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    Intervention de Claude Jolly

    L'économie des bibliothèques universitaires

    Permanences et mutations

    Par Claude Jolly, Sous-directeur des bibliothèques etde la documentation

    Pour répondre à l'invitation qui m'a été adressée, je m'attacherai tout d'abord à mettre en perspective l'économie des bibliothèques en me plaçant du point de vue de l'institution puis du point de vue de l'usager. Dans un second temps, je me pencherai sur les mutations en cours et sur les réponses, encore approximatives, qui y sont apportées par les établissements.

    Avant d'entrer dans le vif dusujet, je ferai toutefois une remar-que importante, qui exprime d'em-blée les limites de mes propos.Pour traiter véritablement de l'éco-nomie des bibliothèques, il faudrait partir de la valeur de celles-ci et être capable de l'estimer. Pour des raisons aisément compréhensibles, je ne me risquerai pas à chiffrer la valeur du patrimoine immobilier des bibliothèques universitaires (850 000 m2) ni celle des collections qui se déploient sur environ 1 250 km de rayonnages. Je chiffrerai encore moins la valeur ajoutée immatérielle que représentent la cohérence des fonds (qui, précisément, différencie une collection organisée de documents d'un stock), les catalogues, l'indexation, les savoirs et savoir-faire accumulés du personnel, etc. Dans ces conditions, l'analyse économique à laquelle je me livrerai, fondée pour l'essentiel sur l'analyse des recettes et des dépenses de fonctionnement, sera délibérément partielle.

    L'approche économique

    Du point de vue de l'institution

    Des dernières statistiques connues, issues de l'exercice 1997 (1) , il ressort que le budget annuel des bibliothèques universitaires (2) représente 1 566,1 MF, dont 837,8 MF en coût de personnel d'État et 728,3 MF en crédits de fonctionnement. Pour un effectif étudiant légèrement inférieur aujourd'hui à 1,5 million, cela représente une dépense moyenne d'un peu plus de 1 000 F par étudiant.

    Il est intéressant d'examiner l'origine des recettes. Ainsi qu'il apparaît dans le tableau ci-après, la part de l'État, et en particulier du ministère chargé de l'Enseignement supérieur, est déterminante :

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    Fonctionnement : origine des recettes (en MF)

    En 1997, les dépenses d'acquisition de documents (ouvrages, périodiques, ressources électroniques, etc.) ont représenté 378 MF, soit 52 % du budget de fonctionnement hors personnel d'État. Ce pourcentage, qui peut paraître faible, s'explique par le fait que de nombreuses universités font supporter par leur SCD des dépenses d'infrastructure (fluides, nettoyage, entretien des locaux, etc.) qui ne devraient pas, en principe, être à la charge de celui-ci. Ces 378 MF se répartissent comme suit :

    • ouvrages français : 100 MF
    • ouvrages étrangers : 45 MF
    • périodiques français : 46 MF
    • périodiques étrangers : 129 MF
    • autres ressources : 58 MF

    Une enquête récente portant sur l'exercice 1998 a permis d'évaluer le poids des acquisitions de ressources électroniques (cédéroms, abonnements à des ressources en ligne) à 30 MF. La part consacrée à ces ressources connaît toutefois une augmentation rapide. On peut observer par ailleurs que les moyens consacrés à la documentation étrangère - et donc à la documentation recherche - représentent plus de la moitié des achats.

    Si l'on veut bien se souvenir que les SCD et les SICD (les BU et les BIU) financent 60 % des acquisitions documentaires des universités, on peut évaluer à 630 MF en 1997 le montant global des acquisitions universitaires (bibliothèques d'UFR, d'instituts et de laboratoires incluses). Quand on sait par ailleurs que le chiffre d'affaires 1997 de l'édition scientifique d'ouvrages français (STM, droit-sciences économiques, SHS) s'est élevé à 2,3 milliards de francs, on voit ce que « pèse » le pouvoir d'achat des universités françaises dans ce domaine :

    • les BU acquièrent l'équivalent de 4,35 % du CA de l'édition scientifique d'ouvrages français ;
    • au-delà des seules BU, l'Université française en acquiert l'équivalent de 7,2 %.

    Du point de vue de l'usager

    Compte tenu de ce qui précède, il est aisé de déterminer qui paie les services, c'est-à-dire d'évaluer la part prise en charge par le contribuable (souvent qualifiée, à tort, de « gratuite ») et celle prise en charge par l'usager (généralement qualifiée de « payante »).

    La situation se déduit clairement de l'analyse des recettes. L'impôt finance l'essentiel des charges (tableau ci-dessous).

    Il en ressort que l'essentiel des services sont perçus comme « gratuits avec toutefois une participation « forfaitaire des étudiants. Il s'agit de l'ensemble des services de base et/ou traditionnels : accès à la bibliothèque, consultation des catalogues, consultation des ouvrages, prêt à domicile. Quant à la participation « forfaitaire des étudiants, sous forme de «droits de bibliothèque ", elle représente actuellement 134 F par an et par étudiant. Chaque étudiant fréquentant en moyenne quarante fois la (les) bibliothèque (s) universitaire (s) dans l'année, on peut considérer qu'il acquitte en moyenne un droit « théorique » de 3,20 F par entrée. Ce chiffre représente environ 10 % du coût moyen de l'accès en BU (1,56 milliard de francs de fonctionnement rapporté à 50 millions d'entrées annuelles, soit 31 F par accès).

    À côté de la grande majorité des services pris en charge par la collectivité publique, on a vu se développer des services à la charge des usagers. Il s'agit des services nouveaux et/ou à forte valeur ajoutée : prêt entre bibliothèques et fourniture à distance de documents, fourniture de substituts (photocopies, photographies, microformes, etc.), accès à des ressources coûteuses et intéressant un petit nombre de lecteurs. En règle générale, chaque établissement s'attache à fixer un régime tarifaire différencié en fonction des catégories d'usagers. On n'appliquera pas les mêmes tarifs aux membres de la communauté universitaire et assimilés (étudiants, enseignants-chercheurs, membres des organismes de recherche), aux particuliers extérieurs à cette communauté ou encore aux entreprises.

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    Financement

    Une nouvelle donne ?

    Les mutations en cours

    La société de l'information est aujourd'hui confrontée à une mutation à deux faces :

    • une mutation technologique n'ayant manifestement pas atteint un palier qui autoriserait une certaine stabilité ;
    • une économie de la production/diffusion des ressources n'ayant pas non plus trouvé ses points d'équilibre.

    Cette situation, qui n'est pas sans rappeler mutatis mutandis les bouleversements qui ont accompagné le passage du manuscrit à l'imprimé et qui ont duré, nous le savons, quatre-vingts ans (14501530), se traduit par plusieurs phénomènes :

    • 1. Une part grandissante et en accélération rapide depuis deux ou trois ans de la documentation électronique dans la production scientifique et dans les acquisitions des BU. Après avoir investi le champ du bibliographique, l'électronique s'attaque désormais à celui des revues savantes et du patrimoine textuel. Il n'est pas nécessaire d'être un expert en prospective pour prévoir que la part des acquisitions électroniques, qui représente aujourd'hui 10 % en valeur, passera à court terme à 15 et 20 %.
    • 2. Un net enchérissement des coûts, alors même que nous ne sommes plus dans un contexte inflationniste. On sait que les périodiques, et notamment les périodiques étrangers, même sur support papier, ont fortement augmenté depuis 1995, le coût des abonnements s'accroissant de 10 % et souvent davantage chaque année. Il semble bien que les incertitudes d'un modèle économique encore à la recherche de ses bases soient à l'origine de ce phénomène de provision par précaution. À cela s'ajoutent les surcoûts de la documentation électronique qui, chacun en convient, s'additionne plus qu'elle ne se substitue à la documentation traditionnelle. Enfin, nous sommes clairement entrés dans une période d'instabilité tarifaire qui tient à deux causes :
      • la multiplicité des clés de calcul qui président désormais à la détermination du prix de vente (nombre de postes, nombre d'usagers, etc.) ;
      • le caractère négociable des tarifs. Il y a, de ce point de vue, quelque paradoxe à voir ainsi coexister une technologie à la pointe de la modernité et des pratiques commerciales archaïques qui rappellent parfois les bazars orientaux.

    On sait ce qu'il est résulté de tout cela : un certain nombre de désabonnements en France (ce qui s'était déjà vu et qui a obligé l'État à accroître sensiblement les crédits des bibliothèques CADIST) mais aussi aux États-Unis, ainsi que le rappelle un récent article de Robert Damton (ce qui était moins courant).

    • 3. Un poids nouveau et sans cesse plus important du droit. Après avoir dû acquérir une compétence informatique (sans devenir pour autant informaticiens), les bibliothécaires doivent posséder désormais une compétence juridique (sans devenir pour autant juristes). Cette nouvelle exigence transparaît dans les relations qui se nouent entre les clients (bibliothèques) et les fournisseurs (éditeurs, diffuseurs, distributeurs), eu égard à la complexité des contrats. Elle se manifeste également à travers l'émergence de nouveaux droits au sens juridique qui peuvent déboucher sur de nouveaux droits au sens financier. Il est inutile de rappeler ici les questions relatives au droit de copie (qui viennent de se traduire par un accord-cadre entre la Conférence des présidents d'université et le CFC), au droit de prêt ou au droit de la numérisation. À l'évidence, le juridique est ici fortement imbriqué dans l'économique et participe de la recherche des nouveaux points d'équilibre évoqués plus haut.

    Des réponses en devenir

    Il appartient aux bibliothèques et aux établissements dont elles relèvent d'apporter les réponses adaptées aux changements qui se font jour. On observe que celles-ci émergent progressivement à la fois au sein des établissements et entre les établissements eux-mêmes.

    • 1. Au sein des établissements, trois phénomènes semblent se dessiner :
      • * Tout d'abord, la nécessaire mutualisation des ressources au sein de l'université, « ressources » étant pris ici autant au sens financier qu'au sens documentaire du terme. Il est clair que le cumul de renchérissement des coûts, de l'addition de la documentation électronique à la documentation traditionnelle et des possibilités ouvertes par la dématérialisation de l'information (qui peut rendre caduque l'acquisition en plusieurs exemplaires d'un même périodique dans un même établissement) ne peut qu'inciter à l'élaboration - enfin ! - d'une véritable politique documentaire d'université. Cette prise de conscience est d'autant plus nécessaire que le budget de l'État, dont on a vu l'importance dans les recettes des BU, ne saurait à l'évidence progresser à un rythme suffisant pour accompagner à lui seul la croissance actuelle des dépenses.
      • * On remarque en outre que la politique tarifaire est de plus en plus différenciée, en fonction de multiples critères tels que la valeur ajoutée des nouveaux services, les sources de financement (3) , le nombre et la nature des usagers potentiels ou les contraintes des contrats passés avec les fournisseurs.
      • * On s'achemine enfin vers un développement des ressources propres. Non que les bibliothèques, services par définition « dépensiers » suivant le vocabulaire du ministère chargé du Budget, doivent avoir désormais le profit pour nouvel horizon. En revanche, le renouvellement de la problématique contribuable/usager, une ouverture de plus en plus large des services sur l'extérieur, ainsi que les possibilités de valorisation des collections offertes par les nouvelles technologies constituent autant de facteurs propres à augmenter la part - encore très modeste, nous l'avons vu - des financements endogènes.
    • 2. Entre les établissements, d'autres formes de mutualisation sont en train d'émerger :
      • * Un travail en commun de veille scientifique et technologique, en premier lieu. En effet, la variété des offres des producteurs de ressources électroniques, tant au plan commercial qu'aux plans des contenus et des services, appelle de lourdes charges d'analyse et d'évaluation. La diversité des compétences requises couplée à l'ampleur de la tâche conduit les établissements à s'engager dans un processus collectif. C'est la raison pour laquelle la Sous-direction des bibliothèques et de la documentation, en association avec l'ADBU, la CPU et l'INIST, met en oeuvre un dispositif de veille organisé autour de groupes d'experts et coordonné par un comité de pilotage. À ce jour, trois groupes se mettent en place : sciences de la santé ; sciences exactes et appliquées ; sciences juridiques, économiques et de gestion.
      • * Parallèlement, on peut observer l'apparition de groupements de bibliothèques ou consortia, qui se constituent pour faciliter la négociation des droits d'accès et favoriser la mise au point de solutions techniques. Ces groupements, fondés généralement sur des bases géographiques ou disciplinaires, s'organisent autour d'un chef de file ou fonctionnent en collectif. Pour ce qui la concerne, la Sousdirection des bibliothèques et de la documentation s'est attachée à encourager ces initiatives et à les soutenir financièrement. Les premières réalisations de ce type semblent prometteuses, et tout indique qu'elle se développeront.

    En définitive, si les bouleversements en cours sont parfois porteurs d'interrogations ou d'inquiétudes, ils jouent aussi - de façon originale et inattendue - un rôle positif, en ce qu'ils conduisent les établissements à renouveler leur approche de la fonction documentaire et à l'envisager de façon globale : ce n'est rien d'autre que la définition d'une politique.

    1. Les statistiques 1997 sont bientôt publiées à la Documentation française sous le titre, Annuaire des bibliothèques universitaires 1997. Les données 1998 sont en cours de traitement. retour au texte

    2. Par « bibliothèques universitaires », on entend ici les services communs de documentation des universités et les services interuniversitaires de coopération documentaire (les bibliothèques interuniversitaires), avec toutes les bibliothèques qui y sont intégrées. En revanche, les bibliothèques qui y sont seulement associées ne sont pas prises en compte. retour au texte

    3. On n'appliquera pas nécessairement le même tarif à un chercheur appartenant à un laboratoire qui contribue au financement d'une licence d'accès et à un autre usager. retour au texte