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Travaux de la Commission gratuité et coût des services des bibliothèques

1992
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    Travaux de la Commission gratuité et coût des services des bibliothèques

    Par Alain Massuard

    Il convient d'abord de situer le rapport que je présente au nom des membres de la commission au regard de l'état de nos travaux. Il constitue un rapport d'étape et non, comme nous l'aurions souhaité et comme probablement vous l'auriez souhaité, d'un rapport de synthèse qui permette à l'ABF de prendre position sur une question qui touche l'ensemble de nos établissements dans leurs pratiques quotidiennes.

    C'est un débat que nous avons eu : fallait-il dès maintenant, pour le Congrès d'Arles, proposer une motion ou un texte de référence soumis à la discussion et au vote du Congrès ?

    Nous sommes partis de la constatation de l'insuffisance de la "motion sur la gratuité dans les bibliothèques publiques" votée au Congrès de Dijon l'an passé, et dont je vous rappelle le texte :

    Alors que se pose de façon très grave dans notre société le problème de l'égalité d'accès à la culture, l'ABF réaffirme fermement son attachement au principe de gratuité des services de base des bibliothèques publiques: l'accès à l'information bibliographique, à la consultation sur place de tous les types de documents et au prêt des livres.

    Sur ce même sujet, l'ABF rappelle la motion votée au Congrès de Monaco en 1981 ; la résolution adoptée au Congrès de l'IFLA en 1989 à Paris; le texte sur les missions des bibliothèques publiques.

    Il nous a semblé que, faute de temps d'une part, faute aussi d'un moment favorable de débat dans le Congrès, il était préférable de donner l'ensemble de nos pistes de réflexion afin d'aider à clarifier le débat pour l'ensemble de l'association et de vous demander de nous mandater pour poursuivre nos travaux jusqu'au premier trimestre 1993 afin de parvenir à une vraie position argumentée, formalisée dans un texte soumis au Conseil national de l'ABF et ensuite au Congrès.

    Faute de temps en premier lieu : la commission a fonctionné à partir du mois de janvier et elle a tenu cinq réunions. Nous sommes les uns et les autres très pris et notre volonté de mettre les bouchées doubles à échoué sur des difficultés matérielles. Par ailleurs notre tentative d'élargissement à des représentants des sections BU et BN ne s'est pas concrétisée.

    Faute d'un vrai débat d'autre part : il est dommage que la discussion sur les rapports des commissions se déroule le lundi, au moment où beaucoup de collègues sont déjà obligés de repartir et après l'assemblée générale, ce qui interdit la discussion d'un texte en groupe de travail avant qu'il soit soumis à l'assemblée générale.

    Modalités de travail

    Les objectifs de la commission étaient ainsi définis par l'ABF :

    • " le principe de gratuité : comment l'affirmer et le maintenir dans les faits ? - sur quelles bases ? - comment l'articuler sur les proclamations des organismes internationaux ?
    • la réflexion sur les coûts : - les différents services, leurs coûts; la logique économique de la répartition des coûts ; le service public : gratuité ou paiement ;
    • l'inventaire des pratiques en bibliothèque et de leur évolution ; entre usagers et tutelle, le discours et le comportement des professionnels."

    La commission a commencé ses travaux avec deux propositions de méthode d'approche qui nous semblent significatives de deux tendances constatées parmi nous et qui paraissent correspondre à un clivage traversant toute la profession .

    La première méthode consistait à tenter d'asseoir et d'argumenter nos réflexions à partir de l'environnement extérieur : position des élus et des tutelles ; évolution dans d'autres secteurs de la vie culturelle ; évolution des données de l'économie culturelle. Et aussi à partir de constatations sur l'écart croissant entre le discours sur la gratuité et la réalité des pratiques dans les bibliothèques.

    Cette méthode exigerait des enquêtes, le recours à des experts extérieurs, la collecte d'avis nombreux.

    La seconde approche se proposait de partir des textes "fondateurs" des bibliothèques sur la question de la gratuité et de la réaffirmation des missions des bibliothèques, pour réactualiser ces textes dans un premier temps et pour, ensuite, définir les moyens de remplir correctement les missions assignées à nos établissements.

    La commission, dans sa première séance de travail, a décidé de retenir une approche centrée d'abord sur les bibliothèques mais tenant compte d'exemples et d'évolutions étrangères et tentant d'objectiver le plus possible ses constatations et conclusions. En même temps nous nous sommes posé le problème du champ à couvrir et, si nous avons souhaité traiter de tous les types de bibliothèques, force est de constater que nos débats ont essentiellement porté sur le réseau de lecture publique.

    Les constats et les pistes

    Les textes de référence

    Le premier est la Charte de l'UNESCO sur la lecture. Ce texte affirme fortement le principe de gratuité mais il s'agit d'un texte vieilli et dont le caractère universel fait perdre de l'efficience tant il fixe un cadre général.

    Le texte le plus récent est la Charte du Conseil supérieur des bibliothèques qui, dans l'article 6 de son titre I, stipule : "La consultation sur place des catalogues et des collections doit être gratuite pour l'usager. Les autres services proposés par la bibliothèque peuvent être tarifés au moindre prix, notamment ceux qui sont rendus à distance, ceux qui donnent lieu à la délivrance d'un document dont l'usager devient propriétaire, ou à une recherche documentaire individualisée approfondie. Il est souhaitable que le prêt à domicile soit aussi gratuit ou qu'il fasse l'objet des exonérations les plus larges en faveur des enfants et des adolescents, des publics empêchés ou défavorisés. "

    Ce texte se présente comme un cadre de principe. Il nous semble en plusieurs points ambigu et trop général dans ses formulations mi-chêvre mi-chou qui ne plaident ni pour la gratuité totale, ni pour une tarification tout azimut, mais n'indique pas de voie pratique pour conduire une politique aussi balancée. Par ailleurs la Note sur la tarification dans les bibliothèques publiques présentée dans le Rapport du Président du Conseil supérieur des bibliothèques pour 1991 avance un chiffre de 78% de bibliothèques municipales de villes de plus de 10 000 habitants qui tarifient la carte d'abonnement au prêt, statistique qui nous paraît impossible à établir au vu des éléments contenus dans les rapports annuels remis à la DLL, ce qui est significatif, non tant de la difficulté pour le CSB à définir une position sur ce problème que de l'impossibilité d'obtenir des informations fiables pour la conforter (1)

    Les missions des bibliothèques

    La commission est unanime pour réaffirmer que les bibliothèques sont un outil d'éducation privilégié et, qu'à ce titre, leur accès pour tous doit être garanti par la collectivité.

    De la même manière nous sommes d'accord sur la nécessité d'élargir l'assise actuelle du public des bibliothèques, en particulier par un effort auprès des catégories socialement et économiquement défavorisées. Mais il faut ici constater les limites des possibilités des bibliothèques si elles agissent seules. Le public actuel des bibliothèques est principalement constitué de ceux qui ont conscience de ce qu'elles peuvent leur apporter en terme de loisir ou d'information.

    Or, peut-on constater une incidence de la gratuité sur les autres publics ? Seuls les constats négatifs du passage de la gratuité d'accès au paiement peuvent permettre de mesurer les effets éventuels de celle-ci sur la fréquentation. Sur les exemples connus nous pouvons globalement constater une baisse de la fréquentation lors du passage de l'une à l'autre situation. Mais il semble aussi que le public qui quitte la bibliothèque lorsque la carte d'accès devient payante revient petit à petit. Dans quelle proportion, et au bout de combien de temps ? Cela nous ne le savons pas de manière certaine et surtout nous ne savons pas bien quelles sont les catégories sociales touchées en priorité par le paiement, même si, intuitivement, nous pouvons supposer qu'il s'agit de celles dont le pouvoir d'achat est le plus faible. L'exemple donné par la note du CSB, pour AUTUN, nous donne peu d'indications précises, sinon des tendances et il apparaît hasardeux d'en tirer des conclusions généralisables..

    Le plus souvent le coût d'accès ainsi introduit ne touche que le droit d'inscription et aussi, de plus en plus, le coût d'emprunt des documents autres que les livres (disques, vidéogrammes, logiciels, estampes...). Sa mise en place n'a-t-elle pas un coût de fonctionnement et de gestion supérieur aux recettes induites ou bien les tarifs ont-ils été calculés à partir d'une approche économique qui inclut les frais induits ?

    Ces recettes sont-elles réaffectées à la bibliothèque ? Si tel est le cas, il serait intéressant de savoir si elles permettent de créer des services nouveaux, ou d'améliorer les services existants de manière à compenser la perte de public par une attractivité améliorée et un gain de qualité de service. Il faudrait tenter d'analyser aussi les catégories de public auxquelles s'adressent ces services nouveaux ou améliorés.

    Cette possible amélioration des services grâce à la réaffectation de recettes nouvelles est une des thèses présentes dans la commission, mais il est difficile d'en conduire une analyse objective tant nous manquons d'éléments statistiques complets et fiables. Il convient à ce propos de saluer le travail de nos collègues du groupe Bourgogne qui ont lancé une enquête auprès de 85 bibliothèques de leur région. Avec un taux de réponse de 60%, ils nous permettent d'avoir une première photographie des pratiques sur une série de bibliothèques très hétérogène mais qui a le mérite de couvrir toute la typologie. La commission souhaite que les administrations centrales, et en particulier la DLL, se dotent d'outils d'analyse et d'évaluation qui permettent de fonder une réflexion appuyée sur une vision objective de la réalité. A côté des statistiques annuelles, la production de monographies présentant des études de cas sur une durée assez longue serait tout à fait nécessaire.

    Thèses en présence

    On voit que, partant de la définition ou de la redéfinition des missions, s'il y a un accord des membres de la commission sur les objectifs, deux thèses sont en présence.

    La première qui considère que le prix d'un service de bibliothèque est un frein évident à la fréquentation de la bibliothèque et à l'utilisation de ce service : frein psychologique, frein socio-culturel, frein matériel pour les catégories défavorisées financièrement.

    Les tenants de cette thèse proposent donc logiquement de diminuer le coût des services pour l'usager en direct afin de favoriser la fréquentation. Pour eux la taxation directe doit être limitée et fixée à 0 pour les services de base rendus au public - ceux qui sont délivrés dans les locaux de la bibliothèque, sont disponibles à tous et n'impliquent pas la production d'un document ou d'un service personnalisés.

    Pour montrer le caractère dissuasif de la tarification, cette thèse s'appuie sur l'analyse faite par l'Association allemande des bibliothèques (DBV) telle quelle a été exprimée en 1986 face à des projets de tarification ; elle aussi prend comme exemple le succès des manifestations culturelles reposant sur l'argument de la gratuité ou du moindre coût (cinéma 18h/18F ; théâtre 2 places/1, Fête de la musique...)

    A la base de cette position il y a la proclamation du rôle éducatif des bibliothèques et de la gratuité comme expression d'un droit de base du citoyen au même titre que le droit à l'éducation.

    La seconde thèse pose en préambule la possibilité d'utiliser une politique de tarification intelligente comme outil de définition d'une réelle politique culturelle :

    • loin d'être un facteur d'exclusion, la tarification peut permettre une politique d'incitation pour des catégories d'usagers définis ; par exemple en offrant non pas la gratuité d'accès à ces services mais des droits d'accès pour une somme donnée (en utilisant la monétique comme outil de gestion de cette pratique). La référence de cette pratique peut-être prise dans la gestion des transports en commun de certaines collectivités locales.
    • la tarification peut permettre de financer le développement ou la création de services nouveaux par apport de recettes. C'est d'ailleurs un argument déjà utilisé par certaines collectivités locales pour la création de vidéothèques ou d'arto-thèques par exemple.
    • la tarification, en permettant d'évaluer la valeur d'un service, oblige à une politique de qualité dans la mesure où on ne peut vendre de mauvais produits.

    Pour ses partisans, cette politique ne peut être conduite que dans le cadre contractuel d'une relation où l'affichage des données et des intentions est clair. Il faut pouvoir dire : voilà ce que coûte la production de tel service ; voilà ce qui est subventionné par l'Etat et par la collectivité territoriale et voilà les tarifs décidés pour telle et telle catégorie d'usagers, en indiquant la logique d'une politique de tarification préférentielle.

    La discussion a permis de voir que ces deux thèses, en apparence totalement opposées, ont des points de rapprochement dans leurs énoncés et dans la pratique des bibliothèques :

    • tout d'abord, les uns et les autres défendent la gratuité de l'accès à la bibliothèque et du prêt des document ;.
    • un accord assez grand se dégage pour juger dommageable une discrimination du traitement de la tarification des emprunts par type de documents. Même s'il est nécessaire de réaffirmer que les missions premières des bibliothèques tournent autour du livre et de la lecture, il est illogique de pénaliser le disque et la vidéo au prétexte qu'ils n'auraient pas de fonction éducative mais uniquement un usage de loisir ;
    • il y a unanimité sur la pénalisation des manquements aux régies de fonctionnement des établissement : retards, livres et autres documents détériorés...
    • il y a une convergence pour considérer que les services de base sont différents des services personnalisés et des services aux usagers collectifs qui pourraient être tarifés. Il nous semble que cette piste de travail doit être creusée et un essai de typologie de ces deux catégories de services a commencé à être entrepris par la commission.

    Nous souhaitons continuer nos travaux. Nous proposons, outre les sujets abordés plus haut, de travailler sur le problème des impôts, de la répartition des charges et de la compensation financière. La commission a élaboré un questionnaire d'enquête qui va être diffusé auprès des bibliothèques municipales de plus de 10 000 habitants, des bibliothèques départementales de prêt et des bibliothèques universitaires. Son exploitation, qui devrait permettre d'appréhender mieux la réalité, devrait faire partie des activités importantes d'ici la fin de l'année.

    Une autre idée d'enquête sur les seuils de tarification, pénalisants ou non, a été envisagée. C'est une enquête lourde et nous souhaitons, avant tout, vérifier sa faisabilité. Si elle était réalisable, il conviendrait d'en trouver le financement et d'en élaborer le cahier des charges.

    En conclusion, nous vous demandons de nous mandater pour poursuivre nos travaux, en formant le voeu qu'ils débouchent sur un texte, ou un ensemble de textes de référence qui permettent à notre association de définir une position claire et durable sur ces problèmes complexes.

    1. Michel MELOT, présent au congrès, a pris en compte les remarques faites à propos de l'utilisation des statistiques de la DLL dans cette note et s'est engagé à faire une rectification dans le prochain rapport annuel. retour au texte