Index des revues

  • Index des revues
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓

    Gabrielle Fabre

    4 juin 1907 - 14 mars 1960

    Par Jacques Yvon

    L'honneur qui m'est échu d'évoquer la personnalité de Mlle Fabre est grand. J'ai peur qu'il ne soit trop grand pour moi. D'autres l'ont mieux connue qui auraient su mieux tracer d'elle le portrait qu'on en attend ici. J'ai grand-crainte de décevoir tous ceux-là qui furent ses amis, tous ceux-là qui l'approchèrent et de tant de façons la connurent. Le fait d'avoir travaillé à ses côtés pendant près des dix dernières années de sa vie me donne ce droit, très faible, de parler d'elle. Je suis heureux de pouvoir lui rendre un dernier hommage et j'en suis confus.

    Gabrielle Fabre naquit à Montpellier le 4 juin 1907, pays de sa famille où elle repose maintenant à côté des siens. Mais elle fit toutes ses études à Paris, où ses parent s'établirent.

    En philosophie à Victor-Duruy elle fut l'élève de Le Senne et eut des compagnes aux noms célèbres, Schlumberger, Copeau... et Simone Weil. Elle fut licenciée ès lettres en 1931, diplômée d'études supérieures en 1933 et diplômée de l'Ecole du Louvre en 1934. C'est au cours de ces années-là qu'elle acquit une très solide formation, essentiellement axée sur le passé préhistorique et antique de la France. Ses maîtres furent Hubert, Mauss, Lantier, Breuil, Picard... Elle fouilla à Glanum. Elle se révéla une élève brillante, vite appréciée. Dès 1931 elle était chargée des conférences d'archéologie préhistorique ; dès 1935, des conférences d'archéologie nationale au cours d'histoire générale de l'art de l'Ecole du Louvre. Pendant neuf ans elle fut chargée de cours à l'Institut d'ethnologie. En 1937 elle professait au Louvre, suppléant son maître Lantier à sa chaire d'Antiquité nationale. Elle travailla au Musée des Antiquités nationales à Saint-Germain où, en compagnie de Françoise Henry, elle fut chargée de mission jusqu'en 1940.

    Mais, pensant à une carrière dans les bibliothèques, en 1938 elle passait le Diplôme technique. En 1941 elle entrait à la Bibliothèque nationale, à l'Inventaire général puis à la Réserve des Imprimés. Pourtant sa formation d'archéologue lui valait une place au Cabinet des Médailles, où elle n'entra qu'en 1948, date à laquelle elle présenta sa thèse de doctorat ès lettres pour laquelle elle obtint une mention très honorable.

    A cette thèse elle travaillait au moins depuis 1939. Divers séjours dans le Sud-Ouest, en 1939, 1941, puis en 1946, 1947, lui permirent de mener à bien cet important travail sur les civilisations protohistoriques de ce pays (il faut dire que la perte quasi totale de ses documents, du fait de l'occupation allemande, ne la découragea pas et qu'elle reprit en entier ou presque son travail). En 1952 sa thèse parut sous le titre : Les Civilisations Protohistoriques de l' Aquitaine suivi du Répertoire des découvertes protohistoriques faites dans les départements des Landes, Basses et Hautes-Pyrénées, tiers, Lot-et-Garonne, Paris, Picard, 1952.

    S'appuyant sur un matériel archéologique méthodiquement répertorié et étudié, Mlle Fabre démontra l'unité de cette région naturelle, comprise entre les Pyrénées et la Garonne, depuis l'énéolithique et l'âge du bronze jusqu'à la conquête romaine. Installées dès le néolithique, deux populations y ont vécu côte à côte, que l'on retrouve pendant tout le cours de la protohistoire : population surtout pastorale et mobile, établie sur des terres incultes, d'une part; population d'agriculteurs, possédant les terres riches, pratiquant une agriculture fermée dans de petits domaines, d'autre part. Ces deux populations paraissent être restées à l'abri des grands mouvements de peuples et le fond en est demeuré relativement stable. De petits groupes régionaux présentant des caractères distinctifs tant géographiques qu'archéologiques, se sont formés dès l'énéolithique, se sont précisés au cours du deuxième âge du fer et ont constitué ces petits peuples dont les auteurs anciens comme César et Pline nous ont donné les noms. Je pense (si je puis parler en profane de ces choses) que le mérite de Mlle Fabre a été de montrer qu'au deuxième âge du fer, alors que dans les autres parties de la Gaule des bancs successifs de Celtes ont apporté, pendant cette deuxième partie du premier millénaire, une nouvelle civilisation dite de la Tène, en Aquitaine il s'est développé une civilisation qu'elle appelle le « hallstattien prolongé » (« posthallstattien » selon Bosch Gimpera). Elle a su en donner la chronologie et les causes. A l'encontre de Hubert et de Bosch Gimpera elle a démontré que cette civilisation dont, on n'avait pas trace jusqu'ici en ce pays (il ne pouvait s'agir comme le pensait Hubert d'une évolution de hallstattiens arrivés au VIe siècle, alors qu'il n'y a pas de traces de l'invasion celtique du VIe siècle en ce pays et le début du hallstattien prolongé manque) était due à un apport nouveau au IVe siècle. Cet apport est dû lui-même à un retour de peuplades passées en péninsule ibérique et revenant par les cols des Pyrénées, peuplades qui ne sont pas des Ibères, comme l'avait pensé Camille Jullian, ceux-ci n'entrant qu'en Languedoc.

    La numismatique apportait dans le débat une même conclusion que les objets archéologiques : il y a d'une part les monnaies aquitaniques et d'autre part les monnaies à la croix de la rive droite de la Garonne et du Languedoc. La numismatique gauloise fut, au Cabinet des Médailles, l'un des centres d'intérêt de Mlle Fabre. Elle avait entrepris une longue étude sur les Parisii. Mais c'est surtout à la carte des monnaies gauloises qu'elle s'attacha (et que l'on peut voir dans la salle des colonnes du Cabinet), reprenant et poursuivant pour cela les études d'Anatole de Barthélémy et d'Adrien Blanchet. Ce lui fut une occasion de donner un remarquable chapitre de numismatique dans l'Arl Gaulois de « Zodiaque». L'autre centre d'intérêt fut pour elle la numismatique romaine. Elle avait compris l'importance des trésors monétaires et tout, l'enseignement que l'on peut tirer de leur étude. Reprenant méthodiquement les travaux d'Adrien Blanchet, aidée d'une élève qu'elle forma, elle a dressé le répertoire des trésors et trouvailles de monnaies romaines en France. Elle classa nombre de ces trésors, qui sont apportés au Cabinet des Médailles. Ils lui donnèrent matière à étudier plus particulièrement la numismatique des empereurs gaulois du IIIe siècle, ainsi que celle de la première tétrarchie et du règne de Constantin. Elle donnait une collaboration régulière à Gallia, à la Revue numismatique et aux Fasti archeologici... Elle fit un grand nombre de communications à la Société Française de Numismatique.

    Il ne faut pas croire que son goût pour l'archéologie l'avait confinée dans un domaine étroit. Elle gardait de son passage à la Réserve l'excellent souvenir d'un travail fécond, de réorganisation en particulier. Elle avait su prendre des responsabilités syndicales et elle participa à l'élaboration et à là discussion du statut des Bibliothèques. Elle avait été élue membre de la Commission supérieure des Bibliothèques en 1945.

    Elle est morte après une longue et douloureuse maladie, montrant un courage exemplaire, une admirable grandeur d'âme. Jusqu'à ses derniers moments, elle sut accueillir ceux qui venaient lui rendre visite. Car c'était un plaisir que d'aller chez elle. Elle avait gardé de ses parents cette tradition de savoir recevoir un ami, un hôte de passage. L'on aimait, soit chez elle, soit en faisant les cent pas avec elle dans la rue ou dans un jardin public, converser avec elle. L'on pouvait goûter mieux encore sa culture très profonde, le goût qu'elle avait de toute belle chose, son attrait de tout connaître, sa connaissance des êtres, son ton enjoué, son amour de la vie et, dans ses dernières années, le profond détachement qu'elle avait acquis. A travers elle passait encore le rayonnement du foyer où elle était née et dont, enfant unique, elle avait tout reçu. Sans peu ou prou de famille, elle est morte seule, mais cependant très entourée. Elle restera entre ceux qui l'ont connue comme un lien, signe même de sa fidélité gardée à ses amis.