Index des revues

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    • Pringuet, Martine
      Table ronde, p.18-21.
    • Belayche, Claudine, de Corbion, Juan, de Sa Moreira, Bruno, Garcia, Daniel, Jacquemin, Patrice, Le More, Henri, Sakoun, Jean-Pierre
      Table ronde, p.22-25.

    Table ronde

    La diffusion du livre et les supports numériques, éditeurs ou éditeurs en ligne

    Par Claudine Belayche, Synthèse
    Par Daniel Garcia, journaliste Livres Hebdo
    Par Henri Le More, directeur des éditions Phénix
    Par Jean-Pierre Sakoun, président-directeur général Bibliopolis
    Par Bruno de Sa Moreira, directeur de 00 h OO.com
    Par Juan de Corbion, directeur général chapitre.com
    Par Patrice Jacquemin, libraire à Fontenoy-la-foute.

    Daniel Garcia, dans saprésentation de l'argument de cette table ronde, la situe dans le contexte du colloque : dans le cadre d'une nouvelle diffusion des oeuvres littéraires ou autres, quel discours les éditeurs de supports numériques peuvent-ils tenir aux bibliothécaires ? Sont-ils de nouveaux acteurs de la chaîne du livre, ou plutôt doit-on les situer dans un contexte de modification fondamentale de la diffusion des oeuvres ? La parole est donnée à chaque invité pour une courte présentation de son activité et des objectifs de la société (1) qu'il dirige.

    e Patrice Jacquemin est libraire depuis vingt-cinq ans, et maintenant cyberlibraire : vingt ans de librairie à Nancy, cinq ans à Fontenoy-la-Joute, cité lorraine de 250 habitants qui accueille également 25 librairies, 25 tracteurs, et... 150 vaches !

    Sa boutique : 400 000 livres de toutes sortes, d'un San Antonio en poche à 15 F à... un atlas du XVIIe siècle à 12 000 F. Nouveau développement de son activité, l'adhésion au réseau chapitre.com : des « engrangeuses (elles travaillent dans une ancienne grange et engrangent des notices bibliographiques de livres sur un disque dur d'ordinateur) saisissent les notices qui sont chaque semaine envoyées au siège de chapitre.com, qui les met en ligne sur son site Web.

    Résultat actuel: 90 000 visiteurs par an dans la boutique, et un tiers de visiteurs de plus sur le site Web - et un tiers de chiffre d'affaires en plus en 1999 ! Chapitre.com se charge de la diffusion sur son site Web, du recueil des commandes, de leur transmission au libraire qui a référencé les ouvrages dans son catalogue, charge à lui de les préparer pour envoi au destinataire - dans le monde entier - dans les délais les plus brefs : « Chronopost est à l'heure, toujours ! lit-il.

    e Henri Le More représente à la fois une maison d'édition, Phénix, et un outil de diffusion, Librissimo. Phénix prépare, par numérisation en mode image, l'édition de textes épuisés ou introuvables et les imprime à la demande. Librissimo gère un catalogue de livres disponibles sous forme numérique : disponibles immédiatement car déjà numérisés, mais aussi en mesure d'être numérisés car des accords ont été passés avec les bibliothèques détentrices de ces ouvrages, en prenant en compte les nécessaires vérifications concernant les droits de reproduction auprès des éditeurs et/ou ayants droit.

    Ainsi, sous réserve de deux conditions (accès à l'oeuvre originale, obtention des droits), la notion de "livre épuisé disparaît, et Phénix devient une sorte de maison de livres virtuels. Librissimo se charge de la diffusion de ces catalogues sur le Web : catalogues de livres disponibles numérisés (1 500 titres environ) et catalogue de livres numérisables par accord avec des bibliothèques. Certes bibliothèques plutôt qu'éditeurs ou imprimeurs, car il s'est avéré qu'éditeurs et imprimeurs se sentaient peu concernés par la conservation des épreuves ou des disquettes de préparation des oeuvres, et qu'eux-mêmes avaient conseillé d'aller en bibliothèque, où les livres sont faciles à retrouver...

    a Juan de Corbion, de chapitre.com, revient rapidement sur sa société, déjà présentée du côté libraire d'occasion par M. Jacquemin. Il définit son entreprise (45 personnes au total) comme une librairie indépendante en ligne, spécialisée dans le livre imprimé. Son catalogue inclut toute la production française imprimée disponible à la vente (400 000 titres environ actuellement) et un catalogue unique de quelque 300 000 livres anciens et épuisés constitué des fonds de 100 librairies d'ancien françaises et étrangères.

    Tous ces ouvrages sont donc disponibles à la vente : 50 % des ventes sont réalisées à l'étranger, pour une activité de vente de 800 livres par jour en 1999.

    Nouveauté en juin 2000 à l'intention des bibliothèques spécifiquement : la parution d'un cédérom mensuel qui présente les mêmes titres disponibles et remis à jour, classés sur un millier de thématiques, avec un moteur de recherche performant. Produit construit pour les bibliothèques, disponible gratuitement pour celles qui en feront la demande, car elles ont besoin de vérifier dans leurs collections. Pour elles, la consultation, souvent longue, d'un cédérom est plus facile qu'une consultation en ligne. De plus, il permettra de passer commande par bon de commande administratif et de régler par mandat administratif !

    e Jean-Pierre Sakoun travaille dans l'édition électronique depuis 1985, d'abord dans le cadre de Chadwyk-Healey France, puis dès 1996 comme dirigeant de la société Bibliopolis créée avec Jean-Michel Ollé, société qui comporte trois secteurs complémentaires :

    • Éditeur de cédéroms bibliographiques (tel le catalogue de la BnF...) dont il croit qu'ils sont un vecteur stratégique de l'édition, car la librairie en ligne aura de plus en plus besoin de localiser les documents.
    • Éditeur dans les domaines des sciences humaines et des humanités classiques, de textes du patrimoine culturel numérisés en mode texte, et proposés avec des logiciels conçus ou adaptés spécifiquement. En quelque sorte une dématérialisation de l'oeuvre. qui exploite toutes les possibilités de recherche sur les textes classiques.
    • Éditeur de produits originaux multimédias : autour d'une publication, d'un auteur, d'actes de colloques, proposer un ensemble cohérent et composite à la fois qui permette une recherche poussée ainsi qu'un travail coopératif aux chercheurs.

    Jean-Pierre Sakoun insiste sur le fait que l'éditeur a un rôle qui dépasse la simple numérisation (tâche technique) et doit constituer des bases de données texte-images-sons qui seront organisées. Ensuite l'éditeur choisira, selon les objectifs et les moments, la forme matérielle de la publication : cédérom, DVD, e-book, Web...

    Bibliopolis vient de conclure un accord avec Gallimard Multimédia (qui s'appellera peut-être Gallimard.com) avec deux objectifs : pour Gallimard, se rapprocher d'une société qui travaille dans un secteur proche (la littérature) et a une expérience des traitements numériques ; pour Bibliopolis, avoir des ouvertures vers d'autres secteurs (tels les guides de voyage, les collections Nouveaux loisirs) et vers des publics ou des lieux de diffusion variés (agences de voyages, clubs...)1.

    Ce qui n'exclut pas de travailler sur d'autres partenariats, avec d'autres éditeurs indépendants oeuvrant dans des domaines proches.

    e Bruno de Sa Moreira, formé dans l'édition traditionnelle, a créé OOhOO.com ; comme l'édition qu'il connaissait, l'édition électronique est un métier d'offre. Pour tous les titres, le choix d'un support est proposé : numérique ou papier, et bientôt le e-book, le téléphone cellulaire, le Palm Pilot... Bref, tous les écrans qui permettent ou permettront de lire du texte ou de l'image !

    Le rôle de l'éditeur est selon lui, fondamentalement, de proposer un choix, sachant qu'il est persuadé - et des enquêtes le prouvent - que de nouveaux moyens de diffusion augmenteront le nombre de lecteurs, permettront de toucher un nouveau public.

    Le catalogue actuel de cet éditeur se compose actuellement de trois types de produits , :

    • Une forme numérique de textes d'éditeurs papier (une sorte de poche sur le Web !).
    • Des oeuvres originales sélectionnées par l'équipe éditoriale (romans, ouvrages d'érudition qui auraient du mal à toucher un public assez large pour qu'un éditeur papier envisage une impression).
    • Des oeuvres originales intégrant dès leur conception la dimension hypertextuelle, créées pour une diffusion exclusivement numérique.

    En 1999, le site OOhOO.com a reçu pour 600 titres 2 000 visites par jour, avec 25 000 pages consultées.

    Dans sa vocation de diffuseur, Bruno de Sa Moreira souhaiterait que l'exploitation sous forme numérique soit un peu plus originale que la simple dérivation de l'édition papier : imaginer une pré-publication en ligne, en forme de test, pour une éventuelle édition papier (plus onéreuse, plus longue à mettre en oeuvre) ; coéditer des scénarios de films en même temps que le film sort sur les écrans (tentative faite avec Arte). Pour l'intervenant, c'est comme si une solution à l'engorgement des librairies, à l'explosion des retours, des offices, passait par la prépublication numérique. En quelque sorte, l'édition papier se mérite on éviterait ainsi les gaspillages de papier, de cartons vite ouverts et refermés par les libraires.

    Débat

    Après ces courtes présentations, Daniel Garcia donne la parole à la salle pour des questions posées aux intervenants.

    Quel choix entre tout numériser et tout conserver sur papier ? Quels critères de sélection sont applicables ?

    Henri Le More considère que la numérisation doit se faire quasi exclusivement à la demande : on peut faire des bibliothèques virtuelles avec des collections importantes sur des thématiques ou des pôles disciplinaires, comme le régionalisme en Bas-Languedoc (Montpellier), la théologie avec la bibliothèque du Saulchoir à Paris, ce que l'édition (ou le reprint) classique ne pourrait se permettre pour des raisons économiques. De même pour des rééditions de poésie ou de théâtre, tous ouvrages à rotation lente.

    Jean-Pierre Sakoun se rallie à cet avis. La numérisation suppose des raisons sérieuses : produire des supports de substitution pour les fonds fragiles et rares des bibliothèques ; proposer une solution aux difficultés de l'édition traditionnelle dans le domaine des sciences humaines et de l'érudition ; créer des corpus inédits utilisant les possibilités spécifiques du multimédia et des logiciels de recherche complexes.

    Mais il faut se garder de confondre numérisation et édition. L'édition doit proposer des manières nouvelles d'accéder à des auteurs ou à des textes.

    Quelle coopération entre éditeurs numériques et bibliothèques ?

    Une bibliothécaire interpelle vivement les éditeurs : il est facile de dire que les bibliothèques offrent des conditions de localisation des ouvrages plus faciles que celles des éditeurs, mais qu'offre l'éditeur numérique en contrepartie des efforts de catalogage, conservation, rangement... fournis par les bibliothécaires ?

    Henri Le More, le plus concerné par cette question, précise que bien entendu, dans les contrats passés avec les bibliothèques, une contrepartie est prévue sous forme de fourniture de fichiers numériques et de redevances versées au titre des livres réimprimés. Ce qui est une juste rémunération du travail des bibliothécaires.

    Quel avantage y a-t-il à réimprimer, si un libraire d'ancien peut fournir le document original sur papier ? La numérisation d'un seul exemplaire ne revient-elle pas plus cher ?

    Là aussi, Henri Le More confirme que, au prix pratiqué par sa société 3,95 F la page, en un seul exemplaire, la comparaison est rapidement faite. Et bien sûr, sa société vérifie la disponibilité sur le marché de l'occasion des ouvrages avant reproduction.

    Mais, bien sûr, si la numérisation est faite pour un groupe de souscripteurs, le coût de la page est affaibli, et pour 50 exemplaires on arrive à des coûts proches de ceux d'un document original au prix du neuf. Encore faut-il intégrer l'éventuel travail de « nettoyage » des pages dans le cas de livres abîmés, avec rousseurs, taches... L'idéal est une sorte de réédition telle que celle faite pour la Société d'études robespierristes, qui a souhaité souscrire pour une réédition des uvres complètes de Robespierre.

    Quelle conservation des supports numériques ?

    Jean-Pierre Sakoun affirme que ce n'est pas le problème fondamental des éditeurs, dont le rôle est de fournir un produit adapté à une date donnée. Aujourd'hui, ils s'adaptent aux changements de normes, de formats, de structures des données, de HTML vers XML par exemple.

    La question de la disponibilité des moyens de lecture (micro-ordinateurs compatibles) est celle de l'exploitant, en l'occurrence de la bibliothèque. Ce problème ne se pose que pour les supports physiques, disques, cassettes car, pour les documents mis en ligne, ils seront évidemment toujours dans un format de lecture lisible au temps T.

    Par ailleurs, on imagine mal les bibliothèques se retrouver en situation de « moines copistes qui recopieraient chaque année leurs collections dans les standards contemporains.

    Quelle substitution d'un support à l'autre ? Y aura-t-il encore des livres imprimés, des disques, dans vingt ans ?

    Jean-Pierre Sakoun, s'appuyant sur des exemples historiques, affirme qu'un support ne se substitue jamais totalement à un autre, car leurs caractéristiques ne sont pas rigoureusement identiques. Il postule donc une cohabitation, aujourd'hui et dans le futur, entre l'imprimé (bien plus pratique à la plage par exemple), le cédérom, le document en ligne, le e-book... chaque support trouvant ses usages, comme le disait Roger Chartier ce matin même.

    Devant cette palette d'usages variés, chacun tâtonne, cherche la voie. Aux États-Unis, la « netlibrary » consiste en une offre d'achat d'un nombre fini d'exemplaires prêtables de documents numériques en ligne ou sur disque, faite par les éditeurs de numérique aux bibliothèques. Ainsi, la bibliothèque dispose de quelques exemplaires du texte et l'éditeur n'a pas à craindre la multiplication « sauvage », le piratage en quelque sorte, du fichier numérisé. Il souhaite le développement de cette diffusion en France.

    Daniel Garcia fait alors remarquer que cela risque de représenter un contrôle assez strict de la consultation et du prêt dans les bibliothèques, et de fait une limite au " libre accès " aux oeuvres.

    Jean-Pierre Sakoun intervient à nouveau : il ne faut pas croire que les éditeurs cherchent à détruire les bibliothèques, au contraire. Mais il faut absolument trouver des conditions d'exploitation des textes favorables à tous, dans la discussion et la négociation.

    Daniel Garcia élargit le propos en brossant un tableau rapide des politiques éditoriales des grands groupes français de l'édition. Havas investit très fortement dans l'électronique, pour l'instant surtout en constituant des bases de données immenses, sans avoir affiché de politique d'édition, encore qu'il se prépare à mettre en ligne le Petit Larousse sur portable WAP. Hachette semble plus discret, mais investit dans Cytale, le e-book français, et met en ligne le Guide Hachette des vins de France, consultable sur Palm Pilot. Gallimard a racheté Bibliopolis (2) , avec la volonté de développer sa politique multimédia. Les éditeurs dits indépendants semblent pour l'instant avoir d'autres priorités.

    L'édition électronique est donc tout aussi diversifiée que l'édition papier, si ce n'est qu'elle suppose des investissements colossaux. C'est pourquoi des nouveaux intervenants, venant du technique (Microsoft, Xerox...), risquent d'émerger sur le marché des contenus. D'où l'urgence pour les éditeurs de rester maîtres des contenus textuels et iconographiques.

    Jean-Pierre Sakoun tient à insister à nouveau sur le fait qu'éditer est un métier, et que ce n'est pas seulement numériser techniquement !

    Ce que confirme dans la salle une représentante des éditions Redon, éditrices de l'Encyclopédie Diderot-d'Alembert sur cédérom. Elle insiste sur le rôle pédagogique de l'édition numérique, et sur la nécessaire collaboration entre éditeurs et diffuseurs (en particulier les bibliothèques) pour apprendre aux utilisateurs à se retrouver dans ce type de texte, à gérer les renvois, à gérer aussi les absences de renvois. Il y a une pédagogie du numérique à inventer.

    Donnerai-je le mot de la fin à Patrice Jacquemin, comme le fit Daniel Garcia ? « Quand je prendrai ma retraite, j'espère que ce sera encore en vendant du papier, du bon vieux papier... »

    1. Pour en savoir plus, on pourra consulter les sites Web des différentes sociétés représentées : http://www.chapitre.com http://www.bibliopolis.fr http://www.OOhOO.com http://www.librissimo.com retour au texte

    2. En juillet 2000, Bibliopolis nous a annoncé la rupture de l'accord passé avec les éditions Gallimard. retour au texte