Index des revues

  • Index des revues
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓

    Intervention de Michel Melot

    Par Michel Melot, Président du Conseil supérieur des bibliothèques

    Après trois années d'exercice, il nous est possible de répondre aux questions que chacun se pose sur la place et le rôle d'un conseil supérieur des bibliothèques. Nous savons quelles sont ses limites.

    Nous avons regretté d'abord qu'il soit limité à trois ministères, excluant par exemple l'accès au ministère des finances et surtout à celui de l'intérieur, et à travers celui-ci, aux collectivités territoriales. Sur ce point, le décret du 29 mars 1993 (modifiant celui du 23 octobre 1989 qui créait le Conseil supérieur) apporte une amélioration notable en lui donnant accès à tous les autres ministères, même si cette possibilité est réduite aux dossiers concernant les bibliothèques qui en dépendent. Il conviendrait maintenant d'associer plus étroitement à nos travaux des représentants de la direction générale des collectivités locales.

    Nous avons aussi regretté que le nombre assez important des membres du conseil - vingt et un - ne distingue pas, comme c'est le cas à l'étranger, entre une instance technique, plus agile sur le terrain, et une instance proprement politique. L'habitude que nous avons prise de travailler en commissions, permet d'associer de nombreux professionnels à nos réflexions et reconstitue de fait un niveau technique où se retrouvent régulièrement les experts de tel ou tel secteur, qui viennent ensuite rapporter au Conseil dont ils sont membres. Cette méthode, qui permet d'associer de nombreux professionnels aux travaux des commissions, me paraît à l'usage plus satisfaisante qu'un conseil à deux étages.

    On a regretté enfin que le pouvoir du Conseil demeure virtuel et son autorité, morale. Cette limite est fondamentale et doit être acceptée : c'est la contrepartie et la garantie de son indépendance. Il ne doit se substituer ni aux administrations, ni aux organisations professionnelles, ni aux instances paritaires. Cependant, l'idée de contrebalancer l'autonomie presque totale des collectivités et celle croissante des universités n'a pas été étrangère à la création d'un Conseil supérieur. Le fait qu'il ne soit assorti d'aucun pouvoir réglementaire laisse entière la fragilité du dispositif actuel du contrôle technique de l'Etat sur les bibliothèques prévu par la loi du 22 juillet 1983.

    Le décret qui organise le contrôle scientifique et technique de l'Etat, donne d'abord aux inspecteurs généraux le pouvoir d'exercer ce contrôle, non seulement en ce qui concerne les conditions de conservation du patrimoine, mais le fonctionnement démocratique de la bibliothèque. son accessibilité à tous et l'équilibre de ses collections. Or, on annonce que le corps de l'inspection générale est en voie d'extinction, et que le contrôle sera exercé par du personnel scientifique ponctuellement désigné, à l'instar de ce qui se passe depuis longtemps dans les musées ou les archives. Mais il ne faut pas oublier que le fonctionnement des archives et des musées, de même que la préservation des monuments historiques, sont soumis en France à des lois, qui manquent au contraire pour les bibliothèques. On peut donc se demander si la conjonction d'une absence de loi et d'un affaiblissement voire une disparition de l'inspection générale, ajoutée à l'absence de moyens coercitifs du Conseil supérieur, ne fragilise pas dangereusement le règlement de nos bibliothèques. S'il n'appartient pas au Conseil d'exercer ce contrôle, il lui appartient d'en signaler la faiblesse et de rappeler chaque fois que cela sera nécessaire les principes qu'il a énoncés dans la Charte des bibliothèques.

    Le Conseil supérieur serait donc mal adapté s'il devait constituer une force d'intervention. En revanche, il a l'avantage de permettre une réflexion d'ensemble, au-delà des particularismes et des vues à court terme. Je prendrai trois exemples qui à la fois illustreront notre façon de travailler et résumeront les principaux dossiers actuellement à notre ordre du jour : la formation, le droit de prêt et la Bibliothèque de France.

    Les formations se mettent en place et chaque organisme cherche aujourd'hui la sienne. Il ne nous appartient pas de vérifier qui doit enseigner quoi : chacun est responsable de ses programmes et de ses objectifs. Mais ces organismes sont en train d'exploser et personne aujourd'hui n'a une perception claire de leur ensemble. Aucune instance administrative n'est responsable de leur dénominateur commun. Notre rôle est de rapprocher les différents secteurs - scolaires, universitaires, documentalistes d'entreprise, métiers du livre, archives, lecture publique - pour savoir, par exemple, si le discours traditionnel sur l'unité de ces métiers est encore tenable, et jusqu'où ? L'augmentation des effectifs et la spécialisation de nos métiers tendent à leur division. Est-elle souhaitable ? Est-elle inéluctable ou faut-il ménager des passages ? Ceux qui existent déjà sont-ils réellement praticables ? Il faut éviter que des fractures irréductibles ne se produisent - je pense aux filières des DUT -, que des concurrences inutiles ne se créent - je pense aux bibliothécaires que va former l'Ecole du patrimoine. Au moment où les différences entre les spécialisations - entre métiers de l'information et métiers du patrimoine par exemple - se creusent, d'autres disparaissent : je pense à celles qu'offraient les options du CAFB. Il y a sans doute, sous cette apparente contradiction, une logique qu'il faut découvrir, et s'il n'y en a pas, il faut changer de cap.

    Il y a là une série de questions qui touchent à la cohérence d'un ensemble aux intérêts duquel chaque ministère, préoccupé de ses propres missions, n'est pas tenu de répondre. Le Conseil supérieur poursuivra l'analyse commencée en 1992 afin de préciser un cadastre aujourd'hui un peu sauvage et de dégager des perspectives qui ne nous enferment pas dans le dilemme : diviser ou confondre. Il reste enfin à ouvrir le chantier de la formation des personnels de catégorie C qui s'annonce à son tour comme une entreprise de mise en cohérence interprofessionnelle, inter-régionale et interministérielle.

    Le deuxième exemple concerne le droit de prêt. Le discours que nous avons entendu de ceux des éditeurs qui y sont le plus farouchement attachés repose non sur une défense directe des auteurs ou de l'édition elle-même, mais sur une défense de la librairie auxquelles les bibliothèques sont accusées de porter ombrage. La Direction du Livre qui défend les uns et les autres se trouve entre l'écorce et l'arbre et devra rendre un arbitrage difficile. L'avis du Conseil supérieur ne sera pas de trop pour maîtriser un ensemble de données disparates et parfois lointaines qui doivent être prises en compte lors du débat.

    La question n'est pas seulement française : le droit de prêt profitera d'abord aux pays linguistiquement dominants. Dans les pays qui appliquent déjà le droit de prêt, les situations sont contradictoires . tantôt la lecture publique, tantôt l'enseignement et la recherche en sont exonérés. Ces pays n'ont pas de centre national du livre et le produit du droit de prêt est parfois partiellement affecté à des fonds de soutien de l'édition : l'établissement d'un tel droit en France ne peut donc ne pas tenir compte des missions du Centre national du livre. Si l'on veut aider les librairies, on sait que c'est en les réintroduisant dans le circuit économique des bibliothèques, grâce au plafonnement des remises, qu'on y réussira. Il faut donc là encore, prendre un peu de hauteur pour trouver une position qui dépasse les intérêts particuliers et permette de sortir de l'opposition que certains ont organisée entre le monde de l'édition et celui des bibliothèques, et qui est stérile et contre nature.

    Mon dernier exemple sera celui de la Bibliothèque de France. Le Conseil supérieur a déjà dit et publié ce qu'il pensait sur ce projet essentiel. Le changement de gouvernement repose certaines questions dans des circonstances nouvelles et le Conseil s'apprête avant la fin du mois de juin à actualiser ses positions. Parmi les questions centrales sur lesquelles on peut revenir, figure celle des missions du nouvel ensemble et particulièrement de son ouverture à tous les publics, prinipe auquel le Conseil s'est dit attaché. On sait que cette question est faussée par l'inadéquation de l'offre documentaire à Paris en particulier pour les étudiants, et en particulier pour ceux du premier cycle. Nous sommes arrivés à la conclusion que la satisfaction des besoins de proximité en matière de bibliothèque des étudiants de premier cycle en Ile-de-France est un préalable à toutes les questions, y compris celle des missions de la Bibliothèque de France et nous avons insisté pour que se tienne sans tarder la réunion de coordination de la documentation des bibliothèques universitaires d'Ile-de-France, qui a été fixée au 3 juin.

    Un groupe de travail, animé à nouveau par le professeur Jolis, s'est donc mis en devoir d'examiner la situation très difficile des bibliothèques universitaires et inter-universitaires de Paris, la situation de plus en plus difficile des bibliothèques municipales de la Ville de Paris, la situation toujours aussi difficile de la BPI, et la situation qui s'annonce inévitablement difficile dans ces conditions des espaces publics de la Bibliothèque de France. Là encore, aucune de ces institutions ne peut traiter seule le problème. Le rôle d'un Conseil supérieur n'est pas de régler à leur place, mais d'indiquer à chacune d'elle la part qui devrait être la sienne si l'on veut parvenir à une solution durable et équilibrée.

    J'ai évoqué ces dossiers qui sont ceux que vont examiner les deux prochaines réunions plénières du 27 mai et du 30 juin. La réflexion est ouverte et je vous invite à y participer : nous sommes preneurs de tout avis constructif. Nous avons inscrit à notre ordre du jour d'autres questions : celle de l'évolution des bibliothèques de jeunesse, à la suite de l'annonce du changement de statut de La Joie par les livres, celle de la faiblesse française des bibliothèques musicales dont le renforcement suppose un rapprochement entre conservatoires et lecture publique. Nous suivons avec attention le dossier de plus en plus riche des rapports entres les bibliothèques scolaires et la lecture publique, et, grâce à la diligence du ministère des affaires étrangères, celui du développement des bibliothèques françaises à l'étranger.

    Nous mènerons ces travaux, si vous nous y aidez, dans l'année 1993. Le Conseil supérieur des bibliothèques compte parmi ceux qui se réunissent régulièrement (quatre fois l'année), et aux travaux desquels la plupart des membres sont assidus. J'ai la chance d'avoir auprès de moi deux vice-présidents dont le Conseil a déjà éprouvé le dévouement et la compétence : un universitaire, grand médecin, Pierre Jolis, et un chercheur au CNRS, physicien, Franck Laloë. C'est pourquoi j'ai reçu la présidence de ce Conseil d'abord comme une reconnaissance du travail qu'il a accompli et une volonté de le poursuivre et de l'amplifier. Ensuite, avec la conviction que si ce Conseil supérieur des bibliothèques n'est pas le mieux armé pour régler sur l'heure les questions parfois cruelles qui se posent aux bibliothèques d'aujourd'hui, il est essentiel, pour peu qu'on veuille l'écouter, à leur avenir et à leur progrès.