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    De l'Antiquité aux temps modernes

    Villedieu-les-Poêles

    Par Gwenaëlle Lancelot

    En Normandie, à 20km d'Avranches, blotti au creux d'une vallée où la rivière la Sienne coule paisiblement, Villedieu abrite ses 4200 habitants. Le projet de médiathèque s'est amorcé en 1991. Encouragée par la DRAC et le conseil général, l'idée fut évoquée de créer un centre culturel. Ce projet fut finalement repris dans le programme des élections municipales de 1995. Une étude de faisabilité a été réalisée en 1998 par un cabinet-conseil.

    En septembre 1998, j'ai été recrutée pour mener le projet de construction de la médiathèque, sur un poste d'agent du patrimoine. Parallèlement, je devais expressément aménager une bibliothèque provisoire de 80 m2 pour répondre à la demande du public. Celle-ci, heureusement, a remporté un vif succès (l'offre a incité la demande) et des besoins se sont manifestés.

    Enfin, le projet de médiathèque est devenu réalité après de longues batailles, même si nous avons ressenti chez certains élus un désintérêt et même une absence de besoins au niveau culturel. Je me souviens d'une parole très instructive de l'élu à la culture sur l'état de la culture à Villedieu : « Nous sommes passés de l'Antiquité aux temps modernes sans passer par le Moyen Âge», et malgré son histoire riche de privilèges, Villedieu n'a pas su saisir la mouvance de la culture populaire des années 1960, la ville a raté une étape primordiale pour son développement.

    Le site retenu (bâtiment de la halle aux grains datant de 1846) est central, il accueillait le marché et abritait le foyer d'automne. Le coût d'investissement pour la commune n'est pas démesuré comme le prétendaient les opposants au projet. Toutefois, la communauté de communes a refusé ce projet. Les financements cumulés (département, État, Région) ont permis de réaliser un projet correspondant bien aux besoins d'origine et de sauvegarder un patrimoine de qualité. Le coût résiduel pour la commune est de l'ordre de 1,8 million de francs, le coût total de la réalisation étant de 5,5 millions de francs.

    Le coût de fonctionnement représente 750 000 F par an, au même titre que le sport. La construction de la médiathèque a été réalisée sans augmenter l'endettement communal d'une part, et sans augmenter la pression fiscale d'autre part.

    Malgré ses contraintes techniques, car c'est un bâtiment tout en longueur, nous y avons implanté deux étages (652 m2). Les unités de lieu sont des espaces de liberté, de déambulation, mais aussi de recherche individuelle ou collective. Les unités visuelles sont perméables, ouvertes et attractives, et bénéficient d'un éclairage naturel. C'est un outil de culture diversifié, un mariage entre l'ancien et le moderne (la charpente d'origine est conservée).

    La médiathèque de Villedieu est atypique dans les choix qui ont été privilégiés. La conception des espaces bouleverse les habitudes. C'est un laboratoire d'expérimentation sur les nouveaux usages des publics de la médiathèque. Elle a été conçue selon une triple démarche architecturale (une vraie collaboration entre l'architecte et la bibliothécaire), de service public (un lieu de vie où l'extérieur rentre à l'intérieur : un jardin a été réalisé dans la salle d'étude) et technique.

    Le lieu est convivial, coloré et chaleureux. C'est un espace de rencontre comme il n'en existe plus dans les villes rurales. Tous les publics jeunes et âgés peuvent s'y sentir accueillis. En effet, petit clin d'oeil concernant le mobilier que nous avons choisi : ce n'est pas du mobilier traditionnel de bibliothèque, c'est celui qui est utilisé dans d'autres lieux conviviaux qui favorisent les échanges (bar, restaurant). Nous avons souhaité allier la recherche du plaisir et surtout le fait qu'on s'y sente bien. Chacun s'y retrouve, un côté « chauffeuses » qui s'appelle le salon, un coin avec du mobilier de pub ou de café. D'ailleurs, deux distributeurs de boissons ont été installés pour favoriser le partage.

    Vignette de l'image.Illustration
    Fiche technique

    Mon objectif principal était d'ouvrir la médiathèque sur le monde et non l'inverse. L'aspect technique a été adapté au publie : les cotes des livres et des disques sont en couleur. La classification des disques est entièrement adaptée et simplifiée pour le public. Nous avons repris une classification de disquaire. La médiathèque a été conçue à l'échelle humaine. Les formes architecturales sont rondes, les plafonds bas. L'espace central de la médiathèque est réservé au public.

    Les collections n'impressionnent pas, elles se fondent dans le lieu et restent discrètes. La présentation des BD ressemble à celle pratiquée en librairie, car elles sont rangées par série et en tas. Les espaces adultes et jeunesse sont sur le même niveau pour que le passage de l'un vers l'autre soit plus facile pour les adolescents.

    L'endroit le plus animé de la médiathèque est celui où se mélangent la musique (quatre écoutes de CD agencées comme un salon), les revues, (achetées en partie grâce au parrainage de vingt associations), les DVD (deux postes), les cédéroms et l'internet (dix postes de consultation pour le public).

    Nous avons mis en place un tarif famille de 100 F par an pour trois personnes minimum. Ce tarif comprend les enfants, les parents et les grands-parents. En outre, la médiathèque est ouverte du lundi au samedi inclus, ce qui permet à tous les publics de la fréquenter. Nous avons créé un espace info-jeunes et demandeurs d'emploi qui comprend des informations pratiques et oriente sur des sites internet. Ce pôle est encadré par une animatrice médiatrice du livre.

    Enfin, en ce qui concerne la promotion de la médiathèque, nous avons conçu un guide du lecteur sous forme d'un jeu de cartes. Nous allons réaliser pour la rentrée prochaine une Deweypoly, qui n'est autre que la classification Dewey expliquée sous forme de jeu en reprenant la base du Monopoly.

    Résultat : 25% d'inscrits

    Je me souviens des paroles de l'architecte au début du projet : « Je conçois les espaces comme si j'avais un handicap. » Je lui avais répondu : « Et moi comme si c'était la première fois que j'entrais dans une médiathèque et qu'il fallait me convaincre d'y rester. » C'est avec empathie pour le public que nous avons pensé les espaces. Nous avons souhaité préserver la continuité dans les missions de la halle aux grains et maintenant de la médiathèque...

    L'inauguration de la halle, construite en 1846, avait été un grand événement à l'époque. C'est dans ce même élan, dans cette même continuité et avec ces mêmes missions (comme aire de rencontre) que nous avons conçu la médiathèque. Les activités ainsi que les gens sont au centre de l'espace, et les collections sont moins dominantes dans l'espace pour ne pas effrayer les publics en difficulté.

    Enfin, je constate qu'avec toutes les difficultés rencontrées nous avons rempli nos objectifs puisque nous atteignons, en deux semaines d'ouverture, 1 000 inscrits sur 4 000 habitants. Toutes ces « bagarres » en valaient la peine. Notre médiathèque, si marginale soit-elle, prouve encore une fois que le public est un atout majeur et une source de réflexion inépuisable.