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    Rapport moral

    Par Marc Chauveinc

    Etablir un bilan d'activité pour l'année écoulée est un exercice complexe, et difficile mais parfois encourageant.

    Bien que totalement apolitique, notre Association ne peut qu'être influencée par les changements politiques intervenant dans notre pays.

    Nos bibliothèques dépendent, en effet pour une grande part de l'Etat, soit qu'il les finance directement, soit qu'il promulgue des règlements qui modifient leur fonctionnement, soit qu'il les subventionne partiellement. Donc tout changement de la politique culturelle de l'Etat va infléchir la vie des bibliothèques.

    C'est pourquoi, dès la mise en place du nouveau gouvernement, le Bureau de l'ABF, seul ou conjointement avec d'autres associations s'est lancé dans un certain nombre de démarches afin de présenter nos principales revendications :

    • la motion sur l'Unité des bibliothèques votée à Monaco a été transmise au Premier Ministre le 30 juin 1981 ainsi qu'aux différents Ministères concernés;
    • en juillet, les quatre Associations ont rencontré le Cabinet du Premier Ministre pour défendre cette unité et proposer une organisation interministérielle qui coordinerait la politique documentaire en France. Cette idée reprise par plusieurs instances dont la Commission Pingaud, est dans l'air, mais n'a pas pu encore se concrétiser ;
    • le Rapport Pingaud-Barreau fut ensuite la grande affaire de l'automne et occupa plusieurs d'entre-nous jusqu'en décembre.

    Il y avait eu au début de 1981 le rapport Vandevoorde (finalement publié, selon notre demande par la Librairie Dalloz) qui faisait un inventaire précis, complet et approfondie des Bibliothèques en France et proposait déjà quelques améliorations sur lesquelles nous nous étions prononcés. Il faut rendre hommage à ce travail considérable de récolte de données et de réflexion projective effectué à la Direction du Livre.

    Le nouveau gouvernement réunit une nouvelle commission présidée par Bernard Pingaud qui. pris contact avec notre Association dès le mois de juillet. Il fallait préparer des documents pour septembre. Chaque Section rédigea un programme de mesures à prendre en faveur de chaque type de bibliothèque et ce programme fut envoyé.

    La commission Pingaud, ayant auditionné beaucoup de monde à souvent retenu des propositions allant au-delà des notres quelque peu modestes. Nous pratiquions l'autocensure.

    Dès le 1eroctobre 1981, 55 propositions pour le Livre paraissaient, dont une partie concernant l'édition et la librairie. Parmi les mesures intéressant les bibliothèques figuraient la création de 17 BCP, une subvention de 20 % aux Bibliothèques municipales, la construction de 70 000 m2en 1982, la nomination de Délégués régionaux du livre, la création d'un Conseil national des Bibliothèques, etc... incomptatibles avec une dynamique locale, une liberté créatrice source de variété mais surtout garante de l'intégration de la bibliothèque à son milieu.

    On redécouvre que la bibliothèque est faite pour le lecteur et non pour elle-même.

    Vous avez dit réseau ? Oui j'ai dit réseau. C'est un mot important car une coordination des bibliothèques est le deuxième défi auquel nous sommes confrontés. Elle est la contrepartie nécessaire de la décentralisation. Il ne peut y avoir de bon service au lecteur sans un échange permanent entre les organismes documentaires, dans un partage des ressources.

    Cette coordination doit être locale, régionale, nationale; elle doit prendre la forme d'organisations administratives, de communications physiques, de relations informatiques. Il est certain d'une part qu'on ne peut plus vivre isolé et d'autre part que cette coordination doit être organisée, planifiée, financée.

    Ce réseau doit être notre principal objectif pour les années à venir. C'est notre tâche la plus urgente. Au moment où je quitte mes fonctions à l'ABF, je voudrais transmettre à tous ce flambeau comme une « ardente obligation »...

    Reste à voir maintenant la vie de l'Association.

    Comme toujours des Sections sont vivantes, réfléchissant à des problèmes professionnels et proposant à leurs membres de multiples activités ; d'autres sont à peine en survie. Il en est de même des Groupes régionaux. Je ne peux que le regretter, car l'ABF, toute nationale qu'elle soit, n'a de vie que localement, ne peut exister que par ces activités régionales ou spécialisées.

    Malgré quelques scissions et vélléités d'indépendance, il n'y a pas contradiction, il y a au contraire complémentarité entre un échelon local très actif et un échelon national, dont le rôle n'est pas moindre : interlocuteur des pouvoirs publics, porte voix de la profession, coordination des multiples activités et des multiples réflexions.

    Plusieurs collègues en sont conscients qui savent bien s'adresser à Paris lorsqu'ils ont une difficulté qui les dépasse. Je souhaite vivement que cette querelle cesse car elle est vaine et que nos collègues apprennent un peu la dialectique, plus vivante qu'un manichéisme borné.

    Cette non-activité de certains Groupes et Sections est regrettable car elle témoigne d'un désintérêt pour la chose collective, d'un refermement sur soi, d'une baisse du militantisme.

    Qu'on ne vienne pas prétexter le travail, tout le monde a du travail ! Il suffit de croire qu'au delà de son activité quotidienne et pour qu'elle prenne un sens, il y a des questions générales qu'on ne peut résoudre qu'ensemble, il y a la cause des bibliothèques qui mérite quelques sacrifices. Il est certain aussi qu'il suffit parfois d'une forte individualité pour ranimer un Groupe ou une Section ; pour entraîner les autres. Il s'agit avant tout d'un choix d'hommes. Mais aussi parfois de liaison. Le Bureau national a essayé depuis deux ans de participer aux activités régionales, mais cela n'a pas suffi. L'information « monte » mai de la province vers Paris ; des réunions sont ignorées, des élections tenues secrètes. Comment bien gérer une Association s'il n'y a pas une liaison permanente et dans les deux sens, entre Paris et la province.

    C'est un grave problème que mon successeur devra s'efforcer de résoudre s'il veut maintenir une ABF efficace et puissante. Si cette épine douloureuse d'une vie associative à la fois centralisée et décentralisée, harmonieusement équilibrée n'a pu être retirée, on peut quand même mettre à l'actif de l'ABF quelques réalisations dont la principale est, me semble-t-il, l'enseignement :

    Grâce au dévouement de beaucoup d'entre nous, grâce à la coordination de Françoise Froissart et de Marcelle Beaudiquez, auxquelles je tiens à rendre hommage pour cela et pour d'autres choses, grâce donc justement à une dialectique harmonieuse entre le centre et la périphérie, l'enseignement élémentaire a pu être développé avec un manuel écrit (vrai succès de librairie), avec une reconnaissance officielle qui permet le financement des cours, avec des programmes et des examens structurés.

    Bravo à tous.

    Il y a le Bulletin, nouvelle manière qui continue à paraître grâce à Pierre Fénart et aussi à Monique Baptiste notre dévouée Secrétaire qui assure les liaisons pas toujours faciles avec l'éditeur.

    Il y a la Note d'information, pas encore parfaite, pas encore assez fréquente, mais qui assure malgré tout un « lien » régulier entre nous tous.

    Il y a enfin, discret mais efficace un « Secrétariat animé par la Secrétaire générale, calme mais ferme, véritable conscience de l'ABF et de son président, et soutenue par Monique Baptiste, toujours souriante malgré l'avalanche des inscriptions ou du courrier. Ce n'est rien un secrétariat, mais c'est tout. Sans lui, que serions-nous devenus !

    Nous existons depuis 1906. Nos anciens avaient créé, tardivement, cette Association à une époque où des organismes administratifs propres n'existaient pas. L'ABF a donc été jusqu'à 1944 la source de la plupart des idées, des propositions réalisées par la suite.

    Nous devons être conscients du riche passé, et nous sentir les successeurs des prestigieux anciens. Ce rôle est-il toujours valable, maintenant qu'il existe des administrations qui nous gouvernent et pensent pour nous ?

    Je pose ainsi la question fondamentale de la survie de l'Association. Si, comme je l'ai dit plus haut, il n'y a plus de dévouement pour prendre en charge les problèmes généraux et communs, à quoi bon la maintenir ? Quand on voit la difficulté de répondre aux demandes du Ministère en juillet dernier, on peut se poser la question : sommes-nous encore capables de penser notre travail et de proposer un projet d'envergure, global et cohérent ? Faut-il démissionner et laisser toute initiative et toute réflexion aux « Bureaux » ?

    Quand on voit la difficulté de certains Groupes et Sections, pour trouver un Bureau et un Président, on peut se poser légitimement la question.

    Ce n'est d'ailleurs pas à vous que je devrais la poser, mais à tous ceux qui ne sont pas venus, et au delà à tous ceux qui ne militent pas à l'ABF.

    Etes-vous convaincus, qu'au delà des pouvoirs publics et peut-être même à cause d'eux, un regroupement professionnel est nécessaire pour promouvoir ce que nous croyons être une chose importante : la lecture publique, au sens large du terme, la diffusion des connaissances par le moyen des bibliothèques ?

    Etes-vous convaincus qu'un creuset est nécessaire pour murir les idées et les faire aboutir, creuset libre de toute contrainte politique et administrative et dont le seul souci est l'amélioration des bibliothèques ?

    Qui ne voit, plus prosaïquement, la nécessité d'un contre-pouvoir qui permette aux hommes de terrain, connaissant mieux les problèmes de répondre aux hommes de cabinet ?

    Qui ne voit qu'on ne peut accepter de se laisser manger tout crus et qu'il faut parfois s'associer pour se défendre ?

    Qui n'a jamais besoin d'un porte voix voire d'un porte parole à puissance nationale ?

    Qui n'a senti enfin, plus personnellement le besoin de se retrouver avec ses collègues pour s'informer, comparer, se réchauffer à la chaleur d'un idéal commun ?

    Si l'on retourne à l'évidence première de ces exigences, alors oui l'ABF est une nécessité qui mérite un peu de temps et quelques dévouement. C'est, j'en suis sûr, l'opinion du Bureau sortant tout entier, il m'a semblé qu'au moment où nous transmettions nos charges, nous vous devions ces quelques explications.