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    La saisie du fichier en quatre-vingt jours

    Et autres voyages extraordinaires de la documentation du Musée national d'art moderne

    Par Catherine Schmitt

    1 - Dans lequel la documentation du MNAM et la société GEAC s'acceptent réciproquement, l'une comme client, l'autre comme fournisseur

    En l'année 1989, rien, aux yeux des habitués, ne semblait destiner la Documentation du Musée national d'art moderne aux aventures dont le récit va suivre.

    Solidement calée, sur le paquebot Centre Pompidou, entre la Bibliothèque Publique d'Information, dont elle est séparée par une rangée de ces rayonnages que l'on dit « compacts », et les bureaux, avantageusement décrits comme paysagers », de la Conservation du Musée, forte d'une collection patrimoniale exceptionnelle et d'une réputation incontestée, elle consacrait l'essentiel de son énergie à assumer, de front, trois missions assez inconciliables. Engranger un flot grandissant de documents sur l'art moderne, offrir au personnel du Musée un ensemble de services sur mesure, accueillir un public extérieur tout aussi exigeant, telle était la triple gageure quotidienne du service.

    Il fallut que fût décidée l'informatisation de ses collections pour qu'une succession de projets et d'événements vînt, pour un certain temps semble-t-il, compliquer encore son existence.

    Cette décision se traduisit séance tenante par la rédaction d'un cahier des charges. L'équipe tout entière, qui comprend trente personnes, fut mise à contribution, et il ne fallut pas plus de quatre mois pour aboutir en septembre à un assez fastidieux document de 48 pages, vilainement dénommé « CCTP » (1) . Dans le même temps, le service des marchés du Centre Pompidou, appelé à la rescousse, optait pour la procédure d'appel d'offres restreint, rédigeait les autres pièces du dossier, et adressait le 27 juillet 1989 au BOAMP. (2) une annonce qui devait recevoir 38 réponses. (Onze sociétés furent admises à soumissionner, cinq rédigèrent finalement une proposition).

    L'équipe de la Documentation se lança aussitôt sur les routes d'Ile de France, en compagnie de ses collègues de la Documentation du Centre de Création Industrielle et d'un informaticien du Centre Pompidou, à la recherche du système idéal. Le hasard des démonstrations la mena à Massy et Rungis en Essonne, à Sèvres et Puteaux dans les Hauts-de-Seine, à Versailles dans les Yvelines, dans les buildings de la Défense, au coeur du quartier chinois de Paris, au sommet de la Tour Montparnasse, dans bien d'autres endroits, lui fit employer tous les moyens de transport urbains : autobus, métropolitain, réseau express régional, chemin de fer, taxis et voitures particulières, et donna à ces séances de travail un parfum d'escapade qui ne fut pas sans agrément.

    Il apparut d'emblée qu'un premier choix, fondamental et commun à toutes les bibliothèques spécialisées, s'imposait entre deux grandes familles de systèmes. Les premiers, de type documentaire, garantissaient finesse d'indexation, richesse des accès, sophistication de la recherche, mais restaient assez éloignés des impératifs de normalisation et d'échange alors envisagés. Les seconds, qualifiés de systèmes de gestion de bibliothèques, offraient certes une recherche documentaire moins souple, mais proposaient d'autres fonctions liées aux acquisitions et au prêt et répondaient aux formats dits standards. Parmi les premiers, se trouvaient les systèmes Basis de I.D.-France, Apollon de Sesin. Les seconds comprenaient notamment Advance de Geac, Médiabop de ISL., Tobias de Datapoint. Peu rompue aux méthodes de l'analyse comparative, la Documentation dut se forger chemin faisant ses propres outils et critères d'évaluation. Tout en élaborant de très savants tableaux de comparaison, elle fut sensible à l'aspect humain de ces consultations : la pertinence des démonstrations variant avec les facultés d'écoute de ses interlocuteurs, elle apprécia surtout le dialogue avec l'équipe commerciale de Tobias.

    Enfin, au terme de ces explorations, le 8 décembre, le « comité de pilotage de l'appel d'offres » annonça qu'il faisait sien le choix de Geac Advance.

    II. - Où diverses commissions se montrent propices aux desseins de la documentation

    Il s'ensuivit alors un cheminement administratif, semblable à une course d'obstacles, tant les embarras furent nombreux qui contrarièrent l'impatience de la Documentation.

    La rédaction du marché fut un véritable casse-tête, car la Documentation voulait s'abriter de tous les périls qui menacent le client une fois livré aux mains de son fournisseur. Le document fit plusieurs aller-retour entre le 13e arrondissement et le Centre Pompidou. La société Geac eut beau protester contre ces ergoteries, la Documentation n'en essaya pas moins, avec obstination, de tout prévoir. Las ! La suite de l'histoire devait prouver qu'il s'agissait bien d'un pari impossible...

    Le précieux document fut obtenu par combinaison de divers ingrédients, dont les exemples aimablement fournis par quelques collègues de bibliothèques municipales, et les conseils avisés du chef du service informatique de la Bibliothèque Nationale, client éminent et averti (s'il en est) de la société Geac.

    Il fut ensuite question de faire approuver l'affaire par toute une succession d'assemblées dont les décisions s'additionnaient pour aboutir au but ultime : la notification de marché, et l'on s'organisa parfois, faute d'accorder foi aux délais postaux, pour acheminer le dossier d'un point à l'autre dans Paris.

    Grâce à cette méthode, et à quelques plaidoyers bien sentis devant les sus-dites assemblées, la Documentation accomplit un exploit rare : entre le 8 décembre 1990 et le 21 mars 1991, date à laquelle le marché fut notifié (par autobus) à la société Geac, le projet fut ratifié successivement par la Commission des Marchés du Centre Pompidou, le Conseil Ministériel des Systèmes d'Information, la Commission Spécialisée des Marchés Informatiques et le Président du Centre Pompidou....

    III. - Dans lequel la documentation montre une impatience bien légitime

    Dès lors, la Documentation ne cessa guère de harceler son fournisseur, lequel se montra globalement à la hauteur des circonstances.

    L'on entra dans une période décisive qu'il est convenu d'appeler paramétrage. De multiples réunions eurent lieu, afin d'ajuster au mieux les possibilités techniques du système et les besoins spécifiques du service. L'exercice fut difficile. Il permit tout d'abord à l'équipe, qui en fut momentanément consternée, de mesurer l'écart qui peut séparer la réponse formulée par le vendeur de celle fournie... par le système. Il s'avéra à la fois théorique et pratique, et donna l'occasion d'une mise à plat radicale du fonctionnement du service. Tout y fut décortiqué, du circuit des documents aux habitudes de catalogage, et l'on ne manqua pas de relever quelques cocasseries telles que l'imbroglio du système des cotes... Puis, les choses se précipitèrent. On annonça, un mois avant la date prévue, la livraison du matériel ! Les cartons arrivèrent, faisant fi des savants projets de préparation psychologique imaginés par le chef de service, et chaque « catalogueur » se trouva soudain flanqué d'un écran. Ce fut un grand jour ! Ce spectaculaire déferlement eut raison des derniers scepticismes. La mise en route ne tarda pas, la mise en ordre de marche fut signée hic et nunc, et la période d'essai d'un mois fut ramenée à une semaine, tant l'équipe se mit au travail avec ardeur.

    Un seul point ne profita pas de l'élan général : l'abandon des registres d'inventaire. Il ne fallut pas moins de cinq réunions et de quatre mois pour convaincre de la validité des codes-barres, pour démêler les notions jusqu'alors imbriquées de cote et de numéro d'inventaire, pour rassurer les adeptes de la « trace papier et pour clore, avec cérémonie, tampons et paraphes, les fameux registres.

    En juillet 1990, soit quatre mois après la notification du marché, le catalogage informatisé était opérationnel. La suite du processus fut moins spectaculaire : le module d'acquisition tarda tant qu'il fallut un avenant au marché, l'installation du prêt dut attendre que la Documentation ait trouvé, en 1992, une organisation appropriée. Si l'informatisation du catalogage avait surtout modifié méthodes et outils de travail, ces deux nouveaux modules apportèrent un bouleversement beaucoup plus radical. Le système informatique devenait un objet complexe, auquel il eût fallu consacrer un poste plein, et il permit, ou imposa, progressivement une réorganisation fonctionnelle du service.

    IV - Où l'on s'embarque avec Jouve pour une autre aventure : la rétroconversion

    Mais la Documentation ne s'était pas contentée de conduire, tambour battant, l'entreprise décrite ci-dessus. Ayant convaincu ses autorités qu'il n'est d'informatisation réussie que complète, elle s'était lancée simultanément dans une seconde aventure : la conversion rétrospective.

    L'affaire fut, du point de vue administratif, tout aussi rondement menée. L'avis de consultation parut au le 21 décembre 1989 et reçut 17 réponses. Le 19 mars 1990, quatre sociétés furent conviées à soumissionner, sur la base d'un pré-cahier des charges et d'un échantillon de 250 fiches établis par la Documentation. L'étude des propositions dura deux mois et l'on en arriva vite à distinguer l'offre de prestataires de saisie « classique » tels que les sociétés Isem ou Cegitex, de celles des compagnies Jouve ou AIC (3) , dont l'expérience dans le domaine des bibliothèques offrait de meilleures garanties. Il ne suffisait pas, en effet, de chiffrer la saisie d'une fiche en fonction d'un nombre moyen de caractères, il fallait encore prendre en compte tout un ensemble de prestations complémentaires liées à la transposition des notices en format Unimarc, aux contrôles de vraisemblance et de conformité, au transfert des données sur un système de gestion de bibliothèque. L'opération fut finalement confiée à la société Jouve.

    Avec l'aide, combien précieuse, de la Bibliothèque Nationale, de l'Etablissement Public de la Bibliothèque de France, de l'Inist et de la Bibliothèque Publique d'Information, la Documentation apprit à décoder devis et marchés, et surtout... à compter.

    V - Dans lequel on s'initie à l'art de l'échantillonnage

    Le comptage ! C'est là l'une des grandes nouveautés introduites par ce genre d'entreprise dans le monde des bibliothèques. Car si les bibliothécaires ne font pas mystère de leur attachement aux aspects qualitatifs de leur travail, ils sont moins diserts en matière de chiffres. Combien coûte une notice, combien prend-elle de temps, quelle logique économique gouverne catalogage et saisie ?

    La rumeur concède bien quelques estimations troublantes, mais les bibliothécaires se trouvent fort démunis pour préparer une conversion rétrospective.

    Il fallut donc compter, et la société Jouve s'avéra dans ce domaine de bon conseil. La première opération fut d'extraire du fichier un échantillon qui permit d'estimer les difficultés et les coûts. Exercice délicat, où l'on se noya vite, à vouloir isoler les cas les plus alambiqués et qui valut à la Documentation d'être alors initiée à une nouvelle science : l'échantillonnage aléatoire. Au moyen de réglettes en papier, quatre personnes purent ainsi, en quatre heures, photocopier et reclasser 250 fiches, qui furent ensuite soumises à toutes les statistiques imaginables. Les tests de recouvrement entre le fonds de la Documentation et les grands « réservoirs de notices : 12% sur BN/Opale, 14% sur OCLC, 20% sur RLIN., ôtèrent bientôt toute justification économique à une récupération.

    Si les bibliothécaires furent aisément convaincus de la nécessité de confier la saisie du fichier à un prestataire extérieur, certains avaient le sang glacé à l'idée d'une reprise en l'état. Quoi ? on allait reproduire sur le nouvel outil informatique toutes les erreurs, fautes de frappe, incohérences du catalogue existant ?

    Nouveau comptage : soit un fichier de 60 000 catalogues d'exposition, si l'on estime à 2 minutes le temps nécessaire pour relire et annoter chaque fiche (ce qui exclut le recours au document lui-même), que représente la relecture du fichier ? Une personne à plein temps pendant quinze mois. On ne parla donc plus de préparer le fichier avant saisie.

    Il en alla de même avec le contrôle du travail de saisie. On craignit fort de voir les bibliothécaires céder à la tentation de corriger la saisie, au risque de compromettre irrévocablement l'affaire. Mais le premier tiroir, appelé tiroir-test, eut raison des velléités de relecture intégrale, et l'on adopta la seule méthode qui fût raisonnable : le contrôle de qualité par sondage, au moyen d'échantillons fournis sur papier et établis de façon aléatoire.

    Il est possible que de telles approximations produisent une véritable émotion parmi les membres de notre honorable profession. On sait l'intérêt que portent les bibliothèques, patrimoniales ou spécialisées, au travail précis et bien fait. Aussi s'attache-ra-t-on à montrer que le mal fut en grande partie réparé, et plus efficacement, après la saisie.

    VI Dans lequel les fichiers révèlent enfin leur vrai nature

    Comptages et échantillonnages furent l'occasion d'un passionnant travail d'analyse du catalogue existant. On dénombra quatre générations de fiches (par bonheur toutes dactylographiées), on établit nombre de moyennes instructives : 300 caractères par notice, 68 % de documents en langues étrangères, etc.

    On découvrit enfin le véritable intérêt de ces contraintes abstraites que sont les rappels de vedettes au bas des fiches, sans lesquels l'essentiel des accès auteurs et sujets eût été perdu. On en perdit bien quelques centaines, mais le catalogage avait été dans l'ensemble orthodoxe. Le fichier des catalogues d'exposition s'avéra d'assez bonne tenue : on lui avait toujours accordé un soin particulier, et l'omission fréquente des fiches secondaires permit en fin de compte de limiter les doublons. Le constat fut hélas plus douloureux avec les livres. Des pratiques oubliées furent mises au jour, qui, sans être répréhensibles, n'en apportèrent pas moins quelques complications, et consistaient, en période de découragement, à faire économie de fiches (anonymes, collectifs, libre-accès), ou, tradition propre aux bibliothèques d'art, à transformer des titres en vedettes sujets.

    La tâche la plus ardue fut la transposition des fiches en Unimarc. Il n'est zone de l'inégalable format qui ne fut étudiée dans ses moindres détails, et il convient de souligner ici l'importance essentielle du cahier des spécifications techniques. Celui-ci fut au fil des semaines travaillé, amendé, perfectionné, par l'échange incessant, en télécopie, de mystérieux messages codés : « veuillez ne pas oublier le$4 en 702 et 712; attention, le 102$a est en majuscules, etc ».

    On s'en remit ensuite aux outils informatiques de Jouve qui, par divers programmes, se mirent à générer les codes de langue et de pays, certaines données d'exemplaires, le dédoublonnage des numéros d'inventaire et toutes sortes de contrôles informatiques. On confia aux clavistes la mission de restituer, grâce au titre et à la cote, certains sujets-noms d'artistes. Enfin, on reçut plusieurs listes : notices sans sujets ou sans exemplaires, numéros d'inventaire absents, etc, qui devaient servir aux corrections en masse après chargement.

    VII - Où il sera fait le récit de la conversion et de difficultés diverses

    La saisie débuta le 1er octobre 1990. Ce matin-là, le tiroir-test fut remis à un individu souriant, dont la tenue casquée et bottée ne laissait aucun doute quant au moyen de locomotion utilisé. Il fallut extraire les 1 200 fiches du tiroir, les organiser en petits paquets, et les imaginer voyageant sur l'un de ces périlleux cyclomoteurs italiens... Grande fut la frayeur du chef de service à la nouvelle de cette funeste transaction. Les fiches arrivèrent à bon port, mais revinrent dans le plus grand désordre, et l'on veilla par la suite à ne jamais séparer les tiroirs de leur précieux contenu.

    La mise au point des spécifications prit environ un mois. Cela fait, il fut convenu d'un rythme de cinq tiroirs par semaine et un curieux ballet de bacs à fiches et de listings s'ensuivit. Les lecteurs s'accommodèrent de bonne grâce des quelques béances apparaissant au fichier et des explications fournies. Les bibliothécaires consacrèrent plusieurs heures par semaine à la lecture des échantillons, et affinèrent au fur et à mesure les règles de saisie. Les 60 000 catalogues d'exposition, coeur de la collection, furent ainsi saisis en 12 semaines, soit un peu plus de 80 jours...

    La suite de l'entreprise rencontra diverses difficultés. Il fallut bien trois mois d'allées et venues, d'essais précautionneux pour parfaire le produit final, ces fameuses cartouches ISO 2709. Dans le même temps, la seconde tranche de saisie soulevait un problème inédit (comment isoler les 20 000 livres au sein du fichier général auteurs-titres) qui fut résolu par une opération commando >,. Les 30 agents du service furent réunis le 23 avril et reçurent la mission de trier chacun deux tiroirs. La manoeuvre dura une journée, mais s'acheva fort tard, faute d'avoir prévu qu'un tel brassage de fiches de tous formats rendrait le renfilage des tringles quasi impraticable... La méthode généra également un certain taux d'erreur, qui valut à quelques centaines de fiches de livres de finir leurs jours parmi les dépouillements de périodiques...

    La malchance voulut aussi que cette seconde tranche coïncidât chez Jouve avec l'appel d'offres pour la conversion du catalogue de la Bibliothèque Nationale. Les cadences de saisie s'en ressentirent, et cahin-caha, la conversion s'acheva en juillet 1991.

    Restait le chargement. La société Geac qui avait jusque là suivi l'affaire avec sérénité exprima soudain de vives craintes quant à la capacité d'ingestion de la machine et prescrivit un chargement par doses homéopathiques de 1 000 notices à la fois. L' appareil donna, il est vrai, quelques signes de faiblesse, et l'on dut opérer selon un planning draconien, incluant soirées et jours chômés, pendant plusieurs semaines. La méthode parut si interminable que certains n'hésitèrent pas, parfois, à lancer secrètement l'indexation de 3 000 ou 5 000 notices, priant alors le ciel que tout voulût bien se passer. Ces audaces perdirent heureusement de leur témérité lorsque Geac remplaça la machine par une autre plus performante.

    La base de données enfla de jour en jour. Les sauvegardes quotidiennes, que les bibliothécaires assuraient par roulement, atteignirent des durées déraisonnables, défaut qui ne fut corrigé qu'en 1992.

    Enfin, après bien des tribulations, la dernière notice Jouve était « moulinée » par la machine Geac... La Documentation soupira de satisfaction, et mit les petits plats dans les grands. En compagnie de ses deux fournisseurs, elle invita l'ensemble du Musée à fêter, autour d'un buffet sub-stanciel, cet heureux événement, dont la portée dut alors échapper à certains. Que l'on songe, pourtant, au chemin parcouru. Au bout d'une année à peine, et pour un coût de saisie de moins de quatorze francs par fiche, la Documentation disposait désormais de la quasi totalité de son catalogue sous une forme interrogeable, malléable, exploitable, immédiate !

    VIII. - Pendant lequel s'accomplit un récolement inhabituel

    Cette étape franchie, il fut décidé de relier les nouvelles notices aux volumes qui emplissaient le magasin. On commencerait par les catalogues d'expositions individuelles. Le dessein était hardi, hérissé de difficultés, impraticable peut-être. Car les quantités étaient grandes : 45 000 unités, et surtout l'on n'avait jamais encore réalisé de récolement, faute de disposer d'un document, fichier ou registre, qui suivît l'ordre des rayons.

    On élabora un véritable plan de bataille, qui engageait toute l'équipe, stagiaires compris, du 2 au 30 septembre, et qui suivait une logique inverse à celle d'un récolement habituel. Ce furent les livres qui se déplacèrent vers les terminaux. Il s'agissait d'effectuer plusieurs opérations en une :

    • de parcourir la notice bibliographique, en signalant sur une fiche d'anomalie « les erreurs jugées bloquantes (titres, noms d'artistes...) ;
    • de corriger et compléter la notice d'exemplaire, tout en dotant le volume d'un code-barre ;
    • de vérifier et d'améliorer étiquetage et conditionnement.

    Etaient mis de côté » les documents que l'on jugeait bon de transférer en réserve ou d'éliminer, ceux dont la notice manquait, les cas insolubles...

    Le service ressembla bientôt à une ruche bourdonnante, où se croisaient les chariots de livres, les piles de pochettes et de post-it dont il fut fait grand usage, les rires et interpellations des différentes équipes. La volonté d'aboutir était telle qu'une dizaine de volontaires travailla également les samedi et dimanche. Craignant secrètement de voir un si bel enthousiasme faiblir avant terme, le chef de service se prit de temps à autre à distribuer des chocolats, à organiser des goûters impromptus.... D'une manière générale, il faut convenir qu'une grande quantité de sucreries fut ingurgitée durant cette période.

    Les choses prirent une tournure inquiétante avec la montée inexorable des piles de « doubles », « notices non trouvées », etc, au point que l'on dut renforcer l'équipe de résolution de problèmes ». Ces empilements confirmèrent en passant l'un des nombreux non-dits de l'histoire du service : la fusion en 1974 des deux fonds qui composent la collection (ancien Musée national d'art moderne et Centre national d'art contemporain), fut une telle entreprise que l'on se hâta alors de classer les ouvrages sans trop se soucier des doubles ou de cataloguer tous les nouveaux venus.

    On dut considérer de nombreux cas : notices avec sosies, documents composites, grands formats maltraités, langues et alphabets lointains, mystères de toutes sortes. On repêcha les égarés, qui manquaient en d'autres lieux ou ne répondaient pas à la définition de catalogues d'exposition.

    Néanmoins, le pari fut tenu, et le premier octobre, 40 000 documents avaient repris place sur les rayons, équipés d'un codebarre et notoirement pourvus d'une notice. On dénombra, par déduction 5 000 absents. 3 000 se trouvaient, çà et là, dans les piles de problèmes, les 2 000 autres servaient aux expositions du Musée et seraient équipés au fur et à mesure de leur retour au bercail.

    La Documentation manifesta sa fierté en s'en allant, avec Jouve, déjeuner joyeusement d'un couscous très royal au restaurant Les Lumières de Belleville.

    IX - Qui montre qu'une conversion n'est qu'un départ pour de nouveaux voyages

    Le répit fut de courte durée. Les avantages de la conversion s'avérèrent si flagrants : rapidité de la recherche, multiplication des accès, suppression des corvées de vérifications liées aux divers modes d'acquisitions, prévention des doublons, points de vue panoramiques sur les différents fonds, que la Documentation n'eut bientôt de cesse que d'en faire profiter ses lecteurs. Il fallait pour ce faire que le catalogue fût en état d'être librement consulté : qu'il fût passé au crible de corrections en bloc.

    On convint de la nécessité de relire promptement les index essentiels : auteurs, sujets, titres de forme, qui s'encombraient d'entrées multiples héritées du fichier (Picasso, Picasso P., Picasso Pablo, Picasso Pablo Ruiz, Picasso Pablo 1881-1973, etc) On créa donc une équipe de » nettoyage d'index qui entreprit de faire défiler les listes d'autorité et de fusionner les doublons. On estima négligeable le taux d'erreur ainsi induit.

    Il convient de dire ici combien il importa d'apprendre à raisonner de la sorte, par quantités et pourcentages. Nul doute que l'emploi de ces méthodes n'engendrât son lot de bévues, mais chaque étape fut un accomplissement. S'il est quelque moralité à tirer d'une telle expérience, celle-ci ressemblerait à : mieux vaut aboutir que toujours embellir ou « perfection sans conclusion n'est que ruine des bibliothèques ».

    De conclusion il n'est pourtant guère question. La rétroconversion avait en quelque sorte « tiré le fil d'une pelote qui n'en finissait plus de dérouler ». Le catalogue informatisé mettant soudain en lumière les aléas de sa propre histoire : fonds non traités, catalogages incertains, documents déclassés, la Documentation entreprit un grand nettoyage, faisant alterner corrections cas par cas et opérations ponctuelles : mini-récolements, relectures par tranches, etc. (Ces travaux ménagers devinrent titanesques, avec un réaménagement, en mai 1992, qui valut à la Documentation de déplacer l'intégralité de ses collections...)

    X - Dans lequel on espère avoir prouvé que la fortune sourit aux audacieux

    Ainsi se déroula l'informatisation de la Documentation. A qui s'étonnerait de ce que le Bulletin de l'ABF livrât un tel récit, on répondra que l'idée en vint à la lecture même de cette excellente publication. On y relate en effet fréquemment d'impressionnants projets, menés par des établissements éminents, d'ambitieux programmes nationaux de rétroconversion ou récupération. Aussi a-t-il semblé opportun de témoigner très simplement de la faisabilité de telles opérations dans des bibliothèques de taille beaucoup plus modeste. Ce faisant, on s'est attaché avant tout à exposer une démarche, en soulevant, çà et là, quelques questions de méthode. Peut-être aussi souhaitait-on faire allusion aux réalités économiques qui sous-tendent conversion et récupération. Enfin il n'est pas exclu de voir là un discret hommage au travail d'une équipe.

    Certes une telle entreprise soulève à coup sûr d'innombrables « lièvres », liés à l'histoire du service et fort embarrassants, mais elle ouvre de multiples portes. Il est aujourd'hui question, à la Documentation du Mnam, d'offrir aux utilisateurs divers produits bibliographiques, de publier le catalogue des fonds les plus précieux, de fournir les notices au musée de Saint-Etienne, de réaliser, avec de grands musées étrangers, un catalogue collectif sur CD-ROM... Enfin, il était question de tout cela, jusqu'à une certaine réunion, où les principaux acteurs de cette aventure laissèrent finement entendre à leur chef de service qu'ils avaient amplement mérité... de souffler un peu. Il en va certainement de même avec notre courageux lecteur !

    1. Cahier des clauses techniques particulières retour au texte

    2. Bulletin Officiel des annonces de marchés publics retour au texte

    3. Ateliers informatiques du Centre retour au texte