Antoine Petel

Diplômé en Droit et contentieux de l’Union européenne, Antoine Petel est actuellement doctorant au Centre d’études européennes de l’université Jean Moulin Lyon 3 où il réalise une thèse sur le droit européen de la réutilisation des données du secteur public. Il a rejoint en 2020 le Groupement français de l’industrie de l’information (GFII) où il anime notamment le cycle « 2021, nouvelle politique européenne de la donnée ». Il travaille également comme consultant à Bruxelles sur les questions de politique européenne des données et d’intelligence artificielle ainsi que sur les financements européens.

Biennale du numérique des 22 et 23 novembre 2021, parole aux intervenants : rencontre avec Antoine Petel

Entretien avec Antoine Petel, juriste et consultant spécialisé dans les données et l’intelligence artificielle, qui assure la conférence de clôture de la Biennale du numérique organisée les 22 et 23 novembre 2021 à l’Enssib sur le thème « Être open ».

 

1/ Vous interviendrez en clôture de la Biennale du numérique. Pouvez-vous présenter votre parcours en quelques mots ?
Antoine Petel :
Je suis juriste spécialisé en droit de l’Union européenne et je prépare depuis 2018 une thèse à l’université de Lyon 3 sur le thème de la réutilisation des données du secteur public. Depuis début 2019, je travaille à Bruxelles où j’exerce en tant que consultant à la fois sur la politique européenne des données et de l’intelligence artificielle, mais également dans le domaine des financements européens. J’interviens à la Biennale du numérique sous l’étiquette du GFII que j’ai intégré l’année dernière. J’y anime les « Eurowebinaires » qui sont des ateliers pédagogiques destinés à présenter et expliquer les initiatives européennes en cours, et je contribue à la rédaction de l’EuroData Actu, une newsletter mensuelle sur ces mêmes thèmes.

 

2/ Nombre de pays européens ont des programmes en matière d’ouverture des données, mais existe-t-il une Europe de la donnée ?
Antoine Petel :
Depuis les années 80, la politique européenne est surtout centrée sur la mise à disposition et l’exploitation des données du secteur public. C’est ce qui a conduit en 2003 à l’adoption de la directive sur la réutilisation des informations du secteur public. Cependant, cette politique s’étend progressivement aux données du secteur privé. D’ailleurs, ce mouvement s’est accéléré depuis 2020, d’une part en raison de l’arrivée de Thierry Breton qui a apporté une vision et une expertise fortes en la matière et d’autre part avec la publication de la nouvelle stratégie européenne pour les données. Cette stratégie est très importante car elle porte l’ambition de faire de l’Union européenne la cheffe de file de l’exploitation des données industrielles au niveau international. Ce qu’il faut comprendre, c’est que tous les acteurs européens, privés ou publics, citoyens ou entreprises, seront impactés par cette initiative. Toutes les données sont également concernées, quel que soit leur niveau de sensibilité. Pour faire simple, on peut présenter les actions selon deux axes : au niveau horizontal, l’ambition est de créer un marché unique des données pour faciliter leur circulation auprès d’un maximum d’acteurs, et au niveau sectoriel, la volonté est de créer des espaces communs de données comprenant des cadres réglementaires et des outils adaptés dans le but de permettre à chaque secteur d’avancer à son rythme.

Cette ambition va juridiquement se traduire par l’adoption de plusieurs textes majeurs. Tout d’abord, un Data Governance Act qui est déjà publié et dont la négociation entre les institutions européennes devrait probablement s’achever d’ici à la fin de l’année 2021. Ensuite, un Data Act qui sera publié dans les prochains mois et dont l’objectif est de favoriser l’accessibilité et l’exploitation des données du secteur privé. Enfin, des textes sectoriels s’ajouteront à ces deux textes majeurs, Le plus mature est celui relatif aux données de la santé, dont la publication interviendra probablement début 2022. En outre, ce qui est également important du point de vue juridique, c’est qu’il s’agit de règlements européens. Cela signifie que ces textes seront directement applicables dans les États membres et qu’en cas d’opposition avec une règle nationale, c’est la règle européenne qui s’appliquera. Il faut donc s’attendre à des changements et des impacts importants pour les acteurs, publics comme privés.

 

3/ Et qu’en est-il de la construction de la science ouverte à l’échelle européenne ?
Antoine Petel :
L’Union européenne s’intéresse aux données scientifiques depuis de nombreuses années. La réflexion émergea avec la volonté de créer un marché de l’information professionnelle et scientifique. Toutefois, l’intérêt pour l’Open Science est plus récent. La démarche européenne vise surtout à initier une dynamique auprès des États membres pour qu’ils adoptent des plans concrets et ambitieux en la matière. Mais son action se restreint pour l’instant à des recommandations, donc des textes sans force contraignante. La Commission a également réaffirmé son souhait de poursuivre le projet de nuage pour la science ouverte destiné à faciliter l’accès aux données de la recherche pour les chercheurs européens, les innovateurs, les entreprises, les citoyens. Ce projet est une composante de la politique européenne pour les données. Il est enfin possible de mentionner l’intégration en 2019 des « données de la recherche » dans le champ d’application de la directive sur l’Open Data et la réutilisation des informations du secteur public.

 

4/ Quels sont les enjeux autour de cette révolution en cours dans le marché des données ?
Antoine Petel
 : Ils sont nombreux mais l’un des plus importants est de permettre aux acteurs européens de disposer de grands volumes de données pour développer certaines techniques d’intelligence artificielle. C’est pourquoi l’action européenne sur les données est très liée à celle sur l’intelligence artificielle. Pour le sujet de l’intelligence artificielle, la Commission européenne a publié une proposition législative en avril dernier, intitulée Artificial Intelligence Act. C’est un texte qui va être très important, et il s’agit de la première règlementation dédiée exclusivement aux systèmes de l’intelligence artificielle au niveau international. Cela montre toute sa symbolique. Ce projet de règlement s’annonce très dur à négocier entre l’ensemble des parties car les points d’oppositions sont nombreux, comme la question de la reconnaissance faciale, ou encore la définition à retenir de l’intelligence artificielle. Nous pouvons nous attendre à une négociation compliquée et longue.

 

5/ Quelle place occupent ou pourraient occuper les professionnels de l’information et de la documentation dans toutes ces questions ?
Antoine Petel :
Ce qui me semble le plus sensible pour les professionnels de l’information et de la documentation, c’est la question de la propriété intellectuelle. Cette problématique est au cœur de la réflexion sur la circulation des données et des initiatives en cours. Ce qui nous savons aujourd’hui, c’est que la Commission européenne révisera la directive (CE) n°96/9 sur la protection juridique des bases de données en vue de faciliter leur circulation mais également pour mieux protéger certaines données, par exemple, celles générées par des machines. La Commission évalue également l’opportunité de réviser la directive (UE) n°2016/943 sur la protection des secrets d'affaires, toujours dans le but de mieux protéger les données. Il y a donc un enjeu à faire entendre ses arguments pour faire évoluer la position de la Commission qui sera traitée dans le prochain « Data Act ».

 

Propos recueillis par Véronique Heurtematte
Le 2 novembre 2021