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    Intervention de Serge Kancel

    Par Serge Kancel, Directeur-adjoint Direction du Livre et de la Lecture

    Mon intervention d'aujourd'hui se situe au moment charnière pour la Direction du Livre et de la Lecture. D'abord. de par la prise de fonction de Jacques Toubon. nouveau ministre de la Culture et de la Francophonie qui a. dès son arrivée, mis en avant deux priorités, l'une en faveur de l'écrit et l'autre en faveur de l'enrichissement et de l'apprentissage du langage. Ensuite. parce que ce congrès de l'ABF est le premier depuis la mise en place de la réforme des administrations du livre. c'est-à-dire le Centre national du Livre et la Direction du Livre et de la Lecture.

    Quelques mots d'abord sur cette réforme qui a été fortement voulue, portée et menée à bien par Evelyne Pisier. en liaison étroite avec tous les partenaires, notamment professionnels, concernés. Son ambition est de renforcer chacune des deux entités : Centre national du Livre, Direction du Livre et de la Lecture, en les recentrant sur leur "métier" le plus naturel. Au CNL, le soutien à la création littéraire ainsi qu'à l'ensemble de la chaîne économique du livre, qui va de l'édition à la vente, en passant par la distribution et la diffusion. A la DLL, l'ensemble de l'action qui concourt au développement de la lecture, avec comme traduction concrète le nouvel organigramme articulé autour de deux départements. L'un, dit "des bibliothèques de l'Etat et des affaires générales", que dirige Dominique Arot, assure la tutelle des grands établissements mais aussi le suivi des questions de formation et de statut. L'autre département "de l'action régionale et des établissements régionaux", que dirige Marie-Claire Millet, s'occupe de la couverture du territoire en bibliothèques, de toutes les actions localisées de développement de la lecture et de la coordination des DRAC. Cela dit, la DLL exerce aussi les missions "régaliennes" (pourquoi ne pas dire plutôt "républicaines") d'évaluation et de synthèse des actions menées, et de régulation générale du secteur par les législations et réglementations adaptées. C'est ainsi que dans les mois qui viennent une réflexion s'engagera pour une amélioration de la législation sur le prix unique du livre, l'élaboration de différentes mesures en faveur de la langue française ou encore la mise en place définitive des réformes statutaires récentes.

    La DLL sera peut-être dans les prochains mois amenée à évoluer et à se renforcer encore, mais c'est d'ores et déjà un outil en plein état de marche, en faveur de cette grande action prioritaire et qui vous mobilise tous. Mesdames et Messieurs, à savoir la lecture publique.

    Nous savons en fait. que l'action en ce domaine sera de plus en plus nécessaire dans ces prochaines années car les menaces seront de plus en plus fortes. D'autres formes d'accès au plaisir ou à l'émotion sont venues concurrencer le livre, comme le disque ou la vidéo auxquelles les bibliothèques elles-mêmes ont été accueillantes. Aujourd'hui et sous nos yeux, ce sont les jeux vidéos qui prennent une part croissante dans le temps des loisirs des enfants et bientôt des adolescents puis des adultes. Aussi, s'il ne faut pas forcément parler de conflit, il faut bien pourtant, en matière de lecture publique, parler de défense et aussi d'offensive. Cela signifie constamment, et en s'appuyant sur les "trois réseaux" de bibliothèques, de donner à chaque citoyen des moyens d'accès égaux au livre et à l'information ; c'est le fondement même de la politique d'aménagement culturel du territoire qui est d'irriguer les terres arides, arides c'est -à-dire sans lecture.

    Cela veut dire aussi de ne jamais dissocier les actions des grands établissements nationaux de celles menées par l'ensemble des bibliothèques territoriales. Quelques illustrations en ce sens : ainsi, la lettre de mission reçue du ministère par le nouveau directeur de la Bibliothèque publique d'information, Madame Martine Blanc-Mont-mayeur, qui insiste sur le rôle d'innovation et d'experimentation de la BPI en direction de toutes les bibliothèques de lecture publique. Illustration également, le débat riche, dense sur la vocation de la BdF et en particulier sur son étage dit du "haut de jardin", jusqu'à la décision prise par Jacques Toubon de confier à un groupe de travail présidé par M. Belaval le soin de préciser dans les prochaines semaines la vocation de ce grand projet en matière de lecture publique, c'est-à-dire de lecture des citoyens désireux de s'instruire, de se documenter, de s'ouvrir au monde. Illustration enfin, les décisions récentes, y compris législatives, créant les "pôles associés", instituant les bibliothèques municipales à vocation régionale ou réformant le dépôt légal.

    C'est ce lien fort entre tous les niveaux de l'action qui permettra un partage efficace des tâches et au-delà un partage de la mémoire. Mais attention ! mémoire partagée ne veut pas dire mémoire émiettée. Tout au long de ces journées, vous avez affirmé la fonction de conservation de la mémoire, au coeur de la raison d'être des bibliothèques. Mais vous avez aussi montré que cette fonction n'est ni un repli vers le passé ou sur soi-même, ni une crainte de l'avenir. La mémoire, c'est au contraire le fondement même de l'action des bibliothèques en direction des nouveaux publics et des nouvelles techniques, et s'il fallait un seul symbole de cela, ce serait le superbe bâtiment de la bibliothèque de Chambéry, dont la modernité est inscrite au coeur d'un tissu urbain historique.

    Sur ce thème de lecture publique, il nous faut donc avancer ensemble, avec ce que cela veut dire de concertation, d'écoute mutuelle, d'intelligence commune. Confronter les idées et les expériences d'abord entre nous, c'est-à-dire entre le monde des bibliothèques que vous représentez et la DLL. Cette volonté d'échanges est d'ailleurs fortement marquée par un stand de la Direction pendant toute la durée de votre congrès (et ceci pour la première fois), ou encore par la présence ce matin dans cette salle d'une forte délégation de membres de la DLL qui ne manqueront pas de répondre tout à l'heure à vos questions.

    Mais cette concertation va bien au-delà, elle doit être de rigueur entre l'ensemble des partenaires quels qu'ils soient et quelle que soit la difficulté des sujets à aborder.

    Ainsi, la question du droit de prêt qui a été évoquée hier. Nous avons sur ce sujet le temps de la réflexion, un temps réel même s'il n'est pas excessif, puisque la législation française est censée intégrer en juillet 1994 les dispositions de la directive européenne. Ce temps de réflexion nous permettra de préciser les deux ouvertures que nous fournit la directive, à savoir d'une part la possibilité de fixer ce droit de prêt en fonction d'objectifs culturels et d'autre part la possibilité d'exempter certaines catégories d'établissements. Ces quelques mois seront mis à profit pour préciser la question posée ou plutôt "les" questions qui sont au nombre de quatre : qui doit taxer qui ? de combien ? au profit de qui ? Il m'a semblé à cet égard au cours du débat d'hier, qu'une confusion risquait de s'installer avec d'autres problèmes qui, s'ils sont sans doute liés à celui du droit de prêt, en sont toutefois distincts : ainsi, la directive européenne n'a pas pour objet de compenser des atteintes éventuelles que les bibliothèques porteraient au secteur économique du livre, ni le manque à gagner lié à un abus de reprographie. La directive concerne avant tout une juste rémunération des auteurs. De même, le droit de prêt doit à mon sens être distingué du problème plus large de la tarification de l'accès aux bibliothèques et de l'emprunt du livre. C'est précisément pour bien poser les questions qu'une étude va être lancée, qui impliquera aussi bien le Syndicat National de l'Edition, l'Association des Bibliothécaires Français et l'administration du livre via l'Observatoire de l'économie du livre, afin de mieux préciser les rapports entre la pratique de lecture en bibliothèque et la pratique de l'achat du livre.

    Quelques mots pour conclure sur le rôle que devront avoir demain, face à ce défi de lecture publique, les nouvelles bibliothèques et je dirais même les nouveaux bibliothécaires. Les bibliothèques ont, nous le savons, considérablement changé et vous en avez été les acteurs. Ce mouvement de modernisation et de qualification technique sans cesse croissante suppose des mutations difficiles, dont une réforme des statuts et des formations des deux fonctions publiques, territoriale et nationale, qui se met en place lentement, parfois avec des heurts, mais aussi avec des avancées significatives comme la création récente de l'Institut national de formation des bibliothécaires. Sur ces questions de statut, il faudra là encore une vraie concertation et sans doute une forte mobilisation d'énergie, mais j'ai tendance à penser que ces réformes n'auront de sens réel que si elles contribuent aussi à faire évoluer le métier de bibliothécaire, qui doit devenir un véritable acteur culturel et social, que ce soit, bien entendu, dans les villes où se concentrent les flux économiques et créatifs, mais aussi dans les zones d'exclusion, de désarroi social, de conversion économique, ou encore dans cette majorité de notre espace à réalité rurale. Le "bibliothécaire dans la cité", on voit ce que cela peut être à travers certaines initiatives prises dans le cadre de la "Fureur de Lire" par certains d'entre vous en liaison avec les libraires, les éditeurs, les auteurs, les collectivités, les milieux économiques et sociaux. On le voit aussi à travers votre opération exemplaire les "Belles oubliées", avec ce prix qui est attribué pour la première fois et qui mobilise aussi bien le bibliothécaire que l'éditeur.

    Chaque fois que les bibliothécaires s'ouvriront à leur environnement, à leur époque, chaque fois qu'ils inscriront leur action dans cette logique unique qui va du livre à la lecture, chaque fois enfin que les bibliothécaires s'affirmeront comme acteurs culturels à part entière, ils trouveront, Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, la Direction du Livre et de la Lecture à leur côté.