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    Le prêt interbibliothèques

    Par Jean-Claude Garreta

    Au centre du débat de la commission se trouve le projet d'une bibliothèque nationale de prêt. Pour quoi faire et pour qui ? Plusieurs thèses étaient en présence en fonction des situations caractéristiques : les bibliothèques parisiennes, dans leur ensemble, sont en position d'offre, elles font du prêt « actif » surtout dans les disciplines scientifiques et médicales où la province, emprunteuse, est en position de demande : c'est le cas de toutes les BU (par exemple à Nancy). Dans les domaines littéraires et juridiques les bibliothèques anciennes (« vielles » BU et BMC) offrent. Les jeunes BU sont en position générale de demande.

    La création au Mans d'un centre national de prêt, dont on a pu croire qu'il rêverait d'égaler l'opulente B.L.L.D. (British Library Lending Division), a donc suscité les réactions suivantes :

    • - Un certain nombre de BU de Paris ont exprimé la crainte d'un organisme nouveau auquel les crédits d'équipement seront assez facilement accordés mais dont le budget de fonctionnement risque - on l'a vu avec la B.P.I. du Centre Beaubourg - d'aspirer les crédits au détriment des subventions accordées aux autres bibliothèques. L'opulence amènerait très vite à tomber dans le gigantisme incontrôlé et impuissant, avec le risque de donner à penser qu'une collection unique rendrait superflu le maintien des collections de chaque bibliothèque. Autrement, si les crédits sont faibles, c'est une étape supplémentaire dans le circuit des demandes, sans que l'efficacité du système, pendant plusieurs années au moins, soit pour autant améliorée. Il convient d'éviter une accumulation d'ouvrages qui dormiront loin des lecteurs ; or le catalogue matières (que leur présence réclame) multiplie en outre, la valeur documentaire d'un fonds, même général. Enfin la B.L.L.D. elle-même ne suffit pas à la demande : tel ouvrage en quinze exemplaires est demandé par 83 demandes à la fois or le C.N.P. ne recevra qu'un seul exemplaire ! Cependant, à tout prendre, il vaut mieux que la Bibliothèque nationale de prêt soit unique, avec un fonds français composé d'ouvrages difficiles.
    • - L'Amicale des directeurs de B.U. a un point de vue assez proche puisqu'elle souhaite que des bibliothèques (universitaires) existantes constituent plusieurs bibliothèques sectorielles, suivant les disciplines.
    • - Enfin M. Chauveinc (B.I.U. Grenoble) songeant lui aussi avant tout aux bibliothèques françaises dans le besoin envisage plusieurs bibliothèques nationales de prêt, une ou deux par spécialité, déchargeant les bibliothèques locales du fardeau du prêt de leurs propres ouvrages (alors qu'elles ont à satisfaire d'abord leurs proores lecteurs). Ces bibliothèques se consacreraient avant tout au domaine scientifique étranger, le plus demandé et le plus difficile à obtenir. Ainsi 15% du prêt scientifique et médical porte sur des ouvrages étrangers ; un fonds français ne serait d'aucune utilité pour les bibliothèques françaises.

    Après cette présentation des thèses en présence, la mise au point que distribue M. Nortier permet de trouver une plate-forme commune. Il n'est pas question de viser les objectifs que la B.L.L.D. atteint grâce à un équipement énorme, restant en voie d'expansion après le départ de M. Urqhardt : 20 hectares, 72 miles de rayons (qui seront remplis en 1977), un budget de 4 millions de livres sterling (dont un quart provient de la vente des formulaires de demande), 550 personnes employées, plus tard 1.000. Mais il faut en retenir la gestion matérielle, une chaîne continue du circuit, de l'arrivée de la demande à l'envoi du volume.

    Le C.N.P. (centre national de prêt, tel est son nom) doit servir aux demandes venant de France comme de l'étranger (qui cherche la documentation française spécialisée) ; à long terme la bibliothèque nationale de prêt de chaque pays doit être à même de fournir sa production nationale, dans une perspective tablant sur le maintien des politiques de prêt des différents pays, mais dès à présent nous devons avoir une conception à l'échelle européenne. Dans ces perspectives, le C.N.P. serait un élément nouveau, non pas supplémentaire mais complémentaire, assurant une rapidité d'exécution qui justifierait l'extension de ses missions.

    Sans attendre la mise en activité complète du C.N.P., la commission a rappelé des améliorations possibles sans délai du système de prêt existant, préconisées à plusieurs reprises depuis le congrès de Toulouse tenu sur ce sujet en 1970 :

    • - Le bulletin de demande, autant que possible dactylographié doit comporter (au recto) la vérification bibliographique. Ce contrôle est absolument nécessaire au départ, avec le concours le plus large possible du lecteur demandeur.
    • - L'avis d'envoi doit être maintenu car il permet d'intervenir en temps utile auprès des PTT, si besoin est.
    • - Toutes les bibliothèques en ayant bénéficié depuis trente ans doivent avoir l'obligation de prêter à une autre bibliothèque les ouvrages obtenus en dépôt légal d'imprimeur.
    • - Les thèses dactylographiées conservées en un seul exemplaire sont aussi précieuses que des manuscrits anciens, mais pas plus ; elles peuvent donc être envoyées en prêt dans les mêmes conditions, et notamment si la bibliothèque prêteuse est absolument assurée que les lecteurs les consulteront sur place.
    • - Il convient d'obtenir la participation au circuit du prêt interbibliothèques des bibliothèques de facultés et d'institut dont il faut veiller à compléter le recensement officiel entrepris au printemps 1976.
    • - Il est souhaitable qu'un bibliothécaire soit consulté par la commission chargée au Ministère de l'Education de fixer les programmes de l'agrégation de lettres, pour éviter aux bibliothèques l'impossibilité actuelle de satisfaire en même temps des centaines de candidats qui ont besoin de lire des titres épuisés.

    Sur le C.N.P. les points dégagés par M. Nortier ont recueilli l'assentiment de la commission.

    CENTRE NATIONAL DE PRET

    PAS DE MONOPOLE DU PRET

    Le C.N.P. n'a pas l'ambition de détenir le monopole du prêt interbibliothèques, et au regret de ceux qui sont toujours en position de demande, ne peut prétendre être la bibliothèaue obligée de première intervention, mais il pourrait être le recours privilégié dans les domaines où il aurait vocation d'amasser des collections exhaustives, même si actuellement la presque totalité des ouvrages français utiles aux B.U est disponible.

    MAINTIEN DE LA COOPERATION DIRECTE

    Le C.N.P. ne supprime en aucune façon la coopération directe facilitée par les catalogues collectifs auxquels bien entendu il participera.

    EQUIPEMENT MOYEN

    Le C.N.P. devra avoir une organisation permettant de satisfaire rapidement les demandes le concernant. De 15 actuellement, l'effectif pourrait en 10 ans passer à 100 personnes. 250.000 demandes annuelles seraient alors traitées au lieu de 25.000, soit la moitié du trafic national actuel (C.N.R.S. : 237.000 en 1974). L'économie serait appréciable si l'on songe que le traitement d'une demande a été évalué par la B.U. de Nancy à 2 heures de travail.

    COLLECTIONS FRANÇAISES: COMBLER LES LACUNES NATIONALES

    Dans le domaine français, le C.N.P. s'attachera particulièrement à rassembler les ouvrages de la production à venir qui sont difficiles d'accès ou très coûteux, pour aider les bibliothèques françaises les moins bien pourvues ainsi que les bibliothèques étrangères qui cherchent la documentation française spécialisée. Depuis 1956 la B.N.P.- C.N.P. a choisi dans les entrées du Dépôt légal les périodiques que l'on peut s'attendre à voir consulter, certains acquérant un intérêt inattendu lors de leur naissance. Mais le C.N.P. ne s'oblige pas à tout prendre puisqu'il gardera une antenne auprès de la Bibliothèque nationale, à l'instar de la B.L.L.D. faisant appel en cas de besoin aux collections de la division de référence de la British Library et pour les demandes marginales même, grâce aux catalogues collectifs, à quelques grandes bibliothèques britanniques générales ou spécialisées.

    SPECIALISATION DANS LES DOMAINES NEGLIGES OU INSUFFISAMMENT COUVERTS

    Constatant que les positions diverses ne parvenaient pas encore à une harmonisation parfaite des points de vue, le rapporteur a intégré les remarques échangées dans un système pragmatique.

    Le but reste de localiser rapidement l'endroit où une demande peut être satisfaite. Par le dépôt légal, le C.N.P. est en mesure d'amasser automatiquement les monographies françaises à paraître, mais cette catégorie de documents ne pose pas de problèmes importants pour l'amélioration du prêt en France.

    Ce sont les périodiques étrangers des domaines scientifiques (80 % du trafic) qui forment les besoins les plus urgents et les lacunes les mieux connues (enquêtes universitaires sur les suppressions d'abonnement aux périodiques médicaux) : le C.N.P. doit immédiatement prendre le relai des abonnements aux titres disparus, en attendant la reprise normale des abonnements par toutes les bibliothèques qui en ont besoin. Le groupe de travail tout récemment créé autour de M. Archimbaud peut sans retard apporter son concours à cette opération.

    Ce cas précis des périodiques médicaux doit constituer la mise à l'épreuve du C.N.P. constituant ainsi un fonds d'intérêt national.

    La détermination d'autres disciplines suivrait au fur et à mesure, telle la psychologie dont une liste des périodiques essentiels est en préparation par la Maison des sciences humaines.

    Mais pour rejoindre les fortes préoccupations exprimées depuis quelque temps la solution choisie varierait dans chaque cas :

    • 1) Recours à une section de B.U. volontaire pour donner priorité au prêt interbibliothèques (national), surtout par photocopie, si cette section est à même de poursuivre abonnements et acquisitions couvrant la discipline.
    • 2) Addition d'une discipline à la mission du C.N.P., sans rejeter pour autant la possibilité que le C.N.P. préfère renforcer une bibliothèque ou section de B.U. (qui conserverait une prééminence acquise, mais mise sans ambages au service de la communauté) soit par la souscription de quelques abonnements, soit même par l'affectation d'une ou deux personnes se consacrant au travail du prêt interbibliothèques, car il est certain que nous devons exploiter à fond les ressources existantes.

    Cette organisation nuancée doit être l'oeuvre d'une commission créée par l'administration et donner lieu à la publication à intervalles rapprochés (annuels) d'un bref guide de l'orientation des demandes, par discipline. Elle éviterait ainsi l'extension arbitraire des missions du C.N.P. dès lors qu'une bibliothèque existante est volontaire pour jouer le rôle.

    PUBLICATIONS FRANÇAISES DE L'ETRANGER

    Dans ces perspectives, le C.N.P. acquerra les ouvrages en français publiés hors de France, notamment en Afrique francophone.

    ACCROISSEMENT PAR DONS

    Parallèlement à cette mise en place progressive, le C.N.P. accueille dès à présent les collections peu consultées dont les bibliothèques désirent se débarrasser pour gagner de la place. Ce don peut n'être qu'un simple dépôt, révocable, si la condition juridique du fonds considéré l'exige. Cette dernière modalité est possible pour d'autres bibliothèques, comme les bibliothèques d'instituts et laboratoires, si la B.U. locale ne peut ou ne veut recueillir elle-même ces ouvrages. On évitera que cet abandon d'ouvrages jugés superflus accumule au C.N.P. des doubles, triples ou quadruples exemplaires d'ouvrages rarement consultés, par la diffusion aux bibliothèques de listes d'offres, comme le fait la B.L.L.D. (En France les bibliothèques universitaires, la bibliothèque municipale de Douai, en usent déjà ainsi).

    En sens inverse, les bibliothèques peuvent envoyer au C.N.P. des listes d'ouvrages recherchés, (tomes manquants, ouvrages locaux disparus, etc.).

    SALLE DE LECTURE

    Pour éviter l'image d'un cimetière ou la résurrection des livres est sujette à une intermittente évocation des morts, à distance, une salle de lecture est prévue (comme à Boston-Spa). Cette commodité du C.N.P. ne sera pas spécieuse, du moins dans les domaines littéraires et juridiques, représentés par des collèges universitaires au Mans.

    COMMUNICATION

    Sur les modalités de la communication le rapport préalable mentionnait l'importance des catalogues collectifs, objet de la commission n° 3 ; la question a néanmoins été abordée à propos du C.C.O.E. : il apparait qu'il n'y aurait pas d'inconvénient à supprimer l'échelon régional prévu pour le C.C.O.E. dans les « vieilles » B.U. car l'expérience montre que toutes les demandes d'ouvrages étrangers récents sont envoyées automatiquement au C.C.O.E., preuve qu'un établissement national actif est seul nécessaire s'il est efficace. Dans ces conditions, les bibliothèques pourraient aussi bien envoyer directement à Paris la fiche désormais unique des acquisitions étrangères. Au demeurant la suite du C.C.O.E. sera à moyen terme couverte par le CAPAR. Il a été vivement souhaité que la parution d'un IPPEC complet soit plus fréquent.

    TELEX-PHOTOCOPIE

    Le rapport préalable posait le problème du choix entre télex et télécopie.

    Dans l'état actuel le prix de revient de la télécopie étant en moyenne vingt fois plus élevé que la photocopie, il n'y a pas lieu de vouloir créer ces équipements dont l'installation est déjà très coûteuse. Si le progrès de la technique réussit à obtenir une prise de vue, et une transmission véritablement instantanées, cette pratique deviendra alors tout à fait recommandable.

    Quant au télex, l'état actuel du prêt-interbibliothèque montre que la transmission postale des demandes ne joue aucun rôle dans les délais de satisfaction. Ce n'est que dans des cas limités, très particuliers, qu'un équipement en télex se révèle rentable, du moins pour le prêt. On a cité à cet égard le succès de la liaison par télex entre bibliothèques spécialisées comme Paris-Pharmacie et le centre universitaire de Châtenay-Malabry ou l'Ecole des mines et le B.R.G.M. d'Orléans.

    En ce qui concerne la photocopie qui porte pour une large part sur des ouvrages anciens, ou sur des périodiques récents mais également épuisés, l'expérience anglaise démontre que le développement de la photocopie ne lèse pas les intérêts légitimes des auteurs (en fait des éditeurs). La commission recommande justement de refuser la photocopie d'un article faisant l'essentiel d'un fascicule disponible de périodique.

    Il serait raisonnable aussi de freiner la photocopie intégrale de livres, que le lecteur n'utilise pas à coup sûr alors que le livre subit sûrement un vieillissement précoce. Les bibliothécaires plaident la cause du livre fatigué par la photocopie jusqu'à usure complète. En tout cas la photocopie intégrale doit être faite par la bibliothèque détenant le livre afin d'éviter d'envoyer l'ouvrage au loin pour cette opération, si d'emblée le lecteur est certain d'avoir besoin du texte in extenso.