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    La Bibliothèque de France

    Le futur de la conservation

    Par Jean-Paul Oddos, Intervenant Congrès de la Scottish Library Association

    On pourrait croire que le projet de construire une nouvelle Bibliothèque nationale pour la France n'est là que pour illustrer le proverbe : "c'est avec de l'ancien que l'on fait du neuf. C'est de cet ancien que je voudrais partir, de "l'héritage" comme l'on dit parfois, avant de parler du sujet plus précis de ma communication, qui est du côté du neuf, le futur de la conservation. Cet ancien, cet héritage, ce sont avant tout des collections remontant à l'origine de l'imprimerie, des collections exceptionnelles donc, et en même temps, des collections dans un état alarmant. Les raisons en sont multiples et chacune renforce l'autre : ce sont des bâtiments vétustes, exigus, souvent poussiéreux, rarement climatisés, toujours équipés de mobiliers hors d'age. C'est le vieillissement propre des collections constituées de matériaux organiques, chimiquement instables, et cette raison est encore plus forte avec les papiers de l'ère industrielle. C'est le manque de personnel de surveillance et d'entretien, l'insuffisance des moyens techniques. C'est le fait de ne conserver les documents qu'en un seul exemplaire et de faire servir cet exemplaire à la fois à la recherche et à la conservation. Ce sont de façon générale les mauvaises conditions de travail offertes aux personnes comme aux usagers ; et c'est aussi la trop lacunaire connaissance des ressources de la Bibliothèque nationale - comme des autres bibliothèques françaises - qui provoque une concentration de la demande sur les parties les plus "balisées" des collections.

    Toutes les raisons ont été présentes dans la décision de construire une nouvelle Bibliothèque, mais toutes n'ont pas pesé le même poids.

    Le manque de place, la vétusté du bâtiment, l'incapacité de répondre aux besoins d'un public toujours plus large et plus exigeant ont été déterminants. Mais on ne peut pas dire que l'état très préoccupant des collections ait été particulièrement ressenti au départ.On ne peut pas dire non plus que l'établissement de conditions idéales de conservation ait vraiment présidé au choix du projet architectural.

    Plus exactement, la situation des collections n'est devenu un axe majeur de réflexion que lorsque la décision politique a été prise de transférer toutes les collections imprimées de la Bibliothèque nationale. La Bibliothèque de France n'était plus seulement la Bibliothèque du XXIe siècle, la Bibliothèque du neuf, elle était aussi celle du XVe au XXe siècle celle de l'ancien. Le programme changeait, il fallait accueillir dix millions de volumes en mauvaise santé, et faire cependant que la bibliothèque existe : qu'elle ne soit pas seulement un bâtiment magnifique, avec de grandes salles de lecture, des services, un catalogue performant, etc.... mais que la collection de base soit présente et réponde à l'attente, aux espérances des chercheurs. Il devenait ainsi urgent d'affirmer des exigences aussi ambitieuses pour la conservation des collections que pour le reste du projet. Oui, la Bibliothèque nationale d'un pays comme le nôtre doit ouvrir ses portes très largement, disposer d'un catalogue informatisé, d'assistance bibliographique, de services de reproduction, de postes de lecture assistés par ordinateur, de documents sonores et visuels, de commodités permettant que la recherche ne soit plus un parcours du combattant.

    Oui, cette dynamique est une excellente chose pour cette bibliothèque et pour les autres bibliothèques, parce que la collectivité et le politique reconnaissent l'importance de la documentation écrite dans le système éducatif et culturel du pays. Simplement, tout simplement , il faut rappeler au politique comme à la collectivité qu'une Bibliothèque nationale est une collection de documents avant d'être un bâtiment ; que cette collection est fragile et que pour réussir les objectifs d'une grande, très grande Bibliothèque, il faut se donner les moyens de préserver, maintenir, restaurer cette collection.

    Qu'est-ce que cela signifie ?

    Les collections de la Bibliothèque nationale, ce sont environ dix millions de documents, des livres de toutes époques, toutes formes, toutes conditions, des journaux, des revues, des affiches, des feuilles volantes, des disques, des images, des films négatifs, des bandes magnétiques.... pratiquement dix millions d'individus ! Il n'y a pas de grands ou de petits documents : pour le chercheur, pour l'histoire, le plus petit d'aujourd'hui deviendra le plus grand demain. Il faut donc veiller à tous et à chacun ; penser à la plus petite unité et à la masse totale. Penser à très grande échelle, et en même temps apporter une solution aux problèmes les plus pointus.

    Ainsi il faut trouver une solution pour préserver 2 millions de documents dont le papier fragile s'autodétruit, une autre pour renforcer les 400 000 documents entrant chaque année à la bibliothèque : voilà des problèmes de masse. Et en même temps trouver des solutions pour nettoyer, réparer, ou restaurer chaque document qui le nécessite, en fonction de critères propres à ce document ; voilà des réponses à donner au cas par cas.

    Voilà résumée l'immensité du problème. Peut-on le résoudre Je vais être prudent : je ne suis pas sûr que nous soyons capables de le résoudre, mais nous allons au moins essayer de le faire. En ayant d'abord cette vision exacte de l'ampleur et de la complexité du problème, nous essayerons d'apporter des réponses adaptées à cette échelle et à cette complexité. Mais pour diverses qu'elles soient, toutes ces réponses doivent coexister dans un ensemble cohérent. Pourquoi ? Pour des raisons évidentes de rationalité et de coût. Il ne s'agit pas ici de sacrifier à un air à la mode, il s'agit de répondre à l'objet général, traiter la totalité des collections Si nous ne sommes pas capables de faire jouer les effets de masse, d'échelle, si nous restons dans la logique d'une addition de traitements individualisés, nous ne pouvons atteindre un seuil de rentabilité, et naturellement le coût de la conservation devient tel que seule une petite partie des collections est traitée. La partie restante continue à se dégrader et devient de plus en plus chère à entretenir et à restaurer. Nous dépensons finalement beaucoup d'argent, mais sans résultats. Et il est très difficile de convaincre un homme politique de dépenser beaucoup sans résultats ! Il est même difficile de se convaincre soi-même.....

    La logique à laquelle nous somme amenés, parce que les problèmes sont immenses et qu'il faut pourtant les résoudre, c'est à une logique économique. Dans tous les sens de ce terme, aussi bien dans le sens où, par une bonne organisation on parvient à bien gérer ses affaires, que dans le sens où l'on évite toute dépense inutile.

    En cela les recherches en matière de conservation menées par une grande bibliothèque peuvent intéresser l'ensemble de la profession. S'il s'agissait de mettre au point des techniques très sophistiquées et très coûteuses, seules de très rares bibliothèques seraient intéressées. Mais si ces recherches s'orientent vers des méthodes efficaces et peu onéreuses, petites et grandes bibliothèques seront intéressées. Et c'est même parce que des bibliothèques de moindre taille, ayant des moindres budgets seront intéressées par telle ou telle technique de conservation, que ces techniques auront des chances de passer du "prototype" au standard.

    Ces idées générales, je voudrais maintenant les illustrer par quelques exemples. Mais avant, il me faut rappeler que les recherches que nous menons aujourd'hui se situent dans un cadre général, un dispositif d'ensemble, conçu et bâti comme un système complet et cohérent. S'il y a nouveauté pour la conservation, c'est bien cela la première et la plus importante. Qu'on ne m'en veuille pas de le présenter de façon sommaire, presque cavalière. J'en dirai seulement ceci : le système conservation conçu pour la Bibliothèque de France est une architecture à quatre étages. Nous allons faire un tour rapide de ces étages, puis nous verrons de quels moyens techniques, humains, informatiques ce système aura besoin pour fonctionner. Enfin, j'en viendrai à quelques cas concrets de recherche.

    Le "Système conservation"

    a) L'étage de base sur lequel l'édifice repose c'est celui de la préservation. C'est l'étage minimum, le fondement ; il a deux piliers : d'une part des conditions optimales de température, d'hygrométrie, de lumière, de protection contre la pollution, contre les risques d'incendie ou d'inondation. Un architecte peut se préoccuper de la beauté du bâtiment qu'il signe, car il y attache son nom pour la postérité. Notre préoccupation à nous est que le bâtiment soit sûr, sain, propre, tempéré... C'est la plus grande économie que nous réaliserons pour le futur !

    Deuxième pilier, le traitement de tous les documents entrant à la bibliothèque. A moins d'avoir reçu un façonnage d'origine de haute qualité, tous les documents devront recevoir un renforcement, une reliure, un étui, une protection adaptée - Prolonger la vie de l'ouvrage - parce qu'un document de bibliothèque coûte beaucoup plus cher qu'un autre, presque le double. Voilà une autre source d'économie.

    b) Le deuxième étage, dont la présence doit être si naturelle, si évidente qu'on oublie parfois d'y penser, c'est celui de la maintenance de tous les documents ; c'est-à-dire la surveillance, l'entretien, les réparations, le reconditionnement,... de l'ensemble de la collection à un rythme donné. Pour la Bibliothèque de France nous avons choisi celui de dix ans. C'est beaucoup si l'on compare cela à la situation actuelle où une telle maintenance n'existe pas, mais c'est encore modeste si l'utilisation des collections devait se développer. Ces opérations de routine, dépoussiérer un livre, refaire un étui, nourrir les cuirs anciens, doivent prévenir ou arrêter les dégradations. Pourtant sur un million de volumes par an, ces opérations sont importantes et doivent être traitées à l'échelle "industrielle" ; mais à cette échelle, la sauvegarde d'un document est tellement plus économique qu'à l'échelle artisanale de la restauration !

    c) L'étage suivant, complémentaire des deux autres, est celui des transferts sur de nouveaux supports. Il ne s'agit pas de remplacer les originaux mais de permettre un usage plus libre, plus rapide, plus large aussi des documents. Un exemplaire ancien, unique, usé, peut à nouveau être consulté sans restriction, par plusieurs personnes et même en plusieurs lieux. Un enregistrement sur un rouleau de cire, transféré sur une cassette numérique, peut être écouté sans risque, autant de fois qu'on le souhaite. Mais ces opérations indispensables lorsqu'on souhaite "ouvrir" les collections, les communiquer mieux, plus vite et y compris à distance sont plus coûteuses et n'excluent pas le maintien de l'original, sa protection ou sa restauration. Il faut donc choisir avec soin ce qui doit être reproduit et le faire en collaboration avec d'autres. Il faut aussi reproduire à la source, pendant qu'ils sont "neufs", les documents les plus fragiles, les plus volatiles ou les plus usuels, pour n'avoir pas à le faire quand ils seront usés ou difficiles à reconstituer : question encore d'économie.

    d) L'étage supérieur, que l'on visite trop souvent parce que les autres sont déserts, est celui de la restauration. Mais ce terme recouvre désormais deux sens, ou cache deux réalités : celle de la restauration de masse, qui, de même que la maintenance systématique, s'intéresse à de grands ensembles de documents et présente des techniques les plus industrielles possibles : la désacidification, le renforcement des papiers, et la restauration traditionnelle, réservée aux documents les plus précieux et les plus menacés, au chevet duquel se pencheront (uniquement si le cas est vraiment désespéré....) conservateurs, chercheurs et restaurateurs-spécialistes.

    Voici le dispositif que nous jugeons indispensable ; il est simple, il est de bon sens ; il suppose des moyens, importants sans doute, mais qu'il faut évaluer à l'échelle du projet, et à celle des bénéfices que nous pouvons en attendre.

    a) Ces moyens consistent d'abord en ateliers créés dans le futur bâtiment. Plus de greniers ou de caves aménagés dans des conditions peu confortables et peu rationnelles, mais des ateliers spacieux, d'accès faciles, permettant une bonne organisation du travail, le meilleur confort pour les personnels, et une bonne intégration aux autres tâches bibliothéconomiques.

    Il y a quatre ensembles d'ateliers : ceux des traitements initiaux (reliure, conditionnement, équipement) sur 1 900 m2, au coeur du circuit d'entrée des livres. Les documents acquis, les journaux et revues en particulier, doivent y être traités dans des délais très courts de quelques heures à quelques jours au maximum. Ceux de la maintenance qui occupent, au long d'une des "rues-jar-dins", 2 800 m2 sur deux étages : là, chaque année, près d'un million de volumes seront dépoussiérés, entretenus, reconditionnés, étiquetés, reliés à nouveau... L'ensemble des ateliers de photographie et de photocopie, sur 1 200 m2, pour répondre aux besoins immédiats de reproduction. Enfin, sur un site à 20 Km à l'est de Paris (1) , proche de l'autoroute, les ateliers du Centre technique, véritable installation industrielle de 7 200 m2 pour faire face aux besoins massifs de désacidification, de renforcement, de restauration des papiers, de microfilmage et où seront installés un laboratoire d'assistance scientifique, un centre de documentation, et un centre de formation ouverts à tous les techniciens français ou étrangers.

    b) Les moyens, ce sont aussi, sinon d'abord des personnels en nombre suffisant, et ayant les qualifications nécessaires pour mener à bien ces opérations. D'abord une équipe de pilotage, de haut niveau, alliant bibliothécaires, ingénieurs de production, ingénieurs d'étude, économistes et programmeurs. Puis des responsables des grandes filières d'activité, spécialisés dans l'organisation du travail et des ressources, sensibles à l'innovation technique de leur branche. Et pour encadrer et former des personnels en bonne partie nouveaux, peu expérimentés parfois en certains domaines (pour les tâches de maintenance par exemple) un personnel de maîtrise qui sera la clé de voûte de l'édifice. En effet, dans le future bibliothèque, une personne sur six sera employée à des tâches générales de conservation soit entre trois à quatre cent personnes selon les hypothèses de fonctionnement.

    c) Les moyens encore, pour qu'un dispositif aussi important fonctionne, dans les grandes comme dans les petites choses, ce sont des systèmes informatiques propres à la conservation et aux ateliers.

    C'est un domaine assez nouveau, car de telles expériences dans le monde des bibliothèques sont rares. Par contre, dans le domaine de l'industrie des modèles existent, qui seront largement mis à contribution.

    Quel est le rôle de ces systèmes ? Au niveau général, ils doivent permettre trois choses : d'abord de connaître peu à peu chaque objet physique constituant la bibliothèque, d'avoir sur lui une "fiche de santé" où sont poids, sa taille, son façonnage d'origine, son état, son usage, ses dégradations, .. seront consignés ; ensuite d'aider au choix des traitements de conservation en établissant à partir des fiches de santé à quelle "famille" ou type appartient un document, quelle gamme de traitements intéresse cette "famille", quelles sont les opérations qui composent cette gamme, et vers quels ateliers il faut alors orienter le document. C'est une fonction d'"aide au diagnostic". Le système général devra enfin permettre la programmation du travail, en fonction des besoins exprimés par les responsables des collections, des ressources techniques, humaines disponibles, et des coûts des traitements.

    d) Je viens d'évoquer les coûts de la conservation. Parmi les ressources nécessaires au système, il y a naturellement un budget conséquent : il faut réaliser les ateliers, les équipes, rémunérer les personnels, assurer un fonctionnement régulier. Une première estimation montre que cela représentera entre 10 et 15 % du budget de la future bibliothèque, selon l'ampleur des programmes de rattrapage qui auront pu être menés. 10 à 15 %, cela nous rappelle le poids de ces objets que manipulent les bibliothèques. Mais dans les bibliothèques du futur, ces bibliothèques immatérielles qu'on imagine, toutes d'informations et d'images numérisées, le poids de la technique et son coût seront-ils moindre ?

    Innovation en matière de conservation

    Cette évocation de la bibliothèque du futur nous ramène aux questions d'innovations technologiques dans le domaine de la conservation. La possibilité de mettre en place le dispositif complet de conservation rendait nécessaires des recherches dans la plupart des domaines : passer du stade artisanal au stade industriel dans des activités comme la reliure, l'entretien, le conditionnement, ou le renforcement des papiers exigeait une remise à plat des méthodes et des techniques. Chacune des recherches que nous avons pu mener depuis deux ans, avec l'aide d'experts extérieurs et les conseils de professionnels de nombreux pays d'Europe et des USA, mériterait un exposé détaillé. Je resterai encore au niveau le plus général, pour montrer surtout la diversité des questions que nous avons pu aborder.

    a) Quels types de reliure choisie qui soient adaptés aux nouveaux façonnages des livres ? Quels processus de fabrication rechercher permettant de supprimer les tâches pénibles ou répétitives ou inutilement répétées, comme les saisies d'information par les bibliothécaires puis par les relieurs ? Comment optimiser les produits utilisés, papiers, cartons, adhésifs, matériaux de synthèse afin qu'un produit final réponde aux exigences sans pour autant être très dur ? Les réponses passent par une bonne analyse de la fabrication actuelle du livre (et des différents types produits), par des tests sur chaque technique et chaque matériau employé (quel est le meilleur choix dans chaque cas ? ), par l'introduction de machines nouvelles automatisant une partie de la production (reliure des corps d'ouvrage, fabrication des couvertures, titrage, plastification...), mais surtout par une grande intégration des tâches depuis de la bibliothèque jusqu'à l'atelier, grâce à des systèmes de gestion permettant une bonne organisation des tâches, une réduction des délais et donc des coûts. Parallèlement à cette étude dont les résultats seront complets en juin 1992, nous développons un tel système de gestion, à titre expérimental. Il devrait fonctionner au début de l'année 1993.

    b) Autre domaine, le conditionnement c'est-à-dire la fabrication de boites et d'étuis sur mesure. Entièrement manuelle, cette fabrication est coûteuse et ne concerne que des documents précieux. L'idée de départ fût d'automatiser cette fabrication : une chaîne a été conçue qui comprend un appareil de prise automatique des cotes (hauteur, largeur, épaisseur et poids), un micro-ordinateur qui analyse les données et propose un type d'emboîtage, une table de découpe automatique, pilotée par le micro-ordinateur, où la forme est découpée puis marquée. Chaque boite est ainsi personnalisée. Il est possible de réaliser la prise de cotes dans la bibliothèque, par centaines d'ouvrages, et de fabriquer les boites dans un atelier extérieur. Produites par dizaine de milliers, ces boites individuelles devraient coûter de 15 à 20 F l'unité.

    Les premières boites ont été produites à fin de test, ce mois ci pour la Bibliothèque nationale.

    c) Exemple encore d'une recherche appliquée à une activité très ordinaire et pourtant très délicate : le dépoussiérage. Couramment cette opération n'aboutit qu'à déplacer la poussière d'un livre à l'autre et à disséminer généreusement bactéries et spores de champignons, sans parler des reliures ou papiers fragiles rudement aspirés. Pour éviter ces inconvénients et réaliser un dépoussiérage très efficace, nous sommes en train de faire construire un prototype de poste mobile : sur une table environnée d'une barrière d'air dynamique, l'opérateur disposera d'un matériel d'aspiration et de nettoyage digne d'un chirurgien dentiste !

    d) L'exemple suivant illustre un autre type de recherche : il s'agit d'aide au diagnostic pour la restauration, et le modèle pourrait en effet venir du domaine médical. Placés devant un document malade, bibliothécaire et restaurateur doivent établir un diagnostic, c'est-à-dire remonter des symptômes à la cause des dégradations et élaborer une thérapie, je veux dire un projet de restauration. Pour procéder de façon très logique et choisir un traitement lourd de conséquence, ils doivent faire appel à une mémoire de la restauration, c'est-à-dire à l'expérience de travaux antérieurs. Souvent cette démarche est intuitive, souvent cette mémoire disparaît avec le départ d'un restaurateur. Le système informatique sur lequel nous travaillons doit être un outil guidant la démarche, aidant à l'analyse, renvoyant à des cas semblables déjà traités, sans pour autant, bien sûr, se substituer au choix des techniciens.

    e) Je prendrai un dernier exemple de recherche, menée dans le domaine le plus préoccupant, et qui mobilise la réflexion des bibliothécaires dans de nombreux pays : il s'agit de la dégradation rapide des papiers fabriqués à partir de pâte de bois mécanique, entre 1850 et 1950. Nous savons tous qu'à défaut d'agir vite, des millions de livres et de journaux partiront en poussière et que notre mémoire historique sera en partie détruite. Ce sujet concerne tout le monde, grandes et petites bibliothèques, mais c'est la mission des grandes bibliothèques d'entreprendre des recherches. La British Library, la Library of Congress, la Deutsche Bibliotek, la Bibliothèque nationale ont mené des études, tenté des expériences sans résultat définitif. Aucun procédé n'apparaissant satisfaisant, la Bibliothèque de France s'est lancée dans une démarche originale en s'associant avec deux partenaires industriels, l'un étant une filiale française d'un grand chimiste allemand Hoechtz, l'autre une filiale en ingénierie du Commissariat à l'Energie Atomique. Procédé et produit actuellement testés sont confidentiels. Ce que je peux en dire, c'est que ce procédé, sans danger pour l'environnement, doit permettre à la fois de désacidifier et de renforcer les papiers acides et fragiles. De plus, mis en oeuvre à l'échelle industrielle, il devrait être peu couteux. Traiter ainsi un livre devrait être dix fois moins cher que de le microfilmer.

    J'aurais aimé donner encore quelques exemples de recherches, mais il est temps de conclure.

    De ce propos trop long, j'aimerais d'abord que vous reteniez que le projet de la Bibliothèque de France ne se résume pas à la construction d'un bâtiment et aux polémiques qu'il suscite, mais qu'il est au coeur d'une dynamique de réflexion, de remise en cause, de recherche. La conservation n'est qu'un exemple parmi d'autres de ce mouvement vers l'avant.

    La seconde chose à retenir, il me semble, c'est que la conservation est avant tout un domaine carrefour ; c'est en effet là où se croisent la connaissance approfondie des techniques du passé et celle des techniques du futur. La conservation ne peut vivre que par la recherche et l'innovation permanente. En ce sens, je crois qu'elle est représentative d'un projet comme le nôtre, mais aussi de l'activité des bibliothèques.

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