Index des revues

  • Index des revues
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓

    Groupe Paris

    Par Monique Lambert

    Visites des Archives nationales et de la Bibliothèque de la S.N.C.F.

    Devant le succès remporté par les deux visites précédentes des Archives nationales, organisées en octobre et novembre 1973, deux autres visites ont été proposées les lundi 21 janvier et jeudi 31 janvier 1974.

    Le Groupe Paris a également offert ce trimestre la possibilité de visiter la Bibliothèque de la S.N.C.F. (55 bd de la Gare, 75013 Paris] le lundi 18 février ou le jeudi 21 février. Les participants en nombre élevé ont été très intéressés par la visite détaillée du fonctionnement de cette bibliothèque très particulière.

    Chacun sait que les bibliothèques de la S.N.C.F. existent depuis fort longtemps mais une réorganisation de leurs structures a été récemment décidée : d'abord en décembre 1971 par la création d'un Bureau bibliographique chargé d'effectuer les achats, de répartir et faire circuler les livres acquis ; puis au cours du 1 er trimestre 1973 par le regroupement bd de la Gare de l'ensemble des personnels et par la création de la Section des Bibliothèques de la S.N.C.F. Son rôle est double. Elle assume, en effet, à la fois un rôle de Centralisation dans le domaine des acquisitions, du catalogage, de l'équipement, de l'animation, et un rôle de conception du fait qu'elle est chargée de l'établissement du budget, de la formation des bibliothécaires, de la diffusion des directives aux 25 bibliothèques régionales, 282 bibliothèques locales et 2 voitures-bibliothèques. Un article très documenté de Jacqueline Misserey a d'ailleurs paru sur ce sujet dans le numéro 9-10, septembre-octobre 1973, du Bulletin des bibliothèques de France.

    Journée d'étude du 16 mars consacrée aux problèmes de la conversation

    Cette Journée d'étude consacrée aux multiples problèmes posés par la conservation des documents était organisée en commun par le Groupe Paris et la Section B.N. de l'Association des bibliothécaires français. Elle a regroupé, toute la matinée du samedi 16 mars 1974, environ 70 participants dans la Salle des Conférences de la Bibliothèque centrale du Muséum national d'histoire naturelle. MM. Bleton, Breillat, Caillet et Pierrot, Mlle Picheral, retenus par d'autres activités, s'étaient excusés de ne pouvoir y assister.

    M. Albert Labarre, conservateur à la Réserve des Imprimés de la B.N., qui présidait cette journée, a tout d'abord fait remarquer qu'il fallait en premier lieu sensibiliser les bibliothécaires aux aspects théoriques de la conservation avant d'aborder les problèmes matériels qu'elle entraîne. Puis il a rappelé brièvement la création du Groupe Conservation de l'A.B.F. en 1969, et évoqué l'article qu'il a fait paraître dans le Bulletin de l'A.B.F. (n° 69, 4 e trimestre 1970, pp. 257-262) à la suite du Congrès de Toulouse, article dans lequel il faisait le point des travaux du Groupe et proposait un certain nombre de thèmes de réflexion centrés autour des aspects théoriques et matériels de la conservation. De larges extraits de cet article ont d'ailleurs été adressés, en même temps que le programme de la Journée, à tous les membres de la Section B.N. et du Groupe Paris.

    M. Labarre passe ensuite la parole à Mme Debout, Conservateur au Département des Imprimés de la B.N., qui évoque longuement les divers problèmes soulevés par les périodiques : stockage des collections, difficulté de poursuivre les abonnements ce qui entraîne des lacunes fâcheuses, évolution rapide des connaissances scientifiques et médicales qui rendent vite périmées les informations contenues dans tel périodique pourtant fort coûteux, etc... Elle suggère donc de créer dans chaque région un réseau de bibliothèques spécialisées qui auraient pour mission d'acquérir des collections complètes de périodiques de telle ou telle discipline, et de les communiquer largement aux bibliothèques utilisatrices sous forme de photocopies, de microfilms ou microfiches selon les cas, tout en veillant à respecter les droits des auteurs et des éditeurs.

    Une discussion animée suivit cette première communication. Mme Honoré, Conservateur en chef du Département des Entrées de la B.N., fit d'abord remarquer que, si les collections de périodiques coûtent cher en place et en reliure, nous connaissons actuellement encore très mal les possibilités de conservation de grand nombre de nouveaux supports. De plus, les lecteurs sont en général allergiques au microfilm et à la microfiche. Le problème de la microédition doublant l'édition courante sur papier est lui aussi mal résolu, car il pose entre autre question celle du copyright. La solution de bibliothèques à vocation régionale n'est pas mauvaise, mais la meilleure serait l'existence légale de la Bibliothèque nationale centrale de prêt (B.N.C.P.) tant attendue qui, à l'image de la National Lending Library, devrait conserver trois collections : une pour la conservation, une pour le prêt et une pour la reproduction.

    M. Petit, chef des travaux de l'Atelier de restauration de la B.N., fait remarquer que la photocopie constitue un support essentiellement éphémère et qu'il est scandaleux de faire casser des pleins maroquins par des relieurs sous prétexte d'insérer dans un volume une ou quelques pages manquantes reproduites sous forme de photocopies.

    M. Prinet, Conservateur en Chef du Département des Périodiques de la B.N., prend alors la parole pour souligner que tout ce qui a été dit jusqu'à présent est très intéréssant mais comporte des éléments contradictoires. Il rappelle que la B.N.C.P. qui n'existe effectivement pas juridiquement, prêtait déjà au rythme de 30 prêts environ par mois voici cinq ans et que la cadence a beaucoup augmenté depuis. Ces collections homogènes de 3.000 titres de périodiques sélectionnés depuis 1945 et régulièrement accrues par les exemplaires prélevés sur le Dépôt légal sont entreposées à l'Annexe de Versailles de la B.N. et constituent le premier embryon de la Bibliothèque centrale nationale de prêt souhaitée. Il évoque ensuite l'effort de décentralisation mis en place vers 1955/56, avec l'accord de la Direction des bibliothèques, en organisant des dépôts à Tours, Toulouse, Strasbourg et Alger ; des listes de périodiques avaient été envoyées à ces bibliothèques qui ont coché les collections qu'elles souhaitaient recevoir à charge pour elles de les conserver, les relier si possible, les prêter et les reproduire. Par ailleurs, fait-il remarquer, les collections de périodiques ne sont utiles que dans la mesure où elles sont complètes. L'Association pour la conservation et la reproduction photographique de la presse (A.C.R.P.P.), fondée en 1958 et groupant à parts égales des représentants des bibliothèques et des syndicats d'éditeurs, s'occupe de compléter les collections de périodiques et notamment les journaux. Cette association a essentiellement un rôle de conservation : étude de la restauration du papier pour la sérigraphie, microfilmage des collections originales sur papier afin d'éviter leur détérioration définitive par des communications trop nombreuses, compléments de collections en établissant un microfilm complet à partir des collections de diverses bibliothèques (M. Prinet cite les cas du Mercure, du Populaire, du Canard enchaîné, etc...). M. Prinet parle enfin des catalogues collectifs dont la nécessité est évidente pour localiser les publications : Catalogue col-lectif des périodiques du début du XVIIe siècle à 1939, Inventaire des périodiques étran-gers et des publications en séries étrangères (I.P.P.E.C.) et conclut en soulignant que toutes ces questions doivent effectivement être étudiées dans leur ensemble et au plan national.

    Après avoir rendu hommage à la clarté et à la solidité de l'exposé de M. Prinet, M. Lethève, Conservateur en Chef du Service des Echanges internationaux, fait remarquer que les attributions de périodiques à certaines bibliothèques de province ne sont pas régulières et que les collections comportent, en raison des imperfections du dépôt légal, d'importantes lacunes ; des listes de réclamations doivent être pointées par son Service et souvent sans résultat. En ce qui concerne la B.N.C.P., la section B.N. de l'A.B.F. a mis ce sujet à l'ordre du jour et M. Lethève annonce un exposé de M. Nortier dans le courant du 2e trimestre 1974.

    Mme Feuillebois, bibliothécaire de la Bibliothèque de l'Observatoire national de Paris, parle ensuite des problèmes soulevés par la microfiche dans les bibliothèques spécialisées. L'achat d'un lecteur-reproducteur revient à environ 1 million d'anciens francs ; il faut un objectif différent selon le nombre d'images ; les lecteurs utilisent l'appareil pour obtenir des photocopies...

    M. Prinet prend la parole à nouveau pour reparler de l'attribution des périodiques aux bibliothèques de provinces. Ces attributions sont irrégulières car la loi sur le Dépôt légal est difficile à faire appliquer et qu'aucune sanction n'est prévue. M. Prinet est partisan de diminuer le nombre d'exemplaires exigés par le Dépôt légal et de les remplacer par des abonnements. Ce paradoxe apparent est basé sur la réalité et per-mettrait d'avoir des collections complètes. D'autre part, toute bibliothèque qui cesse un abonnement devrait le signaler obligatoirement à la Direction des bibliothèques, à la B.N.C.P. ou à tout autre organisme centralisateur, de manière à déterminer aussitôt la bibliothèque prenant la relève ; ceci éviterait les arrêts nombreux et fâcheux, que nous constatons actuellement.

    Mme Flieder, Chef du Laboratoire du Centre de recherches sur la conservation des documents graphiques, intervient pour préciser que, si la conservation chimique des microfilms et des microfiches est bonne, la conservation des photocopies est en revanche nulle.

    M. Guignard, Conservateur en Chef de la Bibliothèque de l'Arsenal, demande ensuite la parole pour proclamer : « honte à la photocopie ». Elle est commode pour les lecteurs, mais nous « massacrons » ainsi les collections dont nous avons la garde, « c'est scandaleux ». La photocopie est un moyen de travail, mais non de conservation, et il serait bon que les lecteurs ne trouvent pas des facilités trop larges dans certains établissements.

    M. Prinet approuve M. Guignard. Le massacre des journaux et des revues est scandaleux à la Bibliothèque nationale. M. Prinet insiste d'autre part sur deux points ; il faut s'assurer de la qualité des firmes qui produisent des microfilms afin d'être assuré que ceux-ci sont bons pour la conservation ; le mode de reprographie choisi doit être différent selon le document et il faut savoir que la xérographie est stable, mais que la photographie aux sels d'argent doit être prohibée.

    M. Labarre fait remarquer que la photocopie soulève le problème de la conservation, mais aussi la question légale des droits d'auteur. Puis il passe la parole à M. Vaillant qui doit aborder les aspects pratiques de la conservation.

    M. Vaillant, Conservateur en Chef de la Bibliothèque municipale de Grenoble, grande municipale située dans une ville universitaire, traite longuement des problèmes de la communication des livres anciens. Le prêt interbibliothèque des manuscrits et des ouvrages antérieurs à 1800 devrait être interdit dans certains cas, car l'on constate bien souvent des pertes au moment des transports, des détériorations par les photo-graphes, etc... Un microfilm ou une photocopie devrait être envoyé à la place de l'original chaque fois que cela est possible.

    En ce qui concerne la consultation sur place, on constate deux faits : augmentation des communications, détérioration de l'attitude des lecteurs qui n'ont plus le respect du livre et le considèrent comme un « objet de consommation », d'où des vols, des lacérations fréquentes, etc... Le personnel lui-même, gardien ou conservateur, n'a plus le même respect du livre. Des mesures strictes doivent être envisagées pour protéger les documents ; mesures de conservation en multipliant les réserves, les ateliers de restauration, les réimpressions pour les ouvrages rares, les microfilms pour les manuscrits ; mesures de surveillance en créant des salles petites et bien surveillées pour la communication des manuscrits, des estampes, des journaux et en exigeant un contrôle sévère avant et après la communication. Mais tout ceci implique des moyens en personnel et des crédits dont la plupart des bibliothèques ne disposent malheureusement pas. Les pouvoirs locaux sont impuissants devant cet état de chose ; seule une intervention au niveau national pourrait résoudre ces problèmes.

    Cet exposé très réaliste soulève de nombreuses interventions. M. Labarre souligne que la photocopie casse les reliures. Mme Flieder affirme que réchauffement du flash abîme peu le support et l'encre, car c'est très rapide. M. Petit indique que, pour des reliures ayant été cassées à la suite d'un prêt, l'Atelier de restauration de la B.N. a fait payer la restauration à la bibliothèque où la détérioration avait été faite.

    Puis M. Guignard reprend la parole pour insister sur la nécessité du respect des livres par les lecteurs comme par le personnel. Dans une bibliothèque qui reçoit des livres en prêt, il faudrait que le soin en soit confié à un responsable nommément désigné, que le volume ne sorte jamais à l'extérieur pour quelque motif que ce soit, que la consultation soit surveillée. Quant au problème de la conservation, M. Guignard est tout à fait d'accord avec M. Vaillant sur la nécessité et l'urgence de poser ce problème sur le plan national. A la Bibliothèque nationale même, fait-il remarquer, des membres du Conseil d'administration réclament l'accroissement des crédits de reliure et de restauration pour assumer la sauvegarde de notre patrimoine artistique et littéraire.

    Mme Fedorov, Conservateur au Département de la musique de la B.N., fait remarquer que les fiches et les fichiers deviennent également un objet de consommation, et que le rôle de l'Ecole nationale supérieure des bibliothèques devrait être de donner une place plus importante aux notions de conservation.

    M. Labarre passe ensuite la parole à M. Gasnault, Conservateur au Département des manuscrits de la B.N., qui nous fait un exposé très documenté et très technique sur la conservation et la restauration des manuscrits anciens à la Bibliothèque nationale. Il souligne que les liaisons sont constantes avec les spécialistes que sont Mme Flieder et M. et Mme Petit ; ils interviendront d'ailleurs à de nombreuses reprises au cours du débat. Le devis de restauration d'un manuscrit s'élève en moyenne à 2.000 ou 3.000 francs lourds. Les dégâts ont pu être subis par les manuscrits il y a quelques années, avant l'acquisition par la Bibliothèque nationale, ou contraire il y a des siècles. Ces dégâts affectent le corps même du manuscrit : insectes, champignons, humidité, encre. Par exemple le support en parchemin ou en papier des manuscrits médiévaux est rétracté par l'humidité ; il faut le réhumidifier pour lui redonner sa souplesse et le remettre à plat, mais il faut prendre garde à ce que l'encre ne soit pas soluble ce qui est le cas des encres médiévales noires ; en revanche les signes de paragraphes ou les peintures de couleur rouge, bleue ou or des manuscrits enluminés sont, elles, solubles dans l'eau. Il existe des procédés chimiques qui permettent de vaincre ces difficultés, mais ils ne doivent être utilisés que dans des ateliers spécialisés et en particulier l'Atelier de restauration de la B.N. Quand l'encre ronge le support, il n'existe malheureusement pas de remède actuellement car l'acidité des encres a pénétré le papier. Les peintures tombent alors en poudre, c'est le cas notamment des manuscrits grecs. Mme Flieder a entrepris des études sur les composantes des peintures et leurs liants, mais elles sont en cours présentement. La solution, dans ce cas, est de mettre précieusement le manuscrit dans un coffre de la Réserve et de ne plus le communiquer en attendant les progrès de la science pour le restaurer. En ce qui concerne les reliures, elles peuvent être en cuirs teintés ou décorés, en bois avec des fermoirs, des chaînes, des coins métalliques, des pierres, etc... Peu de manuscrits médiévaux de la B.N. ont conservés leurs reliures médiévales ; la plupart ont, en effet, été dotés de nouvelles reliures en maroquin rouge aux XVIe et XVIIe siècles par les rois ou les grands collectionneurs tels Richelieu ou Colbert, ou bien elles ont été refaites au siècle dernier sous Napoléon III en utilisant d'ailleurs des cuirs de très mauvaise qualité qui s'en vont en miettes. En revanche beaucoup de bibliothèques de province conservent des reliures médiévales et celles-ci sont souvent abîmées : bois vermoulu, plats séparés du dos, nerfs brisés, etc... Etant donné l'intérêt de ces reliures pour l'histoire des techniques médiévales, il convient, chaque fois que cela est possible, de conserver le manuscrit dans l'état original et de le mettre dans une boîte pour le protéger. Si les dégâts sont trop importants, il faut alors le faire restaurer. L'Atelier de restauration de la B.N. fait des demi-reliures en veau sur lesquelles on remet tout ce qu'on a pu conserver de la reliure ancienne.

    M. Petit indique que l'Atelier de restauration pratique systématiquement maintenant le système des procès-verbaux de restauration. Des fiches de travail précisant l'état du volume endommagé avant la restauration, les produits employés et les restaurations faites, sont glissées en tête de chaque volume restauré. Cette méthode permettra de tester les produits employés et de dégager ultérieurement la meilleure technique.

    Mlle de Buffévent demande alors comment conserver des manuscrits écrits au crayon, c'est le cas des manuscrits de Flaubert conservés à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris. Mme Flieder répond qu'il n'existe actuellement pas de procédé satisfaisant pour fixer le crayon noir.

    De multiples questions concernants aussi bien les aspects théoriques que les problèmes techniques de la conservation ont donc été abordées au cours de cette matinée. Plusieurs conclusions semblent dès à présent pouvoir être dégagées : nécessité de sensibiliser le personnel et d'éduquer le lecteur de manière à ce que tous aient de nouveau le respect du livre ; augmentation des crédits consacrés à la reliure et à la restauration ; meilleure information de nos collègues qui doivent limiter les prêts d'ouvrages précieux, créer dans la mesure du possible des salles de réserve bien surveillées et s'adresser à un atelier de restauration hautement spécialisé pour faire réparer les dégâts subis par les manuscrits dont ils ont la garde. Enfin et surtout, il apparaît qu'une véritable politique de conservation doit être mise sur pied au plan national, en dégageant les crédits et le personnel nécessaire, si l'on ne veut pas voir « s'émietter peu à peu le patrimoine culturel de la France ».

    En fin de matinée, Mlle Chaumié, conservateur en Chef de la Bibliothèque centrale du Muséum national d'histoire naturelle, convia les participants à admirer les magnifiques vélins exposés dans sa Réserve.

    Après un repas pris en commun dans l'ancienne orangerie du Jardin des plantes, nos collègues avaient, pour l'après-midi, le choix entre plusieurs visites : le Laboratoire de Mme Flieder, La Réserve de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, le Cabinet des Manuscrits de la Bibliothèque nationale ou l'Atelier de restauration et reliure d'art Reliural.