Benoît Glaude

Auteur de Jijé, l’autre père de la BD franco-belge, écrit avec l’historien lyonnais Philippe Delisle, Benoît Glaude a été invité à l’Enssib à l’occasion du séminaire sur la BD organisé par Pascal Robert, directeur de la recherche de l’école.

Benoît Glaude : Reconnaître le rôle des acteurs de la chaîne du livre dans la création des œuvres

1/ Pouvez-vous vous présenter en quelques lignes ? Quels sont vos sujets de recherche ?

Je suis post-doctorant dans une université belge, l’UCLouvain à Louvain-la-Neuve, où j’ai soutenu en 2015 une thèse en Langues et Lettres consacrée à la bande dessinée. Je suis un littéraire qui étudie des récits de divers médias – littérature, bande dessinée, album pour la jeunesse, roman-photo, etc. –, relevant de la culture médiatique, du XIXe au XXIe siècles. J’ai d’abord travaillé sur des œuvres imprimées que l’on appelle parfois « iconotextes », particulièrement sur des bandes dessinées. Ces dernières années, j’en suis venu à des romans illustrés, destinés aux adultes et à la jeunesse. Mes recherches, qui bénéficient actuellement d’un financement public belge, portent sur des mises en romans ou « novellisations » de bandes dessinées.

 

2/ Vous avez donné une conférence sur Jijé à l’Enssib. Pouvez-vous nous parler de son importance dans l’histoire de la bande dessinée franco-belge ?

Joseph Gillain (1914-1980), ou Jijé, peut être considéré comme le second père fondateur de la bande dessinée franco-belge, après Hergé. Je dis « après » car Jijé était de sept ans plus jeune que son aîné, qui a influencé ses débuts dans les années 1930. Les deux hommes ont chacun créé jusqu’au seuil des années 1980 et ils ont eu un retentissement comparable auprès de plusieurs générations de créateurs. Cela dit, presque tout oppose les deux artistes. Jijé se distingue par une œuvre multiforme et multidisciplinaire, par des collaborations avec les scénaristes les plus divers, par la richesse de ses expériences graphiques. Il ne s’est jamais contenté ni d’un seul genre narratif ni d’un style graphique immuable. D’un bout à l’autre de sa carrière, longue d’une cinquantaine d’années, ses contemporains – André Franquin, Morris, Jean Giraud, Jean-Claude Mézières, Derib, etc. – ont contribué à lui conférer la stature d’un père fondateur, mais sans le statufier de son vivant. Aujourd’hui, Jijé reste certainement une référence pour beaucoup d’auteurs, comme il le fut dès les années 1980 pour des auteurs de Métal hurlant tels qu’Yves Chaland. Cependant, il me semble injustement méconnu des lecteurs, même si les choses sont en train de changer. Des rééditions de qualité ont suscité, depuis 2010, un regain d’intérêt pour une œuvre désormais accessible.

 

3/ Trouvez-vous une complémentarité dans vos sujets de recherche et ceux des chercheurs de l’Enssib ? Lesquelles ?

Ce qui nous réunit est la connaissance et la reconnaissance du rôle des acteurs de la chaîne du livre dans la création des œuvres. Tout en restant vraiment un lecteur, en raison de ma formation littéraire et de mon goût personnel pour la lecture, j’essaye toujours de tenir compte du contexte de production et de réception des œuvres. J’articule donc lecture « interne » et lecture « externe ». Or, la création d’un roman, comme celle d’une bande dessinée ou d’un album pour la jeunesse, me paraît toujours collaborative. Les études littéraires se focalisent souvent sur l’auteur mais, en pratique, ce sont un éditeur, un traducteur, un libraire, un bibliothécaire, etc., qui contribuent tous ensemble à créer l’œuvre artistique. Ceci révèle l’implication des professionnels du livre et l’importance de leur formation. Après mon master en Lettres, j’en ai fait un second en Édition, puis j’ai travaillé huit ans dans une librairie généraliste, tout en formant des bibliothécaires et des libraires. Je connais donc le rayonnement international de l’enseignement dispensé à l’Enssib. Par ailleurs, mon métier de chercheur me fait prendre connaissance de l’expertise de votre école dans le domaine de l’histoire du livre. Je consulte bien sûr le Bulletin des bibliothèques de France  et je suis attentivement les publications des Presses de l’Enssib – j’ai en ce moment sur ma table de travail le livre de Michèle Piquard, L'Édition pour la jeunesse en France de 1945 à 1980, et celui de Pascal Robert, La Bande dessinée, une intelligence subversive. Je peux même dire que l’ouvrage de Sylvain Lesage, Publier la bande dessinée, a été un livre de chevet ces derniers temps !

 

4/ Pouvez-vous nous recommander des nouveaux titres de BD belges ?

Si par « BD belge » vous voulez parler de bandes dessinées d’auteurs belges, je recommanderais volontiers deux œuvres subtilement engagées, puisque nous avons récemment été en période électorale en Belgique : celle d’un néerlandophone, Les Rigoles de Brecht Evens, et celle d’un duo de francophones, Chandelle-sur-Trouille de Pierre Bailly et Céline Fraipont. Et un exercice de style, pour tester les limites d’une « BD belge » : Abrégé de bande dessinée franco-belge d’Ilan Manouach.

 

Propos recueillis par Raphaëlle Bats le 23 août 2019