Index des revues

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    Edmond Guerin

    Vice-président de l'A.B.F.

    Par René Fillet

    Edmond Guérin est mort en pleine activité alors qu'il revenait de visiter une petite bibliothèque municipale ; il avait consacré à notre profession les plus fécondes années de sa vie, vingt-sept années marquées d'un double sceau : celui de la vocation et celui de l'ouverture à autrui.

    Appelé, incontestablement il l'avait été. Sorti major de sa promotion de l'Ecole Normale d'instituteurs de Parthenay, après quelques mois d'enseignement il entrait en 1947 en qualité d'instituteur détaché à la B.C.P. des Deux-Sèvres. Très vite, il devint l'adjoint au plein sens du mot de Mme Philippe-Levatois, bibliothécaire à la personnalité aussi forte qu'originale, qui aimait à louer le dynamisme et le dévouement de son jeune collaborateur. Pendant dix ans, dans ce département rural qu'il connaissait bien, il apprenait le métier « sur le tas » : dure « école parallèle » dont il assimilait et maîtrisait parfaitement les enseignements ; en même temps qu'il prenait conscience des aptitudes nécessaires et des connaissances indispensables, sa personnalité mûrissait et s'affer-missait : tout en se dépensant pour le présent, il se préparait pour l'avenir.

    Lorsque le Conseil général du Pas-de-Calais eut décidé la création d'une Bibliothèque circulante, le poste de directeur fut offert à Edmond Guérin en juin 1957 : ce département de dimensions exceptionnelles, tout différent des Deux-Sèvres, était à sa mesure. Disposant de moyens matériels et financiers importants, utilisables avec toute la liberté d'action et l'efficacité qu'autorise une Association, il se mit à l'oeuvre avec passion. L'expérience acquise lui permit d'éviter les erreurs, de gagner un temps précieux ; son adaptation au département fut extrêmement rapide, il fut adopté par lui aussi vite. En quelques années il disposait d'une véritable flottille de bibliobus, multipliait les dépôts dans les établissements publics, les écoles, les entreprises, partout où il pouvait y avoir des lecteurs. La Direction des bibliothèques lui confiait la direction de la B.C.P. du Pas-de-Calais créée en 1966 et, en 1968, la choisissait comme l'une des six B.C.P. expérimentales de prêt direct ; c'était en quelque sorte la consécration officielle de la valeur de son activité. Décentraliser, ouvrir une annexe devenait indispensable ; Edmond Guérin s'attacha alors à définir le rôle d'une annexe de B.C.P., installée dans une petite ville, desservant les communes d'une vaste circonscription ; inspirée de la théorie des bibliothèques de secteurs, cette recherche fut menée de façon pragmatique, précédée notamment d'une opération d'information de masse, appuyée sur l'observation et l'expérience. Il n'aura pas eu la joie de voir terminée l'annexe de Lillers mais il l'aura fait exister et vivre. Il en est de même pour la construction de la B.C.P. de 1.600 m² dont il avait conçu le schéma et le programme. Le réseau de distribution des livres mis en place, Ed. Guérin s'attache alors à mieux faire connaître le nombre et la qualité des services que pouvait rendre la B.C.P. par des actions personnelles de sensibilisation et d'information et par la participation à des manifestations telles que la semaine culturelle d'Arras, les journées du livre, la foire de Lille, et bien d'autres. Il se préoccupa également de la formation des dépositaires, ces bénévoles par l'intermédiaire desquels passe la B.C.P. pour diffuser le livre et il organisa des stages de week-end à leur intention.

    Son activité non plus que son rayonnement ne pouvaient s'arrêter aux frontières d'un département. Membre de l'A.B.F. il siégea au C.A. de la section des Bibliothèques publiques et succéda à M. Bouvy à la présidence ; il y lança l'idée de journées d'études en province, dont la première eut lieu à Caen en 1973. La D.B.L.P. fit appel à son expérience pour la préparation du VIe Plan, le premier pour lequel fut fourni un rapport particulier aux bibliothèques. Plus important encore me paraît son apport à l'enseignement professionnel donné à l'E.N.S.B. Comme toujours il commença modestement, par quelques cours et travaux pratiques pour l'option « lecture publique ». Puis, en 1972-73, il participa très activement à la mise au point d'une méthode pédagogique mêlant étroitement observation, travaux pratiques, réflexion, cours magistraux dans les locaux de bibliothèques publiques ; la première application parut suffisamment probante malgré ses imperfections pour être reprise, améliorée, en 1973-74, sous sa responsabilité totale cette fois, puisqu'il me succédait dans l'enseignement de la bibliothéconomie des bibliothèques publiques. La lucidité de ses observations, la rigueur de sa pensée, son esprit de synthèse, associés à son sens pédagogique en faisaient un enseignant écouté.

    Son métier le passionnait parce qu'il y trouvait le moyen de traduire son humanisme en actions concrètes. S'il voulait que le livre fut accessible à tous, qu'il y eut des livres partout, de tous genres et de tous niveaux, c'est parce qu'il portait aux autres un intérêt qui n'était pas seulement intellectuel ou verbal. Tous les lecteurs pouvaient lui parler, lui présenter suggestions ou critiques : il s'était délibérément mis à leur service et il prêtait attention aux plus simples et aux plus démunis d'entre eux.

    Lors de nos rencontres professionnelles, il était toujours écouté. C'était l'image même de l'équilibre ; sa modestie ne l'empêchait pas de défendre des vues personnelles, mais il avait le souci de participer sans s'imposer ; sa maîtrise de soi n'excluait pas la passion, et sa franchise était tempérée par sa gentillesse ; son idéalisme qu'accompagnait un sens très sûr du possible corrigeait ce que pouvaient avoir de sérieux, de terre à terre les propos de l'homme d'action, du responsable au demeurant toujours imaginatif ; sa solidité n'allait pas sans interrogations ; et surtout, il avait ce qu'on appelle le don de présence. Présence au monde, présence à son travail, présence à autrui, il aura pleinement vécu ces trois volets de l'existence et, par son action et ses résultats, il aura été heureux jusqu'à l'ultime seconde.