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    La bibliothèque du ministère des Affaires étrangères

    Par Anne-Marie Enaux, Conservateur en chef du patrimoine
    Par Isabelle Lefort, Conservateur de bibliothèqye

    Installée dans les imposants bâtiments élevés en 1863 sur le quai d'Orsay pour abriter l'administration désignée du même nom, la bibliothèque du ministère des Affaires étrangères (MAE) est peu connue du grand public et guère mieux des professionnels. Absente du Patrimoine des bibliothèques de France et d'ouvrages analogues, elle est souvent oubliée dans les répertoires ou n'y figure que dans l'ombre des archives diplomatiques conservées dans les mêmes locaux sous la responsabilité d'une direction commune. En dépit de son statut qui en fait une bibliothèque réservée aux agents du MAE, l'opportunité de se faire connaître dans une revue professionnelle est pour elle une grande chance à saisir pour évoquer son histoire, décrire sa composition, son fonctionnement, et poser quelques perspectives d'avenir.

    Une bibliothèque chargée d'histoire

    La bibliothèque du MAE existe depuis 1680, comme le dépôt des archives dont elle a toujours été solidaire, et elle assure depuis cette époque la mission de fournir aux agents de cette administration les ouvrages et sources d'information nécessaires à leurs fonctions. C'est cette continuité même qui fait d'elle aujourd'hui, plus qu'une simple bibliothèque administrative, une très riche bibliothèque spécialisée dans le domaine de la diplomatie et des relations internationales.

    La diversité de ses collections, évaluées à environ 450 000 volumes, trouve son explication dans l'histoire de leur formation.

    De l'Académie politique au palais du quai d'Orsay : histoire des collections

    Le tout premier dépôt des Affaires étrangères, constitué à la fin du XVIIe siècle par le secrétaire d'État qui en avait la charge, Colbert de Croissy, comportait déjà quelques livres imprimés. Quand, en 1710, le même dépôt, devenu plus important, est installé au vieux Louvre, ainsi que Y Académie politique créée pour former de jeunes gens « à l'étude des négociations étrangères et du droit des gens », un choix de livres est rassemblé pour leur instruction. La bibliothèque a suivi le dépôt dans toutes ses pérégrinations : de nouveau à Versailles en 1763, dans le superbe hôtel des Affaires étrangères aménagé par Choiseul (abritant actuellement la bibliothèque municipale de Versailles), puis en 1796 à Paris, dans différents hôtels successivement, avant son installation définitive au quai d'Orsay (1) .

    Il est difficile de connaître l'importance du noyau primitif, mais, pendant son premier siècle d'existence, la bibliothèque ne connut que de modestes accroissements. Quelques rares livres ont exceptionnellement conservé, en témoignage de cette époque, l'ex-libris fleurdelisé Dépôt des Affaires étrangères. Reflet des préoccupations de la politique extérieure de la France au XVIIIe siècle, il convient de souligner la place importante occupée par l'histoire et le droit germaniques par suite d'achats effectués en Allemagne sur l'ordre du roi (ill. 4) et, en 1768, grâce à l'acquisition par le ministre Choiseul de la bibliothèque du publiciste Chrétien Frédéric Pfeffel. Cette collection de 500 livres ayant trait principalement au droit et à l'histoire de l'Allemagne, bien qu'intégrée dans le fonds général, est facilement identifiable aujourd'hui par l'exlibris de son ancien propriétaire (ill. 1).

    En 1792, le premier « bibliothécaire des Relations extérieures » sélectionna parmi les fonds littéraires des séquestres révolutionnaires 3 000 volumes issus principalement des bibliothèques des Condé, des Montmorency et de congrégations religieuses parisiennes.

    Simultanément, se sont constituées très tôt des collections de gazettes et de journaux ainsi que de documents législatifs étrangers acquis grâce à la collaboration active des diplomates en poste, invités à adresser au Département à Paris les publications locales utiles à l'information des différents bureaux.

    La « bibliothèque diplomatique française »

    Décrite dans un rapport daté de 1822 comme une bibliothèque riche de 14 000 "livres politiques, d'histoire et de voyages ", elle en compte le double en 1865. À cette époque est menée une réelle politique d'accroissement, en même temps que sont entrepris les premiers travaux de catalogage. Une commission de réorganisation de la bibliothèque, mise en place en 1890 à la demande du ministre Ribot, redéfinit la mission de la bibliothèque « placée dans le palais du quai d'Orsay, où se suit chaque jour l'oeuvre diplomatique de ceux qui parlent et écrivent au nom de la France il faut développer pour eux la bibliothèque diplomatique française, spécialisée dans des champs plus limités, qui préfigure celle d'aujourd'hui.

    Parmi les acquisitions qui contribuèrent à l'amener à son importance actuelle, on peut retenir plusieurs centaines d'ouvrages de droit de la collection du juriste Foelix, puis les 1 500 volumes légués par Prosper Faugère (1810-1897), ancien directeur des Archives et éditeur des oeuvres de Pascal, ou encore la collection du baron d'Avril, diplomate et écrivain (1822-1904), formée de 1800 livres et brochures principalement consacrés à l'Europe orientale.

    Les collections

    Aujourd'hui, 450 000 volumes environ occupent 7 000 mètres linéaires de rayonnages dans deux magasins installés dans les locaux du quai d'Orsay, et une annexe héberge dans un sous-sol parisien tout proche des collections peu consultées. Outre la diplomatie, illustrée par de nombreux manuels d'initiation à l'art de négocier (ill. 3) et par une abondance de mémoires d'ambassadeurs, les grands domaines couverts sont la législation française et étrangère, le droit international public et privé, droit maritime, droit consulaire, l'histoire, la géographie, les récits de voyages, les langues étrangères (dictionnaires et manuels) (ill. 2). Le centre des archives diplomatiques de Nantes, qui conserve notamment les archives des pays autrefois sous protectorat ou sous mandat français, a recueilli et met à la disposition des chercheurs un certain nombre de périodiques et de publications officielles sur le sujet, distraits des collections trop à l'étroit au Département.

    Ce qui peut être considéré comme fonds patrimonial n'est pas distinct du fonds général, soumis jusqu'en 1950 à un classement géographique. Il comporte une dizaine de milliers de volumes des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. La richesse de la documentation concernant les pays étrangers est particulièrement digne d'être signalée à partir du milieu du xixe siècle. De très nombreuses brochures ont été amassées alors, collectées en partie par les agents diplomatiques et consulaires qui les joignaient à leurs dépêches. La même source a alimenté le fonds des documents. Cette série regroupe ce que le rapport de 1890 appelait les « documents diplomatiques modernes », c'est-à-dire des publications officielles, documents législatifs, documents statistiques relatifs au commerce, aux douanes, à l'agriculture, à l'industrie, collections de documents diplomatiques. Particulièrement riche pour le XIXesiècle, moins régulièrement approvisionnée depuis 1930, cette série, qui concerne non seulement les pays étrangers mais également des organisations internationales et les administrations françaises, présente un intérêt exceptionnel.

    Les fonds spéciaux

    Quelques centaines d'ouvrages ont été regroupés sous une cote « réserve soit pour le caractère précieux d'acquisitions souvent tardives, soit pour leur confidentialité afin d'en contrôler la communication.

    Le fonds Faugère déjà mentionné et quelques collections rapatriées de l'étranger, comme le reliquat de la bibliothèque du protectorat à Rabat, fort intéressant pour le Maroc et tout le Maghreb, ont été maintenus hors du fonds général.

    Des périodiques de tous horizons

    Dès le XVIIIe siècle, le besoin d'informations venant de l'étranger justifia les premiers abonnements aux gazettes et journaux exploités dans les bureaux avant d'être déposés à la bibliothèque. La presse politique européenne représentée sous l'Ancien Régime par les gazettes de langue française est particulièrement illustrée au MAE par une collection presque complète de la Gazette d'Amsterdam (1691-1792). La Gazette de Leyde, le Mercure historique et politique (1682-1730) précèdent honorablement la Revue britannique (1825-1894), le Times (1815-1922), l'Allgemeine Zeitung (1854-1907). En tout, 200 titres français et étrangers pour les collections anciennes, plus de 1 000 numéros isolés, et 490 titres pour le xxe siècle.

    Une bibliothèque au service des diplomates

    Aujourd'hui, la bibliothèque assume l'ensemble des commandes d'ouvrages destinés à la fois à son propre fonds, aux différentes directions politiques, aux 280 ambassades et consulats dont elle approvisionne et gère les fonds documentaires.

    Notre politique d'acquisition est simple : acheter des ouvrages couvrant les domaines de compétence du Ministère (relations internationales, droit, histoire, diplomatie...), approcher l'exhaustivité en ce qui concerne les titres sur la diplomatie, rechercher des publications d'organismes spécialisés sans négliger pour autant la production commerciale courante. Pour cela, en plus des publications professionnelles, les bibliothécaires dépouillent systématiquement tous les périodiques reçus, y compris la presse française et étrangère (soit 140 titres environ), en lisant toutes les recensions d'ouvrages. Les suggestions des diplomates sont également les bienvenues, surtout pour les documents publiés en langue étrangère.

    Ainsi, en 1998, le fonds de la bibliothèque s'est accru de 673 titres achetés et de 1 267 ouvrages reçus par don, venant essentiellement des directions du Ministère : notre politique d'ouverture vers les services permettant de récupérer aussi bien des documents très pointus, proches de la littérature grise, que des ouvrages de propagande parmi les cadeaux des visiteurs étrangers.

    Les livres achetés pour les directions sont surtout des ouvrages de référence (dictionnaires, codes) et des ouvrages plus spécialisés.

    Comment communiquer?

    Avec une petite équipe de neuf personnes dont trois professionnels, la bibliothèque a su profiter de chaque opportunité pour améliorer son image et ses compétences.

    Malgré les dimensions modestes de la salle de consultation, chaque agent peut découvrir les dernières nouveautés éditoriales et la presse quotidienne grâce à une bibliothèque tournante et à deux meubles à journaux. Nous avons ainsi pallié les inconvénients de l'accès indirect aux livres rangés dans deux dépôts situés à un niveau différent. Depuis quelques années, l'ouverture au public pendant l'heure du déjeuner a permis de drainer un nouveau lectorat, notamment les agents des sites autres que celui du quai d'Orsay. Pour fidéliser ce public qui ne reste que deux ou trois ans au Département (2) , des actions à la fois ponctuelles et dans la durée sont régulièrement programmées :

    • Il y a trois ans, un guide du lecteur et des marque-page ont été conçus par nos soins et distribués par l'équipe de la bibliothèque aux entrées principales du Ministère à l'occasion du Temps des livres. La réaction de toutes les personnes a été très positive : beaucoup ont appris à cette occasion l'existence de la bibliothèque et ce qu'elle pouvait apporter.
    • L'année suivante, une animation « portes ouvertes sur le fonds ancien » a permis aux agents de visiter les magasins et de s'étonner, le temps d'une visite, de la richesse du fonds.
    • Aujourd'hui, en collaboration avec nos collègues de la direction des archives, chaque nouveau diplomate est accueilli à la bibliothèque lors de son stage d'insertion (3) .

    Ce sont maintenant plus de 22 % des agents qui empruntent des documents, dont 83 % de catégorie A. Quarante personnes franchissent en moyenne la porte de la salle de consultation chaque jour.

    Les services rendus

    e Internet et cédéroms

    Une station Internet est en libre accès dans la salle de consultation. Pour aider les agents, un nombre important de signets classés thématiquement facilite la recherche de l'information. Les bibliothécaires proposent également des formations à la carte.

    Pour éviter des pertes de temps inutiles aux diplomates, le Cédérom Universalis a été installé en réseau sur l'ensemble des sites du Ministère ; à court terme, il devrait en être de même pour le Journal officiel.

    e Le bulletin hebdomadaire des nouveaux titres via la messagerie

    Tous les agents reçoivent le vendredi la liste des documents acquis, catalogués pendant la semaine, y compris les articles de revue. Chacun peut réserver et emprunter ces documents. Ce bulletin électronique est déjà accessible par de nombreux postes diplomatiques à l'étranger.

    Le bulletin mensuel des nouvelles acquisitions

    La bibliothèque continue à diffuser une édition papier mensuelle pour tous les agents qui ne reçoivent pas la messagerie ou qui travaillent dans les postes non connectés à notre réseau local. e Les services personnalisés

    Pour aider les diplomates dans leur recherche d'information, il a fallu cibler le type de documents susceptibles de les intéresser ponctuellement, d'où :

    • la constitution de bibliographies à la carte ;
    • la numérisation de sommaires de revues : numérisés en format PDF, ils sont envoyés directement par la messagerie aux agents concernés ;
    • l'annonce d'ouvrage commandé : dès sa livraison, la bibliothécaire peut prévenir un diplomate de l'arrivée d'un ouvrage couvrant son domaine.

    L'informatisation

    1999 devrait marquer le début de l'informatisation avec un logiciel de gestion de bibliothèque. En quatre ans, les nouvelles technologies de l'information et de la communication ont bouleversé l'organisation du travail : la machine à écrire manuelle a été remplacée par des applications sous un logiciel de bases de données (catalogage, bulletinage, gestion des stocks, gestion des bibliothèques d'ambassade pour le côté gestion ; bases de données sur les ouvrages de référence, les périodiques, les diplomates écrivains, les livres les plus précieux pour le côté bibliographique). Les fiches anciennes numérisées vont bientôt remplacer le vieux fichier papier inaccessible aux chercheurs. Il faudra songer aussi à la numérisation des documents officiels de la fin du XIXesiècle pour certains pays, si précieux par leur contenu

    Reste maintenant le plus gros chantier : informatiser la totalité du fonds, faire participer les centres de documentation de certaines directions politiques, les bibliothèques des centres des archives diplomatiques de Nantes et de Colmar, et réaliser, en collaboration avec tous les acteurs produisant ou recensant de l'information au ministère des Affaires étrangères, une base de données unique où chaque agent pourra rechercher à partir de son bureau toute l'information nécessaire à son travail.

    Ces projets ne devraient pas être utopiques. Mais pourrait-on rêver également que le bel outil ainsi mis en place ne demeure pas limité à un usage interne ?

    Vers une bibliothèque ouverte au public

    Faire la promotion d'une bibliothèque sans en ouvrir les portes peut sembler paradoxal. Certains chercheurs privilégiés bénéficient déjà d'un accès justifié par la qualité de leurs travaux. Reste un plus grand pas à franchir vers une ouverture totale. Pour atteindre cet objectif, il faudrait que la direction des archives soit enfin dotée d'un dépôt adapté à la conservation et à la communication de ses fonds d'archives diplomatiques prestigieux, auprès desquels les collections de la bibliothèque antérieures à 1950 trouveraient la place qui leur convient..

    1. Voir Les Archives du Ministère des Affaires étrangères depuis les origines. Histoire et guide. Paris, Imprimerie nationale, 1985,2 vol. retour au texte

    2. C'est le principe de la double vocation pour tous les agents du Ministère : travailler au Département et en poste à l'étranger. retour au texte

    3. Tout nouvel agent bénéficie d'une formation sur l'organisation du MAE dès sa nomination à un premier poste. retour au texte