Thomas Parisot © Thomas Parisot

 

Directeur général adjoint de la plateforme Cairn.info, Thomas Parisot participe activement aux travaux du groupe universitaire du syndicat national de l’édition (SNE) et anime le groupe de travail science ouverte du groupement français des industries de l’information (gf2I), dont il est par ailleurs vice-président.

Biennale du numérique 2023, parole aux intervenants : rencontre avec Thomas Parisot

1/ Vous êtes actuellement directeur adjoint de Cairn.info, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Après de premières expériences dans l’édition (aux Éditions Gallimard notamment) et dans le déploiement de technologies documentaires (Archimed), j’ai eu la chance de rencontrer en 2005 l’équipe à l’origine du projet Cairn.info : Marc Minon, économiste à l’Université de Liège qui travaillait l’adaptation de l’édition aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, Jean-Baptiste de Vathaire, ancien directeur technique de l’imprimerie des PUF et pionnier de l’élaboration des premiers formats d’eBooks, et François Gèze, ancien directeur des éditions La Découverte qui a été notre président jusqu’à sa disparition récente. Tout est ensuite allé très vite, avec l’élaboration progressive du modèle de licences institutionnelles toujours proposé aujourd’hui aux bibliothèques universitaires de 70 pays, la signature d’accords avec plus de 400 éditeurs pour la diffusion numérique de revues de sciences humaines et sociales, de livres et aujourd’hui de supports et de productions toujours plus variées (vidéos, dossiers, listes de lecture, etc.).
Depuis le départ à la retraite de Marc Minon en 2020, j’assure avec Jean-Baptiste de Vathaire le pilotage de l’équipe Cairn qui compte désormais une quarantaine de personnes, et intervient dans des domaines aussi variés que le développement informatique, la structuration et l’enrichissement numérique des œuvres, la composition et la fabrication papier, la traduction, la production audiovisuelle, la data analyse ou encore la promotion internationale des publications qui nous sont confiées.

 

2/ Qu’est-ce qui vous a amené à intégrer le monde de l’édition et plus particulièrement celui de l’édition dans le numérique ?
Le sens profond de la mission de l’édition de savoirs la consolidation et la diffusion des connaissances et le moment très particulier dans lequel se trouve ce secteur depuis une vingtaine d’année, avec un changement profond du paradigme de diffusion / distribution induit par la montée en puissance des canaux numériques, m’ont paru constituer un cocktail passionnant. Et de fait, les 15 années passées à participer avec notre équipe aux différentes étapes du projet Cairn.info ont été très riches en apprentissages et en questionnements. Comment internationaliser sans dénaturer la production académique et intellectuelle française et francophone ?  Comment créer de l’attention sur des publications académiques tout en respectant leur nature exigeante ? Comment créer un environnement de lecture et de découverte efficace, adapté aux besoins de millions d’usagers aux appétits intellectuels aussi divers que l’histoire médiévale, la psychologie des jeunes enfants ou la géopolitique ? Comment participer via le numérique à construire un écosystème francophone du livre à la fois solide, stimulant et divers ? Autant de question avec lesquelles nous avons à traiter quotidiennement, ce qui nous motive beaucoup.

 

3/ Pouvez-vous présenter Cairn.info ?
Cairn.info est une société à mission, constituée par un collectif d’éditeurs – De Boeck, La Découverte, érès, Humensis, Gallimard – et la Bibliothèque nationale de France, qui développe une plateforme d’accès et de découverte permettant la navigation dans des millions de publications de sciences humaines et sociales francophones. À partir de 2024, cet environnement déjà très riche s’ouvrira à deux autres domaines disciplinaires : le droit et la médecine. C’est une évolution importante qui donnera lieu à une réorganisation en profondeur de notre service et au lancement de nouveaux services à forte valeur ajoutée : recommandations individualisées, classification « intelligente » des publications au sein de plusieurs milliers d’espaces thématiques, multiplication des formats de découverte des publications et leurs auteur(e)s, sous des formes textuelles, mais aussi désormais vidéos, sonores et illustrées. Rien de tout ceci ne serait possible sans les progrès fascinants de l’intelligence artificielle, sur laquelle nous travaillons activement, pour la mettre pleinement au service de la curiosité de nos lecteurs/lectrices et de la circulation des connaissances.

 

4/ Du « numérique » à l’« IA », en quelques mots, pouvez-vous nous parler des risques et de l’intérêt de l’IA pour le monde de l’édition numérique ?
Le moment dans lequel nous nous trouvons est passionnant à plusieurs titres : l’IA n’a plus à démontrer son intérêt ni à convaincre de son potentiel. En revanche, il sera important d’identifier ses limites et de les traduire en actes, sur un plan juridique, technique et philosophique, afin de permettre à ces technologies de prendre toute leur place dans l’écosystème de la diffusion du savoir. Il est à notre sens important de rester très pragmatiques, les projets que nous menons depuis quelques années chez Cairn.info – et que nous observons autour de nous, par exemple au sein du groupement français des industries de l’information (gf2i), dont je suis vice-président et qui est partenaire de cette Biennale – nous ayant convaincu de la nécessaire combinaison du savoir-faire technique et intellectuel pour tirer le plein parti des automatisations que permettre les différentes formes d’IA. Les technologies de traitement automatique du langage génèrent des centaines de concepts valides à partir d’un texte, mais quelle en serait la valeur sans les agrégats et les assemblages subtils d’un pilote acculturé aux attentes de son lectorat ? Sans capacité à traduire cette potentialité en service, pour des usagers dont la connaissance spécifique devient un cœur de métier pour des plateforme comme la nôtre ? La traduction automatique, la recherche assistée par IA, dans le texte, le son ou l’image sont plein de promesses (et de résultats), pour améliorer la découvrabilité des publications, la préparation des textes et leur interopérabilité, mais gardons en tête que toute connaissance n’est pas réductible à des calculs statistiques et que les différentes formes de médiations aux savoirs – incarnées, algorithmiques et collectives – ont chacune leurs atouts spécifiques.

 

Propos recueillis par Emmanuel Brandl
Le 20 octobre 2023