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    Communication

    La presse écrite en 1981

    Par Georges Montaron, Président Syndicat de la Presse hebdomadaire

    POUR ce jeune cadre bardé de diplômes, sûr de sa science, les yeux fixés, non sur la ligne bleue des Vosges, mais sur le Radome et les antennes géantes de Ploemer-Bodou, pour cet ingénieur des télécommunications, qui s'adressait ce jour-là à une assemblée de journalistes, de directeurs de journaux, d'imprimeurs, s'interrogeant sur les techniques nouvelles de la communication, la télématique, les banques de données, les systèmes Antiope et Télétel, il y avait un fait évident et qui ne souffrait aucune contestation, nous vivons la fin d'une ère, celle de Gutenberg, pour entrer dans un monde nouveau, celui de la télévision et de la télématique.

    C'est justement ce fait que je voudrais contester en notant, toutefois, que la presse écrite, née de l'invention de Gutenberg, est aujourd'hui contrainte à de profondes mutations car elle est appelée à vivre dans un monde où les techniques de la communication connaissent des bouleversements considérables.

    C'est sur ce point que notre jeune ingénieur des télécommunications avait pleinement raison dans son exposé. Nous vivons la fin d'une époque qui a duré des siècles et nous entrons dans une ère nouvelle. Cette révolution, il faut bien l'appeler par son nom, est semblable à celle que nous avons connue dans le domaine des transports. Nos parents qui allaient en omnibus à cheval de La Madeleine à la Bastille au début de ce siècle, se déplaçaient en réalité comme Napoléon 1er galopant cent ans avant eux aux quatre coins de l'Europe, comme Louis XIV et tous ces rois qui à la vitesse de leurs carrosses dorés firent la France, comme les empereurs de Rome montés sur leurs chars, comme Alexandre parti à la conquête de l'Asie, tous ils utilisaient la même force du cheval pour se déplacer. Durant des siècles et des siècles, cet ami de l'homme était le seul moyen de transport rapide et collectif. Il fallut attendre la seconde moitié du siècle dernier pour que la locomotive à vapeur détrône la diligence. Alors tout alla très vite. En cent ans nous sommes passés du chemin de fer à vapeur à la voiture automobile, puis à l'avion à hélices, puis à l'avion à réaction. Les distances étaient pulvérisées. L'homme élargissait considérablement ses horizons. Et voici que les fusées et la navette spatiale lui ouvrent maintenant la route des astres.

    Dans le domaine de la communication, nous connaisssons une révolution du même type, aux conséquences aussi profondes. Pour qu'Athènes connût la victoire de Marathon, en 490 avant Jésus-Christ, il fallut au soldat athénien solitaire courir durant 42750 m. Et encore, à l'arrivée, l'information annonçant la déroute des Perses ne put-elle se propager que de bouche à oreille. Jusqu'au jour où les murs furent utilisés pour y placarder les informations. Ainsi les Romains pouvaient-ils lire « le journal de la ville ». Mais, durant des siècles, l'intormation ne se propagea que par les troubadours, les trouvères et les marchands qui allaient de ville en ville.

    En inventant, en 1436 les caractères mobiles et la presse à imprimer, Gutenberg devait permettre que les manuscrits sortent des abbayes et des couvents, des palais et des rares bibliothèques pour être largement diffusés sous forme de livres. Puis sont venus les almanachs, les libelles de toutes sorte et enfin, le journal. C'est Théophraste Renaudot qui, en 1631 - nous fêtons, cette année ce 350e anniversaire -, publia le premier journal de France « La Gazette ». Il y avait là, dans une publication régulière, sous un titre unique, des nouvelles, des distractions et des petites annonces. Et c'est en 1717 que parut le premier quotidien sous le titre « Le journal de Paris ».

    L'invention de la rotative par Marinoni en 1865 et de la linotype quelques années plus tard, devaient donner naissance à la presse écrite moderne telle que nous la connaissons aujourd'hui.

    Pendant près de trois-cent-cinquante ans, c'est le journal qui devait annoncer à un public de plus en plus vaste les informations de toutes natures, les victoires et les défaites, les morts des grands de ce monde, les changements de régime, les catastrophes. Les crieurs dans les rues, en clamant les titres de leurs feuilles, faisaient connaître la victoire d'Austerlitz, la défaite de Sedan, la mort de Victor Hugo, l'assassinat de Jaurès.

    L'apparition de la radio et du journal parlé allait porter atteinte à l'un des objets essentiels de la presse écrite, faire connaître à tous, rapidement et massivement, toutes les informations. Désormais, la radio allait battre régulièrement la presse écrite sur le plan de la vitesse. Avec elle, les informations étaient transmises de plus en plus vite, et de surcroît elles atteignaient un public beaucoup plus vaste, surtout depuis l'invention des postes à transistors. Cette diffusion des nouvelles par la radio est même si rapide que, parfois, elle fait vivre l'événement en direct, à l'instant même où il se crée. La presse écrite devait donc prendre acte de cette situation. Et d'autant plus que la télévision allait à son tour transmettre des images, et des images animées, en même temps que les informations parlées. Pendant un temps, on put croire que c'en était fini de la presse écrite. Et il est vrai que les journaux subirent un choc terrible et douloureux. Des titres disparurent. Les tirages s'amenuisèrent. La presse parisienne ne fut plus guère lue en province. Le « Paris-Match » de Prouvost consacré à la photo faillit succomber. La presse écrite, qui d'ailleurs ne pouvait agir autrement, prit acte de la situation nouvelle qui lui était imposée. Elle entreprit les mutations nécessaires. Elle ne se battrait plus sur le plan de la vitesse, pas même sur celui de la diffusion de masse, mais elle compléterait Information toujours un peu sèche, un peu carrée, un peu brutale donnée par la radio et la télé en y ajoutant de nombreux détails, en la situant dans son contexte et dans l'histoire. Et surtout, elle accompagna de plus en plus les informations brutes de commentaires et de jugements.

    Contrairement à ce qu'avaient annoncé les pessimistes, ou ceux qui ne croient guère dans la volonté de l'homme de grandir et de se dépasser lui-même, l'auditeur de la radio voulut en savoir plus. L'information transmise par son poste ne lui suffisait pas. Les paroles s'envolaient, les images disparaissaient. Il voulut retrouver l'information dans un écrit, pouvoir regarder nouveau les photos. Il voulait compléter ces paroles dites rapidement. Il voulait pouvoir consulter à nouveau, une fois, deux fois, trois fois, ces informations qui forment la trame de la vie.

    Nous venons de vivre en direct cette histoire lors de la dernière élection présidentielle. Au soir du second tour de cette élection, dès vingt heures, tout le monde savait que Monsieur Mitterrand était élu. Et pourtant, le lendemain, la presse écrite connut un boum exceptionnel. Le Monde doubla sa diffusion et vendit un million d'exemplaires, « Le Quotidien de Paris passa de 35 000 à 85 000 exemplaires, « France-Soir » poussa une pointe jusqu'à 850 000, « Le Figaro dépassa les 500 000, « Le Matin » frôla le demi-million alors qu'il ne vend habituellement que 200 000 exemplaires. Mon propre journal multiplia par cinq sa vente chez les marchands de journaux de Paris. Et pourtant le fait était simple. Mitterrand était élu et Giscard battu. Néanmoins la radio - et aussi la télévision - en orchestrant cette information, avaient donné au public une faim de savoir qui se manifesta très concrètement par une augmentation considérable de la diffusion de la presse écrite. Radios et télévisions n'étaient donc pas obligatoirement pour les journaux des adversaires. En tous cas, l'existence de ces nouveaux médias n'avait pas pour conséquence d'aboutir à la suppression de la presse écrite. Notre ingénieur avait donc eu tort de formuler un jugement aussi définitif et si peu nuancé. L'ère Gutenberg n'est pas terminée. Radio, télévision, télématique ne vont pas grandir sur les ruines de la presse écrite. Presse écrite, radio, télévision, télématique vont se développer ensemble. Mais il est vrai que la presse écrite n'est plus en situation de monopole. Elle n'est plus la seule à transmettre l'information. Dans plus d'un domaine elle a perdu ses lettres de noblesse. Il lui faut, non pas pour survivre, mais pour demeurer fidèle à sa mission fondamentale, opérer de profondes mutations. En attendant que celles-ci se précisent, on peut dire sans forcer sur les mots que la presse écrite connaît une crise grave, la plus grave de sa déjà longue histoire. Il convient d'en voir les différents aspects.

    Les mutations technologiques

    Au lendemain de la guerre de 1939-1945 la presse écrite a eu la lourde charge de mettre en place les rédactions, les imprimeries, les entreprises de distribution de journaux qui devaient permettre à la presse nouvelle d'assumer sa mission d'information au service du public et d'oeuvrer à la reconstruction de la France. Mais ces installations - si elles étaient neuves, plus modernes - n'en utilisaient pas moins les mêmes techniques que celles qui étaient en usage avant guerre. Ce fut néanmoins une rude tâche. Aujourd'hui la presse écrite connaît une mutation technologique plus fondamentale et plus profonde. La bonne vieille et solide rotative typo fait place à la rotative offset, qui, grâce au mariage savant de l'eau et de l'encre, permet une impression plus douce, plus nette et de plus grande qualité, en particulier au plan de la photographie, tandis que les rotatives hélios donnent naissance à des tirages en couleurs d'une exceptionnelle qualité.

    De même la composition chaude, qui utilisait des caractères fondus en plomb fait place à la composition froide où règnent les photocomposeuses.

    Le marbre où s'alignaient les formes au sein desquelles les typos plaçaient la composition, est devenu une table lumineuse sur laquelle des monteurs armés de ciseaux collent les bandes de papier sorties de la photocomposeuse.

    Celle-ci est alimentée par des claviers électroniques sur lesquels sont saisis les articles des journalistes.

    Parfois, c'est le journaliste lui-même qui, de son bureau local, à cent ou deux-cents kilomètres du journal, frappe sur les touches pour transmettre par câble un article qui sortira tout composé, dans le caractère choisi, sur la photocomposeuse installée au siège du journal.

    Ces techniques nouvelles bouleversent les imprimeries des journaux et également les rédactions. C'est une vie nouvelle dans un autre monde qui commence pour ces imprimeries qui vivaient depuis des générations comme une caste fermée avec leurs traditions plus que centenaires, leurs méthodes de travail apprises sur le tas, leur vocabulaire si particulier.

    On comprend alors que nous ayons connu tant de conflits sociaux, en France et à l'étranger, quand le progrès obligea directeurs, journalistes, ouvriers d'imprimerie à opérer ces nécessaires reconversions. On se rappelle qu'une institution comme le « Times » faillit en mourir. On n'ignore pas les multiples grèves que nous avons connues en France.

    Cette intrusion de l'électronique dans le monde de la presse ne se limite pas au seul plan de l'imprimerie. Ce sont également les méthodes de travail des journalistes qui en sont modifiées. J'en ai déjà parlé. Mais il y a d'autres domaines qui sont concernés, ainsi, par exemple, celui des banques de données. Il est possible aujourd'hui de stocker dans un ordinateur des millions d'informations et cette banque peut facilement être interrogée par les journalistes qui recherchent les éléments nécessaires à la rédaction de leur article. On peut même imaginer une banque de données qui transmettrait à la photocomposeuse les informations destinées à être reproduites dans un journal. C'est ainsi que des publications financières branchent directement leurs photocomposeuses sur l'ordinateur qui, de la Bourse de Paris, leur donnera tous les cours et les informations financières dont le lecteur a besoin. Il n'y a plus entre l'information brute et le journal, ni journaliste, ni typographe, ni metteur en page, ni correcteurs, ni secrétaire de rédaction. Il n'y a plus qu'une machine, la photocomposeuse, et une rotative pour imprimer le journal.

    Mais ces banques de données représentent un investissement considérable, car il ne suffit pas d'acheter un ordinateur, il faut encore l'adapter à ce travail particulier et, surtout il faut l'alimenter. On peut alors se poser la question, quels sont les journaux qui auront la possibilité d'utiliser un tel équipement ? Et si ces banques de données sont communes à plusieurs titres, n'y a-t-il pas un risque d'uniformisation. Ce risque, on en connaît déjà les dangers avec' les Agences de Presses, ces grossistes en nombre limité qui fournissent aux journaux la matière première, l'information, dont ceuxci ont besoin.

    J'ajouterai que ces profondes mutations économiques ne modifient pas pour autant les données de base de l'exploitation d'un journal qui demeurent très spécifiques. Un journal, c'est du papier imprimé, mais c'est aussi et plus fondamentalement des faits qui évoluent sans cesse, des idées qu'il faut continuellement préciser, affiner, des textes qui sont avant tout l'expression de leurs auteurs. Cet ensemble donne un produit qui est sans doute la denrée la plus périssable qui soit. Contrairement à toutes les industries, le journal, qui tend pourtant à devenir de plus en plus une industrie, est une entreprise qui ne constitue aucun stock et qui est liée uniquement à ses ventes et à ses recettes de publicité.

    Ce qui explique que les journaux qu'on croit puissants parce qu'ils sont, chacun à leur place, de véritables monuments, sont d'une rare faiblesse au plan économique. En particulier, ils ont les plus grande difficultés à résister à ces crises qui bouleversent leurs habitudes.

    Nous reparlerons dans quelques instants de ce problème quand nous traiterons, rapidement, des rapports entre l'Etat et la presse écrite.

    Les mutations de la société

    La presse écrite naît, vit, grandit au coeur de la société des hommes. Les journaux sont écrits, par des hommes et des femmes, pour les hommes et les femmes. Quand nous rédigeons nos articles, que nous composons nos journaux, nous ne bâtissons pas la presse de l'an 2000, pas même des monuments destinés à durer. Nous faisons des journaux pour le jour ou pour la semaine où nous les publions. Dès le lendemain, ils n'ont plus aucune valeur commerciale et même peu de valeur tout court.

    C'est dire que la presse écrite est très dépendante de la société au sein de laquelle elle vit.

    Or, cette société, ces dernières années a connu de profondes transformations. Mai 1968 en fut la manifestation la plus spectaculaire. En ces jours-là les femmes, les jeunes, conquièrent leur majorité. Des traditions qu'on croyait immuables s'écroulent. Des sujets qui n'étaient abordés que dans l'intimité font irruption sur la place publique. De même la prolongation de la scolarité, la radio, la télévision qui sont de moyens de communication de masse, ouvrent des horizons nouveaux. Le monde lui-même se rétrécit. Le lecteur veut tout savoir, sur toutes choses, en quelque lieu que se crée l'information. Les journaux doivent alors accroître le nombre des sujets abordés. et, partant, leur nombre de pages et, bien évidemment le nombre de leurs collaborateurs. L'ère romantique est finie pour la presse. Le journal est de plus en plus une entreprise et le journaliste chaque jour davantage un rouage de cette entreprise. Pour faire face à ces problèmes nouveaux, la presse écrite a besoin de plus en plus d'argent. Alors elle demande davantage encore à la publicité. Elle augmente ses prix de vente. Comme, parallèlement, les franchises accordées traditionnellement par l'Etat sont régulièrement remises en cause, le prix de vente augmente considérablement. Les journaux, vendus de plus en plus chers, le nombre des lecteurs, malgré la croissance des courbes démographiques et malgré la prolongation de la scolarité, a tendance à diminuer La guerre de 39-45 aura également marqué une évolution profonde au sein de la presse française. Pendant quatre ans, notre pays a été coupé en deux, les moyens de communication étaient souvent désorganisés, aussi la presse de Paris qui, avant 1939, avait une diffusion nationale dut-elle se limiter à la région parisienne. Pendant ce temps les lecteurs de province apprirent à découvrir leurs quotidiens régionaux. Ceux-ci s'adaptèrent à la nouvelle situation. S'ils continuèrent à privilégier les nouvelles locales qui fdnt leur succès, ils ouvrirent plus largement leurs colonnes aux informations politiques, à la vie dans le monde. Au lendemain de la guerre, les habitudes se sont maintenues. La presse quotidienne parisienne est maitenant peu diffusée en province. Si l'invention du fac-similé, qui permet la transmission par téléphone des pages composées à Paris à des imprimeries installées en province, a aidé à la diffusion nationale de ces quotidiens, force est de reconnaître qu'ils demeurent avant- tout des organes parisiens.

    Le lecteur de province n'a guère les moyens de se procurer chaque jour deux quotidiens. Son quotidien régional lui donne les nouvelles locales et un condensé des informations nationales et internationales. Et la radio et la télévision complètent parfaitement son information.

    Par contre, depuis la dernière guerre la presse hebdomadaire a connu un développement considérable.

    C'est là que se manifeste, mieux qu'ailleurs, le pluralisme des opinions. La presse parisienne, réduite en diffusion est également réduite en nombre de titres. Les quotidiens régionaux sont souvent en situation de monopole dans leur secteur. Tandis que la presse hebdomadaire est extrêmement diverse. Chaque famille politique, chaque courant philosophique, les diverses religions, les milieux sociaux ont leurs journaux. Rien que dans le domaine des magazines d'information, il y a cinq titres qui sont tous de grande qualité (Le Nouvel Observateur, Le Point, L'Express, Valeurs Actuelles, Paris-Match). Les hebdomadaires d'opinion sont également en grand nombre. Et cette presse est vivante. Elle utilise les techniques les plus modernes. Elle sert de tribune aux meilleures plumes de notre époque.

    La radio qu'on écoute, la télévision qu'on regarde, les moyens de transport surpeuplés qui vous retiennent si longtemps, l'auto qui vous accapare en fin de semaine, tout cela concourt à réduire le temps que chacun pourrait consacrer à la lecture des journaux. Et pourtant, ceux-ci sont de plus en plus épais. Mais il est vrai que ceux qui lisent des journaux ne font plus que les parcourir et ils ne s'arrêtent que sur les sujets qui retiennent leur attention. Il est fini le temps où on lisait son journal de la première à la dernière ligne. Il y a de vieux lecteurs qui ne se sont pas accomodés à cette situation nouvelle. Alors, puisqu'ils ne peuvent plus lire entièrement leur journal, ils préfèrent l'abandonner. Pour eux, il n'est pas bon de gâcher ainsi le produit qu'ils ont acheté.

    Quelques chiffres confirmeront ces remarques que je viens de soumettre à votre réflexion.

    Depuis vingt ans, le tirage global de la presse quotidienne stagne : 10,5 millions d'exemplaires.

    Le marché des périodiques, 70 millions chaque semaine croît depuis dix ans de 1,5 % par an.

    Presse quotidienne de Paris :

    • 1900: 49 quotidiens à Paris
    • 1946: 32 quotidiens à Paris
    • 1981 : 7 quotidiens Paris

    Tirage des quotidiens parisiens :

    • Le Figaro : 450 000
    • Le Monde : 550 000
    • Le Parisien libéré : 600 000
    • France-Soir : 600 000

    Tirage des quotidiens régionaux :

    • Ouest-France : 700 000
    • Le Progrès : 500 000
    • Sud-Ouest : 420 000
    • La Voix du Nord : 420 000
    • Paris-Matin : 300 000

    Le plus fort tirage de la presse française

    Télé 7 jours : 2 600 000 diffusion

    Tirages des New-Magazines :

    • L'Express : 535 000 diffusion
    • Le Nouvel Observateur: 375 000 diffusion
    • Paris-Match : 740 000 diffusion
    • Le Point : 310 000 diffusion

    Les radios locales, la Télématique

    Le phénomène des radios locales qui connaît à quelques kilomètres d'ici, chez nos voisins italiens, un développement considérable, est à l'ordre du jour chez nous. Déjà il y avait eu quelques expériences de radios libres. Déjà Radio France avait organisé trois expériences à Laval, à Lille, à Melun. Mais le septennat de M. Giscard d'Estaing, pour libéral qu'il fût, s'était avéré en ce domaine, un défenseur intraitable du monopole d'Etat en matière de radiotélévision. Il apparaît que les thèses socialistes de M. Mitterrand vont, au contraire, dans le sens d'une plus grande liberté pour les radios locales. Comprenne qui pourra.

    C'est la presse quotidienne régionale qui est la plus inquiète devant la création de ces radios locales. En effet, celles-ci vont concurrencer les journaux sur leur propre terrain en donnant aux auditeurs des nouvelles locales. De surcroît, elles vont servir de relais à la publicité locale qui est une mine pour la presse écrite régionale. Enfin, nul n'ignore que ces radios ne font payer aucune taxe aux auditeurs qui peuvent les capter gratuitement.

    Pour leur part, les quotidiens de Paris qui connaissent depuis longtemps la concurrence des postes périphériques et les hebdomadaires se sentent moins concernés. Néanmoins ils apportent leur soutien à leurs confrères.

    La presse souhaite le maintien du monopole, même s'il est souhai table que Radio-France au plan de la radio et FR3 au plan de la télé vision fassent des expériences de décentralisation en liaison avec la presse écrite.

    Si nous ne pouvons obtenir ce maintien, nous ferons tout pour éviter à la France une solution à l'italienne dont le caractère anarchique est évident.

    Nous voulons une réglementation pour la création et l'exploitation des radios locales. Nous souhaitons que les journaux puissent, en priorité, investir dans ce domaine. Nous voulons surtout que ces radios ne puissent pas ouvrir leurs antennes à la publicité.

    Enfin, nous rappelons que c'est la vocation des journalistes que de recueillir les informations, de les classer, de les présenter et qu'il importe donc que si ces radios diffusent des bulletins d'informations, ceux-ci soient confiés à des journalistes professionnels.

    La télématique, dont nous allons vivre deux expériences à Vélizy dans la banlieue parisienne sous le sigle de Télétel et en Ille-et-Vilaine sous les auspices de l'annuaire des abonnés au téléphone, représente également pour la presse écrite un danger réel.

    La télématique c'est la possibilité pour chacun de recevoir, à domicile, sur un écran qu'il aura acquis ou sur l'écran de son poste de télé, les informations qu'il désire connaître, les programmes du cinéma, des jugements sur les films qui passent dans sa ville, les résultats des courses, les cours de la Bourse, la législation sur les loyers, le temps qu'il fera, les derniers livres parus,... que sais-je encore.

    La presse écrite est, pour l'heure, associée à ces expériences. Parfois même elle y participe, ainsi à Télétel le journal local et des publications spécialisées sont associés à l'expérience. Mais il faut noter que la presse écrite est inquiète.

    Qu'en sera-t-il demain des journaux, quand ces services qu'ils rendent à leurs lecteurs, ceux-ci pourront se les procurer, chez eux, sur leur écran personnel, sans bourse délier ?

    Et, cette fois-ci, n'est-ce pas l'existence même de la presse écrite qui est menacée ?

    la Presse et l'Etat

    L'Etat a toujours souhaité utiliser la presse. Richelieu se servait de « la Gazette » de Renaudot pour diffuser ses idées. Napoléon affirmait qu'un bon titre, discipliné, valait quatre divisions. Ainsi, « le Moniteur » soutenait-il l'ardeur de la population, en même temps qu'il trompait l'ennemi. Pendant la dernière guerre, les Allemands pensèrent tenir l'opinion en mettant la main sur les journaux français paraissant avant la guerre. Plus récemment on vit les hommes au pouvoir soutenir le rachat de tel ou tel titre ou la concentration d'entreprises de presse. Ainsi, M. Lagardère devint-il le propriétaires des titres de la maison Hachette et M. Hersant put-il conquérir « le Figaro » et « France-Soir » !

    Les journaux n'ont jamais apprécié cette tutelle de l'Etat. Ils ont toujours plaidé pour une totale indépendance.

    C'est pourquoi ils célèbrent aujourd'hui le centième anniversaire de la proclamation de la liberté de la presse et c'est pourquoi ils demeurent attachés aux Ordonnances d'août 1944.

    Mais il ne suffit pas de proclamer une liberté, il faut aussi lui donner un contenu économique. C'est pourquoi la IIIe et la IVeRépublique ont accordé à la presse écrite des franchises dans les domaines postaux et fiscaux et dans celui du papier de presse.

    Hélas, la Ve République devait progressivement remettre en cause ces franchises. Le pouvoir de l'Etat, qui dispose de la radio et de la télévision, compte de moins en moins sur la presse écrite. Le libéralisme économique qui est son idéal, livre alors le monde de la presse aux appétits de ceux qui disposent d'énormes capitaux. Les journaux deviennent de plus en plus des entreprises commerciales. La presse d'opinion tend à disparaître. On ne se bat plus guère pour diffuser des idées, pour convaincre, mais pour gagner des lecteurs qui ne sont plus que des clients et réaliser des profits qu'on espère importants.

    Avec le nouveau septennat, on peut penser que la politique du pouvoir va changer. Mais pour l'heure, nous ne la connaissons pas encore.

    Que dire en conclusion ?

    L'avenir de la presse écrite se présente sous des auspices qui ne laissent présager que de graves difficultés. Est-ce à dire qu'elle est appelée à disparaître ? Je ne le pense pas. Mais nous sommes placés devant un problème d'une importance exceptionnelle, qui est en réalité une crise de civilisation.

    Les plus anciennes des civilisations accédèrent à un niveau supérieur, sortirent de la préhistoire, quand elles apprirent à écrire sur l'argile, la pierre, le bois ou le papyrus, leur propre histoire. Ainsi en fut-il des Phéniciens qui gravèrent le premier alphabet sur les pierres de Byblos, des Egyptiens qui écrivirent l'histoire des pharaons sur les obélisques, des Chinois qui, bien avant notre ère, confièrent aux papyrus leurs prières et leurs messages. N'a-t-on pas découvert en 1961 à Tartaria, en Roumanie, des plaquettes d'argile gravées d'une écriture proche de l'écriture Sumérienne. Elles datent de plus de 4 000 ans avant Jésus-Christ !

    Ces peuples progressaient parce qu'ils passaient d'une civilisation purement verbale à la civilisation écrite.

    N'allons-nous pas vers un retour en arrière ? Ne retournons-nous pas à grandes enjambées vers la civilisation du seul verbe; Sans doute l'écrit ne disparaîtra pas. Mais il sera réservé à une élite. Les masses ne connaîtront que les informations transmises par la radio et de bouche à oreille et les images, si frappantes souvent, mais toujours si fugitives, de la télévision.

    Voilà le danger. Contre le béton et l'urbanisation, nous avons engagé la bataille pour la défense de l'arbre et de la nature. N'est-il pas temps d'engager la bataille pour la défense de l'écrit ? Une autre raison, aussi importante, nous pousse à défendre la presse écrite. C'est une raison hautement politique.

    La démocratie nous apparaît comme le système le meilleur pour l'organisation de la vie en société. Mais la démocratie exige que chaque homme, que chaque femme, soit de plus en plus responsable, que chacun puisse choisir en connaissant les dossiers, que chacun se sente participant au pouvoir, que chacun garde la possibilité d'approuver mais aussi celle de critiquer.

    Or, la presse écrite est le dernier refuge de ce pluralisme indispensable au débat démocratique.

    La radio et la télévision sont entre les mains de l'Etat des instruments de son pouvoir. La télématique c'est encore l'Etat. Seule la presse écrite jouit d'une indépendance réelle. N'est-elle pas le 4e Pouvoir à côté du législatif, de l'exécutif et du judiciaire ? Chateaubriand déclarait non sans raison : « J'ai aidé à conquérir celle de nos libertés qui les vaut toutes, la liberté de la presse. » On comprend mieux ce que voulait dire Chateaubriand quand on sait qu'aujourd'hui encore les grands combats des hommes de ce temps contre toutes les oppressions ont été le fait de la presse écrite.

    Les drames et les problèmes de la guerre d'Algérie, c'est la presse écrite qui les a fait connaître. Les interrogations sur le nucléaire, c'est la presse écrite qui les exprime. Le scandale du Watergate, c'est la presse écrite qui l'a dénoncé. Les aspirations des écologistes, elles sont nées d'abord dans la presse écrite. Et Mauriac, Camus, Sartre, comme hier Maurras, Zola, Jaurès, n'ont pas craint de se faire journalistes pour interpeller l'opinion.

    Faut-il le redire en terminant, la presse écrite, pour demeurer elle-même ne doit pas être réservée à une élite, que ce soit celle de la culture ou celle de l'argent. Elle doit être diffusée largement. Tout homme doit pouvoir se procurer le ou les journaux de son choix et y trouver les informations les dossiers, les commentaires dont il a besoin pour juger, choisir et se déterminer en toute liberté sous sa seule responsabilité.

    Face à une civilisation qui devient celle de la parole, celle de la vitesse, du superflu, une civilisation de la consommation où les produits ne sont plus respectés comme ils devraient l'être, face à une civilisation qui nie la valeur de l'effort, fut-il l'effort que l'on fait pour lire, face à une civilisation qui ignore l'homme pour ne considérer que les masses, qui sonde celles-ci comme on analyse la terre pour déterminer les produits qu'on fera pousser, face à une civilisation qui se flatte de manipuler l'opinion publique, qu'il s'agisse du plan politique ou de celui du commerce, face à une civilisation qui ignore l'individu et, de ce fait, méprise l'homme, face à une civilisation, nous avons à défendre l'écrit, la primauté de l'écrit. L'écrit, expression libre d'hommes dialoguant avec d'autres hommes, l'écrit, si respectueux de la dignité de chaque homme puisqu'il s'adresse d'abord à l'intelligence, à la réflexion, l'écrit, qui est à la base d'une instruction et d'une culture qui ne s'arrête pas aux portes de l'école, mais se poursuit toute la vie.

    L'écrit, ce sont ces livres auxquels vous portez tant d'affection et ces journaux dont vous considérez à juste titre la valeur réelle. Ces livres et ces journaux sont non seulement les garants d'une démocratie au service de chaque homme, mais également la condition première à l'épanouissement de chaque être.

    C'est le sens du combat que mène actuellement la presse écrite, un combat où s'illustrèrent, hier, Lacordaire, Veuillot, Jaurès, Daudet, Rochefort, Zola et qui connaît aujourd'hui d'autres champs de bataile exigeant d'autres compétences, mais toujours la même passion, celle qu'on porte en soi pour l'homme et pour la liberté.