Index des revues

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    • Pringuet, Martine
      Table ronde, p.18-21.
    • Belayche, Claudine, de Corbion, Juan, de Sa Moreira, Bruno, Garcia, Daniel, Jacquemin, Patrice, Le More, Henri, Sakoun, Jean-Pierre
      Table ronde, p.22-25.

    Table ronde

    La création et les créateurs

    Par Martine Pringuet, Synt Médiathèque La Durance, Cavaillon

    Réfléchir sur les nouvelles technologies ne peut pas seulement, pour les bibliothécaires, s'élaborer par rapport à des pratiques journalières, une maîtrise technique, des compétences d'utilisation, voire aussi une amélioration et un élargissement des services rendus aux usagers.

    Ces préoccupations sont bien évidemment les nôtres. Elles doivent l'être certes, mais notre domaine de compétences ne s'arrête pas aux limites de ce domaine de technicité.

    Les bibliothécaires sont des " techniciens ». Ils doivent savoir, découvrir, acquérir, promouvoir et valoriser en permettant à chacun de se sentir à l'aise dans la culture de son époque.

    Par conséquent, les bibliothécaires doivent anticiper, précéder et accompagner les modes d'expression, les espaces de création culturelle, les initiatives et propositions les plus diverses, inattendues et innovantes pour que chacun puisse aisément y avoir accès, les explorer, se les approprier, ou, même pourquoi pas les rejeter et les contester.

    La création est donc, elle aussi, une préoccupation de bibliothécaires.

    Et dans la diversité de l'offre actuelle, plus que jamais, la création est présente, de façon flagrante ou extrêmement discrète (disques, films et livres). C'est pourquoi il était légitime de poser la question qui réunit cette table ronde quelle place pour la création dans les nouveaux supports ? ».

    Nous le savons cependant, de tout temps, à toutes les époques, les créateurs, les artistes ont investi les emplacements, les parois, les toiles, les supports. Ils ont façonné, tordu et détourné les objets, sans hésiter, ni reculer, sans chercher à plaire, pour investir et expérimenter par nécessité, car la création est de cet ordre-là.

    À l'heure actuelle, sur internet, d'innombrables sites d'artistes peuvent être trouvés, des milliers déjà aux États-Unis, et beaucoup très passionnants sur les sites francophones (1) . Il en est de même pour les sites d'écrivains, d'expériences d'écriture partagée.

    Quant aux cédéroms, il suffit de citer l'éditeur convié à cette table ronde mais retenu à un colloque au Portugal, Dadamédia - concepteur, entre autres, de la transposition de l'alphabet de Kveta Pacovska (2) ou l'auteur, convié également à cette table

    ronde mais empêché, Benoît Sokal, pour la transposition en cédérom de son album l'Amerzone paru aux éditions Casterman. Sans oublier les Carnets de Sabine et Griffon et quelques autres.

    Ainsi, les interventions pour cette table ronde donneront des pistes de réflexion, parfois étonnantes mais toujours attentives à la création. Bien plus qu'un état des lieux, la présence de la création dans les nouveaux supports ne faisant pas de doute, cette table ronde a peut-être comme ambition de donner la parole à des créateurs pour qu'ils nous amènent au coeur de leur pratique, dans les mots et les sons, sur la page, dans la conception des livres, et aussi des cédéroms, par l'appropriation des supports, en numérisant les textes et les images.

    Cette table ronde est dédiée à Gherasim Luca, poète, dont Pierre Tilman dira un texte extrait du recueil Le Chant de la carpe ». (3)

    Nous avons écouté et vu les prestations des créateurs présents à cette table ronde avec attention, et notamment celle de Richard Meier, éditeur (éditions Voix) qui nous a présenté ses très originales créations, pour nous bibliothécaires, qui sommes plutôt traditionnelles. On peut citer parmi ses publications LeMarchoir, l'Oursin, Marchez! Le Livre d'artiste qui sont tous des « livres lèvres... qui donnent du bruit à la langue, longue, tirée... ».

    Nous avons aussi reçu Michel Grandaty qui nous a charmés avec ses textes poétiques.

    Pierre Tilman, poète, a su nous captiver avec sa poésie vivante. Pour lui, la poésie est « geste, acte, attitude, forme, chose, objet, couleur, énergie, matière. Elle se heurte à une constante impossible qu'elle déjoue en s'inventant à chaque fois de nouvelles règles... ». Nous lui savons gré de nous avoir sortis de nos petites tracasseries quotidiennes.

    Pierre Laurendeau, dont nous donnons ici le texte, est plus proche de la problématique du Congrès, les autres créateurs ayant une dimension sans doute plus difficile à exprimer par l'écrit.

    Pierre Laurendeau

    A créé en 1978 les éditions Deleatur puis, en 1990, Le Polygraphe, agence de communication et structure d'édition institutionnelle/Spécialiste des questions informatiques liées à la gestion documentaire- notamment compatibilité logicielle - et développeur Adobe Acrobat. A exercé pendant dix ans le métier de correcteur. Écrivain (Carnets de Loire, Le Français cent difficultés...). Chargé de cours à l'université de 1990 à 1994.

    L'arrivée de la micro-informatique dans la gestion des documents éditoriaux, au tournant des années 1990, a bouleversé en profondeur les métiers de l'édition, qu'ils soient de conception ou de fabrication. La chaîne éditoriale traditionnelle, avec ses seuils de validation (manuscrit, préparation, saisie, maquette, correction), a été cassée au profit d'une zone floue où la matière éditoriale est en permanence modifiable et sujette à des troubles imprévisibles. L'émergence de la technologie CTP (copy to plate), en permettant une inscription directe des informations binaires sur la plaque d'impression, rend tout contrôle final problématique : une altération des fichiers informatiques au moment de la gravure de la plaque ne sera décelée que sur les feuilles imprimées. De réjouissantes empoignades juridiques en prévision !

    Rappelons que la micro-informatique est probablement la seule technologie fondée sur les dysfonctionnements : au moment de l'acquisition, les composants physiques sont déjà obsolètes ; quant aux systèmes d'exploitation et autres logiciels, ils sont livrés avec les indispensables bugs qui vous garantissent des plantages à répétition ; et, lors de vos appels au secours, il vous sera répondu, en préambule : "Ça ne marche pas ? C'est normal... »

    Édition électronique ou électronique éditoriale ?

    Ce long préambule me paraît nécessaire, car la production de documents électroniques doit tenir compte de facteurs imprévisibles qui n'interviennent pas dans l'édition de livres. Que vous soyez sous un arbre ou dans votre lit, le support physique (le papier) est constant et les défaillances de l'environnement de lecture sont identifiables. S'il fait nuit et que l'ampoule a des faiblesses, vous ne téléphonez pas à l'éditeur pour demander son remplacement.

    Or, la production d'un CD-rom doit tenir compte de multiples variables : le système d'exploitation (Windows, MacOS, Linux...), la puissance des ordinateurs, la capacité des périphériques (cartes son, cartes graphiques), les palettes d'affichage ou la résolution des écrans. Ces contraintes entraînent des choix délicats : doit-on privilégier la plus grande compatibilité, au risque de se priver de ressources " gourmandes en puissance - et donc frustrer la plus grande part des utilisateurs - ou déterminer un seuil de compatibilité élevé - et laisser pour compte les utilisateurs d'ordinateurs « obsolètes (deux ou trois ans d'âge).

    CD-rom ou papier

    Autre interrogation, celle-ci de contenu : peut-on exploiter un gisement éditorial sur les deux supports ? Faut-il concevoir un produit multimédia exclusivement en création de ressources ?

    À ces deux questions, vitales pour l'éditeur, la réponse est avant tout économique : sur une hypothèse de vente moyenne d'un CDrom (1 500 à 5 000 exemplaires), il est impossible d'amortir des coûts de création, qui s'apparentent plus aux budgets de production audiovisuelle qu'à l'édition papier. Les éditeurs seront donc enclins à acheter des produits « localisés » (c'est-à-dire conçus dès l'origine en plusieurs langues), dont les coûts de conception sont amortis sur des ventes multiples - même si ces produits souffrent parfois du contexte culturel spécifique de la zone de conception. Autre solution : transférer le corpus éditorial du papier vers le support électronique ; le traitement des données pour l'impression étant déjà numérique, le transfert s'opère soit par reconstruction avec des outils dédiés (Director...), soit par copie électronique (Acrobat...) avec ajout d'une couche d'interactivité.

    Deux expériences

    Pour ma part, j'ai commencé par mener des études et des audits, pour le compte de clients (groupes éditoriaux, institutions, etc.), avant d'envisager la production de deux CD-rom, à titre expérimental.

    La Cabane enchantée

    En 1995, j'ai proposé à un éditeur jeunesse la création d'une ligne de produits multimédia qui privilégierait les besoins de l'enfant à la performance technologique. Une équipe de recherche s'est alors constituée, comprenant quatre conseillers pédagogiques de l'enseignement privé, un graphiste, deux développeurs/concepteurs multimédia, eux-mêmes impliqués professionnellement dans l'enseignement... public - et moi, chargé de coordonner le tout.

    Les règles du jeu étaient à la fois simples et hasardeuses : les modules d'activité du CD-rom, dont le public visé était la tranche des 3-6 ans, devaient obéir à des critères précis : création de ressources, exclusivement ; activités utilisant les spécificités du support ; bien-être des enfants (environnement graphique beau et rassurant, composition musicale étudiée) ; place laissée à leur initiative ; propositions d'ouverture vers des activités hors CD-rom.

    La phase de recherche/création a duré un an et demi : lors de nos rencontres, nous éliminions toutes les propositions qui ne respectaient pas ces critères, même si les activités offraient un intérêt par elles-mêmes. Une fois le scénario écrit (avec description de chaque écran), un crayonné était adressé au graphiste ; les écrans proposés, traités aux crayons de couleur pour en accentuer le côté chaleureux et apaisant, ont systématiquement été testés dans les classes (par exemple, la petite fleur qui orne l'écran d'accueil a été choisie parce qu'"elle était belle et qu'« elle sentait bon »).

    De même, une fois monté, chaque module d'activité était testé en école et remanié en fonction des réactions des enfants.

    Outre ces tests en phase de création, des tests de « débuggage » poussés ont été effectués avant la mise en circulation. Nous voulions que le produit final soit aussi « propre que possible (débuggage intensif, proche du zéro défaut) et autonome par rapport à la station d'accueil (pas de manipulation des fichiers système des ordinateurs).

    La diffusion de La Cabane enchantée s'est faite en 1999, soit près de quatre ans après les premières recherches. Nous avons été surpris, avec nos partenaires de l'enseignement privé, de la « résistance » du produit à l'obsolescence ; lors d'un salon du multimédia, en Vendée, La Cabane était présentée en compagnie de produits plus jeunes et plus « attractifs », techniquement ; les démonstrateurs de la DDEC Vendée ont eu la surprise de voir les enfants revenir vers La Cabane après avoir été happés par les scintillements des produits plus récents.

    Le revers de la médaille : une telle aventure n'est guère possible que dans le cadre d'une expérimentation ; la maquette du CDrom a été soumise à plusieurs éditeurs qui se sont rétractés, malgré leur intérêt, devant les coûts de réalisation.

    Atlas de l'Anjou

    Pour ma deuxième expérience, je souhaitais démontrer la pertinence des outils de consultation électronique lors d'un transfert de contenu éditorial du support papier vers un support de type CD-rom.

    J'ai été associé en 1997 à l'édition d'un Atlas, dont les planches présentaient, sous forme cartographique, les données essentielles de la vie d'un département (le Maineet-Loire).

    À partir d'un constat - le vieillissement des données, surtout à l'approche du recensement général de la population- la réflexion a porté sur l'évolutivité d'un atlas papier dont les mises à jour périodiques auraient entraîné des coûts de réalisation astronomiques. Avec nos partenaires (Comité d'expansion économique et Université d'Angers), nous avons prévu, dès l'origine, le transfert de l'atlas sur CD-rom avec mises à jour en ligne sur un site Internet.

    La technologie Acrobat, très adaptée - notamment parce qu'elle » encapsule » les cartes vectorielles, avec une qualité d'affichage remarquable quel que soit le zoom -, a été choisie pour assurer ce transfert.

    À partir du fichier « source créé avec un logiciel de mise en pages pour l'édition papier, la version Acrobat a été générée et enrichie d'outils de navigation par onglets, index, mots-clés. Le fichier « source », à jour, reste disponible pour une future édition papier.

    L'atlas papier restera une image fiable d'une entité territoriale à un moment donné ; la version électronique permet de mesurer l'évolution des indicateurs au plus près des données disponibles. Il y a bien là complémentarité et non conflit entre deux modes de consultation.

    Comme pour La Cabane enchantée, nous avons eu le souci de livrer un CD-rom propre (débuggages poussés) et autonome, la seule installation nécessaire étant celle d'Acrobat Reader, le module de lecture fourni avec le CD-rom.

    Internet

    Je m'intéresse à internet d'un point de vue d'éditeur : ce merveilleux outil d'échanges est malheureusement pollué par des enjeux commerciaux et stratégiques à l'opposé des idées de ses concepteurs. Il me paraît difficile, actuellement, de concevoir des produits éditoriaux qualitatifs tant que ne seront pas réglés des problèmes de " tuyauterie et de droits et tant que le net n'aura pas été vigoureusement dépollué.

    Le CD-rom est un support stable, proche du livre : on peut revenir à l'écran consulté comme on peut retrouver avec bonheur la page d'un livre délaissé la veille. Qu'en sera-t-il d'un savoir fugitif, dont les données sont susceptibles de variations infinies. Certes, cela ouvre des portes à une création féconde (analogue aux investigations oulipiennes), mais pose également le délicat problème de l'identification du message et de son producteur : à qui incombera la responsabilité du savoir et quelles moyens aurons-nous, nous autres éditeurs, de vérifier que le module en consultation est bien celui acquis sur notre cybercatalogue ?

    1. Voir l'ouvrage Les Nouveaux médias dans l'art par Michael Rush, éditions Thames et Hudson. retour au texte

    2. Éditions Syrinx pour le cédérom, éditions Le Seuil pour le livre. retour au texte

    3. Éditions José Corti. retour au texte