Michael David Miller © Cédric Vigneault, Enssib

 
Michael David Miller est bibliothécaire agrégé aux Bibliothèques de l’Université McGill où il occupe le poste de bibliothécaire de liaison en littératures de langue française, sciences économiques, études québécoises et études de genre depuis mars 2014.

Rencontre avec Michael David Miller, bibliothécaire agrégé à l'Université McGill au Canada, chercheur invité à l’Enssib

1/ Pouvez-vous vous présenter en quelques lignes ? Quels sont vos sujets de recherche ?
Je suis bibliothécaire agrégé aux Bibliothèques de l’Université McGill où j’occupe le poste de bibliothécaire de liaison en littératures de langue française, sciences économiques, études québécoises et études de genre depuis mars 2014. En fait, en août 2024, ça fera 18 ans depuis que je travaille en bibliothèque universitaire entre le Michigan et le Québec. J’étais 5 ans à la Bibliothèque centrale de l’Université d’État du Michigan (la Michigan State University Main Library) en tant que commis-étudiant où j’ai fait plusieurs postes, notamment des postes au comptoir de prêt, au reclassement de livres et au centre d’impression. Après y avoir obtenu mes deux baccalauréats ès arts (licences en France) en études francophones et en études publicitaires, j’ai décidé de poursuivre la maîtrise en bibliothéconomie et des sciences de l’information à l’Université de Montréal. C’est d’ailleurs le seul programme entièrement donné en français en Amérique. Je voulais surtout parfaire mon français, intégrer la culture québécoise et en même temps de me préparer pour une carrière en bibliothèque de recherche.

Mes intérêts de recherche sont ancrés dans ma pratique professionnelle de bibliothécaire. Donc, je vise à étudier les intersections des projets Wikimédia avec la pratique professionnelle de bibliothécaire. D’une manière plus globale, je m’intéresse à l’application des savoirs professionnels et traditionnels des bibliothécaires (l’aide à la recherche, la gestion des collections, la formation documentaire et le catalogage / description documentaire) aux nouvelles tendances en recherche et en enseignement. Je pense notamment aux nouveaux rôles entrepris par plusieurs bibliothécaires dans les domaines de la réussite étudiante, de la vulgarisation des sciences, de la science citoyenne, de la gestion des données de recherche (GDR), du libre accès, du soutient aux revues savantes, des ressources éducatives libres (REL), des savoirs communs et de la démocratisation de l’accès a l’information et à la technologie.  

 Lors de mon séjour à l’Enssib, je commence un projet de synthèse de connaissance avec ma collègue Anna Dysert, bibliothécaire agrégée aux Bibliothèques de l’Université McGill. Plus précisément, nous travaillons sur un examen de la portée (scoping review) sur Wikimédia et les bibliothèques avec. Nous souhaitons découvrir les grandes tendances par rapport à l’intégration des projets Wikimédia (Wikipédia, Wikimédia Commons et Wikidata) dans le travail des bibliothécaires.  Nous envisageons pouvoir dire que tels profils de bibliothécaires (catalogeur·euses, en patrimoine, en formation documentaire, en métadonnées etc.) ont tendance à travailler avec tels projets Wikimédia (Wikipédia, Wikidata, Wikimédia Commons, Wikisource, etc.)

À la fin du projet, en plus de publier l’examen de la portée dans une revue scientifique évaluée par les pairs avec Anna Dysert, je prévois créer des fiches qui décrivent les projets Wikimédia les plus communs par profil de bibliothécaire. Ceci dans un but de faciliter les différentes manières dont les collègues peuvent intégrer les projets Wikimédia dans leurs pratiques professionnelles.

 


2/ Vous êtes vice-président de Wikimédia Canada et administrateur de Wikifranca, quelles intersections voyez-vous entre votre bénévolat de wikimédien et votre travail professionnel de bibliothécaire.

Le Mouvement Wikimédia se positionne au centre du Mouvement de l’équité des savoirs et des savoirs libres. Les bibliothécaires ont une tradition de travailler dans la démocratisation de l’accès à l’information et étaient avant-gardes par rapport au mouvement du libre accès. Pour moi, il me semble tout à fait naturel pour les bibliothécaires et les bibliothèques d’intégrer davantage de projets Wikimédia dans leurs pratiques professionnelles. Les projets Wikimédia, surtout le projet Wikipédia, sont les plus grands projets de démocratisation de l’information de notre histoire. Dans le milieu universitaire nous parlons souvent du libre accès, de la vulgarisation des sciences, de la science citoyenne, etc. Et bien, les projets Wikimédia font tout cela. Wikipédia est un outil de vulgarisation scientifique où on peut mettre l’accent sur les publications en libre accès et Wikimédia Commons est une médiathèque qui permet la démocratisation de l’accès au patrimoine numérisé.

 


3/ En tant que francophone au Canada, comment pensez-vous que les outils Wikimédia peuvent aider au développement des cultures minoritaires ?

J’aime énormément cette question car même si je suis anglophone de naissance, je me sens francophone, j’ai adopté le français et le français m’a adopté. Ma francophonitude est fortement ancrée dans l’Amérique francophone, plus précisément dans la francophonie québécoise. On peut constater ceci dans mes contributions aux projets Wikimédia. Il y a presque toujours un lien avec le Québec ou la francophonie nord-américaine. Les Wikipédias, dans l’ensemble des versions linguistiques, visent à donner un libre accès à l’ensemble des connaissances du monde. Selon ma lecture, cela inclue toutes les cultures, peu importe leur taille. Donc, cela inclut la Nation québécoise et toutes les communautés francophones des Amériques, y compris toutes les cultures minoritaires qui font partie de ces cultures.  

Les projets Wikimédia sont très intéressants pour la visibilité de la culture, les sciences, l’histoire, etc. d’une manière générale, mais ils sont imparfaits et incomplets. On pourrait dire qu’il y a un fossé de contenu sur le Québec et sur les communautés de la francophonie canadienne, antillaise et africaine. Souvent, les règles d’admissibilité des articles sont favorables aux sujets sur la France métropolitaine et défavorables aux sujets de la reste de la francophonie. Néanmoins, cela change. Avec chaque nouveau et nouvelle utilisatrice provenant du Québec, de la Côte d’Ivoire ou d’Haïti, nous arrivons à moderniser les règles qui encadrent la Wikipédia francophone afin qu’elles soient plus inclusives des multitudes de diversités que nous retrouvons dans la francophonie mondiale. Je pense que les bibliothécaires peuvent être au centre de cette modernisation des règles francophones. D’où mon intérêt de faire ce projet de recherche (et une éventuelle thèse) sur Wikimédia et les bibliothécaires.

 


4/ Quelles évolutions pouvez-vous observer du côté des bibliothèques ?

Notre cher David Lankes nous rappelle que « La mission d’une bibliothèque [et des bibliothécaires] est d’améliorer la société en facilitant la création de connaissances dans sa communautéi. » La communauté ici pourrait s’agir des citoyen·nes une ville, des élèves d’une école, des collègues d’une entreprise ou des étudiant·es d’une université. Donc, ça s’applique à toutes sortes de bibliothèque. Les bibliothécaires facilitent, ou plutôt démocratisent l’accès à des choses comme de la documentation, des espaces, des technologies, etc., pour leurs publics.  

En général, j’ai l’impression que les bibliothèques, et surtout leurs bibliothécaires appliquent leurs expertises professionnelles (aide à la recherche, médiation documentaire et accès aux collections) aux nouvelles tendances et technologies d’une manière très proactive. Pensons aux fabricothèques de plus en plus présentes dans nos bibliothèques, des activités d’édition sur l’histoire locale sur Wikipédia, des offres d’activités de formations et de conférences, des activités de bibliothèque vivante ou l’hébergement et le soutien aux revues savantes.  

Est-ce que c’est véritablement une « évolution » dans nos milieux où est-il plutôt une application de nos expertises sur de nouveaux domaines ? Les supports ont peut-être changé, mais la mission de base de soutenir l’apprentissage et la création dans nos communautés me semblent rester pareil. 

 

Propos recueillis par Thomas Chaimbault-Petitjean
Le 28 avril 2024