Jean-Yves Mérindol

Jean-Yves Mérindol est mathématicien. Il a été président de l’université Louis Pasteur à Strasbourg de 1997 à 2002, conseiller pour l’enseignement supérieur du maire de Paris Bertrand Delanoë (2005-2008), directeur de l’École normale supérieure de Cachan en 2009, conseiller Enseignement supérieur et recherche au cabinet du Président de la République François Hollande (2012), et président de l'université Sorbonne Paris Cité de 2013-2016. Il est l’auteur d’un rapport intitulé « L’avenir de l’édition scientifique en France et la science ouverte. Comment favoriser le dialogue ? Comment organiser la consultation ? » remis en novembre 2019 à la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal.

 

 

Biennale du numérique des 22 et 23 novembre 2021, parole aux intervenants : rencontre avec Jean-Yves Mérindol

Entretien avec Jean-Yves Mérindol, mathématicien, en charge de la conférence inaugurale de la Biennale du numérique organisée les 22 et 23 novembre 2021 à l’Enssib sur le thème « Être open ».

 

1/ Vous assurez, avec Thomas Parisot, directeur général adjoint de Cairn.info, la conférence inaugurale de la Biennale du numérique. Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Jean-Yves Mérindol
 : Je suis mathématicien, j’ai été en poste à l’université d’Angers puis de Strasbourg. J’ai présidé l’université de Strasbourg, l’École normale supérieure de Cachan puis un regroupement universitaire parisien qui s’appelait Sorbonne Paris Cité. En parallèle de mon parcours universitaire, j’ai occupé différentes fonctions, notamment comme conseiller du maire de Paris, Bertrand Delanoë, puis du Président de la République François Hollande. J’ai également été membre du conseil d’administration d’EDP sciences. Plus récemment, j’ai rédigé pour la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal, un rapport remis en 2019 sur les relations entre les pouvoirs publics et les éditeurs autour des éditions savantes et des questions de science ouverte, ce qui m’a amené à m’intéresser aux modèles économiques sous-jacents. Je m’intéresse de longue date aux questions de documentation – c’est assez usuel pour les mathématiciens – et j’ai fondé le consortium Couperin en 1999.

 

2/ Qu’est-ce qui vous a amené à créer Couperin, devenu un acteur majeur dans l’acquisition des publications électroniques pour les établissements de l’enseignement supérieur et de la recherche ?
Jean-Yves Mérindol
 : J’ai pris cette initiative sur une proposition d’un groupe de conservateurs des bibliothèques des universités de Strasbourg 1, Nancy 1, Angers, et Marseille 2. C’était devenu une évidence que l’informatique allait jouer un rôle important dans l’information scientifique et que les réseaux allaient modifier l’accès à la documentation. Au même moment commençaient à apparaître au niveau international des négociations entre les établissements de l’enseignement supérieur et de la recherche et les grands éditeurs mondiaux pour l’acquisition des bouquets de ressources numériques publiés par ces derniers. Nous avons considéré qu’il valait mieux faire un groupe d’achat plutôt que de se lancer dans des négociations isolées. Ce qui a été inattendu, c’est la vitesse à laquelle Couperin s’est développé, passant en quelques années d’une demie douzaine d’universités à une centaine. Il y a un point cependant que nous n’avons pas pu traiter et qui, selon moi, ne l’est toujours pas suffisamment, c’est celui de l’archivage à très long terme.

 

3/ Le thème de la Biennale du numérique de cette année est « Être open ». Quels sont, selon vous, les enjeux autour de cette thématique ?
Jean-Yves Mérindol
 : Je trouve que tout l’univers de l’open est très stimulant, pose des questions intéressantes et donne lieu à des réalisations ou des perspectives importantes. Pour autant, je ne fais pas partie des personnes qui considèrent comme automatiquement bénéfique la remise en cause de certains équilibres. Sans vision générale et partagée, ces évolutions peuvent être destructrices. Ainsi, les éditeurs petits et moyens qui n’arrivent pas à trouver un modèle économique stable et durable alors que les grands éditeurs ont adopté, eux, des modèles économiques qui leur assurent des rentabilités exceptionnelles. Cette déstabilisation constitue un danger pour la diversité de la science. Autre exemple, on introduit peu à peu pour les chercheurs des contraintes soit financières, via les APC, soit en termes de publication en les autorisant à publier dans telle revue et pas dans telle autre. L’open affecte ainsi de manière significative la liberté des auteurs dans leurs stratégies de publication, avec un impact sur les questions liées aux droits intellectuels et patrimoniaux des auteurs. Les côtés inquiétants de l’open doivent être analysés pour tenter d’éviter d’éventuelles dérives. Le militantisme trop facile autour du monde de « l’ouvert » empêche parfois de voir les difficultés et donc de les résoudre. On ne peut pas partager le monde entre les bons qui pensent qu’au nom de la théorie des biens communs tout doit être immédiatement et gratuitement accessible, et les mauvais qui font du commerce. Quel écrivain accepterait que son livre soit mis en accès libre sur Internet quelques jours seulement après sa sortie en librairie et alors qu’il se vend bien ? Il faut donc bien voir les opportunités mais aussi les limites du mouvement open.

 

4/ Comment se pose la problématique des modèles économiques ?
Jean-Yves Mérindol
 : En France, les politiques publiques valorisent le modèle économique appelé diamant dans lequel l’accès à la publication est gratuit pour le lecteur et pour l’auteur. En ce cas, il faut trouver les moyens de financer les revues ou les monographies. Aux États-Unis, de grandes fondations comme celles de George Soros ou Bill Gates, et de grandes agences, dont le NIH dans le domaine de la santé, apportent les moyens nécessaires. En France, on se tourne vers l’État qui finance soit de manière directe, via le Comité pour la science ouverte, soit indirecte à travers les organismes ou institutions publiques qu’il subventionne. Je trouve que cela pose un problème de principe de s’engager dans une démarche où l’équilibre économique des revues serait à l’avenir entièrement contrôlé par l’État. Je ne sais pas qui sera le prochain président de la République. Si une personnalité autoritaire décide par exemple de lutter contre « la gangrène de l’islamo-gauchisme » dans les universités en arrêtant de financer certaines revues, que se passera-t-il ? Ce n’est pas le cas actuellement mais on ne peut pas jurer de l’avenir. La nécessaire diversité des acteurs de l’édition peut être compromise par la démarche de centralisation étatique habituelle en France. C’est un point de vigilance si l’Open Access prend cette direction.

 

5/ La Biennale privilégie une approche interprofessionnelle. Cette dimension vous semble-t-elle importante pour aborder les questions de l’open ?
Jean-Yves Mérindol
 : Elle est même essentielle, comme elle l’a été pour la numérisation. Je trouve d’ailleurs qu’on ne dispose pas assez d’analyses approfondies sur les changements que l’open introduit dans les métiers des acteurs du secteur, scientifiques compris. Ainsi, je suis critique envers l’affirmation selon laquelle grâce à l’open access, on va rendre à ces derniers la maîtrise de l’édition scientifique. À mon avis, on ne la rend pas à la communauté scientifique mais à de nouveaux acteurs que sont les spécialistes de l’édition numérique open, parfois issus de la communauté scientifique mais rarement scientifiques actifs. Est-ce bien ou mal ? Je ne sais pas mais il faut penser les rapports entre ces différents métiers et l’arrivée de ces nouveaux acteurs. Pour que l’Open ouvre des perspectives vraiment fructueuses, il faut que les acteurs échangent de manière respectueuse, en respectant les particularités de chaque métier. Il arrive malheureusement que le côté militant de l’Open Access, présenté comme un avenir spontanément radieux, disqualifie a priori ceux qui pensent un peu autrement. Au moment du projet de loi « Pour une République numérique » en 2016, le débat a été très désagréable, très envenimé. Par exemple, alors que la communauté des historiens a été critique vis-à-vis de certains souhaits des représentants de l’open édition, il a été difficile d’avoir des échanges respectueux, donc utiles. Par ailleurs, il faut se rendre compte à quel point les grands éditeurs mondiaux tels qu’Elsevier ou Springer ont de l’avance dans ce domaine. Ils sont excellents dans leurs métiers et ce sera très dur de peser sur leurs décisions si les scientifiques, les conservateurs, les spécialistes de l’Open Access en France se battent entre eux. Les échanges interprofessionnels très larges, pas limités à la sphère publique, sont très importants.

 

Propos recueillis par Véronique Heurtematte
Le 15 octobre 2021