTIC et organisation sont étroitement liées et nécessitent le développement de nombreux partenariats. Nous allons voir maintenant ce qu'il en est dans les bibliothèques universitaires françaises.

    2. La documentation au sein de l'université

    2.1 L'existant ou l'absence de tradition de partenariat

    L'intégration de la réflexion documentaire dans l'enseignement et la recherche universitaire n'est pas une tradition française. Les raisons en sont complexes et tiennent en partie à la façon d'enseigner, au mode de financement des bibliothèques universitaires, longtemps distinct de celui des universités. La coopération technique, notamment avec les services informatiques, n'est pas habituelle non plus et les systèmes de gestion des bibliothèques ont été très longtemps gérés par les bibliothèques elles-mêmes. C'est dans ce contexte globalement défavorable que les nouvelles technologies sont venues poser de nouvelles questions.

    L'examen de la situation actuelle dans les universités illustre bien le poids de cet historique et fait aussi la démonstration de l'importance de l'organisation interne pour la généralisation des NTIC.

    Ainsi, les universités nouvelles sont la vitrine des effets positifs que l'on peut attendre de la mise en synergie des compétences. Ces universités, créées ex nihilo dans les années 1990 pour répondre aux besoins démographiques, ont construit leur développement sur les NTIC. L'esprit pionnier s'ajoutant, le degré de technicité de tous les secteurs y est à la fois élevé, homogène et cohérent.

    Dans ces établissements, les services informatiques sont partie prenante de toutes les activités, la réflexion pédagogique intègre les questions documentaires et il en est de même pour la recherche.

    Dans les universités plus traditionnelles, l'intégration des NTIC est progressive, elle se fait au rythme des transformations organisationnelles et les avancées se construisent effectivement sur la réunion des facteurs déjà cités. On observe enfin que ce sont les bibliothèques les plus isolées qui rencontrent les plus grandes difficultés.

    Si, le panorama de la documentation numérique dans les bibliothèques universitaires françaises demeure contrasté, les changements sont rapides et importants. Ils résultent bien évidemment de la volonté propre des établissements mais, pour rester dans la ligne de ce sujet, trois dispositions organisationnelles ont leur rôle dans cette évolution : la politique contractuelle, les Services communs de la documentation et l'organisation des bibliothèques universitaires en sections.

    2.2 La politique contractuelle

    Initiée en 1990, elle vise à donner aux universités les moyens d'une autonomie.

    Décrivons plutôt le processus. Chaque université définit pour quatre ans ses axes de développement dans tous les domaines et élabore ainsi un projet global appelé Projet d'établissement. Ce projet est la base des négociations avec l'État, dont l'aboutissement est un contrat (entre l'université et l'État) qui fixe, pour les quatre années à venir, les objectifs retenus, leurs modalités de réalisation et de financement.

    Les nouveaux besoins liés aux NTIC notamment la documentation électronique, s'inscrivent bien dans ce dispositif de financement par objectif.

    Bénéficiant aussi de l'intérêt particulier que leur porte l'État, ils sont souvent retenus dans les projets des établissements et dans les contrats.

    Mais un autre apport important de la politique contractuelle tient à l'intensité du travail préparatoire conduit en interne par les établissements pour la définition de leur Projet. C'est là que se nouent les contacts et que se construisent les partenariats.

    Dans ce processus, les projets documentaires sont instruits avec tous les services concernés mais la synthèse est faite par le Service commun de la documentation. Cette structure n'est pas nouvelle, puisque créée en 1985, mais elle a trouvé avec la politique contractuelle une nouvelle dimension.

    2.3 Les services communs de la documentation

    Le service commun de la documentation a pour mission de proposer et de mettre en oeuvre la politique documentaire de l'université. Il a une compétence théorique sur toutes les bibliothèques de l'université mais son bras armé pour les réalisations est la bibliothèque universitaire. Le directeur du service commun est d'ailleurs, réglementairement, le directeur de la bibliothèque universitaire. Il existe aussi un Conseil de la documentation, composé de bibliothécaires, d'étudiants et d'enseignants et présidé par le président de l'université.

    Le travail en conseil est stimulé par les perspectives d'obtenir des financements dans le cadre du contrat et ensuite, même si la dotation a déçu quelques espérances, la réalisation des projets retenus maintient l'intérêt des utilisateurs.

    2.4 L'organisation des bibliothèques en sections spécialisées

    La plupart des bibliothèques universitaires sont organisées en sections spécialisées par discipline, le plus souvent implantées dans des campus distincts. Leur bonne intégration dans les structures d'enseignements et de recherche de la discipline facilite la définition des besoins, tandis que l'usage des documents numériques est attendu pour compenser les inconvénients de la dispersion des fonds.

    3. La coopération

    3.1 La situation actuelle

    Nous avons déjà mentionné l'existence, au sein du ministère, d'une instance spécifique, la Sous-direction des bibliothèques, chargée de définir les priorités nationales de développement et d'affecter les moyens aux bibliothèques universitaires.

    Même si, nous l'avons déjà évoqué, ce dispositif a sans doute sa part dans le retard de nos universités à prendre en charge les questions documentaires, il a cependant favorisé la reconnaissance de la spécificité de la fonction documentaire. On lui doit aussi une tradition de coopération associant toutes les bibliothèques universitaires, l'existence des catalogues collectifs nationaux et du système de prêt entre bibliothèques. Établissement public dédié à la coopération documentaire dans l'enseignement supérieur, l'Agence bibliographique de l'enseignement supérieur (ABES) est située à Montpellier.

    Ce dispositif très centralisé a marqué les relations entre les bibliothèques et la question se pose de l'adéquation de ce modèle coopératif aux besoins de la documentation numérique.

    On examinera les besoins de coopération sur deux axes : la numérisation de documents et l'accès à des documents commerciaux.

    3.2 Les acquisitions

    Les achats groupés de documentation numérique sont déjà des classiques, le plus souvent sous la forme des consortiums importants associant achats et redistribution. En vérité ce modèle, pourtant centralisé, se révèle peu adapté à la situation française pour plusieurs raisons et notamment :

    • l'absence de besoins massifs et homogènes pour les étudiants en raison du faible usage des recherches bibliographiques dans l'enseignement ;
    • la forte hétérogénéité des besoins de la recherche selon les universités ;
    • les difficultés administratives dues à la réglementation.

    En revanche, des réalisations sont en cours avec des approches différentes.

    • Une approche par produit, avec par exemple des organisations d'achats groupés sur le Beilstein ou sur Datastream.
    • Une approche par distributeur, avec des achats groupés de produits OCLC.
    • Des approches disciplinaires pour la médecine, les mathématiques, les sciences et le droit.

    Les organisations qui portent ces entreprises communautaires sont plus ou moins formalisées et on trouve des exemples de coopération sans aucune structure permanente, d'autres fonctionnant avec des associations.

    En termes d'organisation, trois remarques :

    • Il faut souligner le caractère tout à fait nouveau pour les bibliothèques universitaires françaises de cette démarche coopérative, à l'initiative d'établissements qui définissent entre eux les domaines et les méthodes de leur coopération, et qui se différencie radicalement de la coopération administrée déjà évoquée et à laquelle nous sommes habitués. Cette nouveauté n'est pas propre aux bibliothèques : les universités dans leur ensemble et dans tous les domaines vivent cette évolution dans ce nouveau système, les associations professionnelles nationales, si elles n'ont pas nécessairement vocation à être maître d'oeuvre, ont pourtant un rôle considérable à jouer et l'Association des directeurs des bibliothèques universitaires s'y emploie de deux façons : c'est un lieu de mise en commun et de fédération des différentes entreprises coopératives. C'est le lien institutionnel avec la Conférence des présidents d'université qui constitue au plan national le pendant des liens internes à l'université.

    3.3 la numérisation

    Sauf exception, les programmes de numérisation ne sont pas à la dimension d'une seule bibliothèque mais relèvent de programmes cohérents sur le choix des documents à numériser et sur les méthodes. Dans ce contexte où les besoins d'homogénéité technique sont très forts et où la nécessité d'une politique éditoriale concertée s'impose autant, le modèle organisationnel bien éprouvé des catalogues collectifs traditionnels est adapté et on ne s'étonnera pas qu'une prochaine réalisation soit une base du texte intégral des thèses françaises, alimentée par les bibliothèques universitaires, gérée par l'Agence bibliographique de l'enseignement supérieur dans un dispositif global organisé par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

    Conclusion

    L'aventure des NTIC est une chance et une occasion formidable à saisir. Elle est partagée par tous les services de l'université et devrait être une magnifique occasion de dynamiser toutes les entreprises de coopération. Mais les exigences de ces nouvelles techniques sont fortes et j'espère avoir illustré la nécessité pour nos organisations de s'y adapter.

    Pour terminer je voudrais évoquer un autre point. On aura noté que, partant des NTIC sous l'angle organisationnel, nous n'avons fait que peu référence au contenu des documents. Et pourtant, la question « Quels documents pour quels usages ? », la plus fondamentale pour les bibliothèques, se pose de façon nouvelle.

    En effet, si c'est bien une chance que tous les services soient concernés en même temps par ces questions, tous vont traiter des documents numériques et c'est aussi une source de confusion sur les fonctions et missions des acteurs. On en citera deux exemples...

    • L'évolution attendue de l'enseignement pose des lieux et des rôles respectifs de la bibliothèque et de la salle de cours, des fonds de référence, des manuels et des outils pédagogiques, des droits d'usage des documents.
    • Les facilités d'acheter les documents à l'unité, au fur et à mesure de leur « consommation », nous interrogent sur la nécessité de constituer des fonds sélectionnés, cohérents, organisés et nous interrogent aussi sur la mission de la bibliothèque de faciliter à tous l'accès à tous les documents.

    Au-delà donc des questions d'organisation, c'est donc bien sur les fondements mêmes de notre mission que les NTIC nous engagent à revenir.

    Ce texte a fait l'objet d'une communication au Colloque organisé pour le 1502 anniversaire de l'université deFrilmurg (Suisse), le 20 novembre 1998.