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    Jean Vallery-Radot (1890 - 1971)

    Par Jacques Lethève

    JEAN VALLERY-RADOT est mort à Paris dans sa 82e année, en novembre dernier, dix ans après avoir quitté son poste de Conservateur en chef du Cabinet des Estampes. Mais sa retraite lui avait permis de se consacrer, plus activement peut-être qu'auparavant, à ce qui était sa vocation profonde, la défense et l'étude des monuments français du Moyen Age. Ses premiers travaux à l'Ecole des Chartes avait été dirigés dans ce sens, sa thèse fut consacrée à la cathédrale de Bayeux et sa vie se trouva jalonnée de monographies d'églises : Saint-Ours de Loches (1927), la Trinité de Fécamp (1928), Saint-Philibert de Tournus (1955), sans compter l'ouvrage de synthèse publié en 1931 : Eglises romanes, filiations et échanges d'influences. Les amateurs d'art médiéval savent aussi qu'on retrouve ses études toujours éclairantes dans toutes les publications de la Société française d'archéologie comme dans les rapports de la Commission des monuments historiques, dont il fut à partir de 1948 un des membres les plus écoutés.

    Mais d'autres pourront mieux évoquer le chartiste et l'archéologue et c'est le bibliothécaire que nous voudrions rappeler ici. Entré en 1919 à la Bibliothèque nationale, Jean Vallery-Radot devait y terminer sa carrière administrative quarante-deux ans plus tard, non sans avoir fait entretemps des infidélités à la grande maison de la rue Richelieu. Le 1er janvier 1927, en effet, il abandonne le Cabinet des estampes et se fait détacher à Genève où il organise les archives et la bibliothèque de la Société des nations. C'est la guerre qui interrompt son rôle de fonctionnaire international et lui fait retrouver la Bibliothèque nationale en juillet 1941. En 1942, il prend la tête du Cabinet des estampes qu'il dirigera ainsi près de vingt ans. Ses liens avec les Estampes n'avaient d'ailleurs jamais été complètement rompus puisque en 1936 il publie, en collaboration avec Frits Lugt, un catalogue qui fait autorité, l'Inventaire général des dessins des Ecoles du Nord du Cabinet des estampes. Sans doute plus intéressé par les richesses artistiques du Cabinet que par ses collections documentaires - mais il a sur ce point d'actifs adjoints qui le complètent -, il connaît la joie de présider en 1946 à l'inauguration des nouveaux locaux de l'hôtel Tubeuf où elles sont mises en valeur. De 1944 à 1948, il donne à l'Ecole du Louvre des cours très suivis sur la gravure des 17e et 18e siècles. Il enrichit, chaque fois qu'il le peut, les collections nationales de pièces rares, organise ou dirige de nombreuses expositions et aide les peintres-graveurs par des achats judicieux. Aussi est-il tout naturellement appelé à succéder en 1944 à P.-A. Lemoisne comme président du Comité national de la gravure française. A la veille de la retraite, il publie encore un savant Recueil des plans d'édifices de la Compagnie de Jésus conservés à la Bibliothèque nationale (1960).

    La fermeté et la probité de son caractère ont frappé tous ses collaborateurs. Jusqu'au bout il fut « le Conservateur » comme au temps où ce titre rarissime dans les bibliothèques était porté presque uniquement par les chefs de départements de la B.N., successeurs directs, comme il aimait à le rappeler, des « gardes » de la Bibliothèque royale. Pour lui qui avait débuté, bien que chartiste, comme « sous-bibliothécaire » en un temps où l'inflation n'avait pas touché les titres de notre profession, la dénomination de conservateur en chef que lui attribua le nouveau statut de 1951 ne lui causa qu'une satisfaction mitigée. Son goût des traditions bien comprises était parfois heurté par l'évolution des moeurs administratives comme par le style des générations plus jeunes. Mais il savait montrer son intérêt pour le personnel dont il avait la responsabilité, et jamais il ne laissa partir le moindre de ses collaborateurs sans une petite cérémonie d'adieu où il tenait à rappeler les mérites et la carrière de l'intéressé.

    L'homme ménageait d'ailleurs des surprises à qui ne le connaissait que dans ses fonctions officielles. Sa silhouette assez ramassée ne laissait guère soupçonner l'amateur de plein air et le sportif. Cavalier, nageur, skieur, il s'était aussi adonné à la bicyclette dès 1898. Son frère, le Docteur Pierre Vallery-Radot a évoqué dans ses souvenirs publiés récemment (1) leurs randonnées à travers la France. Jusqu'à la fin des années 50, il utilisa le vélomoteur pour venir rue Richelieu.

    Ces aspects familiers rendaient plus proche cet homme qui avait une haute conception du service public et dont la disparition a lourdement touché tous ceux qui l'ont connu.

    1. Toute une époque, L'Expansion, 1970. retour au texte