Boptiste-Morrey, François Bon, Jean-Marie Laclavetine, Michel Onfray, Daniel Pennoc. - Mille et une nuits, CSU, 2000. - (Les petits libres, n° 35).
Prêter n'est pas voler. On pourrait l'appeler aussi « le petit livre rouge des bibliothécaires». Petit ouvrage collectif en forme de manifeste de cinq auteurs favorables au prêt gratuit.
Des évidences certes, mais combien agréables à entendre surtout quand elles sont prononcées avec talent et conviction. Passons de l'analyse de l'économie du livre de Michel Onfray à la vie des bibliothèques de François Bon, du petit Castillo illustré de Baptiste-Marrey à la correspondance de Jean-Marie Laclavetine avec Jérôme Lindon en passant par la touche personnelle (intimiste ?) de Daniel Pennac.
Bien sûr, les bibliothécaires s'en trouveront réconfortés.
Et puis, tiens, n'hésitez pas à l'acheter celui-là, et à le donner, le prêter, le garder ; c'est 10 F !
Ernestine Chossebceuf. - Vauchrétien : Ivan Davy; Angers : Deleatur, 2000. - 116 p., 18 cm. ISBN Ivan Davy : 2-86750-033-8; Deleatur: 2-86807-097-3.
Voilà un volume rassemblant des signatures aussi prestigieuses qu'éclectiques : Claudine Belayche, Yves Bonnefoy, Jean-Claude Carrière, Bernard Clavel, Régine Deforges, Paul Fournel, Jean-Marie Laclavetine, Jules Mougin, Claude Simon et Edmond Thomas. D'autres, s'ils l'avaient voulu, auraient pu être de la partie : sept Jean (Diwo, Dutourd, Lebrun, Rouaud, -Claude Barreau, -François Revel, -Louis Fournier), cinq Alain (Corbin, Decaux, Lipietz, Rémond, Rey), quatre Michel(e) (del Castillo, Duffour, Gazier, Ragon), quatre Pierre (Assouline, Bellemare, Bonte, Sansot), deux François (Caradec, de Closets), deux Marie (Darieussecq, Rouannet), deux Patrick (Modiano, Rambaud), deux Philippe (Bouvard, Meyer), deux Lindon (Jérôme, Mathieu) ainsi que José Artur, Nicole Avril, André Balland, Azouz Begag, Huguette Bouchardeau, Renaud Camus, Hervé de Charrette, Georges-Emmanuel Clancier, Fanny Deschamps, Geneviève Dormann, Jacques Duquesne, Julien Gracq, Roland Jaccard, Thierry Jonquet, Gilles Lapouge, Bernard-Henry Lévy, Guy Montagné, Daniel Pennac, Serge Rezvani, Maurice Rheims, Robert Sabatier, Martin Winckler et le député Marchand.
Mais pas plus d'Adolphe d'Ennery que de Biaise Pascal. L'auteur principal, c'est «Chasseboeuf, Ernestine (1910-...) », comme on dit dans le fichier d'autorités de la BnF, habitante de Coutures (Maine-et-Loire). Nous n'en dirons pas plus car Mme veuve Chasseboeuf ne figure pas (ou pas encore ?) dans ledit fichier, non plus que dans le Dictionnaire des auteurs Lafont-Bompiani. Sinon que notre Angevine a, du 14 mai au 20 juin 2000, écrit à tous ces gens, ce qui remplirait bien une brouette, pour proclamer haut et fort sa détermination de continuer à faire circuler Les Deux Orphelines parmi ses voisines sans payer son obole aux héritiers d'Ennery.
Le lecteur du Bulletin attentif à l'actualité aura reconnu parmi les personnes citées des auteurs, ou des personnes qui ont publié au moins un ouvrage sous leur nom (mais il y a quelques intrus), signataires de la fameuse pétition des 288 pour le droit de prêt.
Nous laisserons chacun distinguer les intrus des deux espèces : pour se rafraîchir la mémoire, il n'est que de se plonger dans cette correspondance aussi aimable qu'assassine, du moins pour la plupart des destinataires. Le style en est plaisant et élégamment relâché, avec une disparition systématique non pas de la lettre « e (car comment alors parler de prêt et de bibliothèque ?), mais au moins de la particule négative «ne». Bref, Ernestine Chasseboeuf ne veut pas payer avant de descendre du bibliobus, et le fait savoir aux défenseurs supposés du péage. Aux uns, elle susurre en substance « cela ne m'étonne pas de vous » ; aux autres, " non, pas vous, c'est pas vrai ! ".
On pourra remarquer que l'épistolière se révèle, dans ses goûts, connaissances et sensibilités, plus proche du profil du bibliothécaire moyen que de la nonagénaire rurale angevine moyenne : elle connaît Pierre Sansot (excusez du peu), ne lit certes pas le Figaro mais scrute l'oeil de Télérama, écoute Jean Lebrun, François Caradec et Gilles Lapouge sur France-Culture et ne prise ni Pierre Bellemare ni Philippe Bouvard. Nous laisserons au lecteur le soin de déterminer si les indices suivants l'éloignent ou non du modèle proposé : elle n'a rien lu ni de Claude Simon ni de Bernard-Henri Lévy et n'a pu terminer le Rivage des Syrtes.
Aux missives d'Ernestine succèdent dans le volume les réponses de ceux qui ont pris la peine de réagir, sauf celle de Thierry Jonquet qui n'a pas voulu. Les auteurs ayant compté parmi les 288 apparaissent pour la plupart en retrait (ils n'ont jamais demandé le paiement à chaque prêt). Paul Fournel s'en tire avec humour et Bernard Clavel joint sa lettre ouverte à Claudine Belayche où il persiste dans un double misérabilisme, consentant que seuls les nécessiteux soient dispensés du prêt payant et s'apitoyant sur les auteurs âgés qui ne sont plus lus qu'en bibliothèque.
Le débat prend des dimensions économiques et juridiques quand Mme Chasseboeuf rappelle qu'elle ne paie pas le menuisier chaque fois qu'elle ouvre sa porte, tandis que M. Fournel remarque que tous ceux qui sont payés grâce aux bibliothèques (les bibliothécaires, les architectes, les balayeurs) ne le seraient plus sans les auteurs qui ne le sont pas.
Il faut féliciter les écrivains qui ont bien voulu répondre et autoriser la reproduction de leur texte : quelle que soit leur position, ils auront contribué, dans le sillage d'Ernestine, à introduire un peu de douceur angevine dans le débat, ce qui ne saurait nuire à sa conclusion.
Le volume se clôt par un dossier comprenant une chronologie établie par Claudine Belayche arrêtée au 18 septembre 2000 et quelques textes fondamentaux qu'il est bon d'avoir sous la main : déclarations de l'ABF, du comité de promotion du livre pour la jeunesse de Seine-Saint-Denis, lettre-type proposée par les éditeurs à leurs auteurs visant à faire respecter leur droit d'interdire le prêt des ouvrages en bibliothèque.
Cet ouvrage agréable, à la couverture illustrée par Pascal Jousselin, présente pour les bibliothécaires un triple avantage :
La notice bibliographique établie par Livres Hebdo atteste cette diversité, puisque ce doit être le seul cas d'ouvrage indexé en 020 dont la vedette matière est affublée de la subdivision « ouvrages humoristiques ».
Cela fait au moins trois exemplaires par établissement, sans compter celui qui sera réservé à la bibliothèque du personnel. Voilà qui pourra faire l'affaire de deux éditeurs qui n'étaient jusqu'ici guère spécialisés dans le droit de prêt, mais présentaient plutôt un catalogue éclectique de bonne tenue, alliant la sociologie, la pédagogie libertaire, le roman et la poésie :
Éditeurs qui, à leur corps défendant, sont susceptibles de percevoir le fruit d'une certaine usine à gaz en cours de conception, de même que Bernard, Claude, Claudine, Edmond, Jean-Claude, Jean-Marie, Jules, Paul, Régine et Yves, Ernestine se taillant, c'est bien le moins, la part du lion.
Daniel Picouly. - Illustré par Pef, mis en couleurs par Geneviève Ferrier. - Editions Rue du Monde, la maison aux histoires.
Pef nous a ainsi dédicacé l'album qu'il vient de dessiner, sur un texte de Daniel Picouly.
Complices des éditions Rue du monde dans la lutte contre le droit de prêt à l'acte, nos deux compères y ont édité un album au titre provocateur : On lit trop dans ce pays Il est vrai qu'on lit tout le temps et partout dans ce verger de cerisiers où règne Rose Bibly, et, au milieu des enfants qui écoutent sans fin la conteuse, on reconnaît les personnages familiers de notre littérature pour la jeunesse, de Babar au Petit Prince en passant par Barbapapa et Corto Maltese... Survient, envoyé par le seigneur de Trop-C-Trop, le chevalier de Tire-l'hire dont le rôle est, on le devine, de faire «sonner les pièces rondes». Un II-était-une-fois sauvera la situation...
On retrouve avec plaisir l'allégresse des dessins de Pef, truffés de « citations » qu'on aura plaisir à faire reconnaître aux enfants. Le texte de Daniel Picouly se prête parfaitement à une lecture à voix haute, et cet album permettra d'expliquer aux petits les grandes lignes du débat sur le droit de prêt, même s'il y a un absent dans cette histoire : l'auteur !
Illustrations choisies par Sylvie Déborde et Colette Faut. - Editions Thierry Magnier.
Cet album porte fièrement sur la couverture ce qui paraît être un autocollant : « Attention ! Ce livre doit être prêté gratuitement dans les bibliothèques.
Rêvons un peu : comme les 27 illustrateurs et les 10 auteurs qui ont collaboré à cet album, comme Thierry Magnier qui l'a édité, d'autres demain se mettront-ils à orner systématiquement les couvertures de cet avertissement... Mais est-ce que ce ne serait pas déjà trop tard, et le signe que d'autres couvertures seraient elles aussi ornées d'un macaron « Ce livre ne peut être prêté gratuitement dans les bibliothèques»?
C'est bien entendu pour apporter leur contribution au débat sur le droit de prêt que Sylvie Deborde et Colette Faut ont ainsi réuni une série de « portraits » de bibliothèques, par des illustrateurs d'abord, puis avec une dizaine d'auteurs. On trouve ainsi dans cette galerie ce qui fait la diversité étonnante des bibliothèques dans le vécu et l'imaginaire de chacun, et la longue série des métaphores qui l'expriment : de la mémoire du vieillard comme bibliothèque à la maison à la terre promise, en passant par le miel, le dédale, le tremplin vers l'infini, l'arbre.
Au gré des textes, le livre s'exprime («Prends-moi »), est aussi appétissant que la purée de pois cassés dont il a la couleur, devient « brique de terre sèche contre l'obscurité coloniale ». Quant à l'inscription pour l'été au bibliobus, elle ne coûtait que le prix « d'une glace à trois boules» au jeune Philippe Arrou-Vignod...
Il s'agit bien, au sens propre, d'une « défense et illustration » de la bibliothèque et de la lecture, au fil d'images montrant l'étonnante diversité graphique de l'illustration contemporaine. Mais la démonstration serait incomplète sans la « Lettre à la jeune bibliothèque en forme de poil à gratter et d'ustensiles de cuisine» de Jean-Marie Ozane. Il épingle gentiment la propension des bibliothécaires à se situer hors de la chaîne du livre, et à rêver d'un marché de la demande et non de l'offre.
Et de conclure, non sans malice, par un appel au dialogue de la passoire et du couscoussier. Mais peut-être ce dialogue peut-il justement s'instaurer entre les différentes formes de demande et d'offre, et non dans un moule unique ? La diversité des goûts et des situations illustrés par ce très bel album y incite fortement.