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    Droit de prêt

    Documents techniques remis à la DLL


    Suite à la remise du rapport Borzeix ou ministre de la Culture et de la Communication, suite à une table ronde réunie au ministère avec les différents « acteurs de la chaîne du livre », la Direction du livre et de la lecture a souhaité travailler sur des hypothèses techniques concernant la perception et la répartition d'un éventuel droit de prêt en France dons les bibliothèques.

    Des documents de proposition et des hypothèses nous ont été soumis, auxquels nous avons apporté les réponses qui vont suivre.

    Réactions et propositions de I'ABF

    Tout d'abord, remarquons que nous sommes appelés à donner des avis techniques sur un sujet qui relève éminemment de la politique culturelle et éducative.

    Toutes les simulations chiffrées qui pourront être faites devront tenir compte de présupposés qu'il nous paraît important de rappeler ici, en préambule.

    Le handicap d'accès à la culture, au livre, à l'achat ou à la fréquentation des bibliothèques n'est pas seulement financier : toutes les études le démontrent. Mais il est clair que ces handicaps, de nature familiale, socioculturelle ou socio-économique, sont renforcés par des handicaps financiers. Ainsi, il est évident que l'absence de bibliothèque dans une ville n'induit pas immédiatement, et mécaniquement, un fort développement des librairies et un taux d'achat de livres notablement élevé. Cela se saurait !

    Ce sont évidemment les enfants qui pâtissent le plus des difficultés d'accès à une bibliothèque, car ils n'ont généralement pas d'autonomie financière.

    C'est tellement vrai que le Ministère lui-même, et nombre de collectivités locales, mettent en place des programmes de gratuité temporaire ou de réduction des entrées : Louvre un dimanche par mois, journées du Patrimoine, journées Printemps des musées (entrée gratuite), cinéma à tarif réduit (Paris : 18 h/18 F, Fête du cinéma), concerts « payez une place, allez à deux », théâtre...

    Toutes ces journées ont un immense succès ! Cela nous conforte dans la conviction que toute augmentation des tarifications pour les bibliothèques (même pour le droit des auteurs) sera pour nombre de personnes un frein à leur inscription et à leur fréquentation du livre.

    De même, il nous est difficile d'entendre que les bibliothèques enlèveraient des lecteurs aux auteurs, et des ventes aux éditeurs et aux libraires. Combien de librairies peuvent sérieusement dire qu'elles ont fermé à cause de la bibliothèque ? Quand de nombreuses librairies parisiennes ont dû fermer ou sont en grande difficulté, est-ce parce les bibliothèques municipales parisiennes sont très développées ? Certainement pas. Paris dépense moins que la moyenne nationale pour ses achats de livres en bibliothèque. Presque tous les arrondissements parisiens sont au-dessous des normes fixées par la DLL pour l'éligibilité au Concours particulier. Ne parlons pas des bibliothèques des universités de Paris-Centre, dont tous les rapports dénoncent le sous-développement dramatique.

    Pour toutes ces raisons, nous sommes convaincus que toute augmentation de tarifs, toute imposition de taxe nouvelle sur la lecture limitera l'accès aux bibliothèques sans augmenter réellement la vente de livres en librairie.

    Hypothèse de travail n° 1

    1. Principe du forfait

    Il est clair que, juridiquement, le principe du forfait (totalement déconnecté des décomptes réels ou statistiques sur les prêts) n'a plus rien à voir avec le droit exclusif de l'auteur. Il s'agit donc, d'une part, de déroger totalement au droit d'auteur tel que défendu par la loi de 1957 (et régulièrement par les auteurs eux-mêmes) et, d'autre part, très clairement d'une taxe additionnelle sur la lecture en bibliothèque publique.

    Comme telle, elle suppose l'existence d'une loi spécifique et de décrets d'application. C'est une solution lourde, et qui entraînerait une brèche dans le principe du droit d'auteur et de la loi de 1957. Et cette brèche pourrait en ouvrir d'autres, en particulier sur les documents numériques et les auteurs français à l'étranger.

    Les hypothèses de perception émises par la DLL (Borzeix) doivent évidemment être révisées à la baisse, car toute augmentation de coût à l'inscription est suivie immédiatement (et pour longtemps) d'une chute des inscrits (voir les chiffres de certaines bibliothèques, qui ont profité de leur modernisation pour augmenter leurs tarifs).

    En effet, toute modification tarifaire à l'entrée d'une bibliothèque suscite hostilité et mécontentement : expliquer que cela aidera les auteurs et les éditeurs ne changera rien.

    La carte individuelle cédera de fait la place à la carte familiale : une inscription par famille.

    Perte de lecteurs et de lectorat attendue : moins 30 %, et évidemment conséquences catastrophiques dans les quartiers à population défavorisée, où les efforts faits par les villes (y compris sur des tarifs adaptés) seront réduits à néant.

    L'ABF NE PEUT ACCEPTER UNE TELLE PROPOSITION

    2. Modalités de taxation

    Pour les ayants droit, c'est la loi de 1957 qui ouvrirait la porte à des négociations titre par titre ! Disons-le, c'est la seule hypothèse s'inscrivant rigoureusement dans le cadre de la loi de 1957.

    Mais... 40000 titres par an multiplié par 3 500 bibliothèques. On peut rêver ! On peut aussi imaginer de créer des consortiums ! La difficulté de mise en place conduirait probablement à une annulation de fait de cette mesure. Et pourtant c'est la plus conforme à la législation actuelle.

    Taux fixé par l'État ou par une commission ? On imagine la lourdeur, toujours pour 40 000 titres par an, plus les dizaines de milliers de titres protégés par le droit d'auteur (globalement tout le xxe siècle).

    L'ABF POURRAIT ENVISAGER UNE TELLE APPLICATION, CONFORME À LA LOI, QUI LAISSERAIT LA LIBERTÉ PLEINE ET ENTIÈRE AUX AUTEURS DE GÉRER LEURS DROITS MORAUX ET PATRIMONIAUX

    3. Paiement par les usagers inscrits

    e Par l'usager à l'inscription

    Inacceptable (voir 1) : ce serait voir les efforts de développement de la lecture publique annulés, la prime à l'achat et au prêt d'ouvrages best-sellers au détriment de la littérature sortant de l'ordinaire ou de rotation lente. Ce serait aussi favoriser les plus favorisés, ceux qui peuvent payer, ou ceux qui ont déjà une pratique culturelle variée et qui enchaînent naturellement emprunts en bibliothèque, achats en librairie... On peut néanmoins penser que même ceux-ci, payant plus en bibliothèque, diminueraient leurs achats (l'observation régulièrement faite du « panier moyen ») !

    En revanche, il est clair que les moins favorisés économiseraient sur l'inscription, ou sur des inscriptions multiples, arbitreraient en faveur des enfants (par exemple), se privant eux-mêmes des avantages d'une lecture libre et gratuite.

    L'argument de dire que les usagers distingueraient bien la différence entre payer pour les auteurs et contribuer éventuellement à la collectivité gestionnaire ne nous semble pas « tenir ». Comment expliquer les arcanes de la loi de 1957, et ses complexités, à l'inscription ? Compliquer les formalités dès l'entrée, est-ce le meilleur moyen d'expliquer que la bibliothèque est ouverte à tous?

    Et comment les élus feront-ils « passer » cette augmentation auprès de leurs administrés, alors que, dans toutes les collectivités (y compris l'État), la consigne est actuellement « baisse des impôts locaux, modération des tarifs... ? » Quid de leurs efforts pour les quartiers en difficulté, en ZEP, en contrat d'agglomération... ?

    e Par les collectivités

    C'est donc une taxe sur le développement de la lecture : plus une collectivité territoriale a fait d'efforts pour développer la lecture dans tous les quartiers, plus elle est taxée. On imagine, dans la conjoncture économique locale actuelle, l'enthousiasme à ouvrir une BMVR ! Ou à embaucher des médiateurs du livre, toutes opérations soutenues par le MCC !

    Ce serait une première législative de voir que plus une collectivité territoriale soutient les efforts de l'État (le développement de la lecture publique, la démocratisation de la culture est une des missions fondamentales du MCC), plus elle est taxée au prorata de ses résultats !

    Mais surtout, une fois de plus, les collectivités se verraient transférer des charges supplémentaires, et les plus « pauvres » (celles aussi parfois dont la population a le plus de difficultés socio-économiques) devraient payer le plus ! Car, si substitution il y a, ce sera en faveur de populations en difficulté, malheureusement inégalement réparties, et surtout dans des communes elles-mêmes en difficulté (chômage dépassant la moyenne, etc.).

    Ainsi, une telle taxe n'aurait qu'un effet : augmenter l'inégalité culturelle sur le territoire, et augmenter de fait les handicaps d'accès à la lecture !

    APRÈS DES ANNÉES D'EFFORTS POUR DÉVELOPPER UN RÉSEAU DE BIBLIOTHÈQUES PUBLIQUES EN FRANCE, L'ABF NE PEUT ACCEPTER UNE TELLE PROPOSITION

    L'INSCRIPTION AU BUDGET DE L'ETAT

    On peut à tout le moins s'étonner de lire que, si une telle dépense était inscrite au budget de l'État, le risque de l'annualité budgétaire pourrait le mettre en danger. Argument qui ne manque pas de nous surprendre, sachant que tous les pays d'Europe (ou presque) qui ont mis en oeuvre telle mesure le font sur le budget national (Grande-Bretagne, Danemark, Suède...) ou même fédéral (Allemagne). Cette solution est la seule réaliste pour des raisons de complexité de mise en oeuvre, mais aussila seule qui imprime la marque d'un véritable service public et de missions nationales qui lui sont confiées.

    1. Le Fonds national du livre

    Une augmentation de la dotation FNL ou CNL peut être envisagée, pourquoi pas ? Des gisements existent peut-être.

    Mais nous remarquons aussi, comme administrateurs du CNL, que chaque année, régulièrement, le CNL a des crédits inutilisés qu'il reporte sur l'un ou l'autre aspect de son intervention. Tout le monde le dit, il faut, après vingt ans de fonctionnement, mettre à plat les dotations du CNL aux interventions à la création, à l'édition, à la diffusion.

    Cette mise à plat du fonctionnement, cette adaptation à l'économie du livre aujourd'hui de l'aide du CNL sont incontournables. Cela aurait le double avantage de :

    • répondre à l'attente de tous les administrateurs du CNL, qui la réclament régulièrement ;
    • permettre d'aider les auteurs notablement par des mécanismes simples, directs, évitant l'usine à gaz, et nous préserverait de relations de proportionnalité avec les prêts.

    Au moins, les choses seraient claires : il y a certes nécessité d'aider les auteurs, et cette aide est au coeur des missions du CNL. On éviterait ainsi les acrobaties entre le pseudo-droit de prêt (puisque l'on est dans un système dérogatoire) et l'aide « sociale » aux auteurs en difficulté.

    L'ABF RETIENT CETTE PROPOSITION

    2. Redevance sur la vente de livres

    Dans la situation actuelle des crédits des collectivités locales ou nationales, il est peu envisageable que les dotations aux achats de documents soient notablement augmentées (les statistiques BM, BDP, BU démontrent une tendance inverse).

    Ce serait donc, de fait, une réduction du nombre de documents achetés et mis à la disposition des lecteurs dans les bibliothèques. Ce serait également une modification de la loi Lang sur le prix du livre, avec tous les risques qui s'attachent à toucher à une loi dérogatoire au droit commun de la libre circulation des biens en Europe...

    Quels types d'ouvrages seraient les plus concernés ? À l'évidence, ceux qui constituent les fonds de bibliothèque, les « petits éditeurs les livres les moins demandés. Perte de substance et de variété pour les collections, perte de ventes pour les librairies et éditeurs, prime aux best-sellers, aux ouvrages de rotation rapide, fortement réclamés par le public.

    L'hypothèse proposée, complexe à mettre en oeuvre - introduction de la redevance adaptée selon l'importance des CA des prestataires- ne manquerait pas d'avoir un effet très négatif : pour avoir plus de titres ou d'exemplaires de livres, responsables de bibliothèque et directions des finances auraient de plus en plus tendance à aller vers les grossistes, dont la remise (25 à 28 °/o) serait d'autant plus intéressante qu'elle compenserait la perte d'acquisitions (en nombre, en variété) induite par la hausse du prix moyen du livre pour la bibliothèque.

    Les résultats risquent d'être pires que la situation actuelle :

    • moins de livres dans les bibliothèques ;
    • moins de titres et moins de livres de petits éditeurs ;
    • compensation par des achats aux grossistes ;
    • perte pour les librairies de proximité.

    Qui gagnerait ? Ni les auteurs, ni les éditeurs, encore moins les libraires.

    L'ABF NE PEUT RETENIR CETTE PROPOSITION

    Hypothèse n° 2 Le prêt payé à l'achat du document

    Quelles que soient les modalités explicitées plus bas, une telle disposition :

    • serait une modification de la loi Lang, déjà évoquée ;
    • entraînerait une baisse proportionnelle des acquisitions à titre onéreux dans les bibliothèques.

    1. Prix incorporant le droit de prêt à l'achat

    On peut en attendre les mêmes effets finaux que précédemment :

    • moins de livres achetés, en nombre de titres et d'exemplaires (perte directe de droit d'auteur sur les tirages initiaux) ;
    • moins de titres de petits éditeurs ou d'ouvrages un peu plus rares (livres d'art, livres techniques, de sciences humaines, peu demandés...) ;
    • plus de livres de poche ou au prix moyen peu élevé ;
    • avantage accordé au moins-disant lors de la recherche de fournisseurs : le grossiste sera favorisé doublement, à la fois par un service élaboré et par ses prix de toutes façons difficilement obtenus par un « petit libraire ».

    Une telle disposition serait d'ailleurs facilement contournable par des dons nombreux (d'autorités politiques ou amicales, d'auteurs, d'éditeurs, de lecteurs ou d'habitants...). Tout le travail fait autour de la gestion de politiques documentaires, de réflexion sur des politiques d'achats cohérentes et appuyées sur des critères bibliothéconomiques, d'observation et d'écoute de la demande potentielle... volerait vite en éclats !

    En revanche, cela aurait un intérêt : les auteurs souhaitant donner leur livre à la bibliothèque (parce qu'en désaccord avec la loi nouvelle) en auraient encore la liberté.

    L'ABF NE PEUT RETENIR CETTE PROPOSITION

    2. Droit de prêt et plafonnement des remises

    Le plafonnement des remises est évoqué depuis longtemps comme une solution à la disparition des « petits libraires » dont les GSS et hypermarchés du livre. Si plafonnement il y a, c'est donc pour que les librairies puissent compenser les faibles marges accordées par les distributeurs, très parcimonieusement quand ils sont « petits » : 33 à 35 °/o pour un petit libraire indépendant ; 38 à 45 °/o à la FNAC, chez Leclerc, et dans les autres hypers à espaces culturels....

    Passer d'une remise moyenne sur la France de 15 à 17 °/o (résultat statistique, les remises de 25 à 28 °/o ne concernent que les très grosses bibliothèques, qui ont nécessité de passer des marchés publics) à 5 à 10°/o (demande des libraires) aurait nombre de conséquences graves selon nous.

    Moins de budgets d'acquisition pour les bibliothèques, avec toutes les conséquences évoquées plus haut :

    • moins de livres achetés, en nombre de titres et d'exemplaires (perte directe de droit d'auteur sur les tirages initiaux) ;
    • moins de titres de petits éditeurs ou d'ouvrages un peu plus rares (livres d'art, livres techniques, de sciences humaines, peu demandés...) ;
    • plus de livres de poche ou au prix moyen peu élevé ;
    • avantage accordé au mieux-disant lors de la recherche de fournisseurs : le grossiste sera favorisé doublement, à la fois par un service élaboré et par ses conditions de livraison et de disponibilité des ouvrages de toutes façons difficilement obtenus par un « libraire de proximité ».

    Gain maximal en revanche pour les GSS qui, leur marge restant importante chez les distributeurs, pourraient utiliser les 10°/o supplémentaires à développer des services spécifiques bibliothèques (c'est largement commencé) : offre de notices catalographiques, partenariat, animations, hébergement de serveurs Web, reliure, équipement, antivol, cotation, et autres idées...

    Le moins-disant actuel se transformerait immédiatement en mieux-disant au bénéfice de ceux qui pourraient très rapidement revoir leur offre, avec des moyens techniques et financiers rapidement mobilisables.

    Un partage des anciennes « remises » entre auteurs-éditeurs et libraires serait mal accueilli par les libraires. Pourquoi devraient-ils payer pour les auteurs ? Car les libraires considèrent que ces livres leur appartiennent en propre. Dans tous les cas, leur avis importe !

    L'ABF NE PEUT RETENIR UNE TELLE SOLUTION

    3. Comparaison avec les documents audiovisuels

    Rappelons que les documents audiovisuels (disques audio, vidéos, cédéroms) ne sont pas régis par la loi Lang. Que par ailleurs il y a une certaine « crise » de l'édition livre (dont il faudrait probablement analyser les causes réelles, surproduction de titres en particulier) qui ne frappe pas de la même manière les autres supports.

    Notons également que, contrairement à ce qui est dit ici ou là, il n'y a pas de droit de prêt pour les disques ou cassettes audio, mais au cas par cas une contribution SACEM pour les auditions collectives en bibliothèque.

    Dans tous les cas, la part de l'édition occupée par les achats en bibliothèque-médiathèque est faible, qu'il s'agisse des vidéos ou des disques compacts. Pour ces supports, le risque est d'abord du côté du piratage organisé, que les bibliothèques ne favorisent pas.

    La comparaison avec les livres nous semble donc sérieusement biaisée. Néanmoins, notons qu'elle s'appuie sur des négociations (pour les vidéos) titre par titre, et donc sur un véritable droit d'auteur-producteur. Solution qui paraît difficile à adapter aux livres ou aux disques audio pour des raisons d'exploitation générale.

    Adopté en Conseil national le 21 mars 1999.