Le Congrès de Grenoble de l'ABF des 8 au 10 mai 1982 portait sur les' constructions de bibliothèques, le bilan de la décennie en la matière, et les perspectives d'avenir.
Il nous a semblé, en comité préparatoire, que si le projet convenait parfaitement à la Lecture Publique, il fallait le moduler pour les Bibliothèques d'études et de recherche, les Bibliothèques Universitaires en particulier. On a beaucoup construit de Bibliothèques universitaires dans les premières années de la décennie, mais pratiquement très peu dans la deuxième moitié ; et les perspectives raisonnablement prévisibles ne sont pas très importantes dans ce domaine.
C'est Jean Bleton lui-même, orfèvre en la matière, qui présentait un article « Sur quelques Bibliothèques universitaires françaises construites entre 1967 et 1975 » dans un volume de Mélanges allemand paru vers 1978. Y sont évoqués : la fièvre de construction qui s'était emparée des Bibliothèques universitaires françaises depuis 1957 et qui s'était éteinte vers 1975. En 20 ans, 500.000 m2de bibliothèques sont venues renouveler et surtout augmenter un parc primitif dont il ne reste qu'une centaine de milliers de m2; on est passé d'une trentaine de bibliothèques à plus de 150.
Il y raconte les discussions ardues menées de décembre 1955 à juin 1962 pour aboutir à la définition d'un nouveau type de Bibliothèques universitaires et faire face au quadruplement des effectifs étudiants, et de leurs professeurs.
Seulement 1955, 1962, 1967 ne sont plus la décennie passée. Les dix années qui s'étendent de 1970 à 1980 ont certes vu pas mal de constructions, mais c'étaient les derniers produits d'une machine bien rodée, bien huilée, longue à démarrer, mais aussi longue à arrêter. Quand on inaugurait une bibliothèque en 1975, savait-on qu'elle était souvent étudiée depuis 68 ou 69 et décidée au moins depuis 1971 ?
Les données chiffrées que j'utiliserai dans ce rapport ont été pour la plupart publiées dans le Bulletin des Bibliothèques de France, et plus particulièrement dans le remarquable rapport Vandevoorde établi au printemps 81 et tout récemment publié.
Souvenons-nous, au printemps de 1971, l'ABF de son côté, l'ADBU de l'autre, s'émouvaient devant la baisse des moyens des Bibliothèques universitaires et c'est à leur demande qu'était rédigé en 1972, sur des données de 1970 et 71, le « Livre noir des Bibliothèques universitaires».
Les craintes exprimées alors étaient si fondées, qu'après avoir essayé d'en nier les réalités pendant de nombreuses années, la Direction des Bibliothèques, finissait par en reconnaître le bien fondé, et ici je dois remercier notre ancien directeur, Pierre Trincal, qui, réticent au début, a eu l'honnêteté intellectuelle de montrer le malaise des Bibliothèques universitaires et d'accepter la responsabilité (s'il ne les a pas écrites lui-même) des pages du rapport Vandevoorde sur les Bibliothèques universitaires. Le rapport Pingaud-Barreau est moins embarrassé pour parler de « l'état de pénurie dans lequel les Bibliothèques universitaires survivent ». C'est tout cela le bilan de la décennie.
Le pays connaît certes, depuis 1975, une crise économique dont la gravité s'est accentuée depuis 1 978. Il serait anormal que les Bibliothèques universitaires n'en aient pas souffert.
Mais en fait, c'est dès 1970, et peut être 1969, que constructions mises à part - je m'en suis expliqué plus haut - les premiers effets des restrictions budgétaires se sont fait sentir dans les Bibliothèques universitaires, quels qu'en soient les prétextes au début : besoins des universités nouvelles surtout après 1968, construction de Beaubourg, développement de la Lecture publique à la suite du rapport Pompidou.
Pour des raisons d'unicité budgétaire des crédits avec l'Enseignement Supérieur, ils ne sont vraiment connus avec précision qu'à l'issue de l'exercice budgétaire.
Tous crédits confondus : opérations programmées, crédits de l'équipement, opérations diverses, ils sont passés de 60 MF en 1970, soit 145 MF en valeur 1980 - je parlerai maintenant toujours en francs constants valeur 1980 - de 145 MF en 1970 à 17 MF en 1980, soit presque 9 fois moins.
Même si ces chiffres sont pratiquement les extrêmes de la série, la moyenne des 5 premières années est supérieure à 100MF et la moyenne des 5 dernières un peu inférieure à 24 MF.
Les chiffres découlent évidemment des précédents : on a construit 500.000 m2en 20 ans, mais on n'a fait pratiquement qu'accompagner la croissance des effectifs universitaires. Au chiffre moyen de 1,5 m2de bibliothèque par étudiant, objectif des commissaires du début des années 60, on ne peut apposer que le chiffre de 0,70 m2atteint, le même ou à peu près qu'avant 1 955, Paris étant moins bien loti que la province, mais en peu d'endroits le chiffre de 1,0 m2 a été atteint.
La moyenne des ouvertures s'établit aux alentours de 40.000 m2par an de 1964 à 1973, descend aux alentours de 20.000 m2pour les. 3 années suivantes, pour arriver à 3.000 m2les 5 dernières années soit l'équivalent d'une petite bibliothèque.
Pour reprendre la décennie, on a d'abord continué dans la foulée des années 1970 - on a ouvert 175.000 m2en 6 ans, de 1971 à 1976 et 1 7.000 m2en 4 ans de 1977 à 1 980 - les dernières ouvertures sont Rouen-médecine, le CHU du Kremlin-Bicêtre, la reconstruction de Vincennes à St. Denis et Corte.
Evidemment, ce qui est construit n'a plus à l'être et on observe un tassement net des augmentations des effectifs universitaires depuis plusieurs années, mais il semble qu'un certain nombre de dossiers sont toujours en panne, demandés depuis 10 ans; toutefois la décision de programmer Valenciennes et Toulon a été prise ou va l'être, cependant que Reims-médecine, Amiens-médecine, Tours-médecine, Sceaux et surtout Angers seraient sur la planche à dessin.
Tout cela ne fera toujours pas 1,0 m2par étudiant. Il reste les deuxièmes tranches prévues depuis longtemps ; elles ne sont pas toutes nécessaires dans l'immédiat mais il faudra bien, ou les faire dans la décennie, ou prévoir des bibliothèques de stockage des fonds peu utilisés - relire les assises de notre congrès d'il y a quelques années sur les Eliminations et la Conservation.
Enfin une étude sérieuse des besoins des Bibliothèques universitaires de Paris s'impose. Les problèmes sont difficiles pour des raisons foncières, mais nos collègues et leurs usagers ne pourront pas éternellement travailler dans les conditions actuelles qui retentissent d'ailleurs sur les Provinciaux pour qui un bon fonctionnement du prêt-inter à Paris est indispensable.
Avant d'aller plus loin dans ce domaine, il semblerait d'ailleurs bon de réfléchir à ce que nous allons construire ; certes, remplacer des locaux provisoires lorsqu'ils existent, augmenter les magasins, mais aussi s'adapter aux données nouvelles des Universités.
Est-ce à dire que les bibliothèques facultaires des instructions de 1962 ont vécu? La question mérite d'être posée et la concurrence des Bibliothèques d'UER nous interpelle. La bibliothèque de 1962 se voulait flexible et adaptable: les architectes et nous-mêmes avions-nous le recul nécessaire pour la penser telle ? Ou bien, ce sont les moyens de restructuration qui nous manquent ?
Dans le fond, il nous faudrait, à nous, aux responsables des Universités, aux responsables politiques, le courage de remettre beaucoup de choses en cause. Ce qui nous manque ce sont peut être des interlocuteurs universitaires lucides et décidés.
Mais après 10 ans de lutte pour la survie, nous sommes souvent découragés et peu portés à nous investir à fond.
Il me reste une question à poser aux responsables politiques : a-t-on songé qu'avec nos 600 et quelques milliers de m2de bibliothèques nous gérons un patrimoine dont la valeur à neuf doit correspondre à 3 milliards de francs.
Que pour en assurer le renouvellement, les grosses réparations, les extensions, les adaptations, la maintenance, une entreprise commerciale et industrielle les amortirait à 10% sur le matériel et à 2 % sur les constructions.
Ca ne donnerait pas loin de 100 MF par an dans notre cas. Or les inscriptions budgétaires de 82 ne correspondent pas au 1/4 de cette somme : 20 MF pour les opérations programmées et diverses et 5 MF pour le renouvellement du matériel, somme que nous employons d'ailleurs souvent à boucher le trou documentaire.
Nous n'entretenons plus les locaux. Ça coûtera cher un jour, beaucoup plus cher que de le prévoir maintenant. Dans mon pays, la Lorraine, les entreprises textiles sont mortes et les entreprises sidérurgiques sont malades parce qu'on n'a pas investi. Toute une province est en train d'en crever. Est-ce que ça ne pourrait pas servir de leçon dans notre cas ?
J'ai rempli mon contrat en parlant des constructions. Le bilan en soi n'en est pas mauvais mais insuffisant ; les perspectives d'avenir sont sombres. Par contre le bilan des 10 dernières années en matière de moyens est franchement mauvais.
sont passés de 2520 en 1970 à 3160 en 1980, en y comprenant l'intégration d'au moins 80 vacataires. L'augmentation brute est supérieure à 25 %, ramenée à 22 % si on fait intervenir les vacataires. Je souligne que sur la période, toutes les catégories de personnel ont été augmentées dans les mêmes proportions.
En réalité, la période est plus diversifiée : l'augmentation était de 4 % par an les 4 premières années, de 0,7 à 0,8 % les suivantes avec parfois des années nulles. Ici c'est 1974 et non 1976 qui marque le tournant, et il faudra attendre 1 982, hors de la période, pour retrouver le rythme des premières années de la décennie, mais ce n'est qu'un feu de paille puisque le budget 1983 prévoit peu de choses.
Or, pendant la même période, à ces 22 % d'augmentation des effectifs a correspondu celle de 36% des étudiants (de 630 à 860.000) et des maîtres et de plus de 45% des locaux. Alors, les problèmes d'horaire, de vacances, voire d'absentéisme n'expliquent pas, comme on a voulu nous le faire croire, les difficultés que nous rencontrons depuis 7 ou 8 ans pour faire fonctionner nos Bibliothèques universitaires.
Le rapport Vandevoorde indique lui-même les orientations à prendre : obtenir 1 conservateur, 1 sous-bibliothécaire et 2 agents de service pour 2 fois.350 étudiants afin d'approcher les moyennes internationales des pays européens. Il y faudrait 1100 postes (dont 150 ont été accordés en 1982) ; on peut discuter sur la répartition, 350 conservateurs, et sous-bibliothécaires et 750 magasiniers, mais la proposition globale rejoint mes études personnelles, sans tenir compte des besoins nouveaux qui pourraient apparaître dans le cadre des bibliothèques d'UER.
Je ne parlerai ici que des crédits venant de l'Etat, à quelques lignes budgétaires qu'ils soient (subvention normale, renouvellement de matériel, CNL) et aux droits versés par les étudiants. Je parle toujours en francs 1 980.
1970: 87 à 88 MF
1980: 83 MF
Une première remarque s'impose : même en chiffres bruts, il y a une baisse que ne compense même pas le budget 82.
Mais n'oublions pas que les surfaces ont augmenté de 45% et le nombre d'étudiants de 36 % : par tête d'étudiant le crédit passe de 140 à 97 F par étudiant, ce décalage ne rendant lui-même pas compte des divers éléments qui vont encore baisser les crédits documentaires qui sont nos crédits réels.
Comme si cette baisse des crédits bruts n'était pas suffisante, s'y sont ajoutées des augmentations de charges liées aux transferts des Universités, à celles des petits salaires des personnels de nettoyage et les incidences de la crise pétrolière.
Toujours en francs 1980, les charges par m2sont passés de 34 à 52 F de 1970 à 1980, et beaucoup plus depuis. Compte tenu des surfaces respectives, il a fallu retirer de nos recettes 13,6 MF en 1970 et un peu plus de 31 MF en 1980.
Cela fera plus de 40 MF en 1982 soit de l'ordre de 70 F/m2, chiffre bien supérieur aux 47 F alloués par le Ministère, plus 15 F demandés aux Universités.
Les crédits restants (c'est-à-dire pour l'essentiel les crédits documentaires) deviennent alors :
Crédits Etats Charges locaux Disponible Ratio/étudiant
1970 87,5MF 13,6 MF 74MF 117,50F
1980 83,0 31,0 52 60,50
Nous avons des chiffres très précis pour 1979 : on a dépensé un peu moins de 36 MF pour les achats de livres et de périodiques, un peu moins de 3 MF en plus pour la reliure et d'autres dépenses documentaires.
Mais pour atteindre ces chiffres, il a fallu abonder les recettes de 2,5 MF en provenance des collectivités locales et de 2,7 MF de crédits de 1er équipement (lesquels sont exactement le 1/10 de ce qu'ils étaient en 1970).
Le résultat : on a acheté un peu plus de 200.000 vol. soit 1 pour 4 étudiants, en régression de 1 0 % sur 1 977, cependant que les abonnements de périodiques chutaient encore de plus de 2000 titres entre 1977 et 1979.
Les chiffres de 1980 seront nécessairement plus mauvais puisque les recettes brutes ont encore chuté de 5 MF entre 1979 et 80.
Les enquêtes ne permettent pas de connaître les résultats de 1970 ou 1971, celle du Livre Noir était incomplète. Mais pour la Bibliothèque universitaire de Nancy, si on a peu réduit les abonnements, les achats de livres ont baissé de moitié.
Ses rédacteurs ont intégré dans le nombre de livres acquis, les documents reçus en dons, échanges ou thèses pour arriver à 1 livre pour 2 étudiants. Dans les crédits, ils ont intégré les crédits supposés des acquisitions des Bibliothèques d'UER pour arriver à une somme un peu supérieure au double des crédits des Bibliothèques universitaires.
Les propositions du rapport consistent à demander l'achat d'au moins 1 livre par an et par étudiant et le maintien des abonnements de périodiques actuels, soit un peu moins de 60.000. On est évidemment loin des propositions de l'Unesco ou des commissaires du 6eplan.
Pour ce faire, et compte tenu de l'inflation et des fluctuations monétaires, il y faudrait 63 MF supplémentaires, soit le doublement de la subvention normale de 1979, 1980 et 1981. Le budget 1982, présenté comme un bon budget, n'a apporté que 14 ou 15 MF supplémentaires; ce qui représente quand même un coup d'arrêt et un budget presque équivalent à celui de 1980. Nous en restons toujours au rapport de 2 à 1 par étudiant entre 1970 et 1980.
Bilan noir, disais-je tout à l'heure, puisque, outre une baisse sensible de l'encadrement en personnel, les crédits documentaires ont baissé en gros de moitié par étudiant et que nous n'avons pas entretenu nos locaux.
Comment faire preuve d'enthousiasme devant un tel bilan ? C'est cet aspect négatif qui a oblitéré les autres et qui risque de rester longtemps la marque de ces 10 ans.
Après une dizaine d'années d'études - j'évoquais le BAB il y a quelques jours avec Michel Boisset - après les équipes dynamiques de la DICA, de l'AUDIST et de la DIST, cette informatisation devrait prendre prochainement son rythme de croisière, garanti par la nomination de notre nouveau Directeur et par une circulaire récente, courte mais remarquable sur la question.
Après les catalogues collectifs, après la consultation des bases de données, les Bibliothèques universitaires devraient pouvoir dans les 10 années qui viennent, constituer le plus important réseau documentaire du pays.
Nous avons assisté, vécu, subi, les nouvelles structures universitaires issues de la loi d'orientation de 1968, et, en ce qui nous concerne, le décret du 23 décembre 1970 dont la dernière péripétie fut la restructuration récente de la Bibliothèque universitaire de Paris.
Nous avons aussi, douloureusement subi, tous ensemble, la disparition d'une Direction unique à laquelle nous étions attachés.
Mais une nouvelle loi d'orientation se prépare ; au moment où j'écris, nous ne savons rien du sort qu'y sera fait aux Bibliothèques universitaires, les documents préparatoires étant étrangement muets sur la question.
Un problème est posé, souligné déjà en 1962, aggravé par la prospérité des Universités il y a 10 ans, attisé par les restrictions de crédits dont elles souffrent aujourd'hui comme nous, celui des Bibliothèques d'UER, d'Instituts ou de laboratoires.
Grâce au rapport, de l'Inspection commune des Inspecteurs généraux de l'Administration et des Inspecteurs des Bibliothèques, effectuée en 1979, intitulé « Rapport sur les Bibliothèques et les Centres de documentation des Universités» remis au Ministre courant 1980 et toujours secret, les rédacteurs du rapport Vandevoorde qui l'avaient en mains, ont pu essayer de situer le problème et d'y proposer des remèdes structurels.
Depuis des années, de notre côté, avec succès ou non, nous avons essayé de développer de façon pragmatique les commissions, les concertations, les catalogues collectifs, l'aide à la gestion...
La question est brûlante et nous divise : quelle sera notre place dans une Université où coexisteraient deux systèmes documentaires, si on peut appeler système celui de 4 à 5.000 petites bibliothèques.
Quelle sera notre place ? au sein ou à l'extérieur de l'Université ? C'est le problème faussement appelé de « l'intégration », de notre autonomie, de la garantie de nos moyens.
Pour y répondre, nous devrons d'abord repenser le problème de l'institution : la Bibliothèque universitaire est-elle une finalité en soi, que nous devons garder, ou, est-elle un moyen pour ses usagers, étudiants, professeurs, chercheurs, de la décennie passée et de la décennie à venir ?