Index des revues

  • Index des revues
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓

    Conférence de Liber

    Copenhague, 27-30 juin 2000

    Par Marie-Joëlle Tarin, Conservateur à la bibliothèque INRP

    A la demande de la section Étude et recherche de l'ABF, j'ai participé à la Conférence générale de Liber (Ligue des bibliothèques européennes de recherche) qui a eu lieu à Copenhague, dans les nouveaux locaux de la Bibliothèque nationale danoise appelée le Diamant noir, du 27 au 30 juin 2000. Le thème général en était le suivant : « Les bibliothèques comme systèmes globaux d'information. »

    Signalons tout d'abord que, compte tenu d'une grève à l'aéroport de Paris, je n'ai pu être présente dès le 27 juin pour suivre les interventions de la pré-conférence, organisée par OCLC et qui traitait des changements de la profession face aux nouvelles technologies.

    L'information scientifique

    Les quatre divisions de Liber (Accès au document, Gestion et administration des bibliothèques, Développement des collections, Conservation et préservation) se posent tout d'abord cette question : que signifie information scientifique en 2000 ?

    Le Dr Raf Dekeyser (Universitets bibliotheek Leuven) insiste sur les nouveaux mécanismes de l'information scientifique et sur les différentes étapes du processus de recherche :

    • collecte des données ;
    • communication entre chercheurs
    • enregistrement des données.

    Les bibliothèques ne peuvent plus ignorer ces nouveaux mécanismes et doivent être un des partenaires de la construction de la base de données du savoir, base structurée par sujets mais où l'information doit être contrôlée, validée. En effet, au moment où se multiplient les bases de données dites « secondaires », où s'intensifient l'échange de pré-prints et la lecture de périodiques totalement numériques, les bibliothèques ont un nouveau rôle à jouer. Bien plus que des magasins où sont stockés des ouvrages, elles sont appelées à devenir des sites où seront fournis des outils du savoir ainsi qu'un savoir-faire, une méthodologie de l'organisation des collections et un contrôle de la qualité.

    À l'heure d'internet, du monde numérique accessible directement, seules les bibliothèques peuvent résoudre les besoins d'information car, d'une part, elles sont des spécialistes de l'information et, d'autre part, elles connaissent les besoins des utilisateurs.

    Pal A. Bertnes (Library of the Faculty of Law, Oslo University), dans sa communication « New role for academic libraries in scientific information », insiste sur ces nouvelles fonctions des bibliothèques universitaires : la coopération entre bibliothèques pour créer des bases de données spécifiques en ligne ; la publication de manuels scolaires en participant aux négociations avec les éditeurs ; voire l'édition en collaborant à la création de nouvelles collections.

    Frederick J. Friend, un des participants, reprend cette idée de services à valeur ajoutée en parlant de la promotion de nos services en tant que professionnels de l'information. Il nous faut, dit-il, créer des stratégies de marketing.

    Daniel Renoult (Bibliothèque nationale de France, Paris), dans sa communication « How to organize digitization at the national and international level », réinsère l'idée d'information dans un nouveau contexte économique. Il nous faut prendre en compte d'autres critères tels que les télécommunications, l'informatique, les réseaux intégrés, les droits juridiques liés aux ressources numériques, la montée en puissance des grands groupes d'éditeurs (Reed Elsevier, Havas...).

    La bibliothèque comme espace social

    Comment satisfaire les besoins de nos lecteurs dans un monde où se côtoient des collections imprimées et numériques, comment rendre transparent ce qui est invisible, comment fournir des services avec de la valeur ajoutée ? Telles sont les préoccupations de Clifford A. Lynch (Coalition for Networked Information, Washington DC), qui est persuadé qu'il nous faut aujourd'hui créer de l'information sur mesure, personnalisée : ce qui signifie construire des nouveaux systèmes d'information pour nos usagers.

    Trois grandes propositions peuvent être dégagées à partir des diverses communications proposées à Copenhague.

    Coopération

    Cette coopération peut prendre plusieurs formes.

    Coopération entre chercheurs et bibliothèques

    Parmi les diverses expériences décrites, je citerai un projet de passerelle de sites internet sélectionnés à partir d'une thématique : History Guide, développé à la bibliothèque d'État et universitaire de Gôttingen. Selon le Dr Wilfried Enderle (Gôttingen universitàtsbibliothek), un tel guide est aujourd'hui indispensable car il nous faut des catalogues de ressources internet par sujets comme il en existe dans toute bibliothèque pour les ouvrages.

    Certes, outre les aspects techniques, il est nécessaire de redéfinir toute la politique de la bibliothèque (données imprimées côtoyant les données numériques), de prévoir pour l'intégration de ces nouvelles ressources un catalogage spécifiquement lié aux sites Web (avec des standards bien identifiés), une série de métadonnées, et surtout d'évaluer la qualité de ces mêmes ressources.

    Enfin, un moteur de recherche permettant des recherches simples ou expertes s'avère indispensable. Bien sûr, des guides appliqués à d'autres disciplines telles que Mathguide ou Geoguide sont également en cours de développement. Il conclut en insistant sur la nouvelle fonction des bibliothèques de recherche : se structurer en différentes bibliothèques virtuelles, « orientées ».

    Un autre exemple d'une telle collaboration nous est donné par le Dr Hartmunt Zillmann (Osnabruck Universitâtsbibliothek), qui décrit deux projets dans lesquels la bibliothèque joue un rôle.

    • eLe projet Osiris, qui est un système d'information multilingue interrogeable en langage naturel. L'emploi de techniques d'interrogation classiques (booléens, troncatures...) est donc superflu.
    • eEt le projet Electronic Library, qui est une initiative commune : bibliothèque et spécialistes des disciplines. Il s'agit de l'élaboration d'un modèle de construction et d'organisation d'une bibliothèque d'information scientifique numérique. Au-delà de celle de serveur de documents, cette bibliothèque aura une fonction d'archivage, et sa mise en place se fera avec les outils testés dans le projet Osiris. Les mathématiques sont la première discipline testée. Dès le départ, une coopération s'est instaurée entre la bibliothèque et les chercheurs en mathématiques pour trier et archiver les documents scientifiques afin de transférer ce modèle vers d'autres disciplinés étudiées dans l'université. Des stages de formation pour accéder à l'information scientifique électronique sont intégrés dans ce projet, développé sur deux ans.

    Coopération entre universitaires, éditeurs et bibliothèques

    Le Dr Raf Dekeyser effleure cette nouvelle fonction de la bibliothèque lorsqu'il dit que la communauté scientifique a établi son propre modèle d'édition et d'archivage des données scientifiques. Les éditeurs traditionnels, malgré une nouvelle façon de communiquer, n'ont pas réduit le coût de leurs abonnements, et les chercheurs ont cherché à diffuser leurs travaux à moindre et coût et surtout plus rapidement.

    Cependant, l'intervention de Bas Savenije et de Natalia Grygierczyk (Universitetsbibiotheck Utrecht ), « The role and responsability of the university library in publishing in a university », insiste davantage sur cette nouvelle tâche de la bibliothèque : créer le fonds d'archives numériques de l'information scientifique diffusée sur le campus universitaire. Il nous faut donc organiser tout le processus indispensable pour valoriser cette communication scientifique.

    Ils développent ensuite deux projets mis en place à l'université d'Utrecht et dans lesquels la bibliothèque est partie prenante :

    • * Le Dispute Project, qui structure et diffuse l'information scientifique en ligne par sujets. Un des problèmes est la difficulté d'obtenir les publications des chercheurs pour les mettre le plus rapidement possible en accès libre. Quel format privilégier ? Quelle conservation à long terme ? Comment donner accès aux publications, plus anciennes, non disponibles sous forme électronique Telles sont les questions qui sont en cours de discussion aujourd'hui entre les chercheurs et la bibliothèque.
    • * Roquade, qui est plutôt un projet d'infrastructure pour accroître et faciliter l'édition électronique. Dans cette réalisation visant à offrir une meilleure plate-forme d'édition, plus rapide, plus transparente, de meilleure qualité (validation par les pairs), le rôle de la bibliothèque est très lié à la notion de service à valeur ajoutée, du fait de ses liens avec ses usagers finals.

    Cette coopération entre bibliothèques de recherche, scientifiques et éditeurs est également fructueuse financièrement, comme le souligne le Dr Hans Roosendaal (Universitetsbibliotheek Twente [Pay-Bas]). En ce qui concerne l'édition scolaire, des stratégies peuvent être montées puisque l'université et les éditeurs sont à la fois fournisseur et client. C'est un partage des tâches qui permet de réduire les coûts. L'université propose son environnement scientifique, son public (étudiants), ses cours, son système d'information, et les éditeurs offrent une qualité d'accès, un réseau structuré.

    Coopération entre bibliothèques et fournisseurs

    Kees-Jan de Korber (Swets Blackwell) oriente plutôt sa communication, « Digital library management : the rôle of the agent », sur l'interaction bibliothèque-fournisseur. Il met en lumière l'action de ces fournisseurs qui, dit-il, permettent aux bibliothèques d'offrir les données numériques pertinentes à la demande, en leur proposant divers services, des données dans de multiples formats, des liens directs entre différentes pages Web, des solutions techniques adaptées à des publics spécifiques, des prix divers selon le type d'accès (abonnement numérique, papier, combiné, paiement à l'acte, fourniture à distance...).

    Création de portails

    Compte tenu de la masse des documents proposés sur internet, des professionnels de la documentation ont souhaité mieux structurer ces données pour permettre aux usagers d'avoir accès à toutes les sources qui concernent leur sujet de recherche.

    Ainsi, l'exposé de Lorcan Dempsey (UKOLN, UK) met l'accent sur un service (depuis janvier 1999) gratuit : RDN, qui fournit l'accès à des ressources internet validées pour l'enseignement et la recherche scientifique. Les sites internet sont sélectionnés en fonction de leur haute qualité scientifique et décrits par des spécialistes universitaires. Des services à valeur ajoutée tels que des moteurs « intelligents », des outils interactifs sont ajoutés par divers professionnels (bibliothécaires, informaticiens) pour permettre aux utilisateurs de mieux cerner leur recherche.

    DNER (Distributed National Electronic Resource) est un autre type de portail proposé par L. Dempsey. Il s'agit d'une infrastructure qui donne accès à des ressources validées par la communauté scientifique sur internet. Ces ressources regroupent des périodiques, des ouvrages, des manuels scolaires, des cartes, des images, des partitions de musique, des « résumés » et tout autre type de données numériques.

    DNER permet d'améliorer l'intégration de l'accès à des services déjà en place en multipliant les points d'entrée, ou bien par le biais d'une recherche croisée, ou bien par la création de liens avec des services à valeur ajoutée tels que la fourniture de documents à distance, voire en créant des passerelles transversales, en croisant tout type de média et toute discipline... En fait, DNER vise à devenir une agrégation structurée de ressources. Cette infrastructure constituée à partir de divers services à valeur ajoutée se veut logique et non géographique.

    Concept de bibliothèque globale

    Dans ce nouveau contexte, quelle approche économique les bibliothèques peuvent-elles proposer ? Tel est le thème de la communication de Daniel Renoult. Il insiste tout d'abord sur la nécessité de créer des alliances stratégiques nationales voire internationales face à cette nouvelle dimension économique de l'information.

    Il décrit ensuite trois types de projets :

    • eLes projets orientés vers une stratégie de marché, à l'exemple du Fathom Project, qui regroupe des services interactifs du savoir dans le domaine de l'enseignement supérieur, en langue anglaise.
    • * Les projets orientés recherche avec une stratégie d'autofinancement, tel le JSTOR Project, qui concerne les archives numérisées de 117 périodiques scientifiques, toujours dans l'environnement de l'enseignement supérieur de langue anglaise, avec des droits annuels pour les bibliothèques.
    • * Les projets orientés recherche avec une stratégie de fonds publics, comme la plupart des programmes de bibliothèques européennes, dont un exemple est le Denmarks elektroniske Forskningsbibliotek... Actuellement, l'accessibilité aux données est gratuite, mais dans le futur faudra-t-il introduire des droits d'usage payants ?

    Il conclut sur la notion de concept de bibliothèque globale numérique, ce qui signifie une collection globale mais aussi un partage intellectuel et financier entre bibliothèques, une interopérabilité technique et la participation des fonds publics (aux niveaux local, national, international).

    Telles ont été les grandes orientations des différentes interventions de cette conférence. Cependant, d'autres thématiques liées à cette évolution du monde de l'information ont été développées, en particulier les nouvelles expériences ayant trait à l'archivage de la documentation numérique et à la conservation des collections.

    Plusieurs projets ont été décrits, entre autres celui du Danemark, qui a développé toute une série de normes pour les documents numériques, ceux-ci faisant désormais partie du dépôt légal. De même, en Grande-Bretagne, plusieurs études concernant les périodiques électroniques ainsi que les images sont en cours de réalisation, pilotées par Le NPO (National Preservation Office).

    Je terminerai cette synthèse en reprenant la proposition d'un des intervenants, W. Enderle, qui a souhaité la création au sein de Liber d'un groupe de travail sur l'analyse thématique des sites Web. En effet, une coopération s'avère indispensable pour cataloguer et mettre à jour les données propres à ces sites.