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Conférence de M. Dominique Lefebvre Président du Conseil de la B.I.U. de Grenoble au Congrès de l'A.B.F.

1974

    Conférence de M. Dominique Lefebvre Président du Conseil de la B.I.U. de Grenoble au Congrès de l'A.B.F.

    Mâcon, le 7 juin 1974


    Votre Association a choisi comme thème de réflexion de ce Congrès Les Bibliothèques devant les nouvelles structures administratives. Les organisateurs ont jugé bon de demander à un Président de Conseil d'administration de B.I.U., c'est-à-dire à un « produit » tout neuf de ces nouvelles structures administratives qui nous régissent, de faire l'analyse de celles-ci, voire de porter sur elles un jugement de valeur.

    C'est pour moi un honneur que de pouvoir m'adresser à vous, mais c'est aussi une charge. Honoré de ce que des spécialistes de la documentation acceptent d'écouter un non-spécialiste, je suis inquiet en même temps au constat de mon ignorance d'un certain nombre de questions touchant au métier de la documentation et à ses techniques propres. Je vous demande donc une certaine indulgence, d'autant que je voudrais dépasser quelque peu le cadre que vous avez fixé à mes réflexions.

    Il n'est pas question, c'est l'évidence, d'ignorer l'importance des structures administratives devant lesquelles les Bibliothèques universitaires se trouvent. Précisons qu'il s'agit de Bibliothèques universitaires et interuniversitaires et des règles du droit administratif qui les régissent. Mais les règles juridiques ne sont pas une fin en soi, elles sont un instrument au service d'un objectif, d'une mission qu'il est nécessaire de rappeler, de souligner fortement. Il convient donc d'éviter que la discussion prolongée ou l'interprétation des textes fasse oublier ce pour quoi ils ont été écrits la mission, le service public de la documentation.

    Aussi, vous ne vous étonnerez pas qu' après avoir fait réflexion sur les structures administratives nouvelles, je dise quelques mots de ce que l'on pourrait appeler une politique documentaire nouvelle.

    I. - Les Bibliothèques devant les nouvelles structures administratives

    Nous limiterons nos propos aux Bibliothèques universitaires et Bibliothèques interuniversitaires régies par l'article 7 de la Loi d'orientation de l'Enseignement supérieur du 12 novembre 1968, du décret du 23 décembre 1970 pris en application de la loi, et des conventions et arrêtés créant des services communs de documentation. Il ne sera pas traité des Bibliothèques municipales, encore qu'elles dépendent de la D.B.L.P. et qu'en de nombreuses villes universitaires, des liens de bonne entente et de concertation soient noués entre elles et les Bibliothèques universitaires et interuniversitaires, liens notamment illustrés par la participation des directeurs des Bibliothèques municipales au Conseil des bibliothèques universitaires et interuniversitaires au titre des personnalités extérieures.

    Si l'on veut résumer dans ses grandes lignes l'actuelle structure administrative, telle qu'elle résulte des textes que je viens de rappeler, il convient de souligner les trois traits suivants que l'on peut résumer en trois mots : intégration, participation, division des pouvoirs.

    1) Le premier trait, le plus marquant, est l'intégration des B.U. et B.I.U. aux Universités. IL s'agit selon l'art. 7 de la Loi d'orientation et l'art. 1 du décret du 23 décembre 1970 de « services communs » créés par les universités qui votent à la majorité des deux tiers leurs statuts (art. 11 de la Loi d'orientation). Les moyens en postes, en subventions de fonctionnement et d'équipement affectés aux services de documentation « transitent » par l'université fondatrice, ou l'université de rattachement au cas où plusieurs universités ont « cocréé » le service ; service qui n'a de personnalité morale que celle de l'université fondatrice ou de rattachement. On pourrait ici illustrer cette intégration des B.U. et B.I.U. au sein des universités : le Directeur n'est que le délégué du Président de l'université fondatrice ou de rattachement, il n'est qu'ordonnateur secondaire du budget du service commun (art. 5 et 12 du décret). Le Conseil ne fait que proposer le budget au vote du Conseil de l'université.

    2) Le second trait qui caractérise l'actuelle organisation est la participation. Ici, l'esprit de la Loi d'orientation a été repris et maintenu. La participation se manifeste d'un côté par la parité des représentants élus des universités, et des représentants élus du personnel des bibliothèques ; elle se manifeste d'un autre côté par la présence de personnalités extérieures au sein du Conseil d'administration. Aussi, la parité signifie que les utilisateurs étudiants, enseignants et chercheurs ont le pouvoir de faire entendre leur voix, et l'ouverture à l'extérieur manifeste que le service universitaire, comme l'université, n'est plus l'affaire d'une corporation jalouse de ses prérogatives.

    3) Le troisième trait est la division des pouvoirs. On retrouve ici le système « présidentialiste » qui est la règle dans les universités : celles-ci sont dirigées par un Président, et administrées par un Conseil. Si ce Conseil a le pouvoir budgétaire, celui de se prononcer sur les règles de fonctionnement de la bibliothèque (art. 7 et 14 du décret), de créer des commissions scientifiques (art. 15) et celui d'être consulté sur la nomination du Directeur, ce dernier en revanche n'est pas le simple exécutant des décisions du Conseil ; il est, semble-t-il, « l'exécutif », ayant l'initiative des propositions à faire au Conseil dans les matières où ce dernier est compétent, ayant tous les autres pouvoirs qui ne sont pas attribués au Conseil explicitement. Certes, il n'a ces pouvoirs que par délégation du Président de l'université fondatrice, ou des Présidents des universités co-fondatrices. Ceci peut le mettre en situation de dépendance dans le premier cas, en situation de grande liberté dans le second, si les Présidents des universités co-contractantes n'ont pas de politique documentaire commune. Mais ce qui est remarquable est que le Directeur ne répond en rien de ses décisions devant le Conseil dont il n'est pas l'élu, et que la durée de ses fonctions est indéterminée, dépendant seulement de la volonté du Ministère. Si l'on ajoute à ces considérations de droit celles de fait qui consistent en la connaissance concrète des problèmes et des personnes, en la permanence de la fonction alors que le Conseil se réunit épiso-diquement, et est composé d'élus dont le mandat parfois ne dépasse pas l'année, on voit sans difficulté où est la réalité du pouvoir.

    Ce dernier trait, la division des pouvoirs, illustre l'une des ambiguïtés contenues dans les textes gouvernant les nouvelles structures administratives des B.U. Ces structures, à ne considérer qu'elles, peuvent ouvrir aux pires conflits dont on peut aisément faire l'inventaire :

    • • Conflit entre le Directeur et le Président de l'université, ou celui de l'université de rattachement ;
    • • Conflit entre le Conseil de la B.U. et celui de l'université, ou celui de l'université de rattachement ;
    • • Conflit entre le Conseil de la B.U. et le Directeur de celle-ci, conflit que nous venons de développer ;
    • • Conflit entre membres élus du personnel de la B.U. et Directeur de la B.U. qui assiste de droit aux réunions du Conseil ; quel sera en effet le degré de liberté de ces élus qui d'autre part sont les subordonnés du Directeur ?
    • • Conflit entre les élus universitaires et les élus du personnel de la B.U. au cas où les premiers voudraient promouvoir une politique documentaire qui heurterait les habitudes des seconds.

    • Conflit entre les élus universitaires et les élus du personnel de la B.U. au cas où les premiers voudraient promouvoir une politique documentaire qui heurterait les habitudes des seconds. le schéma le pouvoir de tutelle, c'est-à-dire le Ministère de l'Education nationale en ses deux Directions : car si les universités et leurs Présidents relèvent de la Direction des enseignements supérieurs, les Directeurs et les personnels des bibliothèques relèvent de la D.B.L.P. dont la mission dépasse la seule documentation mise au service de l'enseignement supérieur. L'ambiguïté relevée à propos de la division des pouvoirs entre Conseil et Directeur de B.U. prend ici une autre dimension qu'on ne peut ignorer, surtout à la veille de la nomination d'un Secrétaire d'Etat aux universités qui n'aura peut-être plus autorité sur la D.B.L.P.

    Que d'inquiétudes dans les propos tenus ici devant vous ! Les textes les plus parfaits permettent les pires vicissitudes si ceux qui y sont soumis sont décidés à les utiliser dans un esprit contentieux. Mais ces textes, si on est au contraire décidé à les utiliser dans un esprit de coopération et d'efficacité, dans le sens de l'intérêt général, permettent aussi l'instauration d'une politique nouvelle en matière documentaire.

    II. - Les Bibliothèques devant une nouvelle politique documentaire

    La première question n'est pas de savoir comment s'organiser et fonctionner, mais pourquoi s'organiser et fonctionner. C'était par là qu'il fallait commencer et si vous voulez bien me le pardonner, c'est par là que je finirai. Mieux vaut tard que jamais.

    Il faut relire ici la Loi d'orientation, à commencer par son article premier qui fixe la mission des universités : « élaboration et transmission de la connaissance, développement de la recherche et formation des hommes » (art. 1, al. 1).

    L'alinéa 2 de l'article 1 ajoute : « Les universités doivent s'attacher à porter au plus haut niveau et au meilleur rythme de progrès les formes supérieures de la culture et de la recherche, et à en procurer l'accès à tous ceux qui en ont la vocation et la capacité ».

    Et l'alinéa 3 : « Elles doivent répondre aux besoins de la nation en lui fournissant des cadres dans tous les domaines et en participant au développement social et économique de chaque région. Dans cette tâche, elles doivent se conformer à l'évolution démocratique exigée par la révolution industrielle et technique ».

    Et la suite du texte d'insister sur l'impératif de création intellectuelle pour les enseignants et chercheurs, l'impératif de préparation à l'activité professionnelle pour les étudiants, l'impératif d'éducation et de formation permanente pour les adultes, de recherches et d'enseignements pluridisciplinaires et collectifs, et la vocation régionale des universités.

    Si l'on veut résumer, voici les objectifs nouveaux que la loi fixe aux universités :

    • 1) Progrès continu du savoir par la promotion de la recherche : c'est la condamnation de la seule transmission du savoir et de la vocation pédagogique dominante.
    • 2) Transmission des connaissances, mais de connaissances qui préparent à un métier, et complétées par une formation humaine et concrète, le tout étant adapté à des exigences sociales, économiques et techniques en perpétuelle évolution : c'est la condamnation d'une formation traditionnelle, statique, purement culturelle, adressée à une élite restreinte.
    • 3) Création dans tous les domaines du savoir. C'est la condamnation des approches purement monodisciplinaires et de la distinction entre les disciplines nobles, les séculaires, celles qui depuis le Moyen Age ont donné leur titre de noblesse aux quatre grandes facultés - et aux sections correspondantes des B.U. - et les disciplines nouvelles qui ont acquis désormais droit de cité. On ne rougit plus d'être politiste, urbaniste ou gestionnaire devant les juristes, les littéraires ou les philosophes.

    Mais ce qui est remarquable, c'est que désormais chaque université a une autonomie suffisante pour modeler son propre visage, pour déterminer à l'intérieur des objectifs généraux assignés par la loi quels seront ses champs d'activités en matière de pédagogie et de recherche. Chaque université, par ses organes collégiaux, Conseil et Conseil scientifique, est ainsi amenée à définir sa propre politiaue. Le temps est révolu où des Facultés « standard » délivraient des diplômes « standard » sur des programmes « standard ». Il s'ensuit que les B.U. et B.I.U., chargées de couvrir les besoins documentaires d'universités aux visages différents, sont amenées à adopter des conduites différentes les unes des autres. Il ne saurait être question pour une B.U. d'adopter une politique documentaire inadéquate, inadaptée aux besoins de l'université desservie : par exemple d'acquérir des collections en telle matière qui n'est plus enseignée, ou d'acquérir des documents de recherche fondamentale en quantité alors que l'université desservie a une vocation principale de 1er et de 2e cycles.

    C'est ici que les trois traits que nous avons relevés tout-à-l'heure prennent leur vrai sens.

    • 1) L'intégration des B.U. aux universités, car il ne serait pas admissible qu'un service documentaire ne se plie pas aux axes scientifiques et pédagogiques définis par les Conseils de ou des universités fondatrices.
    • 2) La participation afin d'assurer une prise de conscience, par les utilisateurs de l'importance de l'outil documentaire, et par le personnel des bibliothèques de l'importance du service qu'ils rendent et doivent rendre à la pédagogie et à la recherche.
    • 3) La division des pouvoirs, car s'il revient au Conseil de définir la politique documentaire la plus adéquate, il convient de faire assurer l'exécution de cette politique et son application par un Directeur et un oersonnel préparés par métier à cette tâche.

    Je voudrais souligner ici le rôle important du Conseil de B.U. s'il veut être autre chose qu'un Conseil de perfectionnement ou une chambre d'enregistrement. Son triple pouvoir, sur le budget, sur le fonctionnement de la B.U. et en matière de création de commissions scientifiques lui confère la prérogative de définir la politique de la B.U. Il en a les moyens s'il accepte de se placer à un niveau de réflexion qui le mette au-dessus de toute critique.

    Je voudrais vous dire ici comment un Conseil de B.U. peut remplir sa mission.

    Son premier devoir est de revendiquer la compétence pleine et entière du service de la documentation qu'il est chargé d'administrer. Une université de 5 à 10 000 étudiants est une organisation lourde, qui réclame des services spécialisés ayant chacun sa compétence propre : le service de la documentation doit, comme les autres services, avoir sa plénitude de compétence. Or, l'ancienne autonomie des B.U., par rapport aux facultés, a entraîné une situation de fait sur laquelle il faut revenir pour la détruire. Les facultés, centres et instituts divers, devenus universités et U.E.R., ont pris l'habitude de développer en leur sein, et à leurs frais, des « chapelles documentaires » beaucoup plus nombreuses qu'on ne le pense en général : de là, on constate en plus des moyens propres des B.U. une seconde affectation de moyens en locaux, en personnel, en acquisition de documents dont on ignore l'existence d'une chapelle à l'autre.

    Il s'ensuit d'autre part un danger pour les B.U. : celui de voir l'université développer des services documentaires oarallèles à ceux du service de documentation institutionnel, et souvent mieux adaptés que ceux des B.U. Or, depuis 1964 ou 1965, les subventions obtenues par les universités de la D.E.S.R. ont régulièrement augmenté, alors que celles obtenues de la D.B.L.P. ont régressé en francs constants ; la menace qui pèse sur les B.U. n'est pas légère si l'on n'a pas le souci, au sein des Conseils de bibliothèques d'y parer.

    Comment faire ? Il est certain que la revendication de la compétence, de façon formelle, ne suffira pas à étouffer des habitudes et des politiques qui échappent d'ailleurs à l'autorité des Présidents et des Conseils d'universités, incapables d'interdire à une U.E.R. dotée d'une certaine autonomie budgétaire, des dépenses de documentation.

    La seule solution envisageable et acceptable me paraît consister en une double démarche dont le Conseil de B.U. a l'initiative : Enquête sur les coûts ; Enquêtes sur les besoins.

    1) L'enquête sur les coûts permet de dresser l'inventaire de tous les moyens en locaux, personnels, frais de fonctionnement et d'acquisition effectués tant dans le service de la B.U. que dans les -< chapelles » externes à la B.U. On ne peut préjuger des résultats de pareil inventaire, mais l'on peut penser, à la suite de sondages déjà effectués, que le coût de la documentation externe à la B.U. est comparable à celui des subventions de la D.B.L.P. aux B.U.

    Les chiffres parleront d'eux-mêmes et entraîneront une prise de conscience : il faudra bien reconnaître la nécessité de rationaliser la gestion de la documentation en confiant à un organe unique, ou à une série limitée d'organes liés entre eux par des règles communes, le soin d'organiser l'acquisition, le traitement, la conservation et le contrôle des documents de façon à éviter un gaspillage qui s'explique par l'émiettement actuel des pouvoirs en matière documentaire. Mais cette prise de conscience étant accomplie, une B.U. ne peut prétendre remplacer ce qu'elle veut anéantir sans offrir des services supérieurs.

    2) L'enquête sur les besoins doit permettre de déceler, pour les satisfaire, les besoins de chaque « clientèle ». On pense ici aux concepts de « typologie » et de « segmentation des marchés » utilisés en marketing. Besoins dans chaque discipline ou dans chaque filière, exprimés par les étudiants de cycle différents, en formation initiale ou en formation permanente, par les enseignants, par les chercheurs individuels, mais aussi par les collectifs de chercheurs. Il faut bien savoir que faute d'un service adapté rendu par la B.U., les utilisateurs chercheront ailleurs un service de substitution et reviendront aux pratiques anciennes des « chapelles documentaires ».

    Il est évident qu'à oartir de cette double enquête, la réorganisation des services de la B.U. s'imposera, et notamment le redécoupage des sections, ainsi que les procédures d'acquisition et de traitement des documents, voire la réorganisation des méthodes de consultation. Le pouvoir du Conseil sur le fonctionnement de la B.U. est ici capital, mais il est évidemment postérieur à la première tâche, la plus urgente, celle dont tout doit découler : l'analyse chiffrée des coûts et des besoins, prélude nécessaire à toute réorganisation.

    L'avantage d'une telle mise en oeuvre de la rationalisation dans la gestion sera de permettre d'autre oart d'apparaître, aux yeux du Ministère, comme des gestionnaires « fiables », au moment où lui seront adressées les demandes de subventions.

    Cette mise en oeuvre sera longue. Il y faudra quelques années de volonté constante. Les nouvelles structures administratives des B.U. permettent pareille entreprise si l'on sait à la fois interpréter et dépasser les textes, ou plus exactement les « transcender ».