Il y a un an, le 3 novembre 1963, notre collègue et ami, Gaston Malin, bibliothécaire contractuel à la Sorbonne, nous quittait, après une courte et douloureuse maladie. Il avait 45 ans, laissait une veuve et un enfant de douze ans.
Né à Falaise, en juillet 1918, il fit de solides études supérieures (licence d'enseignement secondaire « lettres classiques »). Mobilisé comme aspirant d'infanterie de 1939 à 1941, il fut engagé à la bibliothèque de la Sorbonne en qualité de « chômeur intellectuel », ce qui lui permit, en guise de bourse, de préparer son diplôme d'études supérieures, soutenu en juin 1942, et le D.T.B., qu'il reçut en bon rang, en novembre 1943. Il avait été nommé bibliothécaire auxiliaire à la Sorbonne, dès le 1" janvier 1943, eu égard à ses excellentes notes. Le Conservateur de la bibliothèque de la Sorbonne transmit sa demande de titularisation avec l'avis suivant : « Mériterait de ne pas être oublié dans les prochaines nominations. »
Hélas ! il fut oublié, et d'autres avec lui... Le statut du 16 mai 1952 vint ensuite fermer la porte ; l'obligation de passer le concours des étudiants, après dix ans de services et, en cas de succès, d'aller « débuter » en province, avec rétrogadation indiciaire à 250 net, avec l'humiliation morale que cela implique, et le cortège de misères humaines que cela représente : arrachement familial et amical, abandon de l'appartement... fut pour lui, comme pour ses collègues recrutés à la même époque (avec les engagements de l'Administration, en ce qui concerne la titularisation), une amère dérision.
La porte, restée entr'ouverte, fut bientôt scellée définitivement, la limite d'âge étant dépassée.
Les toutes dernières années de notre ami furent assombries par l'obsti-nation de notre administration à refuser la révision du statut du 16 mai 1952 et l'angoisse d'une situation devenue sans issue.
Lorsque Mme Malin vint demander quel serait le montant de sa pension de reversion, il fallut la préparer à la triste réalité : elle n'aurait pas suffi à la faire vivre, elle et son enfant, et ne lui serait versée que lorsqu'elle aurait atteint l'âge de 60 ans (elle pourrait l'obtenir à l'âge de 50 ans, mais avec une très lourde réduction) !
Gaston Malin avait su attirer la sympathie unanime du personnel de la Sorbonne, par la douceur de son caractère, son aménité, une complai-sance souriante au service de tous, unies à une conscience professionnelle et une compétence indiscutables.