C rées en 1980 par le ministère de l'Education nationale à l'intention des chercheurs, les Centres d'acquisition et de diffusion de l'information scientifique et technique (CADIST), bien connus des milieux professionnels, semblent encore mal identifiés par leurs utilisateurs potentiels. L'opportunité d'une réflexion sur la notion même de réseau engage à s'interroger sur ce paradoxe et sur les causes possibles de cette perception insuffisante afin d'y remédier. Ce réseau national formé de 23 bibliothèques spécialisées, permet de coordonner la constitution des collections recherche dans 18 champs disciplinaires et d'améliorer l'accès aux documents primaires.
On pourrait considérer que la dénomination de CADIST présente l'inconvénient propre à tous les sigles qui n'ont pas fait florès : beaucoup d'épelés, peu d'élus...; la référence à l'IST étant de surcroît datée et inadéquate dès lors que la circulaire (n°83219 du 26 mai 1983) qui régit les missions et les conditions de fonctionnement des CADIST ne leur assigne pas une activité à proprement parler d'IST -sauf à définir l'IST lato sensu comme l'information documentaire en général : ce texte ne dit mot des bases (ou banques) de données bibliographiques ou factuelles. Il y a bien là, contenue en germe, une imprécision sémantique qui entame la notoriété des CADIST. Au delà de cette simple remarque, on pourrait incriminer notre inclination à la siglaison, toute administrative, qui perturbe, par la difficulté de traduction qu'elle comporte, notre dialogue avec les lecteurs . L'espoir que ce sigle perde son caractère d'abréviation pour se muer en mot à part entière, désignant des bibliothèques de recherche, reste en définitive une mince consolation.
Enfin, il faudrait évoquer le contexte d'anémie budgétaire dans lequel les quinze premiers des dix-huit CADIST existant aujourd'hui, ont été décidés (entre 1980 et 1982). Quelque peu excessive mais bien compréhensible, l'accusation réduisant la politique documentaire du ministère à la mise en place d'un dispositif "à deux vitesses", opposant le privilège CADIST à la grande misère des BU, a durablement limité le système du CADIST à une simple mesure technique au détriment de sa véritable nature de service public, au sein d'une bibliothèque, aménageant des conditions favorables à la recherche. Le sentiment général, qui prévalut, tenait que, par le jeu d'une opération comptable, on transférait des crédits vers des bibliothèques "élues" sans que la subvention spécifique qu'elles percevaient fût assortie d'obligations nouvelles : de fait, ce n'est qu'en 1983, a posteriori, notamment sous la pression du CNESER (1) , qu'un texte réglementaire édicta les missions des établissements acceptant la charge d'un CADIST. Ainsi, le système des CADIST se trouve entaché dès l'origine d'une précipitation (plus que d'une intention inavouable) qui a relégué au second plan la réalité de leur activité originale : l'acquisition et la diffusion de documents n'intéressant que la recherche. On peut s'interroger alors : Convient-il de parler du système des CADIST ou du réseau des CADIST ? L"'embellie documentaire" que connaissent les bibliothèques universitaires, surtout le travail accompli depuis dix ans par les bibliothèques CADIST, autorisent à dépasser le malendu initial pour considérer qu'elles forment bien un réseau dont nous essaierons de décrire l'originalité.
Si l'on retient qu'un réseau est une organisation vivante, celui des CADIST pourrait se prêter à une définition duelle distinguant une approche exogène d'une approche endogène.
La première privilégierait l'organisation administrative du réseau, la seconde son organisation scientifique.
L'administration centrale a donc pris l'initiative de répartir en différents points du territoire -au sens de la rétistique- des Centres, placés auprès de bibliothèques supports, pour la documentation recherche : elle a identifié et investi de la mission d'acquisition, de signalement et de fourniture de documents, des bibliothèques à caractère encyclopédique pour certaines de leurs spécialités et des bibliothèques spécialisées, pour former un réseau national qui se caractérise par des objectifs communs et par des modalités de fonctionnement identiques. Il y a de ce point de vue une forte unité du réseau secrétée, pour ainsi dire, par la puissance publique. Ces objectifs peuvent être brièvement résumés : acquisition de documents intéressant la recherche exclusivement dans une perspective d'exhaustivité, quels que soient les supports (c'est le réseau compris au sens étymologique de "rets" permettant de saisir une documentation éphémère) ; fourniture en dernier recours des documents par le prêt entre bibliothèques (original ou copie) dans les 24 heures. Quant aux modalités de fonctionnement, elles tiennent pour l'essentiel dans l'attribution d'une subvention annuelle spécifique, la participation obligatoire aux catalogues collectifs, CCN (2) , CCOE (3) et bientôt Pancatalogue, la diffusion de listes d'acquisitions et la rédaction d'un rapport annuel d'activité à l'administration centrale. Ce dispositif unitaire permet un contrôle satisfaisant du réseau quant à sa régulation (évolution des prêts, évaluation des besoins financiers et en personnel). Enfin, le choix initial d'un critère de répartition et de création des CADIST par discipline -en dépit du caractère transdisciplinaire de la recherche scientifique- permet de garantir l'homogénéité du réseau et d'appréhender les approches thématiques et géographiques en associant, par des conventions, les Centres à des bibliothèques et à des organismes aux spécialisations très pointues.
Quelques chiffres permettront de mieux cerner l'activité des CADIST : la subvention nationale de 12 MF en 1987 atteint 15,7 MF en 1990, ce qui est encore insuffisant. En 1988, les Centres ont acheté quelque 14000 monographies et se sont abonnés à environ 4600 titres de périodiques : rappelons qu'il s'agit là d'une documentation complémentaire qui conforte les acquisitions de la bibliothèque-support dans la discipline. Cette documentation est massivement étrangère (94% des dépenses), les périodiques emploient 55% du budget d'acquisition, les ouvrages 39%, les autres documents 6%. La même année, les CADIST ont réalisé environ 70000 prêts (soit 17,5%) des quelque 400000 demandes reçues et satisfaites par les bibliothèques universitaires et les bibliothèques de grands établissements. Les résultats d'une décennie de fonctionnement sont par conséquent satisfaisants notamment pour le signalement de tous les titres en cours dans le CCN et l'activité de prêt, certains CADIST figurant parmi les plus fort prêteurs au plan national.
Cependant, un tel constat ne saurait faire négliger les insuffisances du réseau. Il est avéré que la notion de dernier recours qui ne devrait faire aboutir dans des bibliothèques CADIST que des demandes de documents qui ont transité préalablement par deux bibliothèques et qu'elles sont donc les seules à pouvoir satisfaire, n'est pas assez pris en compte par les établissements emprunteurs. Il arrive que les CADIST diffèrent le traitement de demandes ne ressortissant pas à la recherche, il est rarissime qu'ils refusent de les traiter ; par ce réflexe d'envoyer systématiquement des demandes non-recherche aux CADIST, l'esprit et la volonté de travail en réseau sont pris en défaut. Il est probable que si les budgets d'acquisition des bibliothèques universitaires continuent de croître, ces afflux de demandes se ralentiront. En outre, la diffusion des listes d'acquisitions est une lourde charge qui est parfois abandonnée, ou bien insuffisamment sélective : ce dernier dysfonctionnement révèle souvent une méconnaissance de l'environnement documentaire et scientifique du CADIST. La mise en place d'un catalogue collectif des ouvrages devrait y pallier.
D'autres mesures contribueraient à renforcer le réseau, en particulier l'augmentation de la subvention qui ne dispensera pas de la recherche de financements complémentaires, son parachèvement par la création de CADIST dans les disciplines non pourvues en veillant à corriger les déséquilibres entre Paris et les Régions, la valorisation indispensable du patrimoine des bibliothèques CADIST.
Une telle ambition conduit à envisager une deuxième approche à travers laquelle le sens étymologique du réseau comme "rets" ne s'applique plus aux documents mais aux chercheurs.
Destinataires du réseau, ces derniers en sont aussi les acteurs dans la mesure où il s'agit de capter leur attention et d'obtenir leur collaboration. En effet, un réseau ne se limite pas à une bonne coopération documentaire, fût-elle celle d'une connexion informatique réussie comme le laissait entendre la publicité de l'un des premiers constructeurs mondiaux d'informatique clamant "Le réseau, c'est l'ordinateur", en réponse à un concurrent qui affirmait : "Le réseau, c'est le système".
C'est pourquoi les CADIST travaillent à tisser des liens plus solides avec ce qu'on a appelé diversement le "collège invisible", la "communau-té des chercheurs" et qui se nomme "réseau des mathématiciens", "réseau archéologie" ou simplement "orientalistes"... Ces associations de chercheurs forment autant de groupements scientifiques qui fonctionnent "en réseau" pour coopérer et échanger des informations mais qui ne laissent pas d'interroger les bibliothécaires sur le fait que le réseau joue comme dispositif d'ouverture, d'échange mais aussi de protection et de repli : c'est que dans leur dimension documentaire, ces réseaux se sont souvent constitués par substitution, en réaction aux carences matérielles des bibliothèques universitaires qui, a contrario, font figure d'exemples à ne pas suivre. Cette méconnaissance réciproque ne semble pas se réduire par la référence "au travail en réseau" qui agit au contraire comme dédouanement de la quasi-absence de coopération documentaire, elle se renforce plutôt de la multiplication de réseaux coexistants tendant vers l'autarcie.
Il semble donc bien que, si la politique dynamique en matière de documentation de niveau recherche doit être poursuivie, des initiatives en direction des lecteurs des bibliothèques de recherche devront accompagner les efforts budgétaires.
L'outil que constituent les plans de développement et d'évaluation des collections et des politiques d'acquisition devrait permettre d'engager ce processus : plusieurs bibliothèques CADIST ont entrepris une première évaluation de leur fonds, il reste à étendre cette expérience et surtout à parvenir au stade de T'évaluation permanente" qui maintiendra un dialogue continu avec les lecteurs.
Les études menées par la Bibliothèque de France sur la carte documentaire nationale ont montré la capacité du réseau CADIST et la nécessité de renforcer, en coopération avec elle, le réseau des bibliothèques d'étude et de recherche. C'est pourquoi le ministère de l'Education nationale a placé parmi ses objectifs prioritaires la conversion rétrospective des fonds des bibliothèques CADIST pour leur signalement dans le futur Pancatalogue.
Conjointement à une politique de valorisation des CADIST et aux moyens qu'il faudra se donner pour mieux les intégrer afin qu'ils jouent pleinement leur rôle de service public pour la recherche, il conviendra sans doute de s'interroger sur la manière dont les chercheurs considèrent l'aspect documentaire de leur travail, moins pour en déplorer les insuffisances que pour mieux comprendre le statut de la documentation dans l'investigation scientifique.