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    Anatomie d'un succès

    La médiathèque de Meudon

    Par Jean-François Jacques

    La ville de Meudon - trois châteaux disparus, un observatoire réputé, une des plus belles vues sur Paris, le souvenir d'Armande Béjart, de Rodin et de Céline - a une particularité géographique rare : un gros tiers de la ville, le quartier de Meudon-la-Forêt, est séparé du reste par 2 km de forêt. Ce qui ne facilite pas la vie commune et complique bien la tâche des élus et des acteurs culturels et sociaux ! Deux bibliothèques desservent donc ces deux quartiers, de manière complémentaire.

    À l'heure des médiathèques, la ville a fait le choix difficile de reconstruire deux équipements distincts, pratiquement en même temps : le pôle Meudon-Ville a ouvert ses portes en octobre 2000, le pôle Meudon-la-Forêt sera inauguré en juin 2001. La première médiathèque fait 1 500 m2, la seconde 1 300 : c'est l'addition des deux qui permet à la ville d'être dans la norme. Il m'a paru intéressant de voir comment fonctionnait le premier pôle après cinq mois d'ouverture.

    La médiathèque nouvelle succède à une petite bibliothèque de 500 m2, à laquelle avait été adjointe, dans des locaux distincts, une bibliothèque musicale de 100 m2. Des résultats très honorables étaient obtenus, avec 4 400 inscrits pour la bibliothèque et 880 pour la discothèque, sur les 28 000 habitants de Meudon-Ville. Avec 140 000 prêts d'un côté et 45 000 de l'autre, les élus étaient relativement satisfaits. Mais, face aux équipements très modernes qui se construisent dans les communes limitrophes, et devant les demandes croissantes des usagers, bien analysées et relayées par les professionnels, la municipalité décide de construire deux médiathèques. Les équipements existants souffrent en effet du syndrome habituel des bibliothèques trop petites et peu modernes : la saturation de l'espace rend l'offre peu lisible, le manque de places assises exclut les jeunes adolescents et adultes, l'exiguïté des locaux empêche toute introduction de nouveaux médias.

    La médiathèque a été reconstruite sur place : en fait, dans un bâtiment moderne, la bibliothèque coexistait avec un centre culturel. Celui-ci ayant déménagé (voir le numéro de Techniques et Architecture), la totalité de l'espace peut être réutilisé. La médiathèque est l'oeuvre de l'architecte DPLG de la ville, M. Delearde. Elle se développe sur deux niveaux, dans un vaste triangle. Au rezde-chaussée, outre l'accueil, se trouvent l'espace jeunesse et l'espace son et image. À l'étage, les adultes et les services internes. Aucun cloisonnement interne ne vient entraver la circulation des usagers. Seul un mur mobile permet de refermer sur le conteur et son jeune public un espace de gradins, et des demi-cloisons isolent un petit auditorium.

    Le Meudonnais qui pénètre dans la médiathèque se trouve donc immédiatement dans l'espace même des documents, très visibles de la rue. Une banque d'accueil centrale divise les flux entrant et sortant, et des banques de renseignements marquent chacun des espaces. Le mobilier en bois clair (Borgeaud) est identique sur l'ensemble de la médiathèque, qui bénéficie d'une clarté, d'une simplicité chaleureuse tout à fait remarquables. Le stratifié rouge sombre des banques apporte la seule couleur dans cet espace rigoureux et sobre. La signalétique a été remarquablement réalisée par Michel Rohmer, qui a utilisé des caractères noirs sur de la « toile de spi » blanche et légèrement translucide pour le niveau le plus général, et un lettrage sur Plexiglas pour la signalisation thématique.

    Une surface triplée, 150 places assises, une collection de 65 000 documents à l'ouverture, des horaires portés prudemment de 29 à 32 heures hebdomadaires, un budget d'acquisition honnête (autant qu'il est possible à l'équipe de dépenser, souligne la directrice, Jeanine Arveuf), l'introduction de la vidéo, des cédéroms et DVD (réseau Pulcra), des accès à internet : le succès est assuré.

    Tellement assuré qu'il se révèle au-delà des espérances, au niveau des estimations les plus optimistes de Jeanine Arveuf - à ce point que le bureau d'étude qui a validé son programme ne reprenait que très prudemment ces prévisions. Plus de 10 000 inscrits en cinq mois, un volume de prêts qui se stabilise à 33 000 par mois après avoir atteint 43 000 le premier mois... La population plébiscite l'équipement et le maire de Meudon n'en revient pas ! Rajeunissement considérable du lectorat et arrivée d'un public plus populaire font que les objectifs culturels sont pleinement atteints.

    Mais l'équipement est vite saturé, des queues se forment au prêt, encombrant l'espace. Il faut assez vite réduire le nombre de documents prêtés tant les rayons se vident, publier le tableau des heures les plus creuses pour inciter les usagers à modifier leurs pratiques. Le personnel se révèle insuffisant... Si le public reste très heureux dans sa belle médiathèque toute neuve, l'équipe qui l'accueille est inquiète.

    Plusieurs données peuvent être corrigées : on est, de manière caractéristique, devant un cas de figure qui peut faire exemple. Les besoins de la population dans le domaine de la lecture publique sont énormes et toute nouvelle offre dans ce domaine, parée de l'aura de la modernité et appuyée sur une juste analyse de ces besoins, fait immédiatement recette. Mais il faut que l'équilibre des trois composantes de base soit respecté : un lieu, des collections, des compétences.

    Le lieu doit être proportionné à la population et au besoin d'espaces de travail qu'elle peut manifester. Les collections doivent être adaptées à la population attendue et à l'espace disponible, appuyées sur un budget permettant un renouvellement annuel de l'ordre de 10 010. Les compétences (le nombre de professionnels) doivent être calculées en fonction du lieu, des horaires désirés, des collections à acquérir et des services à rendre. Cet équilibre n'est sans doute pas atteint ici, avec une équipe encore insuffisante au regard des besoins d'élargissement des horaires et des espaces superbes mais déjà trop étroits.

    Il faut bien dire que nous sommes placés devant un fait nouveau : plus de 30 % de la population desservie s'est inscrite en quelques mois, quand bien souvent on table sur 25 à 30°/o au bout d'un ou deux ans ! Et le report du quartier de Meudon-la-Forêt vers le centre est très faible et n'explique pas du tout l'affluence constatée ! Ce succès extrêmement rapide a-t-il été constaté ailleurs ? On dit que l'on observe une relative stagnation des prêts au niveau national, et pourtant on a vu à plusieurs reprises ce même phénomène d'augmentation massive de la fréquentation. ,-

    À Issy-les-Moulineaux, commune limitrophe de Meudon, j'enregistre une croissance des prêts de 17°/o en deux ans. Il semble que les adolescents - en partie grâce à l'image novatrice donnée par les nouvelles technologies, mais surtout en raison de l'outil de travail doublé de la polyvalence de l'espace qui leur est proposé - font très vite et très naturellement des nouvelles médiathèques leur principal « lieu de vie Il n'est pas interdit aussi de penser que les 35 heures, apportant aux salariés quelques loisirs supplémentaires, peuvent y être pour quelque chose.

    Dans le cas de Meudon, nous sommes face à une donnée supplémentaire : l'obligation dans laquelle se trouvait la ville de pourvoir avec la même qualité deux quartiers très éloignés l'un de l'autre l'a conduite à concevoir pour Meudon-Ville un équipement sans doute trop petit. Il est difficile, dans un cadre urbain où le terrain est rare et très cher, de faire beaucoup mieux. On notera cependant que le seuil subventionnable de 0,07 m2par habitant, tout juste atteint ici, est sans doute nettement trop faible à force de vouloir n'être pas décourageant.

    Le nombre de postes (17 personnes) va certainement croître : il n'a guère augmenté lors du changement d'échelle et la ville peut en assumer la charge, d'autant que l'équipe de la médiathèque est bien décidée à offrir au public des horaires encore élargis dès qu'elle le pourra pour inciter les usagers à étaler dans le temps leur fréquentation. Le budget d'acquisition suivra aussi. Mais l'espace, et l'offre documentaire ?