Toutes les institutions ont leur jargon. Les grandes écoles en maîtrisent même plusieurs : celui de l’enseignement supérieur, particulièrement riche en sigles, celui de l’éducation et de la pédagogie, sans compter les vocabulaires des métiers auxquels elles forment. Pour l’observateur extérieur, les langues que nous manions, sur nos sites ou nos documents de communication, doivent sans doute paraître aussi obscures que le Silmarillion[1] à un amateur de rap moyen[2].
Lors de la journée commune Bibliothèque publique d’information-Enssib consacrée à l’actualité de la recherche, le 18 juin dernier, un échange a porté sur la gestion des compétences en bibliothèque, sujet d’un des mémoires d’étude présenté[3]. Quelqu’un, dans la salle, a exprimé des réserves sur la pertinence des « référentiels métiers », à l’heure où s’impose partout "l’approche par compétence". Intrigué, presque ébranlé par cette mise en doute, au demeurant parfaitement légitime, je me suis dit qu’il était temps pour moi de consulter le juge de paix, à savoir le dictionnaire. Pas un dictionnaire de vocabulaire spécialisé, non, un dictionnaire de français, tout simplement. J’en suis ressorti, comme chaque fois, épouvanté par mon ignorance et largement rasséréné.
Dans le Petit Robert, le métier, en sa deuxième acception, est un "genre de travail déterminé, reconnu ou toléré par la société et dont on peut tirer ses moyens d’existence". Synonymes : profession, fonction, mais aussi carrière, état. "Savoir, connaître, faire son métier, c’est l’exercer comme il faut, faire ce qu’on doit faire."
Et la compétence ? Le Robert (deuxième acception, là aussi), la définit comme "la connaissance approfondie, reconnue, qui confère le droit de juger ou de décider en certaines matières". Et renvoie à capacité, expertise, science, art.
Autrement dit, métiers et compétences vont de pair : celles-ci sont nécessaires pour exercer ceux-là. Ce qui nous égare, c’est, précisément, l’emploi des deux mots dans un sens strictement délimité, celui des référentiels. Le référentiel métier est un outil commun à celles et ceux qui exercent ce métier ; le référentiel de compétences répertorie toutes les compétences acquises et mobilisables d’une personne, d’un groupe, d’une organisation. Et "l’approche par compétences" est d’abord une méthode d’apprentissage.
Résumons-nous. Il est plus que jamais nécessaire de travailler sur nos référentiels métiers, de les mettre à jour, de les enrichir. Ils encadrent et accompagnent les évolutions des métiers des bibliothèques et de la documentation. L’approche par compétences, méthode originale et parfaitement adaptée à la ductilité des carrières aujourd’hui, est un autre outil, non moins nécessaire. Mais il faut le réaffirmer : les bibliothécaires font un métier. D’art ou d’artisanat, passant par la transmission du savoir et du geste.
Et la fonction, au fait ? Le même dictionnaire la définit (toujours en sa deuxième acception !) comme une "profession considérée comme contribuant à la vie de la société" et donne, entre autres synonymes, le mot métier. A la bonne heure ! Dans la réforme à venir des écoles de la fonction publique, dont on sait si peu de choses, une au moins est sûre : ces écoles forment à des métiers utiles à la société, et c’est bien ce qu’il faudra, au bout du compte, préserver, au bénéfice de tous.
Yves Alix
[1] J.R.R.Tolkien, Le Silmarillion, trad. française, Christian Bourgois, 1978.
[2] L’inverse étant, évidemment, vrai…
[3] Noémie Rosemberg, La Gestion des compétences en bibliothèque : une approche par les référentiels métiers, l’un des six mémoires de DCB 27 ayant obtenu les Palmes de l’Enssib. Découvrez l’ensemble des mémoires d’étude et de recherche de cette promotion.