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    Une vision d'architecte

    Par Richard Dubrulle, architecte

    Ma pratique professionnelle s'exerce essentiellement auprès des collectivités locales, pour différents équipements, et à ce titre, l'expérience que je retire des différentes études de bibliothèques effectuées ou en cours : - une bibliothèque municipale de 100.000 volumes et son annexe de 5.000 volumes pour enfants dans une ZUP (Zone à Urbaniser en Priorité), - une autre bibliothèque municipale pour une commune de 15.000 habitants, - l'aménagement de locaux à usage de bibliothèques de comités d'entreprises parisiens, m'amène à considérer qu'il n'existe pas de solution type, modulable suivant la «taille» de la ville ou la surface du terrain, mais que tout commence par la localisation ensuite raffinement d'un programme et une vision évolutive de l'équipement.

    Localisation : il est évident que le problème de centralité géographique se pose d'abord, pour que le public, souvent inhabitué à fréquenter le livre, sente un accès facile à l'équipement et la première attraction s'exercera en dehors du livre : ce n'est pas une « belle façade» qui attirera, mais ce qui est central (qu'il s'agisse de la ville, du quartier, d'un bourg ou de l'entreprise). C'est l'animation liée aux activités collectives de la rue et d'autres équipements qui incite à aller vers...

    Notre premier travail avec le Comité d'entreprise de la B.N.P. à Paris a consisté à établir des esquisses pour convaincre d'obtenir des locaux qui bénéficiaient d'une large entrée commune avec le self service du personnel et non pas les salles, définies à l'origine par la direction de la B.N.P., plus réduites auxquelles on accédait par une entrée secondaire, sur cour, coupée de tous les lieux de passage du pesonnel.

    Je sais que mon confrère Fabre à Miramas a eu d'abord à résoudre aussi cette question de l'attraction du lieu, de point de rencontre.

    A Gardanne notre confrère Louis Puerta m'a envoyé l'ensemble du projet de la bibliothèque municipale ; d'après le plan masse cet équipement a un environnement composé d'une maison de la musique, d'un LEP (Lycée d'enseignement professionnel), d'un centre administratif et de santé d'un C.E.G. contigu à la bibliothèque, et d'un groupe scolaire, le tout dans un rayon de 1 00 mètres. L'entrée de la bibliothèque est face à un Prisunic et c'est, me semble-t-il, une volonté de notre confrère qui voulait d'abord « un lieu d'implantation très animé en rejetant tout autre site, et en concevant le bâtiment dans son rapport à la rue, nullement comme un lieu clos et mystérieux mais au contraire comme un lieu perméable au passant».

    Cette conception d'ouverture sur un lieu fréquenté qu'est la rue reflète toute la discussion que j'avais eue avec Monsieur Fabre alors que je commençais les premières études de la bibliothèque d'Argenteuil.

    Dans une brochure publiée à l'usage des professionnels du livre, je relève, pour la ville d'Annecy, ce qui suit : « la bibliothèque est en effet située dans le complexe Bonlieu en plein centre de la ville qui abrite outre de nombreux commerces, le théâtre et le centre d'action culturelle ».

    « la bibliothèque est une immense vitrine qui, de l'intérieur, domine le lac et où de l'extérieur, sur l'Avenue d'Albini qui le longe, les passants distinguent très nettement les rayonnages, les diverses zones de lectures et l'immense hall d'accueil. Le bâtiment est en effet entièrement transparent : c'est une forêt de piliers reliés entre eux par du verre. »

    La conception d'un équipement culturel suppose une concertation étroite avec les décidants, maires et élus, les associations, les bibliothécaires, l'administration, le Service des Bibliothèques de la Direction du Livre qui a eu et conserve le mérite d'apporter une réflexion globale sur les conditions à réunir pour créer un véritable service public de bibliothèque dans une collectivité. Cette concertation, c'est d'abord le seul moyen d'intégrer les données propres à l'histoire de chaque ville, liées à la structure sociale, à son « imagination collective ».

    De fait, un canevas général de principe sur les fonctions à remplir par la bibliothèque est nécessaire dans cette concertation, dès les discussions préalables ; mais doit-on pour autant risquer de s'enfermer dans un système de normes définies, figées, répertoriées pour les communes de 5.000 à 200.000 habitants.

    Donc pas de solution type et surtout pas de modèle; les exemples qui suivent montrent que de nombreuses possibilités existent :

    en Meurthe-et-Moselle, une municipalité a racheté le fond de bibliothèque d'un comité d'entreprise qui desservait 8.000 salariés et n'en compte plus que 800 aujourd'hui ; elle a pu créer une bibliothèque dans un local de 200 m2au 1erétage d'un groupe scolaire avec un fond de 13.000 livres et 1.400 disques et cassettes. « Cet investissement, a dit le Maire, correspond à la volonté de la municipalité de donner à une population à forte concentration ouvrière et immigrée les conditions d'accès à la culture qui faisait largement défaut jusqu'à présent» (extrait du Républicain lorrain).

    A Giberville (Calvados) la municipalité m'a confié la construction d'un foyer résidence de personnes âgées ; c'est une commune d'un peu moins de 5.000 habitants ; ce foyer fonctionne depuis 8 mois.

    Il est situé face à la place du marché donc en plein centre. Le directeur de cet établissement qui disposait de locaux collectifs règlementaires, a utilisé un espace au rez-de-chaussée, ouvert sur l'entrée, donc d'un accès immédiat, pour créer un fond de bibliothèque, ouvert aux résidents et aux habitants, assurant une liaison étroite, une animation et des relations entre les résidents et les autres habitants. Sans avoir été conçue comme telle; de fait, cette salle prend de plus en plus l'allure d'une bibliothèque municipale.

    A Mitry-Mory (Seine-et-Marne) la municipalité voulait créer une bibliothèque municipale ; elle a acquis un « laissé pour compte » de fond de commerce qui comportait un rez-de-chaussée et en sous-sol une série de caves désaffectées. En accord avec les élus et la population, nous avons percé le plancher afin de créer une liaison avec le sous-sol, ce qui a permis d'agrandir l'espace, de jouer avec les volumes, bien marquer les fonctions. Le tout constitue un ensemble de 200 m2,d'une capacité de 12.000 livres pour adultes et enfants.

    A Argenteuil, la volonté du Maire et des élus d'implanter la bibliothèque dans les jardins de la Mairie obéissait aussi à ce souhait de centra-lité : le grand axe urbain nord-sud nouvellement créé par la percée de l'Avenue Gabriel Péri débouchant sur la nouvelle Mairie motivait cette décision, d'autant que la fréquentation piétonnière le long des commerces vers les services municipaux amène quotidiennement un nombre important de visiteurs.

    Les études ont été conduites en étroite liaison avec les adjoints chargés des problèmes culturels et la Direction du Livre : je tiens à rappeler la contribution décisive de Mademoiselle Bisbrouck, de Monsieur Yvert et de leurs collaborateurs, lorsqu'il s'est agi de la construction de la bibliothèque d'Argenteuil, avec Gérald Grunberg, nommé bibliothécaire bien avant l'achèvement de la conception et qui, principal animateur du groupe de travail, nous a évité beaucoup d'erreurs grossières.

    Il faut ajouter qu'antérieurement, une antenne dans les locaux extérieurs, avait été créée pour les enfants dans la ZUP nord de la ville ; sa capacité est maintenant insuffisante. Actuellement, la réflexion des élus va à la création d'une autre antenne pour le quartier d'Orgemont à l'est de la ville. La tendance qui se dégage dans les collectivités avec lesquelles je travaille, consiste à rechercher l'aménagement d'annexes dans les quartiers, en reprenant souvent des locaux « disponibles », sans destination particulière d'origine ; nous sommes là encore bien loin des normes mais l'appropriation des lieux est immédiate. Aux architectes de savoir résoudre les nombreux problèmes techniques qui se posent !! (voisinage, bruit, règlements de sécurité, etc...)

    Pour nous, architectes, l'étroite concertation qui doit se découler au cours de l'élaboration du projet, paraît un peu contradictoire avec la pratique des concours, surtout si le niveau des études demandé dans ces concours dépasse l'esquisse. La plupart du temps, après le concours et son jugement, tout le travail recommence parce qu'il faut cette concertation.

    Donc, au lieu d'enfermer les concepteurs dans des programmes quantitatifs prescrivant d'abord des superficies, dans une « normalisation », il m'apparaît souhaitable de définir un canevas indicatif, de cerner la variété des besoins, l'organigramme de l'équipement et de penser aux besoins à venir, ceux de demain. Flexibilité, souplesse d'adaptation des locaux constituent désormais une condition primordiale pour une bibliothèque.

    Il est indéniable de constater l'apparition d'une nouvelle forme de culture organisée autour du disque ou de la mini-cassette, du vidéo ; culture essentiellement musicale et visuelle et vécue collectivement.

    Il est impératif d'offrir autour du livre la gamme complète des moyens d'information audio-visuels : et c'est à ces conditions que l'on favorisera les bibliothèques municipales perçuescomme centre culturel lieu d'échange, d'animation et de confrontation des idées et de promotion culturelle pour les plus défavorisés. Faut-il mentionner l'importance de l'accessibilité aux handicapés moteurs et de l'aménagement de lieux appropriés pour mal entendants et mal voyants, sans marginaliser ces catégories. Cet infléchissement des objectifs impartis aux bibliothèques va naturellement se refléter dans la conception des bâtiments qui les abritent avec une plus grande complexité des exigences techniques (qualités phoniques, éclairement, ventilation). Donc des coûts de construction seront sans doute plus élevés, mais sans conséquence ensuite sur la gestion, les frais de fonctionnement.

    Le principe constructif même doit sans doute mieux prévoir la polyvalence des locaux, les changements d'affectations, de cloisonnement, davantage d'espaces de transition, etc... Il peut y avoir des solutions architecturales à ces exigences.

    Des équipements récents sont déjà en difficulté pour répondre à ces besoins nouveaux :

    Annecy : la bibliothèque est ouverte pendant les heures de déjeuner. L'affluence est telle entre midi et 2 heures, que la salle (80 m2) où sont présentés 250 périodiques est rapidement pleine ; comme elle n'a que 22 places assises, de nombreux visiteurs vont s'installer ailleurs dans la bibliothèque avec le journal ou la revue de leur choix. Peut-être faudra-t-il envisager une autre distribution des services (extrait de la revue Livres-Hebdo n° 47, volume 3, 1981).

    Argenteuil : d'autres critiques se révèlent. L'affluence du samedi après-midi est telle que le hall d'accueil et d'exposition malgré ses 250 mètres carrés est insuffisant, obligeant le public à attendre dehors, d'autant que ce hall est le carrefour de la banque centrale de prêt et qu'au voisinage se situent la banque de prêt du disque et l'écoute collective. Le prêt du disque lui-même est trop à l'étroit eu égard aux besoins.

    Enfin, je voudrais exprimer une observation sur la place de la lecture dans les constructions scolaires : comment créer à l'école même, en environnement qui permette à l'enfant et l'adolescent, de se familiariser avec la lecture et lui donner le goût de lire ?

    A l'école maternelle et primaire on peut créer des espaces, des lieux d'échanges, autres que les classes ; espaces appropriés, mezzanine, atelier permanent d'animation autour de la lecture. Mais cela n'est pas prévu dans les normes de l'éducation nationale.

    Il n'en est pas tout à fait de même pour les collèges d'enseignement secondaire, où le service est prévu.

    Le centre de documentation et d'information qui est dans les programmes de construction de l'éducation nationale a une fonction culturelle d'initiation à l'usage du document, d'incitation à la lecture. Il gère des ressources documentaires (écrites et audiovisuelles).

    Il devrait être le carrefour d'animation où se nouent des relations, à l'intérieur de l'école d'une part, entre l'école et l'extérieur d'autre part.

    Mais, dans les faits, l'étroitesse des budgets et la généralisation des « modèles jusqu'à maintenant nous contraignent à traiter des C.D.I. (1) beaucoup trop en lieu « isolé », sous-équipé, sans souplesse d'utilisation, et nous n'avons jamais en face de nous de « bibliothécaire » ou animateur pour en débattre au moment de la construction.

    Voici, Mesdames et Messieurs un exposé très résumé de ce que je crois être aujourd'hui ma façon d'appréhender certaines questions soulevées par les études et la création d'une bibliothèque, quelle que soit sa taille et son mode de gestion.

    1. * Centres de Documentation et d'Information. retour au texte