Gérard Thirion est décédé le 30 septembre 2000. Né à Beuvezin, petit village de Meurtheet-Moselle, le 24 février 1929, il n'avait que 71 ans. Cette disparition est le triste aboutissement de deux années de souffrances physiques mais surtout morales, puisqu'il ne pouvait plus ni lire ni écrire. Tous ceux qui l'ont suivi au long de sa carrière dans notre métier sont peinés.
Après avoir été éducateur à l'école des sourds-muets de Jarville, il fut, ses licences de théologie et d'histoire achevées, professeur à Lunéville, puis c'est dans la vieille bibliothèque située au-dessus des bureaux de la mairie de cette ville, dans la poussière et le manque de confort, qu'il prit en 1959 contact avec une profession qu'il allait illustrer. La même année, il passait brillamment le CAFB. Puis, poussé par le jury, il se présentait et obtenait l'année suivante le DSB ; classé deuxième, il se vit proposer un poste à la BN.
À la surprise générale, il opta pour l'emploi de bibliothécaire disponible à la BM de Nancy, car son attachement à la Lorraine était viscéral, de même que son engagement dans la direction des colonies de vacances et camps d'adolescents qu'il assumait chaque année dans les Vosges ou dans les Alpes depuis 1954 - et qu'il ne voulait pas abandonner - avec cet allant qu'il mit ensuite dans l'exercice de sa profession.
Logé avec sa famille dans un appartement de la grande barre de HLM du Haut-du-Lièvre, au-dessus de Nancy, il n'eut de cesse d'obtenir la mise à disposition d'un garage à bicyclettes inemployé pour y ouvrir une petite bibliothèque annexe du service de lecture publique de la BM centrale, dont il s'occupa jusqu'à son installation à Laxou.
De la BM de Nancy, il passa dès l'année suivante à la BU afin de créer une bibliothèque universitaire de lettres conforme aux instructions nouvelles sur la spécialisation. Il réussit parfaitement et son établissement servit de référence pour le développement de la politique décentralisatrice des BU. Dix ans plus tard, il accepta la direction de la BIU de Lyon... mais avec la promesse de l'administration de reprendre le même poste à Nancy quand il serait libre.
Entre-temps, il y avait un problème qui préoccupait les bibliothécaires lorrains, celui de la formation professionnelle, Cette question revenait au cours de chaque réunion de la section de l'ABF : chaque bibliothécaire devait prendre en charge et former de A à Z un ou plusieurs candidats au CAFB. Il en résultait à la fois une perte de temps pour le personnel et une inégalité de formation selon les établissements.
Aussi, dès que fut projetée la création d'un IUT information communication rattaché à l'université de Nancy 2, Gérard négocia l'ouverture d'un département documentation. Il obtint l'agrément du programme que nous avions mis au point, débouchant pour les étudiants sur le CAFB, le DUT documentation et la préparation au concours de sous-bibliothécaire d'État.
Les cours débutèrent en octobre 1967, avec 50 °/o d'enseignants professionnels et 50 °/o d'enseignants bibliothécaires. Ces derniers, astreints à donner une demi-journée de cours durant vingt semaines et à recevoir les candidats en stage trois semaines en deux fois, en mesurèrent l'intérêt. Les résultats aux examens et concours durant plusieurs décennies justifièrent l'efficacité de l'institution. Gérard en prit même la direction de 1969 à 1971, année de son départ pour Lyon, mais il garda néanmoins sa charge de cours jusqu'en 1983.
Cette carrière de bibliothécaire enseignant à laquelle nous étions attachés l'un et l'autre, car nous savions qu'elle conditionnait la réussite des réformes en cours tant dans les BU que dans les bibliothèques publiques, se poursuivit à l'ENSB, de 1969 à 1984 pour lui.
Seule ombre au tableau : le refus par le recteur Groshens, alors directeur des IUT au ministère, en 1969, d'accorder une troisième année d'IUT aux étudiants qui souhaiteraient obtenir la qualification de « bibliothécaire de lecture publique », dont le grade venait d'être créé et pour lequel nous avions préparé un programme d'études très axé sur l'animation livres et audiovisuel.
En 1972, il fut appelé à la Direction des bibliothèques et de la lecture publique et chargé, au bureau des BU, d'impulser l'adaptation de ces établissements aux nouveaux besoins des universités. Enfin, en 1974, il revenait à Nancy à la tête de la BIU. Dans cette agglomération nancéienne, il avait obtenu son bâton de maréchal. Il pouvait plus facilement concilier sa carrière professionnelle avec ses activités politiques, car il était devenu entre-temps adjoint au maire puis maire de la ville de Laxou (où il résidait), conseiller général et vice-président du district urbain de Nancy.
Cette somme de travail ne l'effrayait pas, et les réalisations qu'il mena à bien dans sa ville, notamment l'ouverture d'une bibliothèque municipale puis la construction d'une médiathèque - la première de l'agglomération nancéienne - en témoignent. Je le revois encore, au sortir de l'ENSB à Paris, reprendre le train de Nancy en fin de semaine, venant de Lyon via Paris, le sac à dos sur les épaules.
Il ne négligeait pas pour autant l'ABF, et il fut un pilier de la section Lorraine, notamment au temps où de graves dissensions au sein de la section des Bibliothèques publiques au plan national amenèrent le retrait de plusieurs d'entre nous et la création de l'Association pour les médiathèques publiques.
Attaché à la lecture publique, dont il connaissait les difficultés pour y avoir oeuvré dans les débuts de sa carrière et pour être maire, il comprenait bien que ce qui était bon pour la banlieue parisienne ne l'était pas forcément pour Paris ville et pour le reste de la France.
Il allait, une fois encore, être contraint de quitter Nancy. En 1983, il fut nommé inspecteur général. Dix années durant, il contrôla, conseilla. Selon l'usage, il fut donc l'un des missi dominici de la Direction des bibliothèques : son expérience sur le terrain de tous les types de bibliothèques, sa compréhension des vues souvent contradictoires entre élus et fonctionnaires lui permirent de concilier les contraires, de faire avancer les projets. Cette expérience était confortée par ses voyages officiels en Russie et en Afrique.
Enfin, en 1993, l'âge de la retraite le ramenait à Laxou pour jouir en paix de sa famille et de ses amis. La maladie le guettait. Elle l'a emmené.
Une brassée de distinctions, dont l'ordre national du Mérite et la Légion d'honneur, ont heureusement sanctionné les différentes étapes d'une carrière qui fait honneur à notre profession. Nous ne saurions oublier dans cet hommage Mme Thirion, qui a accepté d'accompagner et de soutenir sans défaillance un tel parcours nonobstant les sacrifices qu'il exigeait de l'un et de l'autre.
Adieu Gérard.