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Congrès national de l'A.B.F. : Introduction du Président

1976
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    Congrès national de l'A.B.F. : Introduction du Président

    Par Marc Chauveinc

    J'ai presque envie de commencer ces journées par la formule « tout est dans tout et réciproquement » car toutes les fonctions d'une bibliothèque sont liées et toute intervention sur l'une a des répercussions sur les autres. D'où la crainte de provoquer une réaction en chaîne. Cela va se produire sans cesse au cours des commissions spécialisées, mais on ne peut voir clair dans ces questions de coopération que si on les divise selon un principe cartésien en éléments séparables et si on essaye d'analyser séparément chacun de ces éléments.

    Il faut aussi essayer ces jours prochains de ne pas trop s'attacher aux détails et de ne pas reprendre les habituelles discussions sur le formulaire du prêt inter ou sur le prix des photocopies. Ces questions viendront ensuite. Nous sommes réunis ici pour déterminer ensemble nos besoins et les formes que doit prendre la coopération entre les bibliothèques. Il ne faut pas non plus visiter Utopie et nous lancer dans des projets irréalisables.

    Un juste milieu entre le souhaitable et le possible doit être maintenu tout au long de nos discussions.

    POURQUOI LA COOPERATION ?

    Nous sommes tous d'accord pour affirmer qu'une bibliothèque, par principe, doit fournir au lecteur tout, tout de suite. C'est sa vocation, sa définition.

    Or il est évident que partout, même aux Etats-Unis, et toujours, les organismes documentaires (qu'il s'agisse de bibliothèques ou de centres de documentation) ont et auront des moyens financiers insuffisants pour obtenir et fournir tous les documents demandés par leurs lecteurs qu'ils soient des chercheurs spécialisés, des étudiants ou le grand public.

    Partout les moyens diminuent et même s'ils augmentaient, ils seraient de toute façon insuffisants, obligeant chaque bibliothèque à s'appuyer sur les autres bibliothèques pour satisfaire ses lecteurs.

    De plus, il n'est pas évident que tous les documents doivent être achetés. Un ouvrage onéreux n'est pas rentabilisé par un lecteur unique, nos institutions ne peuvent se soustraire à cette loi économique qui exige un rendement optimum des fonds, c'est-à-dire un rapport positif entre le coût et l'utilisation.

    Nos institutions ne peuvent donc vivre en vase clos. C'est une loi inexorable qui commande leur développement. S'il est normal que les services publics et certains services de traitement ou de gestion soient organisés localement (encore que certains réseaux américains fournissent à leurs adhérents les moyens informatiques de gérer les périodiques, le prêt ou les acquisitions), le partage des ressources et l'échange d'informations ne peuvent fonctionner qu'entre bibliothèques.

    La multiplicité des institutions dont dépendent les organismes de documentation : secteur privé, service public, Secrétariat d'Etat à la culture, aux universités, communes, entreprises, hôpitaux, lycées, conduit à des modes de gestion différents et rend cette collaboration encore plus nécessaire.

    Les moyens diminuent, par contre le nombre des documents augmente, on parle, c'est une banalité, d'une croissance exponentielle de la documentation, augmentant par cela même le décalage entre les besoins et leur satisfaction.

    Rien que pour les livres, la production française enregistrée par la Bibliographie de la France est passée de 25 000 à 30 000 en quelques années, malgré la « crise de l'édition » !

    Et la production française est à peine le 1/6° de la production américaine. Aucune recherche ne peut être poursuivie sans revues américaines, russes, japonaises ; quelle bibliothèque de sciences peut se passer du Chemical abstracts à 2 000 $ !

    Ces documents, qui augmentent, voient leur forme varier. Le livre n'est plus l'instrument unique de la recherche et de la culture ; documents multigraphiés, rapports, thèses, microfilms, microéditions originales, documents sonores sur disques ou bandes magnétiques, images, fiches, documents sur support informatique comme les nombreuses banques de données scientifiques, viennent sinon remplacer le livre du moins le compléter. Les bibliothèques devraient devenir médiathèques.

    Cette situation et sans doute d'autres éléments ont provoqué une « crise » des bibliothèques et de la documentation. Cette crise apparaît sur le plan mondial (Mlle Wijnstroom qui nous fait l'honneur d'être présente parmi nous le sait parfaitement).

    Déjà certaines mesures ont été prises :

    L'Unesco a lancé en 1975 le programme NATIS pour encourager la planification des bibliothèques.

    L'UNISIST patronné aussi par l'Unesco essaye de coordonner les différents systèmes documentaires.

    La FIAB prépare un grand projet de Contrôle bibliographique universel pour assurer au moins le recensement complet de toute la production mondiale des livres et des publications en série, la compatibilité des bibliographies nationales, et à plus long terme l'échange de ces données.

    Le besoin de tenir tête à la marée documentaire par une collaboration plus étroite entre bibliothèques n'est donc pas propre à la France et nous ne sommes pas isolés. Tous les projets que nous pourrons préparer devront tenir compte des projets internationaux.

    Il est certain que les besoins français ne peuvent être satisfaits par les ressources de l'hexagone et qu'il faudra se relier à des réseaux internationaux. Cela est vrai dans le domaine du prêt par exemple : de nombreuses bibliothèques françaises utilisent la British Library Lending Division et dans le domaine documentaire certains centres de documentation sont déjà reliés à des réseaux documentaires étrangers. Dans le domaine bibliographique, il faut tenir compte du projet d'un réseau MARC international qui reliera les Bibliothèques nationales entre elles par un système d'ordinateurs en ligne permettant de récupérer seulement les notices nécessaires sans être encombré par la totalité de la production étrangère.

    Cette crise a toutefois eu un détonateur : c'est l'informatique. Beaucoup d'entre nous sont encore sceptiques, mais il faut constater que dans certains pays comme les Etats-Unis elle est largement utilisée pour résoudre cette crise.

    Ce qui est impossible manuellement le devient avec l'ordinateur qui permet de contrôler la masse documentaire et de la rendre accessible à tous ; que ce soit sous forme de banques de données documentaires ou de réseaux de bibliothèques, l'informatique est couramment employée.

    Elle seule permet d'envisager une solution à nos difficultés de coopération ; elle seule permet de relancer les problèmes jusqu'alors insolubles avec un certain espoir de solution.

    Mais il ne s'agit même plus de l'informatique traditionnelle. Le traitement des données par lots, isolément, est déjà périmé. C'est l'installation de réseaux constitués de terminaux branchés sur un ordinateur central avec accès des données en conversationnel qui donne tous les espoirs et apporte une possibilité de solution à nos problèmes de fichiers collectifs, de partage des ressourecs et de prêt inter.

    Ces systèmes existent. L'OCLC par exemple constitue un réseau de 1 045 terminaux branchés sur un fichier de 2 millions de références bibliographiques (plus qu'il n'en faut pour la France). Il produit 200 000 fiches et catalogue 30 000 livres par jour.

    Les réseaux documentaires existent aussi et certains centres français interrogent chaque jour des fichiers situés en Californie. La téléinformatique a pris ces dernières années un essor considérable qui modifie totalement les données du problème. M. de Grolier parle d'une deuxième révolution industrielle !

    Toutes ces raisons justifient, s'il en était besoin, le thème de ce Congrès et rendent nécessaire une réflexion commune sur la coopération entre bibliothèques et une mise à jour de nos idées, de nos besoins, de nos réalisations.

    En effet, qu'elle soit informatisée ou non, toute organisation demande réflexion. Il s'agit de choix à long terme, onéreux, qui engagent les bibliothèques dans une certaine politique. On n'a pas le droit de se tromper.

    HISTOIRE :

    Il faut être conscient toutefois que nous n'inventons rien. Depuis longtemps déjà les bibliothèques ont cherché à coopérer et les entreprises au hasard des besoins se sont développées.

    Le prêt-inter existe en France et en Allemagne depuis le début du siècle. Les catalogues collectifs existent aussi en France et à l'étranger. Le CCOE et l'IPPEC sont connus et utilisés par tous.

    Le catalogage centralisé n'est pas une nouveauté, c'est depuis 1901 que la Bibliothèque du Congrès distribue ses fiches.

    La coordination des achats a été réalisée aux Etats-Unis par le plan Farmington et en Norvège par le plan Scandia.

    L'échange des doubles débute en Allemagne en 1817 ! La planification des bibliothèques existe au Danemark depuis 1909 et en France depuis Talleyrand et son Rapport sur l'instruction publique de 1791.

    La grande idée de réseaux existe donc dès cette époque. Elle est reprise plus tard en 1908 par Paul Otlet à la Conférence internationale de bibliographie et de documentation de Bruxelles. Même si de nombreux projets ont disparu faute de moyens et si d'autres ne furent que des idées généreuses, c'est dans cette perspective que nous devons nous placer.

    Partant de l'idée très solide de la nécessité d'une coopération entre les bibliothèques prenant la forme d'un réseau cohérent et structuré, utilisant l'informatique comme support, nous devons en préciser les modalités et en définir les caractéristiques. Il ne faut pas confondre ici le réseau informatique support qui est l'outil technique pouvant fonctionner selon diverses modalités avec le système de coopération qui est l'organisation et la gestion du réseau.

    Il ne faut pas non plus limiter ce réseau au seul contenu c'est-à-dire aux seules données qu'il gère.

    C'est sur ces 3 plans que nous devrons nous situer, mais principalement sur les 2 derniers.

    Il ne m'appartient pas de préjuger des positions qui seront prises par ce congrès et que j'espère solides et constructives, mais je voudrais indiquer quelques grands axes de réflexion :

    • - La téléinformatique est la seule technique qui peut actuellement résoudre les difficultés d'un réseau de bibliothèques et permettre un partage efficace de nos ressources car elle assure une consultation immédiate des catalogues collectifs et la transmission instantanée des demandes de prêt.
    • - Un réseau cohérent doit comprendre tous les types de bibliothèques. Dans son introduction au livre Réseau et systèmes documentaires M. de Grolier écrit : « C'est aux Etats-Unis que l'on peut le mieux déceler les signes de ce que je crois être l'avenir : l'unification des divers réseaux d'information et de documentation nationaux en un ensemble cohérent comprenant à la fois les organismes s'adressant au public en général (bibliothèques publiques, essentiellement) au public scolaire (bibliothèques de lycées et universitaires) et ceux avant tout destinés aux spécialistes (centres de documentation)... ».

    On ne peut plus séparer maintenant la recherche documentaire de la fourniture du document, la documentation de la bibliothéconomie. Par la téléinformatique les bibliothèques peuvent être branchées sur des réseaux « sectoriels » qu'elles interrogent pour leurs lecteurs, puis, la liste des références obtenues, rechercher dans le réseau des bibliothèques les documents eux-mêmes, et les centres de documentation branchés sur les bibliothèques pour s'approvisionner.

    C'est donc un seul réseau qu'il faut concevoir, une seule politique globale de l'information pour un pays donné, car il n'y a qu'une seule chaîne documentaire.

    Au début de cet exposé je vous disais que tout est en tout. Il est évident que si nous voulons bâtir un système de coopération cohérent, chaque partie va retentir sur l'autre et il faudra faire des choix. Par exemple, on pourrait dire que l'existence d'une bibliothèque nationale de prêt rend caduques les catalogues collectifs.

    Nous essaierons au cours des deux réunions de synthèse d'organiser l'ensemble et de lever les contradictions.

    de lever les contradictions. Il nous faut aboutir à une structure cohérente, organisée et efficace de toutes les formes de la coopération : échanges, achats, catalogues collectifs, prêt, etc... pour déboucher sur une véritable planification non seulement au niveau des détails (surfaces, personnels...) mais de l'ensemble des bibliothèques françaises avec répartition géographique, coordination des achats et mise en place d'une toile d'araignée de relations aussi denses que possible.

    Cette structure pourrait prendre la forme suivante :

    Un plan établirait la carte des bibliothèques en France, les répartissant géographiquement en fonction des besoins. Le réseau informatique des bibliothèques, dont l'urgence est extrême, doit permettre de constituer un catalogue collectif en accès direct regroupant tous les types de documents, du plus grand nombre de bibliothèques du secteur public et privé.

    Toutes ne pourront être reliées au réseau d'où la nécessité d'échelons régionaux ou même locaux pour collecter l'information.

    Le réseau devra comprendre la fonction prêt-inter, c'est-à-dire l'envoi de messages d'une bibliothèque à l'autre.

    Il devra par ailleurs être branché sur les réseaux documentaires (à choisir dans un marché déjà important en fonction de leurs possibilités et de leur coût) afin que chaque bibliothèque puisse faire de la documentation (toutes les BU rêvent de documentation !).

    Comment répartir les ressources ? Chaque bibliothèque doit, c'est évident, répondre aux besoins immédiats de ses lecteurs. Ce n'est que pour les besoins secondaires que peut intervenir une planification des achats, qui d'ailleurs, à mon avis s'établira toute seule lorsque le catalogue collectif en accès direct fonctionnera.

    Toutefois, même en additionnant les ressources de toutes les bibliothèques, on ne parvient pas au total nécessaire. D'où le besoin d'une Bibliothèque nationale de prêt, complémentaire, représentant le profil en creux des fonds existants, aussi complète que possible dans un domaine clairement défini.

    Vous percevez l'ampleur du projet, ce ne peut être trois jours, malgré l'excellente préparation et la qualité des rapports dont je dois féliciter Mmes Feuillebois, Carpine-Lancre, Frigot, MM. Garreta, Yvon et Massuard, que nous résoudrons tous les problèmes.

    Le travail devra être poursuivi d'une part au sein de l'ABF, d'autre part avec les associations soeurs ADBS, AENSB, ADBU, ADBCP, ADEBD, car elles permettront une ouverture plus grande et une plus large concertation. Je sais déjà que l'ADBS a prévu une réunion vers le 14 juin. Je me réjouis qu'un dialogue sérieux s'établisse entre les associations en vue de projets communs.

    Plus que jamais une certaine unité des associations est nécessaire. Nous sommes trop faibles pour faire entendre des voix divergentes.

    Les associations doivent constituer des groupes de réflexion qui proposent aux autorités les réformes nécessaires.

    Le travail devra aussi se poursuivre avec les deux secrétaires d'Etat et les autorités de tutelle. Les Secrétariats d'Etat sont représentés à notre congrès par les responsables les plus qualifiés en matière de bibliothèques : M. Bursaux, conseiller technique pour les bibliothèques au SEU, M. Rachou, M. Le Rider pour le SEU, M. Poindron pour le SEC et MM. les Inspecteurs généraux pour toutes les bibliothèques. Je suis sûr qu'ainsi nous serons entendus et que nos besoins seront pris en considération.

    Enfin il ne s'agit pas de faire tout, tout de suite ; le résultat de nos travaux doit s'insérer dans un plan à court, à moyen et à long terme. Nous pouvons fixer des étapes et définir des priorités aussi bien dans le temps que dans l'espace.

    Il y a sûrement place pour des actions locales et ponctuelles, voire des échelons régionaux dans une structure nationale. Certaines entreprises peuvent continuer, d'autres commencer. L'essentiel est d'assurer une certaine compatibilité entre ces entreprises pour qu'elles puissent s'intégrer à l'échelon supérieur ou à l'étape suivante.

    Il ne s'agit pas de contraindre mais de convaincre et de produire un système s'adaptant aux besoins des différents types de bibliothèques. Je crois pour ma part ces besoins surestimés ! Ce qui peut choquer. Si le système est suffisamment convaincant et économique, les bibliothèques passeront sur leurs petites manies et accepteront une solution qui simplifie leur travail, du moins on peut l'espérer.

    Il faut tenir compte aussi de ce qui existe et on ne peut, par exemple, transformer en deux jours l'IPPEC et le CCOE.

    Comment les améliorer ? Comment accélérer le prêt inter ? Quel choix de catalogue collectif faut-il faire ? Quel type de Bibliothèque nationale de prêt rendra les plus grands services ?

    Voilà quelques-unes des questions que nous allons nous poser pendant ces quelques jours.

    J'ai cherché, au début de ce congrès à définir les perspectives. Je m'en remets aux rapporteurs pour vous présenter maintenant les difficultés qu'ils ont rencontrées dans l'étude des différentes questions et les solutions qu'ils proposent.

    Les thèmes de ce congrès s'organisent très logiquement selon la séquence suivante :

    • - Normalisation et planification. Il s'agit de définir une organisation rationnelle des bibliothèques en s'appuyant sur des données chiffrées et d'étudier les institutions existantes ou souhaitées.
    • - L'information documentaire est la première étape d'une recherche, vient ensuite la localisation qui est considérée comme le coeur des relations entre bibliothèques puisqu'il s'agit de s'informer mutuellement sur ses ressources et qu'aucune autre collaboration ne peut exister si cette étape n'est pas déjà en place.
    • - La communication des documents suit logiquement, car localiser n'est rien si on ne peut emprunter.

    Cette communication peut prendre plusieurs formes, le prêt, l'échange, ou la coordination des acquisitions qui est l'étape la plus élaborée de la coopération entre bibliothèques. Quand on en arrive là, c'est que vraiment les bibliothèques sont bien intégrées les unes aux autres et que l'organisation est bien structurée pour le plus grand bénéfice du lecteur.