Description : La Roumanie est un pays que l'on redécouvre perpétuellement en France, à la faveur de poussées événementielles aussi brutales que passagères, allant du fait divers à la péripétie politique. Une créativité artistique remarquable et singulière fait souvent parler d'elle. Mais la Roumanie n'existe pas en temps normal. Le temps du quotidien, celui des discussions à la machine à café, du journal de 20h et des vacances en famille, l'ignore. S'il fallait se représenter la perception de la Roumanie en France sous la forme d'un nuage de tags dans une folksonomie imaginaire, les mots qui apparaîtraient aujourd'hui en grosses lettres seraient sans doute « Roms », « Dracula », « Ceau?escu ». Peut-être « Cioran », « Eliade » et « Ionesco » auraient-ils droit à de petits caractères. Le mot « Europe » serait à peine visible. Quant au mot « totalitarisme », il ne serait même pas mentionné. La délinquance supposée de Roumains de France ne fait que chasser, dans une actualité fantasmatique grossie par l'angoisse et la méfiance coutumières en ces temps rigoureux, les morts de Timi?oara, l'exécution des époux Ceau?escu, les terribles orphelinats, les délocalisations d'entreprises et le menaçant plombier, par chance, polonais. Pendant ce temps, les Roumains, plongés dans des difficultés sociales et politiques, habités plus que jamais par des préoccupations identitaires, écartelés comme toujours entre un conservatisme aux accents traditionalistes et une modernité trop vaine et trop pressée, se débattent avec la corruption et les inégalités et espèrent toujours des institutions et des services publics dignes de leur confiance.1 Et pourtant La Roumanie est aujourd'hui le pays invité au Salon du livre de Paris.
Les Roumains sont aussi ces auteurs qui produisent une littérature abondante et originale. Des établissements nommés « bibliothèques » préservent, dans une société obsédée par l'argent, des espaces dédiés à la culture, à l'information, à l'étude, à l'évasion. Les Roumains sont aussi ces bibliothécaires désintéressés qui travaillent au service de la communauté. La Roumanie se met progressivement à l'heure de l'Europe. Seulement, « l'Europe des Temps Modernes n'est plus là. Celle dans laquelle nous vivons ne cherche plus son identité dans le miroir de sa philosophie et de ses arts. Mais où est donc le miroir ? Où aller chercher notre visage ? »2 Il reste à savoir si l'Europe retrouvera un jour le miroir dans lequel elle pourra de nouveau se reconnaître.1. Voir le dossier « La Roumanie face à son passé » dans la revue Cités, n° 29, 1/2007, [en ligne] http://www.cairn.info/revuecites-
2007-1.htm (consulté le 10 janvier 2013).
2. Milan Kundera, Le rideau. Paris : Gallimard, 2005, p. 187.