Je n'en ignore pas pour autant les activités de votre Association, et j'ai eu l'occasion de recevoir votre présidente à plusieurs reprises au cours de l'année écoulée, dans le souci d'une concertation constante avec les professionnels que vous êtes. Votre congrès m'est l'occasion de présenter bilans et projets de la Direction du Livre, et de répondre aux interrogations que j'ai perçues, je dis bien interrogations, car la concertation entreprise ne devrait pas laisser trop de place à l' inquiétude, à un moment où certes vont se produire des mutations mais qui ont longuement été pensées et préparées entre l'Etat et les partenaires professionnels, au premier rang desquels l'ABF. Bien sûr, ce court message ne saurait répondre à toutes vos questions, mais je fais confiance à Xavier Roy, directeur-adjoint, et à Bertrand Calenge, chef du département des bibliothèques, pour apporter toutes les précisions que vous jugeriez nécessaires.
Vous n'ignorez pas (j'en ai tenu informé l'ABF dans les moindres détails, y compris dans ses instances régionales) que j'ai entrepris une réforme conjointe de la Direction du Livre et du Centre National des Lettres. Cette réforme a pour objet une clarification des fonctions et des responsabilités respectives d'une DLL renforcée dans ses missions régaliennes, et d'un futur Centre National du Livre associant l'ensemble des professionnels pour la défense de la création, de l'édition, de la diffusion, de la distribution, et bien sûr de l'action culturelle de promotion du livre. Vous, professionnels des bibliothèques, êtes et serez présents dans la DLL comme au CNL, comme gestionnaires des services de lecture, et comme médiateurs du livre et de la création littéraire. Vous serez présents avec une cohérence renforcée, dans laquelle l'aide aux acquisitions des bibliothèques n'est pas le moindre de mes soucis ; j'affirme ici ma volonté de maintenir l'existence de ces crédits d'aide, qui s'élèvent en 1992 à 49 millions de francs ; j'affirme également ma double priorité dans ce domaine : aider à la rationalisation de la carte documentaire de la France, rapprocher les instances de décision, des bibliothèques qui agissent sur le terrain ; deux voies me sont offertes : évaluer et négocier avec des partenaires, dont la DPDU et la Bibliothèque de France, au niveau national ; déconcentrer les crédits concernés ou leur gestion avec le soutien des conseillers au livre et à la lecture dans les DRAC, dans des commissions régionales élargies. Ces deux voies sont étudiées, et seront approfondies, avec la commission bibliothèques du CNL, dans laquelle vous êtes et resterez largement représentés.
Cette double réforme de la DLL et du CNL amène une réflexion renouvelée sur les missions régaliennes de la Direction du Livre. Deux axes forts sous-tendent mon action : rénover les relations dites "de tutelle" avec les grands établissements nationaux, promouvoir et développer le réseau des bibliothèques territoriales.
Sur le premier point, la Direction du Livre doit orienter et accompagner la difficile mutation de la Bibliothèque Nationale en une future Bibliothèque de France et une Bibliothèque Nationale des Arts en préfiguration. Difficile mutation, car c'est la première fois depuis près de cinq siècles que la Bibliothèque Royale, puis Nationale, est l'objet d'un enjeu aussi ambitieux pour les générations à venir et la place de la France dans l'Europe et le monde. Mais la Direction du Livre a également entrepris d'étudier avec la Bibliothèque Publique d'Information les projets qui peuvent faire de la BPI la tête d'un réseau de services à l'intention des bibliothèques publiques.
Le grand mot est lâché. Toutes les préoccupations de la DLL, tous les efforts entrepris, mettent ce réseau des bibliothèques en première ligne. Il serait presque fastidieux d'énumérer l'intégralité des actions menées et des chantiers en cours. Je n'en rappellerai que cinq :
*Une loi réformant le concours particulier "bibliothèques" de la Dotation Générale de Décentralisation est en cours de discussion au Parlement. Doté de crédits accrus, ce concours particulier permettra de mieux répondre aux quatre exigences actuelles du paysage des bibliothèques : confirmer le rôle des départements et des BCP dans le maillage de la lecture publique en milieu rural ; doter les villes importantes de bibliothèques municipales à vocation régionale, capables de structurer le territoire en matière documentaire ; encourager la mise en place d'équipements de proximité, indispensables pour une démocratisation de la lecture et de l'information ; soutenir enfin les mises en réseau des différents établissements.
*Parallèlement à cette loi, la Direction du Livre a entrepris un plan d'évaluation des bibliothèques publiques. Certains d'entre vous ont participé à son élaboration ; déjà, des enquêtes et questionnaires vous ont été adressés. Les premiers bilans seront fournis avant la fin de cette année, en attendant la parution d'un atlas de la lecture que j'espère proche.
*La politique en faveur du patrimoine écrit, largement soutenu par l'Etat comme chacun le sait, va connaître un point d'orgue d'ici octobre, avec le soutien à dix expositions prestigieuses dans des bibliothèques municipales. Point d'orgue qui montrera aussi le succès des Fonds Régionaux d'Acquisition pour les Bibliothèques, et encouragera la mise en place dans les DRAC de conseillers pour le patrimoine et les collections. En 1992 d'ailleurs, un tel nouveau conseiller prendra ses fonctions en Bretagne, après les régions PACA et Languedoc-Roussillon.
*Poursuivons notre évocation du réseau : l'ouverture en janvier 1992 du Serveur bibliographique national, constitué avec la Bibliothèque Nationale et avec le concours de la Société Questel, représente la mise en service d'un outil spécialement conçu pour les bibliothèques. J'espère que la mise en place du Catalogue Collectif de France, où nos partenaires sont la DPDU, la Recherche et la BDF, aboutira rapidement à un tel instrument au service du réseau : déjà commence la rétroconversion des fonds de 7 bibliothèques municipales, co-pilotée par la DLL et la BDF, et 68 millions de francs sont inscrits à ce titre en 1992.
*Enfin, la réforme du dépôt légal, débattue à la session de printemps du Parlement, n'intervient pas uniquement sur le fonctionnement de la Bibliothèque Nationale. Un groupe de travail, mis en place par la Direction du Livre, a conclu à la nécessité de profiter de cette réforme pour aider à la constitution de collections d'intérêt régional, au coeur même des régions.
Vous le voyez, les chantiers ne sont pas minces. Je pense que nul ne peut douter qu'ils constituent les axes ambitieux d'une politique forte de développement et de modernisation de la lecture publique. J'ai voulu que ces projets ne soient pas le fait de la seule administration centrale, et nombre de vos collègues ont été sollicités pour apporter le précieux concours de leur compétence. Je voudrais les en remercier aujourd'hui, comme je remercie à l'avance tous ceux que, bientôt, je solliciterai encore. J'ai voulu également que la plus grande transparence et la plus grande concertation règnent sur ces dossiers. J'ai signalé les contacts constants avec les associations professionnelles ; je rappelle l'édition d'un supplément "Biblio" à la revue Lettres ; j'adresse aussi mes félicitations et mes remerciements au Conseil Supérieur des Bibliothèques, qui a toujours accepté d'évaluer avec autorité et compétence les dossiers que je lui ai soumis.
Mais mon souci de concertation ne touche pas que les bibliothèques publiques. L'émergence d'un grand Ministère de l'éducation et de la culture m'a permis de renforcer des liens déjà anciens avec les secteurs relevant de l'éducation. Les contacts dont désormais constants et la négociation permanente, dans le respect des objectifs et des priorités de chacun. Daniel Renoult est là pour témoigner de notre étroite entente concernant les dossiers de formation, et notamment sur les centres régionaux de formation. Ceux-ci ont un rôle essentiel : assurer la formation continue des agents de catégorie B, bien sûr, mais aussi assurer la préparation aux différents concours, internes et externes, mis en place avec les nouveaux statuts des personnels de bibliothèque. Cette mission essentielle, je l'ai affirmée aux instances dirigeantes de toutes les associations professionnelles, je l'ai fait confirmer auprès des différents CRF que la Direction du Livre a voulu rencontrer depuis plusieurs mois. La formation va encore au-delà : qu'il s'agisse de l'ENSSIB, des concours et homologations, du nouveau centre de formation que la DLL ouvre dès l'automne à Villeurbanne, nous avons voulu être présents, activement : l'avenir de la lecture publique passe par les métiers, et donc par les hommes et les femmes qui veulent acquérir une compétence au service de leurs concitoyens. Dans ce domaine, la Direction du Livre a toute légitimité pour orienter des contenus de formation qui fonderont les bibliothèques publiques de demain, dans un partenariat avec le CNFPT que nous sollicitons et espérons, et en liaison étroite avec la DPDU. Je reste très sensible à voir conservée l'unité d'un métier, qui passe par des diplômes communs et des contenus de formation comparables.
Revenons encore sur ce rapprochement entre l'éducation et la culture, heureusement motivé par notre nouveau ministère. Il est l'occasion d'approfondir des dossiers largement démarrés depuis plusieurs mois ; je n'insisterai pas davantage sur la formation ou sur le Catalogue collectif de France, mais je soulignerai un enjeu formidable pour cette fin de siècle, et sans doute au-delà ; deux facteurs ont totalement cassé le risque d'une routine dans tous nos projets : d'une part le Président de la République a voulu que la Bibliothèque de France irrigue profondément l'ensemble du territoire ; en est née, outre le CCF, l'idée de pôles associés : cette nouvelle approche rencontre aussi bien la carte documentaire défendue par la DPDU avec les CADIST que l'aménagement du territoire que je défends avec les bibliothèques municipales à vocation régionale et les bibliothèques centrales de prêt. La concertation est donc devenue la règle pour que ces projets différents se rencontrent dans les politiques d'aide qui pourront être apportées par l'Etat, auprès de l'ensemble des bibliothèques. Par ailleurs l'ambitieux programme de construction des universités au travers d'antennes universitaires dans des villes moyennes, de 20 000 à 100 000 habitants, renouvelle la réflexion quant au devenir des services de lecture et de documentation dans ces villes : étant donnée l'implication budgétaire des collectivités territoriales, il n'est pas, il n'est plus possible de raisonner comme si bibliothèques universitaires et bibliothèques de lecture publique fonctionnaient sur des planètes différentes. Aux bibliothèques publiques le soin de prendre l'initiative d'une concertation avec l'université, d'une meilleure ouverture au public étudiant, dans le respect du service apporté à l'ensemble de la population. La bibliothèque publique est la bibliothèque de tous ; n'acceptons pas l'abandon des besoins - immenses - de l'ensemble des publics, surtout défavorisés ; n'acceptons pas davantage l'enfermement de ces nouveaux étudiants dans une formation et une culture coupées de la ville. Les propos que vient de tenir M. Melot y invitent. La Direction du Livre peut, elle aussi, avoir ce souci : qu'elle agisse par les DRAC et les conseillers au livre, qu'elle agisse par des aides aux bibliothèques, la règle d'or est, là encore, de raisonner sur des réseaux d'établissements qui intègrent toutes les pratiques de lecture.
Concertation et réseau sont donc les maîtres mots de l'action de la Direction du Livre. Ces approches peuvent être celles de l'ABF, à laquelle je n'ai refusé aucune concertation, à laquelle je sais que les réseaux d'établissements sont chers. Il ne tient donc qu'à vous que cette politique, pour les mois et les années à venir, soit pleinement la nôtre.