© BrailleNet

À l’occasion de la première édition des Rencontres nationales du livre numérique accessible organisée le 17 janvier 2019 à l’Enssib, nous avons rencontré Alex Bernier, l'un des organisateurs de l’événement. Ce dernier revient sur les apports du numérique en matière d’accessibilité et sur le chemin qu’il reste à encore parcourir.

Rencontre avec Alex Bernier, directeur de l’association BrailleNet, autour des enjeux du livre numérique accessible

BrailleNet a organisé à l’Enssib, avec Auvergne-Rhône Alpes Livre et Lecture, la première édition des Rencontres nationales du livre numérique accessible. Expliquez-nous ce qui a justifié une telle manifestation.

Après le succès en 2017 de la Journée nationale sur l’accès au livre et à la lecture, intitulée « Trouvons des solutions ensemble », nous avons souhaité pérenniser les réflexions et les échanges engagés à l’Enssib sur ces questions. Le numérique constitue en effet un véritable levier d’accès au livre et à la lecture pour les personnes en situation de handicap. Mais il reste encore beaucoup à faire ! A titre d’exemple, seuls 8% des livres circulant en France sont disponibles dans des versions adaptées pour les malvoyants, que ce soit en Braille, en livres audio ou en gros caractères. Avec ces premières Rencontres, nous souhaitions donner à la manifestation une dimension nationale et y convier l’ensemble des professionnels concernés, qu’ils soient éditeurs, développeurs, libraires, bibliothécaires…

 

BrailleNet, l’association que vous dirigez, s’est donné pour mission « de faciliter l’accès des personnes handicapées à la culture, à l’éducation, à l’emploi et à la citoyenneté ». En quoi le numérique favorise-t-il l’accessibilité ?

Le numérique offre un gain considérable en praticité, notamment pour le public non voyant. Cela se vérifie en place et en temps. A titre d’exemple, l’adaptation en Braille de la version intégrale des Misérables nécessiterait au moins 45 volumes. Et la production de livres adaptés peut désormais se faire en accédant directement aux fichiers sources des éditeurs, sans passer par l’obligation de numériser les ouvrages au préalable. Mais pour que les contenus soient véritablement accessibles, le numérique impose de respecter des normes, que les professionnels doivent encore apprendre à adopter et à maîtriser. Ce constat est aussi bien valable pour la publication d’ouvrages que pour la conception de sites internet, notamment ceux des libraires et des bibliothèques. Le numérique reste un bel outil, qu’un travail de sensibilisation des professionnels doit accompagner.

 

En 2018, BrailleNet a fêté son vingtième anniversaire. Avec un tel recul, pouvez-vous nous préciser quelles sont pour vous les grandes évolutions des vingt dernières années en matière d’accessibilité ?

L’une des principales évolutions est la création dès 1996 du consortium DAISY (Digital Accessible Information System), à l’origine d’un format multimédia qui fut le premier format du livre numérique accessible. DAISY a permis de lancer à grande échelle la production de livres numériques accessibles. La généralisation de ce format a permis de faire évoluer les standards, l’accessibilité intégrant désormais des formats d’éditeurs.

 

Si des progrès sont notables en termes de technologies et d’outils, peut-on en dire autant des contenus mis à disposition des personnes handicapées ?

Non, car les contenus accessibles via le numérique restent essentiellement ceux des domaines de la littérature et du loisir. Les ouvrages scolaires ou scientifiques par exemple sont pratiquement absents de l’offre de livres adaptés. C’est ainsi qu’un étudiant aveugle ou malvoyant qui voudrait suivre un cursus en sciences dures ou préparer l’agrégation de mathématiques ne trouvera pas d’ouvrages répondant à ses besoins. A cette offre déficiente, il faut ajouter le peu d’établissements habilités en France à diffuser des livres adaptés. Pour l’ensemble du territoire, on compte en effet 22 bibliothèques et 15 établissements de l’enseignement supérieur agréés pour diffuser des livres adaptés. Cette situation, très française, tient essentiellement aux pouvoirs publics. 

 

Quelles sont pour vous les perspectives des prochaines années en matière d’accessibilité ? Pourriez-vous nous citer un projet exemplaire, susceptible de faire date dans les mois à venir ?

L’objectif des prochaines années est d’industrialiser l’adaptation et la production de livres adaptés, encore beaucoup trop artisanales en France. Un projet comme Opaline (Outils Pour l’Accessibilité des Livres Numériques), par exemple, vise à développer des outils pour produire et éditer des livres numériques plus facilement. Ces outils, une fois validés et testés, seront pour l’essentiel développés sous licences libres (open source) afin qu’ils soient largement réutilisés par les éditeurs et transcripteurs.

 

Concernant votre parcours personnel, vous avez une formation d’ingénieur et une expérience en Recherche & Développement. Comment en êtes-vous venu aux questions d’accessibilité ? 

Je suis aveugle de naissance et j’ai poursuivi ma scolarité dans des écoles classiques. J’ai donc été confronté aux problèmes d’accès aux livres et à la lecture. Mes études dans l’informatique, un milieu très concerné par le numérique, m’ont sensibilisé autrement à ces questions et c’est ainsi que j’ai intégré BrailleNet.

 

En guise de conclusion, avez-vous un message particulier à adresser aux professionnels des bibliothèques et de la documentation ?

C’est toujours la question de la sensibilisation qui revient. Je leur dirai donc : « Faîtes remonter la préoccupation de l’accessibilité auprès de tous vos interlocuteurs, de préférence en amont des projets ».  Cela se vérifie aussi bien pour l’élaboration du cahier des charges d’un site web qu’à l’occasion de l’installation d’automates pour gérer les livres. Les cas ne manquent pas puisque désormais, le numérique est partout.