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Le rôle de la bibliothèque dans la politique culturelle au Danemark et en France

2000
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    Le rôle de la bibliothèque dans la politique culturelle au Danemark et en France

    Droit d'auteur et bibliothèques

    Par Else Delaunay, Ancien conservateur Bibliothèque nationale de France
    Par Jens Thorhauge, directeur de l'Autorité nationale des bibliothèques danoises

    « Les bibliothèques sont le fondement de la démocratie, tant qu'elles sont libres de prêter tout outil d'information accessible au public. »

    Lorsqu'on m'a demandé de participer au débat de ce soir (1) , j'ai beaucoup hésité à accepter. En effet, je connais assez mal les bibliothèques de lecture publique au Danemark, comme d'ailleurs en France, puisque toute ma carrière de bibliothécaire s'est déroulée à la Bibliothèque nationale de France, où j'avais accès à tous les documents dont je pouvais avoir besoin.

    Si autrefois, enfant et adolescente, j'ai beaucoup fréquenté la toute nouvelle bibliothèque pour enfants de Frederiksberg à Copenhague, je n'ai pas souvent, à l'âge adulte, eu l'occasion d'utiliser ces bibliothèques. Par conséquent, ce que je sais d'elles, de leur présence et de leur rôle dans la politique culturelle du Danemark, je le sais avant tout par mes lectures. Ce soir, je ne vous livrerai donc pas les fruits d'une expérience vécue, ce qui aurait sans doute été à la fois plus vivant et plus juste.

    Bref historique des bibliothèques de lecture publique au Danemark

    Pour bien comprendre l'évolution des bibliothèques danoises, il me paraît indispensable d'évoquer brièvement les grandes étapes de leur déjà longue histoire, histoire qui explique l'éminente position du Danemark dans ce domaine. Très tôt, ce pays a fait preuve d'une volonté nette et affirmée quant à la place et au rôle de la bibliothèque dans la vie socioculturelle et éducative.

    Il faut rappeler qu'au Danemark il existe une longue tradition de lecture, en partie issue de la Réforme qui, ici comme ailleurs, incitait les protestants à la lecture du « grand livre », et en partie due au caractère nordique qui privilégie le calme et la solitude, propices à la lecture. Dès 1814, l'éducation devint obligatoire au Danemark et, vers le milieu du XIXesiècle, les écoles populaires pour adultes, les Folkehôjskoler, se multiplièrent.

    Des bibliothèques autonomes modestes mais nombreuses furent créées d'abord dans les paroisses, puis aussi dans les écoles et par les associations (notamment les cercles de lecture). Vers la fin du XIXesiècle, on dénombrait plus de 1 000 bibliothèques paroissiales dans un pays qui comptait environ 1 600 paroisses. Ces bibliothèques sont en quelque sorte les prédécesseurs des bibliothèques communales.

    En 1920, le Danemark se dote de sa première loi sur les bibliothèques publiques. Il s'agit d'un événement très exceptionnel par sa précocité même. Cette loi, en vigueur pendant plus de quarante ans (hormis quelques correctifs et addenda) forma la base de tout le système des bibliothèques au Danemark. Elle instaura le principe du versement d'une subvention de l'État proportionnelle aux dépenses des paroisses (2) . Elle créa l'Inspection d'État des bibliothèques (Statens Bibliotekstilsyn), chargée de superviser le fonctionnement des bibliothèques publiques. L'Inspection ne s'est pas contentée d'être simplement un corps de contrôle. Elle a aussi, par ses initiatives, joué un grand rôle dans le développement des bibliothèques.

    Dès 1931 est instauré le Service aux enfants, à savoir la mise en place progressive, mais obligatoire, de départements pour enfants et adolescents dans les bibliothèques publiques. Cet espace fut rapidement adopté par les enfants. Si l'on n'aime pas toujours aller à l'école, la bibliothèque devient, elle, un lieu de bonheur et de liberté où l'on se rend spontanément. Le personnel spécialisé vous aide et vous guide avec efficacité et gentillesse, on découvre les livres et apprend à les respecter.

    En 1946, un additif très important est apporté à la loi sur les bibliothèques publiques : il s'agit de la mise en place d'un système d'aide aux auteurs (Biblioteksafgiften). J'y reviendrai plus loin.

    Enfin, en 1950, un nouveau paragraphe oblige les communes à subventionner le fonctionnement de la bibliothèque présente sur leur territoire.

    En 1964, la loi sur l'activité des bibliothèques est adoptée. Elle est complétée par la réforme communale de 1970 imposant le regroupement de communes et de comtés. Dans son paragraphe liminaire, cette loi affirme les finalités culturelles des bibliothèques publiques et le caractère gratuit de leur utilisation tant pour le livre que pour tout « autre matériel approprié ».

    Si la loi de 1920 était déjà ambitieuse dans ses objectifs, celle de 1964 inaugure une politique d'envergure marquée par un grand libéralisme. Les subventions allouées par l'État aux communes prennent en charge 45 °/o de leurs dépenses courantes pour les bibliothèques.

    En 1983, l'ensemble des aides de l'État aux bibliothèques publiques représentait environ le quart des dépenses pour la culture, soit environ 87 couronnes danoises par habitant (contre 22 en 1970). En 1999, ce même chiffre s'élevait à 452 couronnes (environ 385 F) par habitant.

    La loi de 1964 permit aux bibliothèques publiques de réaliser un grand bond en avant au cours des années 1960 et 1970. Les années 1980 ne furent pas aussi fastes. Dès 1983, la politique de déréglementation pointe à l'horizon, c'est le « moins d'État » pour permettre une plus grande liberté de gestion. Toutefois, cette politique compromet en partie le système même des bibliothèques publiques. La crise économique s'accompagne de sévères coupes budgétaires, d'un taux de chômage élevé pour les bibliothécaires et d'une forte baisse des acquisitions de livres (jusqu'à 28 0/0, soit un million d'ouvrages en moins).

    En 1985, une nouvelle loi sur les bibliothèques est promulguée ; elle sera amendée en 1989. Les temps ont changé. Cette loi moins généreuse et moins ambitieuse que la précédente assigne aux bibliothèques des objectifs et un cadre d'action précis : les bibliothèques publiques doivent « promouvoir l'information, l'éducation et les activités culturelles en mettant gratuitement à la disposition du public des livres et autres documents appropriés ».

    La loi distingue entre les missions obligatoires : information civique et sociale ; et les missions particulièrement souhaitables : présenter les documents audiovisuels, desservir les publics, enfants et adultes, incapables de se rendre sur place. Les critères de sélection des fonds sont clairement indiqués dans la loi : qualité, encyclopédisme, actualité, à l'exclusion de tout critère d'ordre moral, politique ou religieux, ce qui importe dans un pays qui accueille alors de plus en plus d'immigrés et de réfugiés politiques et voit ses extrémismes s'affirmer.

    La loi affirme que « le service de prêt de livres doit être accessible à toute personne résidant au Danemark ».

    La nouveauté essentielle de cette loi réside dans le fait que, dans le cadre de la décentralisation, les communes obtiennent une totale liberté d'action. L'abandon d'une politique traditionnellement attachée à la mise en place de correctifs pour éviter toute discrimination dans le service rendu représente une véritable « révolution culturelle » qui, à l'époque, donna lieu à de multiples débats.

    La loi de 1985 organise aussi les relations entre l'école primaire et la bibliothèque publique : chaque école est tenue d'entretenir une bibliothèque en liaison avec la bibliothèque publique locale. Le responsable en est un instituteur formé à l'École nationale des bibliothécaires.

    En décembre 1993, la loi sur les bibliothèques connaît une nouvelle version, mais c'est seulement en mai 2000 qu'une véritable nouvelle loi sur l'activité des bibliothèques est votée. Elle est entrée en vigueur le 1er juillet de cette année. Cette loi concerne en principe l'ensemble des bibliothèques au Danemark : les bibliothèques publiques et centrales (3) d'abord, mais aussi les bibliothèques d'État (Bibliothèque royale, Bibliothèque d'État à Aarhus, bibliothèques universitaires et bibliothèques spécialisées).

    Le premier chapitre précise les objectifs et les activités des bibliothèques publiques, le deuxième porte sur les tâches de l'État dans le domaine des bibliothèques. Le troisième concerne le régime commun à toutes les bibliothèques du pays, par exemple la tarification du dépassement du délai de prêt, et les régimes propres aux différentes catégories d'établissements. Un quatrième chapitre est consacré aux mesures terminales concernant l'abrogation de la précédente loi. Il est également rappelé que cette loi ne s'appliquera pas au Groenland ni aux îles Féroé.

    Il est certain que la nouvelle loi vise avant tout les bibliothèques publiques, en raison même de leur rôle culturel et social auprès de la population. Comme dans les lois précédentes, celles-ci ont vocation à « promouvoir l'information, l'éducation et les activités culturelles en mettant à la disposition du public les livres, les périodiques, les livres-cassettes et autre matériel approprié tel que le matériel audiovisuel et les ressources d'information électroniques, y compris internet et les multimédias ». Elles ont toujours pour mission de transmettre l'information civique et sociale. Le principe de la gratuité du prêt et de l'utilisation de la bibliothèque est maintenu.

    La nouvelle loi introduit une conception élargie de la bibliothèque. Les bibliothèques publiques sont dans l'obligation de mettre la musique, les ressources électroniques, internet et les multimédias à la disposition du public. Ce n'est plus la forme mais le contenu qui décide de ce que l'on doit trouver sur les rayonnages de la bibliothèque.

    La qualité, l'encyclopédisme et l'actualité comme critères de sélection doivent seuls prévaloir, à l'exclusion de tout critère d'ordre moral, politique ou religieux. Autrement dit, les principes de base n'ont pas changé. La loi détermine un cadre d'action précis pour les années à venir. Tous devront avoir un égal accès aux technologies de l'information grâce aux moyens mis à leur disposition par les bibliothèques. La bibliothèque virtuelle publique devra être en place en 2003.

    Cette loi vivifie les bibliothèques à un moment crucial. Celles-ci devront se préparer pendant les trois années à venir : recherche de plus de professionnalisme, amélioration des qualifications spécifiques, achat de matériels appropriés, etc., tout en veillant au maintien de la participation financière des communes. Pour réaliser ces objectifs, le ministère de la Culture dégage des crédits supplémentaires de l'ordre de 170 millions de couronnes (environ 150 millions de francs).

    Aperçu de l'Administration centrale des bibliothèques

    Le ministère de tutelle est celui de la Culture. L'Autorité nationale des bibliothèques (Biblioteksstyrelsen) est une agence de ce ministère et, au niveau gouvernemental, organisme central doté d'une compétence générale pour l'ensemble des bibliothèques. Elle conseille le gouvernement sur l'organisation, la coordination et la stratégie pour le service offert par les bibliothèques danoises. Elle fournit des conseils professionnels aux ministres et aux autorités publiques, y compris les autorités locales, aux bibliothèques et aux centres d'information, etc. L'Autorité participe aussi activement à la coopération internationale dans le domaine des bibliothèques, de la documentation et de l'information.

    Par ailleurs, l'Autorité veille à l'application de la loi sur l'activité des bibliothèques et de la loi sur le droit de prêt, et gère plusieurs aides de l'État à divers projets bibliothéconomiques. Elle est aussi responsable de la collecte et de la publication de statistiques concernant les bibliothèques. Enfin, l'Autorité assure le secrétariat de la nouvelle Bibliothèque de recherche électronique du Danemark (Danmarks elektroniske Forskningsbibliotek), qui devrait être opérationnelle en 2003.

    J'ai déjà mentionné la création, en 1920, de l'Inspection d'État des bibliothèques publiques et son rôle essentiel pour le fonctionnement et la promotion de celles-ci. En 1983, l'Inspection fut transformée en une direction avec mission de conseil et d'assistance. Le plan pour « limiter la bureaucratie » lancé en 1989 prévoyait la suppression de la Direction à partir de 1990, mais finalement, après un long débat entre professionnels, on aboutit à la création du Service des bibliothèques publiques (Statens Bibliotekstjeneste SBT), fusion de l'ancienne Direction et des bureaux du Bibliothécaire du royaume (Rigsbibliotekarembedet).

    Le Service des bibliothèques a entre autres pour fonctions la coopération bibliographique entre bibliothèques publiques aux plans national et international, la gestion des ressources gouvernementales affectées aux services communs, la gestion du fonds d'aide aux auteurs, les liens entre bibliothèques publiques et bibliothèques scolaires, le suivi de la législation, etc. Le Service exerce un contrôle souple sur les bibliothèques, et privilégie l'information et l'expérimentation.

    Le Bureau central des bibliothèques (Bibliotekscentralen BC) fut créé en 1939 sous le nom de Bureau bibliographique des bibliothèques publiques. En effet, le Bureau central est d'abord l'agence bibliographique qui contribue largement à l'élaboration de la Bibliographie nationale danoise, chargée depuis 1970 dans la base multimédia Basis, accessible en ligne (4) Il existe aussi, depuis 1981, une base d'articles de périodiques (Artikelbasen).

    En outre, le Bureau central édite des publications professionnelles et diffuse les documents publicitaires pour les bibliothèques. Il fournit une aide aux acquisitions au moyen d'analyses critiques sur les livres danois et étrangers, et se charge de la gestion technique pour les commandes (catalogage, reliure, équipements divers). Deux organismes relèvent de ce Bureau : BC Inventar pour l'aménagement, le matériel et le mobilier de bibliothèque ; la Centrale de reliure [Indbindingscentralen] pour les commandes de reliures et d'équipement pour les livres danois. Environ 50°/o des ouvrages acquis pour les bibliothèques publiques et les bibliothèques scolaires passent par cette centrale.

    Je vous fais grâce des autres organes de coopération, notamment dans le domaine de l'informatique, tels que Biblioteksdata, base de données pour la politique d'informatisation, DanBib, réseau au niveau national et même international pour l'interconnexion de plusieurs bases bibliographiques (Basis, Alba, Samkat). Nouveau projet en cours : DanBib pour tous (DonBib for aile), pour que l'ensemble de la population ait accès au réseau via internet. Ce projet est en conformité avec l'esprit de la nouvelle loi.

    Le modèle de bibliothèque danois

    Les bibliothèques publiques danoises sont considérées à la fois comme des centres culturels et comme des centres d'information et de services.

    On pourrait en effet dire que les bibliothèques publiques au Danemark occupent dans une certaine mesure la place des maisons de la culture en France, car elles sont aujourd'hui le lieu convivial et démocratique où se déroulent toutes sortes d'activités culturelles : théâtre, ciné-club, expositions, débats, concerts, etc. Le réseau des bibliothèques était déjà en place ; il suffisait de l'adapter aux nouveaux besoins.

    Si la lecture reste bien sûr la base essentielle, la conception même de la bibliothèque s'est peu à peu élargie pour satisfaire les nouvelles demandes du public. En fait, cette évolution a débuté dès les années 1960. Les nouveaux médias comme les nouvelles technologies contribuent largement à faire évoluer en profondeur notre conception de la bibliothèque.

    La bibliothèque comme centre d'information et de services : à l'entrée de la bibliothèque, on aperçoit généralement d'abord un stand de présentation de dépliants et de brochures qui informe le public sur les services courants offerts par la bibliothèque, mais qui renseigne aussi sur la vie locale quotidienne (problèmes scolaires, logement, emploi, formation, etc.) et propose des services particuliers susceptibles d'être soumis à une tarification, par exemple des informations aux entreprises locales

    Les publics

    Enfants et adolescents

    Les bibliothèques publiques et scolaires danoises doivent sans doute leur succès d'abord à l'action menée auprès des enfants et des jeunes qui, habitués dès leur plus jeune âge à l'institution bibliothèque, sont devenus des usagers potentiels une fois adultes. Le Service pour les jeunes est ainsi un axe fondamental de la politique de bibliothèque. En quelque sorte, un moyen de fidéliser la clientèle !

    Aujourd'hui les publics évoluent et s'élargissent, entre autres par l'intermédiaire des nouveaux médias. La bibliothèque publique a pour mission d'atteindre la majorité de la population. Aussi est-on allé vers les groupes en marge en menant une politique d'intégration au niveau local pour prouver l'utilité sociale de l'institution. Une prospection systématique des publics a été réalisée. Les ouvrages proposés se sont diversifiés. Si, dans les bibliothèques, chacun doit en effet « trouver chaussure à son pied », celles-ci doivent être à l'écoute de leurs publics quels qu'ils soient, sans jamais perdre de vue l'exigence de qualité.

    Les minorités ethniques

    Ces minorités représentent une population qui n'a pas pour langue maternelle le danois. Elle s'est formée depuis une trentaine d'années. Ces groupes dont l'intégration à une société européenne est parfois délicate retiennent particulièrement l'attention des bibliothèques publiques. Le principe de l'aide aux minorités s'inscrit depuis longtemps dans la législation danoise sur les bibliothèques. De nombreuses origines, cultures et religions des cinq continents se côtoient désormais. Un tel émiettement a conduit, en 1984, à la mise en place d'une nouvelle superstructure spécialisée, la Bibliothèque centrale de littérature pour les immigrants.

    L'État finance ce centre qui couvre l'ensemble du pays. Il est fondé sur deux principes : la bibliothèque comme moyen d'insertion sociale et le multilinguisme. Centre de ressources, la Bibliothèque centrale doit fournir une assistance aux bibliothèques locales pour le catalogage, la sélection et l'acquisition d'ouvrages. Elle assure le prêt aux bibliothèques locales des documents spécifiques quelle qu'en soit l'origine. En 1998, le groupe multilingue représentait environ 5 °/o de la population (5) , soit environ 360 000 personnes réparties sur l'ensemble du territoire.

    La Bibliothèque centrale acquiert tout particulièrement les documents pour enfants, afin de renforcer la connaissance de la culture et de la langue maternelles. De même, il est important que les enfants danois soient sensibilisés à la culture de leurs camarades d'école. L'effort accompli en direction des enfants devrait être le même pour les adultes, ce qui n'est pas encore tout à fait le cas.

    Grâce à la coopération nordique dans le domaine multilingue, on a pu créer en 1997 un site Web géré par la Bibliothèque multilingue finlandaise à Helsinki et soutenu par l'ensemble des pays Scandinaves, à savoir la Bibliothèque multiculturelle, qui propose des outils pour aider les bibliothèques publiques dans leur travail (exemples : une liste de fournisseurs de livres et autres documents du monde entier ; des registres annotés et régulièrement mis à jour de journaux, magazines, revues et autres périodiques dans de nombreuses langues).

    Il faut aussi mentionner le projet FINFO, base d'informations pour les immigrés et réfugiés, lancé en 1996 par les bibliothèques de la commune d'Aarhus. L'actuel projet FINFO 2000 (1999-2001) a pour objectif l'établissement d'un réseau national d'informations pour les minorités ethniques au Danemark. Il est piloté par les bibliothèques publiques de la commune d'Aarhus et par la Bibliothèque d'État à Aarhus.

    Le succès des bibliothèques publiques

    Quelles sont les raisons du succès des bibliothèques publiques ? Il s'explique avant tout par une longue tradition de coopération qui est totalement intégrée à tout niveau de l'activité quotidienne et qui s'exprime notamment dans trois directions :

    • eLa coopération avec l'étranger, et tout particulièrement avec les autres pays Scandinaves, par la création en 1982 de Nordfolk, comité des bibliothèques publiques. Rappelons que la revue Scandinavian Public Library Quarterly été fondée dès 1968. Cette coopération informelle se manifeste sous forme de débats, d'échanges d'expériences et d'idées au cours de séminaires organisés par les écoles de bibliothéconomie.
    • * La coopération avec les autres types de bibliothèques, par le prêt interbibliothèque (via la Bibliothèque de dépôt créée en 1968 et la bibliothèque d'État à Aarhus) d'une- part, et par la Bibliographie nationale (base de données et publication) d'autre part.
    • * La coopération, enfin, entre les bibliothèques publiques elles-mêmes, à la fois à l'intérieur des communes (sections pour enfants et bibliothèques scolaires) et entre les communes (sur le plan administratif), mais surtout à l'échelon national.

    Il me semble que le succès est également dû à un certain pragmatisme lié au sens pratique assez caractéristique des Danois, qui favorisent le choix de solutions simples et efficaces aux problèmes posés.

    La formation professionnelle

    Elle est confiée à l'École nationale des bibliothécaires [Danmarks Biblioteksskole) à Copenhague, dont les statuts datent seulement de 1956. Une annexe a été ouverte à Aalborg en 1973. Auparavant, cet enseignement était assuré par l'Inspection d'État. Actuellement, les personnes qui souhaitent travailler dans les bibliothèques publiques n'ont besoin que du baccalauréat pour y entrer. Le cursus est de quatre années. Le schéma pédagogique fait alterner cours théoriques, stages pratiques et rencontres professionnelles. Des options particulières sont possibles à partir de la troisième année. Un mémoire doit être remis pour l'obtention du diplôme.

    Pour les personnes se destinant aux bibliothèques de recherche ou aux bibliothèques spécialisées, un niveau universitaire de bac plus cinq ou six est nécessaire. Le cursus de l'École est alors d'un an. L'École propose également de la formation continue sous forme de sessions, généralement de cinq semaines, pour professionnels et non-professionnels.

    Depuis 1998, l'expression-clé est le développement des compétences dans tous les domaines, autrement dit l'amélioration des qualifications par des formations continues, supplémentaires ou complémentaires. Elle est au coeur des débats professionnels actuels, et plus encore depuis la nouvelle loi qui englobe l'offre des nouvelles technologies à tous, un vrai défi pour les bibliothèques et leurs personnels.

    Les personnels des bibliothèques publiques : quelques statistiques

    En 1999, les bibliothèques publiques danoises comptaient 2 285 bibliothécaires, 2 367 assistants de bibliothèque, 525 autres agents : au total, 5 177 personnes pour 833 bibliothèques ou dessertes (252 bibliothèques, 529 annexes, 52 bibliobus). Ce personnel a assuré le prêt de plus de 72 millions de documents en 1999, soit un peu plus de 13 documents par habitant.

    Pour la même année, les dépenses totales des bibliothèques publiques (bibliothèques scolaires comprises) se sont élevées à environ 2,4 milliards de couronnes (environ 2 milliards de francs ou 305 millions d'euros), soit 452 couronnes par habitant (environ 385 F ou 58 euros).

    La politique d'aide à la lecture

    L'industrie danoise du livre ne reçoit pas de subventions directes, mais tout un dispositif d'aide à la lecture a été mis en place depuis plusieurs décennies.

    Le système du prix fixe, ou prix imposé, pour le livre existe depuis plus d'un siècle au Danemark. Toutefois, depuis mai dernier, la ministre de la Culture a instauré un nouveau système pour les trois années à venir. Pendant cette période, les éditeurs sont libres de choisir le prix imposé ou, au contraire, d'appliquer le prix libre. Un comité relevant du ministère dit « corps de chiens de garde » devra suivre l'évolution de très près et présenter un rapport annuel sur les mouvements enregistrés sur le marché du livre.

    « Si les libraires se sentent en difficulté par cet arrangement, ils deviendront peut-être plus créatifs », a dit la ministre ! On ne sait si une période de trois ans suffira à se faire une idée réaliste des mouvements du marché du livre. Si celui-ci ne connaît pas de grands écarts, on pourra s'attendre à une libéralisation totale des prix !

    Il y a donc un risque sérieux pour les « petits » auteurs. L'éventail de titres proposés risque aussi de se rétrécir fortement sous l'effet de la vente des best-sel-lers. Toutefois, on ne peut prévoir l'influence du commerce des livres via internet ni celle des nouvelles formes d'édition.

    En France, la libéralisation des prix avait été assez catastrophique pour la production de livres sérieux, de qualité (la littérature dite « petit public »). Aussi le gouvernement avait-il rétabli le prix imposé. Aujourd'hui, on peut continuer à éditer les auteurs de littérature « petit public » sans que l'éditeur idéaliste fasse faillite !

    En fait, au Danemark, beaucoup de professionnels du livre (auteurs, éditeurs, libraires et bibliothécaires) souhaitent que le prix imposé s'inscrive dans la législation européenne.

    Le Centre d'information sur la littérature danoise a été créé en 1990 pour encourager la diffusion de la littérature danoise à l'étranger : aides à la traduction, promotions diverses telles que colloques, brochures, lettres d'information, etc.

    Enfin, l'aide aux auteurs (Biblioteksafgiften) représente aussi un système d'aide indirecte à la lecture instauré dès 1946, et dont le principe repose sur la présence des ouvrages d'un auteur en bibliothèques. Pour les auteurs, il s'agit d'un dédommagement du manque à gagner à la diffusion de leurs oeuvres par les bibliothèques publiques et scolaires. Sur le plan international, ce système est connu sous l'expression Public Lending Right (PLR), le droit de prêt.

    On notera un aspect important de ce système d'aide aux auteurs : le montant de la compensation versée aux auteurs dépend non pas des prêts de leurs oeuvres mais du nombre d'exemplaires présents dans les collections des bibliothèques.

    Jusqu'au début des années 1990, on procédait à un recensement annuel, ce qui était un travail lourd pour les bibliothèques. Les résultats étaient parfois peu précis à cause du mode de calcul utilisé : pour chaque oeuvre collective, on ne prenait en compte qu'un seul auteur, même s'il y avait plusieurs auteurs principaux. Il y eut donc beaucoup de plaintes et de récriminations.

    Depuis 1979, le système de droit de prêt a été confié à l'Autorité nationale des bibliothèques. Dans les années 1980, il y a eu un rapprochement vers le droit d'auteur. Le montant n'était pas fixé à l'avance, il était proportionnel au nombre d'ouvrages recensés. Les bénéficiaires étaient les auteurs danois qui figuraient comme auteur principal sur les livres et les livres-cassettes utilisés dans les réseaux des bibliothèques publiques et scolaires. En 1990, la dotation de l'État représentait 105 millions de couronnes (soit environ 90 millions de francs ou 14 millions d'euros) répartis entre 7 400 auteurs.

    Les traducteurs, les auteurs autres que l'auteur principal, ainsi que les auteurs d'enregistrements sonores (disques, cassettes) ou graphiques (photographies, diapositives ou posters), recevaient des dotations particulières.

    De 1992 à 1997, les deux types de régime ont fonctionné. À un moment donné, on avait même imaginé d'aligner le système de droit de prêt sur un régime de copyright, ce qui aurait entraîné un dédommagement pour tous les détenteurs de droits. Il aurait alors fallu négocier avec chaque auteur, danois ou étranger, la permission de diffuser ses oeuvres en bibliothèque, que celles-ci soit publique, universitaire ou de recherche, ce qui n'aurait guère été viable.

    En 1998, tout a changé la nouvelle loi sur la dotation des bibliothèques [Biblioteksafgiftsloveri] a été adoptée. En fait, plusieurs applications de cette loi ne sont entrées en vigueur qu'en janvier 2000. Il s'agit d'un système très complexe d'attribution de points qui ne pourrait fonctionner sans l'informatique. Les calculs se font d'après les collections d'une centaine de bibliothèques, dont vingt bibliothèques scolaires. Les bibliothèques participant à ces calculs ne sont pas les mêmes chaque année.

    Le nouveau régime s'oriente vers l'aide à la langue danoise. Les bénéficiaires ne sont plus les seuls nationaux mais aussi les auteurs publiant en danois, y compris les traducteurs. Les livres et les livres-cassettes sont seuls concernés, alors que les auteurs d'enregistrements sonores ou graphiques continuent de percevoir une dotation spéciale. La somme affectée par l'État au droit de prêt est un forfait annuel.

    Si les ouvrages d'un auteur sont retirés des fonds faute de lecteurs, l'auteur en question ne recevra plus la dotation annuelle. De même, celle-ci est réduite si le nombre d'oeuvres de l'auteur diminue dans les fonds des bibliothèques. Quant à la veuve (ou au veuf) d'un auteur, elle (ou il) reçoit 50 °/o de la dotation, alors que dans le régime précédent la dotation était identique à celle versée à l'auteur de son vivant.

    Conclusion

    Pour conclure,je dirai que le Danemark a su conduire sa politique culturelle en matière de bibliothèques publiques avec beaucoup de volonté et d'idéalisme, tout particulièrement au cours du xxesiècle. Aussi a-t-il récolté les fruits de ses efforts.

    Toutefois, malgré une situation plutôt enviable, les discussions entre professionnels danois vont bon train face aux multiples défis lancés à la profession par une évolution de plus en plus rapide et profonde du métier de bibliothécaire. La bibliothèque virtuelle appelle de nouvelles qualifications. Tous ne sont pas prêts, beaucoup pensent même que les nouvelles technologies sont parfois trop prédominantes. Mais les demandes du public sont là, la volonté politique aussi.

    Avec la nouvelle loi sur l'activité des bibliothèques, on peut faire confiance aux bibliothécaires danois pour relever les défis, faire preuve d'efficacité comme par le passé, et conserver ainsi leur place prépondérante dans le quotidien de la population danoise.

    Références bibliographiques

    Martine Darrobers : « Le Danemark. » In Les Bibliothèques publiques en Europe, sous la direction de Martine Poulain. Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 1992 (Bibliothèques).

    Pierre Assouline :« Droit des auteurs. » ln Lire, juin 2000. Birgitta Auren : « Bibliothèque contre économie, la situation actuelle en Finlande. » In Bulletin d'informations de l'ABF, n° 184/185, 3e/4e trim. 1999.

    Françoise Danset, Claudine Belayche : « Droit d'auteur et copyright : où en est-on ? » ln Bulletin d'informations de l'ABF, n° 182, 1 er trim. 1999.

    Benedikte Kragh-Scharz : L'Offre des bibliothèques à la population multilingue du Danemark. Copenhague, 1995.

    Jens Thorhauge : New Trends in Scandinavian Public Libraries. Ballerup, Bibliotekscentralen, 1988. Bibliotekspressen (bulletin de l'Association des bibliothécaires danois), nos 1-3, 5-6, 8, 10, 12, année 2000. Copenhague. Articles divers.

    Lovom biblioteksvirksomhed (loi sur l'activité des bibliothèques), n° 340, 17 mai 2000. Copenhague, ministère de la Culture.

    Bekendtgôrelse om bibliateksafgift (loi sur la dotation de l'État aux auteurs), n° 21, 11 janvier 2000, et n° 218, 29 mars 2000. Copenhague, ministère de la Culture. Nyt fra Nyhavn (bulletin de l'Autorité nationale des bibliothèques), n° 1-2, avril-juin 2000, 10eannée. Copenhague. Articles divers.

    Page d'accueil de l'Autorité nationale des bibliothèques [Biblioteksstyrelsen] : www. bs. dk, qui donne accès à de multiples renseignements sur les bibliothèques danoises.

    1. Cette conférence a été prononcée le jeudi 12 octobre 2000 dans le cadre de l'Association France-Danemark, en même temps qu'une présentation par Claudine Belayche des bibliothèques de lecture publique en France. retour au texte

    2. Il faut rappeler que l'Église évangélique luthérienne au Danemark est une Église d'État. De ce fait, les paroisses ont joué et jouent encore un rôle administratif. À titre d'exemple : le premier enregistrement des personnes au registre d'état civil de tous les citoyens danois est effectué par les pasteurs et les bureaux de l'Église nationale. Aujourd'hui, le Danemark compte 2 116 paroisses. retour au texte

    3. Il existe 14 bibliothèques centrales au Danemark, dont le rôle est proche de celui des bibliothèques centrales de prêt en France. Leur activité est financée par l'État : les crédits 2000 sont de l'ordre de 54,5 millions de couronnes (soit un peu plus de 46 millions de francs). Après avoir négocié avec les communes concernées, le ministère de la Culture choisit les bibliothèques publiques qui doivent faire fonction de bibliothèque centrale. retour au texte

    4. La base s'enrichit chaque année de quelque 15 000 unités (livres et périodiques danois) et de 7 000 enregistrements sonores, partitions et documents audiovisuels. À présent, elle contient environ 850 000 références. retour au texte

    5. En 1999, la population danoise comptait 5 313 577 habitants, Copenhague et sa couronne 1 786 000 habitants. La superficie du Danemark est de 43 094 km2. retour au texte