Alice Laforêt

Alice Laforêt, élève DCB 25 a effectué son stage de fin de formation à la Rare Book and Manuscript Libraries de l’université de Columbia où elle a enrichi les notices du fonds d’incunables et mis en place un programme de numérisation pour ce fonds. Suivez son expérience.

Alice Laforêt : valorisation et numérisation des collections et manuscrits médiévaux, Columbia University, New York

Dans l’établissement dans lequel vous faites votre stage, pouvez-vous nous parler d’une des missions qui vous ont été confiées ?

J’ai fait mon stage à la Rare Book and Manuscript Library (RBML) de l’université de Columbia, à New York. Les bibliothèques de Columbia forment un réseau complexe, comprenant une trentaine de structures différentes. La RBML est la principale bibliothèque conservant des collections patrimoniales : elle possède des fonds d’une richesse et d’une diversité extraordinaire. J’ai quant à moi travaillé au sein des collections médiévales et Renaissance. Ma mission principale a porté sur le fonds d’incunables de la RBML. Ce fonds important, comprenant plus de 1100 exemplaires, était assez mal décrit dans le catalogue. La RBML souhaitait s’inscrire dans le projet international Material Evidence in Incunabula (MEI), une base de données hébergée par le Consortium of European Research Libraries. Cette base a pour objectif de permettre une description extrêmement fine des incunables, en plaçant l’accent sur les caractéristiques d’exemplaires – une base de données des possesseurs d’incunables lui est associée et permet de retracer la circulation de ces exemplaires, du XVe siècle à nos jours. Il s’agit ainsi de répertorier les ex-libris, annotations manuscrites, armoiries, illustrations marginales (cf. image) ou toute autre marque d’usage et de possession de ces incunables. J’ai donc commencé à décrire de la manière la plus systématique possible les incunables de la RBML dans la base MEI – l’objectif étant à terme de procéder à un import des données de MEI dans le catalogue des bibliothèques de Columbia, afin d’en enrichir les notices. J’ai ensuite commencé à mettre en place un programme de numérisation de ce fonds, en procédant à une analyse des besoins et en identifiant les exemplaires à numériser en priorité. J’ai par exemple pu repérer certains unica (seuls témoins survivants d’une édition) qui n’avaient pas été numérisés.

Par ailleurs, j’ai également travaillé sur des fonds de manuscrits médiévaux. Columbia est en effet l’une des institutions à l’origine de la base de données Digital Scriptorium, un catalogue collectif dont le but est de signaler l’ensemble des manuscrits médiévaux conservés dans les bibliothèques et musées américains. Pour les institutions conservant un nombre restreint de manuscrits, les conservateurs des bibliothèques à l’origine du projet peuvent exercer un rôle d’expertise pour le catalogage et le référencement dans Digital Scriptorium, ainsi que pour les préconisations de numérisation. Au cours de mon stage, nous avons ainsi travaillé sur les manuscrits de la bibliothèque du New York Botanical Garden ainsi que de la New York Academy of Medicine.

 

Dans votre environnement de travail, avez-vous été étonnée par des pratiques ou perspectives professionnelles différentes des habitudes françaises ?

Le concept de personal librarian, en vogue depuis quelques années dans les bibliothèques américaines, ne m’était pas inconnu : il fut néanmoins surprenant de s’y confronter. Les services aux étudiants sont véritablement conçus sur mesure, qu’il s’agisse de l’accueil et du renseignement bibliographique, de la formation des usagers, ou encore des services à la recherche. Cette démarche se reflète également dans l’existence de trois différents « digital centers » au sein des Columbia University Libraries – le Digital Humanities Center, le Digital Social Science Center et le Digital Science Center. Ces trois structures ont vocation à apporter une aide très personnalisée aux étudiants et chercheurs qui souhaitent avoir recours au numérique pour leurs projets de recherche. Les bibliothécaires les accompagnent pas à pas, en les aidant à déterminer leurs besoins (allant de la mise en place d’une simple base de données à la numérisation et l’OCRisation d’importants corpus, en passant par la fouille de texte et de données, la dataviz, ou encore la cartographie) et en les formant aux logiciels qui permettent d’y répondre. Le Digital Humanities Center travaille ainsi en étroite collaboration avec la RBML, sur des projets d’ampleurs variées dans le domaine des humanités numériques.
Cependant, si ces services aux étudiants sont bien sûr à saluer, il est néanmoins toujours utile de rappeler que les conditions d’accès aux études supérieures aux Etats-Unis sont bien différentes du contexte français. Ces services aux étudiants conçus sur mesure sont aussi le corollaire d’un système universitaire bâti sur des frais de scolarité prohibitifs. Le modèle financier de ces institutions permet donc de disposer d’un ratio bibliothécaire/étudiant souvent plus élevé dans les universités de l’Ivy League que dans les institutions françaises.

 

Parmi les bibliothèques visitées (celle de votre stage ou une autre), pouvez-vous nous raconter une chose que vous avez trouvée particulièrement surprenante, innovante ou enthousiasmante ?

Au cours de mon stage, j’ai été associée à l’organisation des sessions de cours de bibliographie matérielle et d’initiation au livre ancien, ainsi qu’à la mise en place d’un atelier de formation à la Text Encoding Initiative. A cette occasion, j’ai été particulièrement séduite par les pratiques pédagogiques mises en œuvre par les institutions américaines. Le principe de la pédagogie inversée est très souvent au cœur du dispositif, tant à Columbia que dans d’autres institutions où j’ai pu me rendre. Ce concept ne se limite pas à de la simple théorie, comme c’est parfois le cas dans les institutions françaises, et les étudiants et autres usagers prenant part à ces sessions se placent très souvent dans une démarche de co-construction de la formation.

Légende de l’image : Dessins marginaux à la plume dans un exemplaire de l’Histoire romaine de Tite Live. Columbia University, Rare Book and Manuscript Library, Goff L239