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    Intervention de Michel Melot

    Par Michel MELOT, Vice-président du Conseil supérieur des bibliothèques
    Mon intervention aura un caractère transitoire, parce que je ne suis ici que par intérim et parce que le Conseil supérieur des bibliothèques se trouve placé dans une double expectative. Le Conseil supérieur attend d'abord les réponses qu'appelle le rapport qu'il a remis au Président de la République sur la Bibliothèque de France. Il considère en effet que les réponses qui lui ont été fournies jusqu'ici ne sont pas satisfaisantes et que les mesures prises ces derniers mois ne sont pas pertinentes par rapport aux questions qu'il a posées. Ensuite, le Conseil attend l'arrêté du Premier ministre qui nommera son prochain président à la suite de la démission d'André Miquel. Cette démission ne constitue pas vraiment une surprise : il avait annoncé sa décision de quitter la présidence cette année, mais son anticipation constitue une difficulté supplémentaire dans cette période d'incertitudes. Sur le Rapport, je n'en rappellerai pas ici les conclusions qui ont été publiées et que chacun peut apprécier. Elles n'ont pas été contestées. Au contraire, elles ont rassemblé, sur des bases raisonnables, à la fois les adversaires et les partisans du projet. Les membres du Conseil supérieur estiment qu'elles n'ont pour autant pas été suivies de mesures adéquates et considèrent qu'elles sont toujours valables. Ils ont demandé une réunion contradictoire avec la Bibliothèque de France: cette réunion aura lieu le 2 juin.

    La plupart des questions tormulées dans ce rapport - 8 sur 13 - ont été renvoyées à une nouvelle commission. André Miquel a été chargé de la constituer et de l'animer. Sur l'opportunité de créer une commission nouvelle, les avis des membres du Conseil ont divergé : certains, c'était le cas d'André Miquel, ont estimé qu'ils pouvaient et qu'ils devaient, dans cette nouvelle configuration, apporter les réponses aux questions posées par le rapport, aussi fondamentales que le statut du futur établissement, celui de ses personnels, les rapports entre les sites de Tolbiac et de Richelieu, et, en général, le fonctionnement de la Bibliothèque de France. D'autres ont jugé qu'une nouvelle commission n'était pas indispensable pour traiter ces questions et qu'elle s'ajoutait à un paysage déjà chargé. Il a donc été décidé que les membres de cette commission y siège-raient à titre personnel. Mais une position a fait l'unanimité du Conseil supérieur, c'est que cette commission ne pouvait dépendre du Conseil ni lui être rattachée. Le Conseil a voulu garder les mains libres et ne pouvait, selon ses statuts, se laisser dicter son ordre du jour. Le Président Miquel a fait le premier, cette analyse et, dans le souci de préserver l'indépendance du Conseil supérieur, a demandé à être déchargé de sa présidence.

    Aujourd'hui la situation est donc la suivante : la commission animée par André Miquel est clairement un organe dont se sont dotés le Ministère de l'éducation nationale et de la culture et le Secrétariat d'Etat aux Grands Travaux pour "soumettre des propositions intellectuelles, administratives et statutaires sur l'avenir des deux institutions". Par ailleurs, un rapport technique sur les modalités de fonctionnement de la future Bibliothèque de France, son statut, son budget, a été demandé à M. Silicani, directeur de l'administration générale de la culture, qui en rendra les premiers éléments vers la mi-juin. Quant au Conseil supérieur il a fait savoir qu'il "continuerait de suivre l'évolution de la Bibliothèque de France" mais que, pour l'instant, il attendait les réponses que son rapport lui semble mériter.

    Cet épisode nous alerte sur la fragilité du Conseil supérieur, qui continue de demander son renforcement institutionnel et l'extension de sa compétence à l'ensemble des bibliothèques françaises quelle que soit leur tutelle. Soumis aux évolutions gouvernementales, il ne dépend plus que de deux ministres et se trouve sans lien institutionnel avec le Secrétariat d'Etat aux Grands Travaux qui, lui, a été rattaché au Premier Ministre. Cette demande relance l'alternative posée à l'origine du Conseil. Si l'on accepte que le Conseil supérieur soit un organe de réflexion et de prospective, alors, on peut considérer qu'il a fait son travail. Mais l'on peut continuer de souhaiter qu'il soit doté de responsabilités et de moyens d'investigation en s'inspirant des Conseils nationaux analogues dont sont pourvus les pays étrangers plus avancés que nous en matière de bibliothèques. Il est clair que c'est la première formule qui prévaut : elle pourrait d'ailleurs évoluer sans modifier la structure actuelle.

    S'il a fait son travail, on le jugera en lisant le Rapport annuel du Président. Le second est paru le 28 février. On n'y trouvera pas que le Rapport sur la Bibliothèque de France. Je ne reviendrai pas sur la Charte, qui y est également publiée, sinon pour dire qu'André Miquel a souhaité deux choses : d'abord qu'elle soit largement diffusée afin de servir de texte de référence dans les débats entre bibliothécaires et dans leurs négociations avec les élus ou autres responsables. Ensuite, qu'elle serve de base à de nouveaux textes réglementaires ou législatifs.

    Depuis la publication de ce second rapport, les travaux du Conseil supérieur ont porté sur l'analyse du projet de directive européenne sur le droit de prêt, sur l'approfondissement des réflexions engagées dès l'origine sur les principes qui doivent régir la formation professionnelle et il s'apprête à travailler sur les conditions d'emploi des bénévoles dans les bibliothèques. Sur le projet de directive, le Conseil a fait connaître sa position. Elle porte à la fois sur la forme et sur le fond. Sur la forme, elle conteste aux instances européennes leur compétence à se saisir de l'application d'un droit de prêt dans chaque pays membre, au nom du respect du principe de subsidiarité. Elle rejoint en cela la position officielle du gouvernement. Sur le fond, elle soutient que le prêt n'est pas la cause du piratage, il n'en est que l'occasion et qu'il serait injuste de lui en faire supporter les conséquences. En revanche, le Conseil supérieur rappelle qu'il faut compenser, mais par d'autres moyens et en distinguant les différents supports, les effets pervers du piratage.

    Sur la formation, le Conseil supérieur a déjà fourni quelques orientations majeures. Il faut les confronter aujourd'hui aux mesures qui sont prises ou sur le point de l'être. La première est l'unité des métiers de la documentation. Pendant que les métiers de la documentation et de l'information connaissent une croissance plus importante que celle des seules bibliothèques et un renouvellement de leurs méthodes plus profond, les bibliothécaires n'ont rien à gagner à s'isoler dans des filières trop spécifiques. C'est là que pèse l'inquiétude la plus lourde. Il ne faut pas creuser davantage le fossé qui sépare le monde de la documentation et celui des bibliothèques. Ceci plaide en faveur de leur rapprochement au sein des universités ou des écoles existantes partout où cela est possible. Depuis le le cycle, où le tronc commun doit être la règle, jusqu'à la recherche. Malgré les efforts déployés, (en particulier dans le programme PARINFO), la recherche française dans les nouveaux domaines de la bibliothéconomie reste faible et mal connue des secteurs d'application. Le Conseil supérieur a encouragé l'ENSSIB à ne rien négliger pour se lier à des programmes de recherche. Il faut savoir qu'à l'heure où la France vient d'ouvrir l'INIST, construit la Bibliothèque de France et conçoit un ambitieux catalogue collectif national, elle ne tient pas, dans ce secteur, au niveau international, la place qui devrait être la sienne.

    Un autre sujet d'inquiétude, qui a été ressassé par le président Miquel porte sur l'insuffisance quantitative des formations élémentaires. Trop de personnels des bibliothèques - sans doute la moitié - n'ont aucune formation initiale, contrairement à ce qui se passe en Grande-Bretagne ou en Allemagne. Ceci n'est pas un sujet mineur. Il faut peut être y voir une des raisons des performances bien supérieures aux nôtres qu'enregistrent les bibliothèques britanniques et allemandes, lorsque l'on sait que, dans une bibliothèque, dont on connaît la perpétuelle pénurie d'effectifs, les agents de toute catégorie ont des responsabilités directes vis-à-vis du public, des collections et de la bonne marche des services. Le diplôme de l'A.B.F. peut jouer à ce niveau un rôle essentiel et exemplaire.

    Si j'insiste sur ces questions de formation, c'est qu'elles touchent de près celles qu'aborde ce congrès : comment les bibliothèques pourraient-elles répondre à l'énorme demande d'éducation qui leur est faite si le personnel n'a pas reçu, à tous les niveaux, sa propre formation, et une formation en partie commune avec celle des enseignants et des chercheurs ? Les nouveaux modes d'apprentissage des connaissances, qui concernent aujourd'hui toutes les classes d'âge, toutes les catégories sociales, débordent le système éducatif et laisse toute leur place, toute leur chance, aux bibliothèques. Reste à trouver les procédures, car la disproportion joue en notre défaveur et nous sommes mal outillés. La disproportion ? le rapport du Président cite le cas de la cellule "bibliothèque-école" installée à Rennes qui oppose un seul bibliothécaire à 96 établissements scolaires! Quant à l'outillage, nous n'avons pas même un manuel élémentaire, connu de tous, qui permettrait aux débutants de se familiariser avec les bibliothèques, commun aux bibliothécaires, aux enseignants et aux usagers (et notamment les étudiants) qui doivent nécessairement relayer les bibliothécaires dans la bibliothèque même. Cette absence d'outils communs engendre une méconnaissance réciproque entre enseignants et bibliothécaires dont les bibliothécaires, très minoritaires, sont les premières victimes.

    Bibliothèques et éducation : c'est une question de fond. Nous l'avons vu lors de l'élaboration de la Charte, tant à travers les discussions avec la direction des écoles ou celle des lycées et collèges, que dans le long débat que nous avons eu sur la gratuité : l'idée de gratuité étant liée dans les esprits, avec les fonctions pédagogiques des bibliothèques. Je n'anticiperai pas davantage sur vos travaux : les principes doivent être définis, les expériences échangées, mais je crois que les situations sont trop diverses pour donner prise à des recettes. Chaque situation appelle une réponse négociée. Il faut poser les termes et créer les conditions de ces négociations. Les solutions, elles, doivent être décentralisées jusque dans la conscience de chaque bibliothécaire.